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Date : 20200831


Dossier : A-138-20

Référence : 2020 CAF 135

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Présente : LA JUGE RIVOALEN

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

appelant

et

GLAXOSMITHKLINE BIOLOGICALS S.A.

intimée

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 31 août 2020.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LA JUGE RIVOALEN

 


Date : 20200831


Dossier : A-138-20

Référence : 2020 CAF 135

Présente : LA JUGE RIVOALEN

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

appelant

et

GLAXOSMITHKLINE BIOLOGICALS S.A.

intimée

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LA JUGE RIVOALEN

I. Introduction

[1] Le ministre de la Santé (l’appelant ou le ministre) dépose une requête visant à surseoir à l’exécution de la décision rendue le 7 avril 2020 par la Cour fédérale (par le juge Barnes) (2020 CF 397), jusqu’à ce que notre Cour statue sur l’appel.

[2] Il semble utile d’énoncer quelques éléments d’information à l’appui des présents motifs.

[3] L’intimée est la titulaire du brevet canadien no 2 600 905 (le brevet no 905). Elle demande que lui soit délivré un certificat de protection supplémentaire (CPS) au titre du régime canadien des CPS à l’égard de son vaccin contre le zona SHINGRIX et du brevet no 905. Le régime des CPS englobe les articles 104 à 134 de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, et le Règlement sur les certificats de protection supplémentaire, D.O.R.S./2017-165. Le régime des CPS du Canada tire son origine du chapitre 20 de l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne (AECG), qui prévoit une protection supplémentaire comparable à celle conférée par un brevet pour certains brevets pharmaceutiques admissibles.

[4] Le CPS accorde aux titulaires de brevets pharmaceutiques, comme l’intimée en l’espèce, une période supplémentaire maximale de deux ans durant laquelle ces titulaires bénéficient de droits comparables aux droits de brevet. Cette mesure vise à offrir à ces titulaires deux ans supplémentaires de protection, afin de compenser le temps qu’ils doivent consacrer à la recherche et à l’approbation réglementaire des nouveaux médicaments pendant la durée du brevet.

[5] Le brevet no 905 arrive à échéance le 1er mars 2026. L’intimée a présenté au ministre une demande de CPS afin que la date d’expiration du brevet no 905 à l’égard du vaccin SHINGRIX soit reportée au 1er mars 2028. Dans une lettre datée du 3 août 2018, le ministre a refusé de délivrer un CPS.

[6] La présente requête et l’appel sur le fond s’inscrivent dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire présentée par l’intimée à l’encontre de la décision du 3 août 2018 par laquelle le ministre a rejeté la demande de CPS.

[7] La Cour fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire de l’intimée, mais n’a pas ordonné la délivrance d’un CPS. La Cour fédérale a ordonné au ministre de réexaminer l’affaire et de rendre une nouvelle décision sur le fond, en conformité avec les motifs qu’elle avait énoncés. La Cour fédérale a conclu qu’il ne s’agissait pas d’une affaire où il était indiqué d’enjoindre au ministre de délivrer un CPS à l’intimée. La Cour fédérale a annulé la décision du ministre, la jugeant déraisonnable, car le ministre n’a pas dûment tenu compte des engagements du Canada au titre de l’AECG, ni de la portée globale des dispositions applicables de cet Accord et de leur objet.

[8] Le 8 juin 2020, l’appelant a déposé un avis d’appel du jugement et des motifs prononcés par la Cour fédérale. Le 15 juin 2020, l’appelant a déposé son dossier de requête, en demandant à notre Cour de rendre une ordonnance de sursis à l’exécution du jugement de la Cour fédérale, jusqu’à ce qu’il soit statué sur l’appel. L’appelant invoque l’alinéa 50(1)b) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, en précisant qu’il est dans l’intérêt de la justice d’accorder le sursis demandé.

