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Date : 20200909


Dossiers : A-325-18

A-369-18

Référence : 2020 CAF 134

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

MILLER THOMSON S.E.N.C.R.L., S.R.L.

appelante

et

HILTON WORLDWIDE HOLDING LLP

intimée

Audience tenue par vidéoconférence en ligne organisée par le greffe, le 5 juin 2020.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 9 septembre 2020.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MACTAVISH

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

 


Date : 20200909


Dossiers : A-325-18

A-369-18

Référence : 2020 CAF 134

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

MILLER THOMSON S.E.N.C.R.L., S.R.L.

appelante

et

HILTON WORLDWIDE HOLDING LLP

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE MACTAVISH

[1] Le Waldorf Astoria est un hôtel de luxe réputé situé à New York. Il existe de nombreux autres hôtels Waldorf Astoria ailleurs aux États-Unis et dans les grandes villes du monde. Cependant, il n’y a jamais eu d’hôtel physique « traditionnel » portant le nom de Waldorf Astoria au Canada.

[2] L’intimée Hilton Worldwide Holding LLP est propriétaire de la marque de commerce WALDORF ASTORIA, qui est enregistrée au Canada pour être utilisée en liaison avec des « services hôteliers ».

[3] La principale question soulevée par le présent appel est de savoir si Hilton peut établir l’« emploi » de la marque WALDORF ASTORIA au Canada pour l’application de l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce bien qu’elle n’ait jamais exploité d’hôtel « traditionnel » sous ce nom au Canada.

[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur (dans les motifs portant le numéro de référence 2018 CF 895) en concluant que Hilton avait établi l’emploi de la marque WALDORF ASTORIA au Canada. Par conséquent, je rejetterais l’appel.

I. Le contexte légal

[5] Avant d’examiner les faits en l’espèce, il convient de commencer par analyser la nature des procédures visées par l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 (la Loi).

[6] Contrairement à d’autres formes de propriété intellectuelle, l’emploi d’une marque est essentiel et fondamental en droit des marques de commerce : HomeAway.com Inc. c. Hrdlicka, 2012 CF 1467, [2012] A.C.F. no 1665 (QL), aux paragraphes 11 et 12. Comme l’a fait observer la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, [2006] 1 R.C.S. 772, au paragraphe 5, « en ce qui concerne une marque de commerce, le mot d’ordre est de l’employer sous peine de la perdre ». En effet, aux termes de la définition figurant à l’article 2 de la Loi, « marque de commerce » s’entend d’un « signe ou combinaison de signes qui est employé par une personne ou que celle-ci projette d’employer pour distinguer, ou de façon à distinguer, ses produits ou services de ceux d’autres personnes » [non souligné dans l’original].

[7] Aux termes du paragraphe 4(2) de la Loi, une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services « si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services ». Cela dit, le simple fait d’annoncer des services au Canada ne constituera pas un emploi au Canada en liaison avec un service. Une partie des services doit être exécutée ou fournie au Canada : Porter v. Don the Beachcomber, [1966] Ex.C.R 982, 48 C.P.R. 280, au paragraphe 17; Marineland Inc. c. Marine Wonderland and Animal Park Ltd., [1974] 2 C.F. 558 (C.A.F.).

[8] Les propriétaires étrangers de marques de commerce peuvent enregistrer leurs marques au Canada et ainsi bénéficier des avantages de l’exclusivité; toutefois, le maintien d’un enregistrement dépend de l’emploi de la marque au Canada.

[9] L’article 45 de la Loi prévoit une procédure sommaire pour que soient radiés du registre des marques de commerce les enregistrements de marques tombés en désuétude : Sport Maska Inc. c. Bauer Hockey Corp., 2016 CAF 44, [2016] 4 R.C.F. 3, au paragraphe 55. Le processus prévu à l’article 45 a été décrit comme un processus d’épuration du registre permettant d’y éliminer le « bois mort » : Boutiques ProGolf Inc. c. Canada (Registraire des marques de commerce), [1993] A.C.F. no 1363 (QL) (C.A.F.). Il n’est pas censé servir à trancher les questions litigieuses opposant des intérêts commerciaux concurrents. Ces questions se tranchent par la procédure de radiation prévue à l’article 57 de la Loi : Moosehead Breweries Ltd. c. Molson Cos. Ltd. et al., [1985] A.C.F. no 1013 (QL) (C.A.F.).

[10] Le critère auquel il doit être satisfait pour établir qu’il y a « emploi » dans une procédure prévue par l’article 45 est peu rigoureux : Woods Canada Ltd. c. Lang Michener, [1996] A.C.F. no 1701 (QL) (C.F. 1re inst.). En outre, il n’est pas nécessaire de produire une preuve surabondante : Union Electric Supply Co. Ltd. c. Registraire des marques de commerce, [1982] 2 C.F. 263 (1982) (C.F. 1re inst.). Cela dit, il faut quand même présenter des faits suffisants pour que le registraire des marques de commerce (le registraire) conclue à l’emploi d’une marque en liaison avec chacun des services enregistrés pendant la période pertinente.

[11] Le paragraphe 45(1) de la Loi autorise le registraire, soit de sa propre initiative, soit sur demande présentée par un tiers, à délivrer un avis enjoignant au propriétaire d’une marque de commerce enregistrée de démontrer l’emploi de la marque au Canada au cours des trois années précédant la date de l’avis (la période pertinente). Conformément aux paragraphes 45(3) et (5) de la Loi, l’enregistrement d’une marque de commerce peut être radié si le propriétaire ne démontre pas l’emploi de celle-ci au Canada au cours de la période pertinente ou l’existence de « circonstances spéciales » justifiant le défaut d’emploi de la marque.

[12] Au titre du paragraphe 56(1) de la Loi, il est possible d’interjeter appel devant la Cour fédérale de toute décision rendue par le registraire dans une procédure engagée au titre de l’article 45, et le paragraphe 56(5) de la Loi autorise la production d’éléments de preuve supplémentaires en appel.

II. Résumé des faits

[13] Le premier hôtel Waldorf Astoria a ouvert ses portes à New York dans les années 1930. L’hôtel a été acquis par Hilton Hotels Corporation en 1949, et il est actuellement la propriété de l’intimée Hilton Worldwide Holding LLP (Hilton), une société remplaçante de Hilton Hotels Corporation.

[14] Hilton affirme avoir utilisé la marque WALDORF ASTORIA (la marque) au Canada en liaison avec des « services hôteliers » depuis au moins 1988. Elle est propriétaire de la marque WALDORF ASTORIA (no d’enregistrement LMC 337 529), laquelle est enregistrée pour être employée en liaison avec des « services hôteliers ».

[15] L’appelante, Miller Thomson, est un cabinet d’avocats représentant un client actif dans le secteur de l’hôtellerie. Ce client a des demandes d’enregistrement en cours pour les marques « WALDORF », « THE WALDORF », « WALDORF HOTEL » et d’autres noms semblables. Hilton s’oppose activement à ces demandes.

[16] Sur demande de Miller Thomson, le registraire a délivré à Hilton, en application de l’article 45 de la Loi, un avis lui enjoignant de démontrer l’emploi de la marque au Canada en liaison avec des « services hôteliers » au cours de la période pertinente, qui, en l’espèce, s’étendait du 23 octobre 2011 au 23 octobre 2014. Si Hilton n’était pas en mesure de démontrer un tel emploi, elle devait indiquer la date à laquelle la marque avait été utilisée pour la dernière fois, ainsi que les motifs du défaut d’emploi subséquent.

III. La preuve dont disposait le registraire

[17] En réponse à l’avis délivré en application de l’article 45, Hilton a fourni au registraire un affidavit de Christian Eriksen. M. Eriksen dit occuper la fonction d’avocat chargé des marques de commerce et de la propriété intellectuelle pour Hilton Worldwide, Inc. Selon M. Eriksen, Hilton (ou la société qu’elle remplaçait) emploie la marque WALDORF ASTORIA au Canada depuis au moins 1988 en liaison avec [traduction] « des services hôteliers, en particulier des services de réservation et de paiement de chambres d’hôtel et des services de gestion et de développement hôteliers ».

[18] M. Eriksen a déclaré dans son affidavit que le terme « services hôteliers » est interprété dans l’industrie hôtelière comme comprenant [traduction] « des services de réservation, des services de paiement et l’accès à des chambres d’hôtel ». Il a affirmé que les hôtels [traduction] « ne pouvaient fonctionner que si les clients étaient en mesure de réserver et de payer les chambres à l’avance », que les services de réservation et de paiement [traduction] « font partie intégrante de la prestation de services hôteliers » et que le coût de la prestation de ces services et d’autres services auxiliaires est inclus dans le prix de la chambre.