II. Analyse

[9] Pour obtenir un sursis à l’exécution du jugement de la Cour fédérale, l’appelant doit satisfaire au critère à trois volets énoncé dans l’arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, 111 D.L.R. (4th) 385 à la page 334 [RJR-MacDonald]. L’appelant doit ainsi démontrer à notre Cour qu’il existe une question sérieuse à juger, qu’il subira un préjudice irréparable si le sursis n’est pas accordé et que la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi du sursis. Ces trois volets doivent être respectés et le défaut de satisfaire à un seul de ces volets rend la requête en sursis irrecevable. La norme de preuve est celle de la prépondérance des probabilités et, tout au long des procédures, le fardeau de la preuve incombe à l’appelant (Novopharm Limited c. Janssen-Ortho Inc., 2006 CAF 406, 358 N.R. 155 aux paras. 8, 11).

A. Question sérieuse à juger

[10] Lors de la présentation d’une requête en sursis, la Cour doit faire un examen préliminaire du bien-fondé de la requête. Les exigences particulières à remplir pour satisfaire le critère de la question sérieuse ne sont pas élevées. Il suffit que la partie qui présente la requête montre que la réclamation n’est « ni futile ni vexatoire » (RJR-MacDonald à la p. 337).

[11] En l’espèce, l’avis d’appel énonce plusieurs motifs d’appel devant notre Cour. L’appelant fait valoir que la Cour fédérale a commis une erreur de droit en concluant que le ministre a rendu une décision déraisonnable en refusant de délivrer un CPS à l’égard du brevet no 905 et du vaccin SHINGRIX de l’intimée. L’appelant allègue essentiellement que la Cour fédérale n’a pas bien appliqué la norme de la décision raisonnable. L’appelant fait aussi valoir que la Cour fédérale a commis une erreur en interprétant de novo les dispositions pertinentes de l’AECG sans tenir compte des motifs du ministre, ainsi qu’en se fondant sur une interprétation erronée de ces dispositions pour évaluer le caractère raisonnable de la décision du ministre. L’appelant invoque le même argument relativement à l’interprétation que la Cour fédérale a faite des dispositions pertinentes de la Loi sur les brevets et du Règlement sur les certificats de protection supplémentaire.

[12] Bien que l’intimée ne soit pas d’accord avec l’interprétation que le ministre a faite de la décision de la Cour fédérale, elle reconnaît néanmoins que les questions soulevées dans le présent appel, notamment le droit de l’intimée à un CPS pour SHINGRIX, satisfont au volet du critère défini dans l’arrêt RJR-MacDonald concernant l’existence d’une question sérieuse à juger.

[13] Je conviens que l’appelant a satisfait au premier volet du critère.

B. Préjudice irréparable

[14] En ce qui concerne le deuxième volet du critère, la Cour suprême a précisé, à la page 341 de l’arrêt RJR-MacDonald, que le « préjudice irréparable » a trait à la nature du préjudice subi plutôt qu’à son étendue. Il s’agit d’un préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue pécuniaire ou d’un préjudice auquel il ne peut être remédié, en général parce qu’une partie ne peut être dédommagée par l’autre.

[15] Pour établir un préjudice irréparable, l’appelant doit présenter des éléments de preuve clairs et non conjecturaux qu’il subira un préjudice irréparable si la requête en sursis est rejetée. L’existence d’un tel préjudice ne peut pas reposer sur de simples affirmations (United States Steel Corporation c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 200, 191 A.C.W.S. (3d) 707 au para. 7).

[16] Il faut plutôt « produire des éléments de preuve suffisamment probants, dont il ressort une forte probabilité que, faute de sursis, un préjudice irréparable sera inévitablement causé » (Glooscap Heritage Society c. Canada (Revenu national), 2012 CAF 255, 440 N.R. 232 au para. 31 [Glooscap]; voir aussi Dywidag Systems International, Canada, Ltd. v. Garford Pty Ltd., 2010 CAF 232, 406 N.R. 304 au para. 14; Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l’information), 2001 CAF 25, 268 N.R. 328 au para. 12; Bureau du surintendant des faillites c. MacLeod, 2010 CAF 84, 402 N.R. 341 au para. 17; Janssen Inc. c. Abbvie Corporation, 2014 CAF 176, 242 A.C.W.S. (3d) 11 au para. 46).