[19] M. Eriksen a expliqué que les clients canadiens peuvent faire des réservations dans les hôtels Waldorf Astoria de différentes manières. Cela comprend les systèmes de réservation d’agences de voyages comme Expedia et Travelocity, ainsi que le système de réservation en ligne centralisé de Hilton, où la marque est affichée au moment de la réservation et du paiement et sur le courriel envoyé aux clients pour confirmer leur réservation. M. Eriksen a également fourni des éléments de preuve montrant le nombre de réservations effectuées par des clients ayant une adresse au Canada qui ont ensuite séjourné dans des hôtels Waldorf Astoria, ainsi que les revenus produits par ces séjours.

[20] Selon M. Eriksen, les clients peuvent garantir leurs réservations d’hôtel en faisant un dépôt au moment de la réservation, ou ils peuvent obtenir un tarif réduit en effectuant un paiement non remboursable lors de la réservation. Les clients peuvent également adhérer au programme de fidélisation « HILTON HHONORS » de Hilton. Entre autres avantages, les membres du programme peuvent accumuler des points en séjournant dans les hôtels du groupe Hilton, dont les hôtels Waldorf Astoria. Ces points peuvent être échangés contre des séjours dans des hôtels du groupe Hilton, y compris dans des hôtels situés au Canada. Plus de 400 000 Canadiens étaient inscrits au programme de fidélisation HILTON HHONORS pendant la période pertinente.

[21] Enfin, M. Eriksen a parlé du projet qu’avait Hilton de construire un hôtel Waldorf Astoria à Montréal et des raisons pour lesquelles cet hôtel n’a jamais été construit. Il a également confirmé l’intérêt continu de Hilton pour l’établissement d’un hôtel Waldorf Astoria au Canada.

IV. La décision du registraire

[22] Une déléguée du registraire a conclu que l’absence d’hôtel Waldorf Astoria « traditionnel » au Canada était fatale à la thèse de Hilton selon laquelle elle avait employé la marque au Canada en liaison avec des « services hôteliers » au cours de la période pertinente. Le registraire a également conclu que Hilton n’avait pas établi qu’il existait des « circonstances spéciales » qui auraient excusé son défaut d’employer la marque au pays pendant cette période. En conséquence, le registraire a ordonné la radiation de la marque WALDORF ASTORIA.

[23] Le registraire s’est fondé sur le raisonnement suivi dans la décision Stikeman Elliott LLP c. Millennium & Copthorne International Limited, 2015 COMC 231, [2015] C.O.M.C. no 5231 (QL) [M Hotel], pour conclure que Hilton n’avait pas établi qu’elle employait la marque au Canada. La marque en litige dans la décision M Hotel avait été enregistrée pour être utilisée en liaison avec des « services hôteliers et services de réservation en rapport avec des hôtels ». Le registraire avait conclu dans cette décision que l’enregistrement relatif aux « services hôteliers » devait être radié, étant donné qu’il n’y avait pas d’hôtel M physique situé au Canada pendant la période pertinente et que le propriétaire de la marque n’avait pas établi qu’il fournissait, ou était en mesure de fournir, des services hôteliers au Canada pendant la période pertinente. Le registraire avait toutefois maintenu l’enregistrement visant des [TRADUCTION] « services de réservation en rapport avec des hôtels ».

[24] Dans la présente affaire, le registraire a estimé qu’au sens ordinaire du commerce, les « services de “prise de réservation, planification et réservation” ne constituent pas des “services hôteliers” ». Le registraire a conclu que, si un client devait quitter le Canada pour bénéficier du service, il ne s’agissait pas d’un « service hôtelier » fourni au Canada. Citant la décision antérieure du registraire Bellagio Limousines c. Mirage Resorts, Incorporated, 2012 COMC 220, le registraire a affirmé qu’il « est contraire au sens commun d’assimiler la possibilité d’effectuer une réservation dans un hôtel à l’exploitation d’un hôtel ». Il a en outre conclu que, même si on pouvait profiter d’un programme de fidélisation au Canada ou à partir du Canada, il ne s’agissait pas d’un « service hôtelier ».

[25] Ainsi, bien que les clients puissent réserver des chambres d’hôtel dans les hôtels Waldorf Astoria depuis le Canada, le registraire a conclu que seuls des clients voyageant à l’étranger pouvaient bénéficier de la prestation de « services hôteliers » de Hilton. En conséquence, aucun emploi de la marque au Canada en liaison avec des « services hôteliers » n’a été établi.

[26] Le registraire n’était pas non plus convaincu de l’existence de « circonstances spéciales » qui auraient excusé le défaut d’emploi de la marque par Hilton pendant la période pertinente. Hilton avait conclu une entente en vue de la construction d’un hôtel Waldorf Astoria à Montréal, mais le projet a été abandonné en raison de la crise financière de 2008. Selon le registraire, il ne s’agissait pas du type de « circonstances spéciales » qui, selon la jurisprudence, pouvait justifier le défaut d’emploi d’une marque. Il a aussi conclu que, de toute manière, Hilton n’avait pas réussi à établir pourquoi elle n’avait jamais construit ni exploité d’hôtel Waldorf Astoria au Canada depuis 1988, l’année où elle a enregistré sa marque de commerce. Cette conclusion a été confirmée par la Cour fédérale, et Miller Thomson ne conteste pas la conclusion relative aux « circonstances spéciales » dans le présent appel.

V. La décision de la Cour fédérale

[27] Hilton a appelé de la décision du registraire devant la Cour fédérale en vertu du mécanisme d’appel prévu au paragraphe 56(1) de la Loi. Comme elle était en droit de le faire, Hilton a présenté des éléments de preuve supplémentaires à l’appui de son appel, soit un nouvel affidavit de M. Eriksen, ainsi qu’un affidavit de Linda Elford. Mme Elford est une spécialiste de la recherche de marques de commerce et son témoignage portait sur l’état du « Manuel des marchandises et services » tenu par l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (le Manuel).

[28] La Cour fédérale a fait observer que, pour déterminer si l’appelant a démontré l’emploi d’une marque de commerce, la Cour doit effectuer un examen de novo de la décision du registraire lorsque sont produits en appel de nouveaux éléments de preuve qui auraient eu un effet substantiel sur la décision : Mattel, précité, aux paragraphes 35 et 37; Molson Breweries c. John Labatt Ltd, [2000] 3 C.F. 145, 2000 CanLII 17105, au paragraphe 29 (C.A.F.), autorisation de pourvoi devant la CSC refusée, 27839 (14 septembre 2000). Toutefois, lorsque les conclusions de fait ou le traitement des questions par le registraire ne sont pas touchés par les nouveaux éléments de preuve, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

[29] La Cour fédérale a ensuite cherché à déterminer si le propriétaire d’un hôtel peut établir l’« emploi » d’une marque de commerce sans qu’il y ait d’hôtel « traditionnel » au Canada.

[30] Citant la décision Kraft Ltd. c. Registraire des marques de commerce [1984] 2 C.F. 874 (C.F. 1re inst.), la Cour fédérale a fait observer que la notion de « services » doit être interprétée de façon libérale, et que les « services » peuvent inclure des services qui sont « accessoires » au service principal indiqué dans l’enregistrement.

[31] Après avoir examiné la jurisprudence, en constante évolution, concernant l’« emploi » des marques de commerce à l’ère d’Internet, la Cour fédérale a affirmé qu’il était essentiel que certains éléments du service enregistré soient offerts directement aux Canadiens ou soient exécutés au Canada. Pour que l’emploi de la marque au pays soit établi, il faut en outre que des personnes puissent tirer un avantage concret et important de l’utilisation de la marque en liaison avec le service enregistré au Canada. La Cour a ajouté que la question de savoir si l’emploi au Canada a été établi doit être tranchée au cas par cas, ce qui demande une analyse de la portée des services énoncés dans l’enregistrement de la marque de commerce et de la nature des avantages fournis aux personnes physiquement présentes au Canada.

[32] La Cour fédérale a conclu que le registraire avait commis plusieurs erreurs dans sa décision. La Cour a conclu que le registraire n’avait pas pris en considération les seuls éléments de preuve qui avaient été présentés relativement au sens ordinaire du commerce du terme « services hôteliers » et qu’il n’avait pas suivi la jurisprudence contraignante établissant que la notion de services comprend les services primaires ainsi que les services accessoires. La Cour a également conclu que le registraire avait commis une erreur en appliquant la version actuelle du Manuel pour interpréter le sens d’un enregistrement datant de 1988. Enfin, la Cour a estimé que le registraire avait commis une erreur en ne tenant pas compte des mots expressément utilisés dans l’enregistrement lui-même.

[33] En conséquence, la Cour fédérale a accueilli l’appel de Hilton, a annulé la décision du registraire et a maintenu l’enregistrement de la marque au motif que Hilton avait établi l’emploi de la marque au Canada pendant la période pertinente. La Cour a également accordé à Hilton 9 000 $ pour ses frais juridiques et 6 600 $ pour ses débours.