[17] L’appelant appuie sa requête sur la déclaration sous serment faite par Kendra Laurie Cann, le 11 juin 2020. Mme Cann est une agente de brevets qui travaille à la Direction générale des produits de santé et des aliments de Santé Canada. Dans le cadre de ses fonctions et de sa participation directe à l’examen de l’admissibilité de la demande de CPS en litige, Mme Cann a elle-même pris connaissance du dossier certifié du tribunal associé à la demande de contrôle judiciaire et l’a examiné.

C. Preuve de préjudice irréparable

[18] Dans son affidavit, Mme Cann décrit les effets qui découleraient du réexamen de l’affaire par le ministre avant qu’il soit statué sur l’appel. Elle déclare que le ministre pourrait décider de délivrer le CPS, ce qui aurait pour effet de rendre l’appel théorique. Elle affirme que, si notre Cour devait décider de rejeter l’appel en raison de son caractère théorique, l’intimée bénéficiera alors d’une protection sui generis pendant deux années supplémentaires, en dépit des préoccupations formulées par le ministre au sujet des motifs invoqués par la Cour fédérale à l’appui de son jugement. Mme Cann soutient plus précisément que la délivrance d’un CPS en l’espèce ferait en sorte que la vente et la mise en marché d’un produit de référence subséquent ne pourraient être autorisées pendant une période supplémentaire de deux ans, soit jusqu’au 1er mars 2028.

[19] Subsidiairement, elle fait valoir que, si notre Cour accueillait l’appel et rétablissait la décision du ministre, le ministre serait alors forcé d’examiner le CPS qu’il pourrait avoir délivré en attendant l’instruction de l’appel. Or, elle ajoute que ni la Loi sur les brevets ni le Règlement sur les certificats de protection supplémentaire ne confèrent au ministre le pouvoir exprès de révoquer un CPS après qu’il a été délivré. Quoi qu’il en soit, Mme Cann s’appuie sur un rapport du directeur parlementaire du budget daté du 26 avril 2018, qu’elle a annexé à son affidavit, pour déclarer que le coût de SHINGRIX pour le public canadien et les autres payeurs du régime de soins de santé resterait plus élevé pendant deux années supplémentaires. Elle précise qu’un CPS empêcherait des concurrents d’accéder au marché pendant les deux années suivant la date d’expiration du brevet, ce qui permettrait à l’intimée de conserver sa part de marché et de continuer à offrir le vaccin SHINGRIX aux Canadiens à un prix plus élevé.

[20] Elle fait également valoir que le public canadien et les autres payeurs du régime de soins de santé ne seraient pas compensés pour ces coûts plus élevés et qu’ils subiraient de ce fait un préjudice irréparable. Elle affirme qu’il est dans l’intérêt général que le ministre retarde le réexamen de cette affaire, jusqu’à ce que notre Cour ait statué sur l’appel.

[21] Mme Cann estime enfin qu’il y a un risque de compromettre l’intérêt général pour l’intégrité et la prévisibilité des pouvoirs décisionnels conférés au ministre par le régime des CPS, du fait que la Cour fédérale a adopté une définition générale de l’expression « ingrédient médicinal ». Il existe actuellement plusieurs demandes de CPS en instance, et le ministre pourrait avoir à étudier de multiples demandes de CPS sans bénéficier des conseils de notre Cour dans ce domaine nouveau. En l’absence de sursis, le ministre sera contraint de prendre des décisions qui pourraient ultérieurement se révéler incompatibles avec les opinions de notre Cour, et cela pourrait mener à un élargissement injustifié de l’admissibilité à des CPS et à la création d’un climat d’incertitude chez les fabricants de médicaments en mettant en péril la bonne administration du régime des CPS.

D. Position de l’appelant

[22] S’appuyant sur l’affidavit de Mme Cann, l’appelant énonce quatre arguments selon lesquels le défaut d’accorder un sursis causerait un préjudice irréparable.

[23] Premièrement, il existe un risque important que l’appel devienne théorique, et que le ministre et le public soient ainsi privés de l’occasion d’obtenir les directives de notre Cour sur les questions en litige soulevées dans le présent appel.

[24] Deuxièmement, si notre Cour refuse d’entendre l’appel en raison de son caractère théorique, les Canadiens se verront privés de la possibilité de se procurer à moindre coût, auprès de concurrents, des versions biologiques similaires du vaccin SHINGRIX durant les deux années pendant lesquelles le CPS sera en vigueur.

[25] Troisièmement, la révocation d’un CPS délivré par erreur est à la fois difficile et incertaine. Aucune loi ne confère au ministre le pouvoir de révoquer ou d’annuler un CPS délivré dans l’intervalle. Même si le ministre présentait une demande visant à déclarer le CPS nul et sans effet, on ne peut prévoir l’issue d’une telle demande.

[26] Enfin, il y a un risque que des décisions contradictoires compromettent l’intérêt général pour l’intégrité du pouvoir décisionnel du ministre, ainsi que pour la certitude et la prévisibilité du régime des CPS. En ce qui a trait à ce quatrième point, l’appelant fait valoir que l’interprétation libérale faite par la Cour fédérale du régime des CPS, et plus précisément de l’expression « ingrédient médicinal » comme signifiant tout ingrédient ayant une « activité biologique », ne se retrouve ni dans l’AECG ni dans le régime des CPS. L’appelant invoque à l’appui la décision de notre Cour intitulée Commissaire aux brevets c. Belzberg, 2009 CAF 275, 396 N.R. 342 au paragraphe 22 [Belzberg], où il est indiqué qu’un sursis pourrait dans certains cas être souhaitable pour éviter la confusion, des retards additionnels et des incohérences. L’appelant précise toutefois que la requête en sursis a été rejetée dans l’arrêt Belzberg, faute d’éléments de preuve établissant précisément le préjudice irréparable. En l’espèce, l’appelant fait valoir que le ministre a présenté l’affidavit de Mme Cann pour prouver l’existence d’un préjudice irréparable.

E. Position de l’intimée

[27] L’intimée fait valoir que la preuve du préjudice irréparable allégué est hypothétique et non étayée. Elle soutient que les prétentions du ministre concernant le préjudice irréparable reposent sur une série d’hypothèses erronées qui n’ont pas été confirmées.

[28] Premièrement, elle souligne, à juste titre, que Mme Cann a déclaré que l’appel pourrait devenir théorique si le ministre réexamine l’affaire et décide de délivrer un CPS. Elle fait donc valoir qu’il doit d’abord y avoir délivrance d’un CPS pour SHINGRIX avant que tout préjudice irréparable allégué par le ministre puisse être causé. Autre élément important, la Cour fédérale n’a pas ordonné au ministre de délivrer un CPS en l’espèce. Les allégations du ministre relativement au préjudice irréparable ne découlent donc pas de la décision de la Cour fédérale.

[29] De plus, le ministre n’a présenté aucun élément de preuve indiquant son intention de réexaminer l’affaire ou de délivrer un CPS pour SHINGRIX dans un avenir rapproché ou à quelque autre moment.

[30] Deuxièmement, en ce qui a trait aux allégations selon lesquelles un préjudice sera causé à l’intérêt général si le ministre décide, au terme de son réexamen, de délivrer le CPS, l’intimée fait valoir qu’aucun élément de preuve n’indique que les Canadiens doivent assumer des coûts plus élevés pour l’achat du vaccin SHINGRIX. Les auteurs du rapport du directeur parlementaire cité par Mme Cann ont en effet précisé que leurs conclusions ne s’appliquent pas aux médicaments brevetés sans versions génériques. Le marché des vaccins est unique, même parmi les produits biologiques. Il n’existe pas de produits vaccinaux dits « génériques », et les hypothèses générales sur l’entrée sur le marché, qui sont formulées dans le rapport, ne s’appliquent nullement à la mise au point et la mise en marché uniques des produits vaccinaux comme SHINGRIX. Les éléments de preuve de l’appelant sur ce point sont donc de nature spéculative et devraient être rejetés.