VI. Les questions en litige

[34] Le présent appel porte sur le bien-fondé de la décision rendue par la Cour fédérale. L’adjudication des dépens a fait l’objet d’un appel distinct par Miller Thomson, et les deux appels ont été regroupés par ordonnance de notre Cour.

[35] L’appel regroupé soulève plusieurs questions, notamment celles de savoir si la Cour fédérale a commis une erreur :

  1. en appliquant la norme de contrôle;

  2. en concluant qu’il y a eu emploi de la marque WALDORF ASTORIA au Canada pendant la période pertinente;

  3. en déterminant le montant des dépens octroyés à Hilton.

[36] Hilton a présenté un appel incident, faisant valoir que, dans l’hypothèse où notre Cour conclurait qu’elle n’a pas établi l’emploi de la marque WALDORF ASTORIA au Canada en liaison avec des « services hôteliers », elle devrait être autorisée à modifier l’enregistrement de sa marque de commerce pour qu’elle s’applique à des « services hôteliers, à savoir des services de réservation hôtelière », ce qui représenterait plus fidèlement les activités effectivement exercées au Canada. La Cour fédérale a conclu qu’il n’était pas nécessaire d’examiner cette question étant donné sa conclusion selon laquelle Hilton avait effectivement établi l’emploi de la marque au Canada.

[37] Comme j’ai conclu que la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en concluant que Hilton avait établi l’emploi de la marque WALDORF ASTORIA au Canada, il n’est pas nécessaire d’examiner son appel incident.

VII. La norme de contrôle applicable à la décision de la Cour fédérale

[38] Avant d’examiner les questions soulevées par Miller Thomson, il faut d’abord établir les normes de contrôle que notre Cour doit appliquer dans son examen de la décision de la Cour fédérale.

[39] Avant que la Cour suprême rende l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] A.C.S. no 65 (QL), les appels portés devant la Cour fédérale des décisions du registraire des marques de commerce étaient traités comme des demandes de contrôle judiciaire, nonobstant le fait qu’au paragraphe 56(1) de la Loi sur les marques de commerce, on utilisait le mot « appel ». Par conséquent, lorsqu’elle examinait les décisions de la Cour fédérale dans des affaires comme en l’espèce, notre Cour suivait l’approche énoncée par la Cour suprême dans l’arrêt Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, aux paragraphes 45 à 47.

[40] En d’autres termes, notre Cour aurait d’abord cherché à déterminer si la Cour fédérale avait correctement établi la norme de contrôle applicable aux questions en litige, puis elle aurait déterminé si la Cour fédérale avait correctement appliqué cette norme.

[41] L’arrêt Vavilov de la Cour suprême a fait changer la situation. Dans cet arrêt, la Cour suprême a conclu que, lorsque le législateur prévoit que les parties peuvent interjeter appel d’une décision administrative devant un tribunal, il assujettit le régime administratif à une compétence d’appel. Par conséquent, indépendamment du fait qu’il y a eu de nouveaux éléments de preuve importants devant la Cour fédérale qui auraient pu avoir une incidence sur la décision du registraire, notre Cour doit maintenant examiner la décision de la Cour fédérale dans un processus d’appel : The Clorox Company of Canada, Ltd. c. Chloretec S.E.C., 2020 CAF 76, [2020] A.C.F. no 508 (QL). Cela signifie que notre Cour doit appliquer les normes de contrôle énoncées dans les arrêts Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, et Vavilov, précité, au paragraphe 36.

[42] La norme de contrôle applicable aux questions de droit est donc celle de la décision correcte. Les conclusions et les déductions de fait doivent être examinées selon la norme de l’erreur manifeste et dominante. Les conclusions mixtes de fait et de droit doivent être examinées selon la même norme empreinte de retenue, à moins qu’une erreur de droit isolable puisse être démontrée, auquel cas cette erreur est examinée selon la norme de la décision correcte.

[43] Cela nous amène à la première question soulevée par Miller Thomson, qui concerne la norme de contrôle que la Cour fédérale a appliquée dans son examen de la décision du registraire.

VIII. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur dans son application de la norme de contrôle en l’espèce?

[44] L’arrêt Vavilov a également eu une incidence sur les normes de contrôle que doit appliquer la Cour fédérale dans les procédures prévues au paragraphe 56(1) de la Loi, étant donné que ces procédures doivent désormais être traitées comme des appels plutôt que comme des demandes de contrôle judiciaire.