[31] Troisièmement, aucun élément de preuve n’indique que l’intégrité du régime des CPS sera compromise. Dans son affidavit, Mme Cann conclut qu’en l’absence de sursis le ministre sera contraint de prendre des décisions qui pourraient aller à l’encontre des opinions de notre Cour. Cependant, aucun élément de preuve concret n’a été présenté pour indiquer comment le ministre pourrait être forcé de prendre de telles décisions. De plus, le ministre a reconnu que, [TRADUCTION] « [m]ême si notre Cour accorde le sursis en l’espèce, le ministre devra malgré tout examiner les nouvelles demandes de CPS présentées en tenant compte des motifs du jugement de la Cour fédérale » représentations écrites du ministre, au para. 68 de la p. 157 du dossier de requête de l’appelant). En d’autres mots, le sursis ne permettrait pas en soi d’éviter le préjudice irréparable allégué.

[32] Enfin, l’intimée fait valoir que le retard du ministre à instituer l’appel et à présenter la présente requête en sursis devrait militer contre toute conclusion voulant qu’un sursis soit nécessaire pour atténuer tout préjudice irréparable réel.

[33] Au sujet de ce quatrième point, l’intimée mentionne que la Cour fédérale a rendu sa décision confidentielle le 20 mars 2020. Il a fallu trois mois au ministre pour déposer la présente requête. Malgré des demandes de la part de l’intimée, il y a eu des retards supplémentaires avant que le ministre prenne les mesures nécessaires pour que cette affaire soit ajoutée à la liste des causes sélectionnées, en application de l’Avis aux parties et à la communauté juridique publié par notre Cour.

F. Décision

[34] J’ai examiné les principaux arguments de l’appelant et ses observations en réplique. Je ne puis accepter ses arguments quant à la preuve d’un préjudice irréparable.

[35] Le jugement de la Cour fédérale n’est pas limité dans le temps et n’ordonne pas au ministre de délivrer un CPS. Bien que le ministre ne puisse faire abstraction du jugement en attendant l’appel et qu’il doive suivre les procédures et respecter les calendriers établis pour rendre une nouvelle décision en conformité avec le jugement de la Cour fédérale, il n’en demeure pas moins qu’aucun CPS n’a jusqu’à maintenant été délivré ou ordonné.

[36] Je ne suis pas convaincue, d’après le dossier qui m’a été présenté, que le ministre a établi l’existence d’un préjudice irréparable. Aucun élément de preuve concret ne m’a été présenté à cet effet. Les éléments de preuve produits par l’appelant constituent au mieux une preuve par ouï-dire, sous la forme du rapport du directeur parlementaire annexé comme pièce à l’appui. Le préjudice irréparable allégué par l’appelant et décrit dans l’affidavit de Mme Cann est essentiellement argumentatif et conjectural.

[37] Les éléments de preuve produits par l’appelant ne m’ont pas convaincue qu’il subira un préjudice irréparable si la requête en sursis à l’exécution du jugement de la Cour fédérale n’est pas accueillie. D’après le dossier qui m’a été présenté, je ne suis pas convaincue que cela aura une incidence sur l’intérêt général. Il n’a pas été démontré que cela empêchera l’entrée sur le marché de fabricants de produits biologiques similaires pendant deux années supplémentaires, soit du 1er mars 2026 au 1er mars 2028. Le rapport du directeur parlementaire ne m’est d’aucune utilité pour analyser cette question, car il ne tient pas compte des vaccins comme SHINGRIX. En bref, je souscris aux arguments de l’intimée sur ce point, qui sont énoncées au paragraphe [30] précité.

[38] L’appel repose essentiellement sur un désaccord concernant l’interprétation faite par la Cour fédérale de l’expression « ingrédient médicinal », du régime des CPS et de l’AECG. Dans l’arrêt Belzberg, notre Cour a conclu que l’arrêt RJR-MacDonald ne dispense généralement pas la Couronne de son obligation de présenter des éléments de preuve établissant un préjudice irréparable, notamment lorsque la Couronne « demande un sursis à l’exécution d’une ordonnance qui ne mettait en cause aucune contestation de la validité d’une loi, mais seulement un différend quant à son interprétation » (Belzberg aux paras. 17-19).

[39] Comme je l’ai mentionné précédemment, je conclus que l’appelant n’a pas satisfait à l’obligation d’établir la preuve d’un préjudice irréparable. Or, comme l’appelant n’a pu démontrer qu’il subira un préjudice irréparable si la requête visant à surseoir à l’exécution du jugement de la Cour fédérale est rejetée, je n’ai pas à examiner le troisième volet du critère qui concerne la prépondérance des inconvénients.

[40] Quant à l’argument de l’intimée voulant que le ministre ait lui-même retardé l’appel et la requête en sursis en attendant plus de trois mois avant de porter l’affaire devant la Cour, je conclus que, le 22 avril 2020, le ministre a informé la Cour par voie de lettre de son intention d’interjeter appel et de présenter une requête en prorogation de délai durant la semaine du 11 mai 2020. Dans le contexte actuel de la pandémie de la COVID-19, notre Cour a mis en place un programme pour la sélection d’un nombre limité de causes à instruire, en publiant l’Avis aux parties et à la communauté juridique daté du 11 juin 2020 et intitulé « Levée graduelle de la période de suspension – COVID-19 ». Nous traversons actuellement une période sans précédent et j’estime que le ministre a agi rapidement dans les circonstances.

[41] Je considère qu’il convient d’inscrire l’appel au rôle rapidement. Le présent appel soulève une question sérieuse et il offrira à notre Cour une première occasion d’examiner le régime des CPS qui a récemment été adopté au Canada. Je note par ailleurs que, dans ses observations présentées en réplique, l’appelant mentionne que l’entente relative au contenu du dossier d’appel a été déposée le 5 août 2020 et que les parties ont maintenant convenu d’un calendrier pour l’audience relative à l’appel.

III. Conclusion

[42] L’appelant n’a fourni aucun élément de preuve concret attestant de quelque préjudice irréparable qu’il subirait si la Cour rejetait la requête visant à surseoir à l’exécution du jugement de la Cour fédérale. Les éléments de preuve produits à l’appui de la requête en sursis ne satisfont pas au critère à trois volets défini dans l’arrêt RJR-MacDonald.

[43] Pour ces motifs, la requête en sursis à l’exécution de la décision rendue par la Cour fédérale le 7 avril 2020 (2020 CF 397) est rejetée.

[44] La requête de l’appelant visant à obtenir une instruction accélérée est accueillie, et le calendrier pour l’audience relative à l’appel sera établi conformément aux directives énoncées à l’annexe A jointe aux représentations en réplique de l’appelant, à l’exception de l’échéance pour la présentation de l’entente relative au contenu du dossier d’appel, qui a été déposée le 5 août 2020.

[45] La présente requête est présentée dans le contexte d’un appel interjeté à l’encontre d’un jugement de la Cour fédérale portant sur une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par le ministre en application de la Loi sur les brevets. À ce titre, et conformément à l’article 131 de la Loi sur les brevets, je conclus qu’il ne peut être ordonné au ministre de payer les frais de l’intimée. La requête de l’intimée en vue d’obtenir le remboursement des dépens est rejetée.

« Marianne Rivoalen »

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-138-20

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA SANTÉ c. GLAXOSMITHKLINE BIOLOGICALS S.A.

 

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

DATE DES MOTIFS :

Le 31 août 2020

 

COMPARUTIONS :

J. Sanderson Graham

Abigail Browne

Charles Maher

 

Pour l’appelant

 

Kristin Wall

Morgan Westgate

 

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Ottawa (Ontario)

 

Pour l’appelant

 

NORTON ROSE FULBRIGHT CANADA S.E.N.C.R.L., S.R.L.

Toronto (Ontario)

 

Pour l’intimée

 

 

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