[45] Avant l’arrêt Vavilov, les normes de contrôle énoncées dans des arrêts comme Mattel, précité, aux paragraphes 35 à 39, et John Labatt, précité, aux paragraphes 23 à 29, devaient être appliquées par la Cour fédérale dans le cadre d’appels de décisions du registraire des marques de commerce. Conformément à cette jurisprudence, les conclusions de fait et l’exercice du pouvoir discrétionnaire du registraire faisaient l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable. La Cour pouvait toutefois procéder à un examen de novo d’une décision du registraire si elle estimait que les éléments de preuve supplémentaires présentés dans l’appel auraient eu une incidence importante sur les conclusions de fait du registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire : John Labatt, précité, au paragraphe 29.

[46] Comme la décision de la Cour fédérale en l’espèce est antérieure à l’arrêt Vavilov de la Cour suprême, les normes établies dans les arrêts Mattel et John Labatt ont été les normes de contrôle que la Cour fédérale a appliquées en examinant l’appel de Hilton.

[47] L’exigence selon laquelle la Cour fédérale doit procéder à un contrôle selon la norme de la décision correcte à l’égard des questions pour lesquelles elle est saisie de nouveaux éléments de preuve importants n’a pas changé en conséquence de l’arrêt Vavilov : Clorox, précité, au paragraphe 21. Dans de tels cas, la Cour peut substituer son opinion à celle du registraire.

[48] Là où la norme de contrôle applicable aux décisions du registraire a changé en conséquence de l’arrêt Vavilov, c’est lorsqu’il n’y a pas de nouveaux éléments de preuve produits devant la Cour fédérale qui auraient eu une incidence importante sur la décision faisant l’objet de l’appel : Clorox, précité, au paragraphe 22. Les normes de contrôle que la Cour fédérale doit appliquer dans de tels cas sont les normes de compétence d’appel que sont la décision correcte et l’erreur manifeste et dominante, prescrites par la Cour suprême dans l’arrêt Housen : Clorox, précité, aux paragraphes 22 et 23.

[49] Nonobstant la modification du droit applicable, je ne comprends pas pourquoi Miller Thomson conteste la conclusion tirée par la Cour fédérale quant aux normes de contrôle à appliquer en l’espèce. Je ne crois pas qu’on soutienne que le résultat aurait été différent si la Cour fédérale avait appliqué aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit la norme de l’erreur manifeste et dominante énoncée dans l’arrêt Vavilov plutôt que la norme de la décision raisonnable énoncée dans l’arrêt Mattel. Miller Thomson soutient plutôt que la Cour fédérale n’a pas appliqué correctement la norme de contrôle commandant de la retenue dans son examen de l’importance des nouveaux éléments de preuve produits par Hilton en appel.

[50] Quant au deuxième affidavit de M. Eriksen, Miller Thomson soutient qu’il est impossible de déterminer la norme de contrôle qu’a appliquée la Cour fédérale pour chaque question. Elle soutient également que, en tout état de cause, rien dans le deuxième affidavit de M. Eriksen n’aurait pu avoir une incidence importante sur la décision du registraire.

[51] Miller Thomson soutient également que la Cour fédérale ne s’est pas penchée sur la question de savoir si l’affidavit de Mme Elford aurait eu une incidence importante sur la décision du registraire et que, en tout état de cause, les observations du registraire au sujet des services hôteliers énumérés dans le Manuel étaient des observations incidentes. Miller Thomson soutient en outre que rien dans l’affidavit de Mme Elford n’aurait pu avoir quelque incidence que ce soit sur la décision du registraire.

[52] Je ne peux pas souscrire aux observations de Miller Thomson.

[53] De nouveaux éléments de preuve pertinents sont des éléments qui sont « suffisamment important[s] » et « de valeur probante » : Clorox, précité, au paragraphe 21, citant Vivat Holdings Ltd. c. Levi Strauss & Co., 2005 CF 707, [2005] A.C.F. no 893 (QL), au paragraphe 27, et Tradition Fine Foods Ltd. c. Groupe Tradition’L Inc., 2006 CF 858, [2006] A.C.F. no 1089 (QL), au paragraphe 58.

[54] La question de l’importance des nouveaux éléments de preuve est une question mixte de fait et de droit. En conséquence, les conclusions de cette nature demeureront valables, à moins qu’il n’y ait erreur manifeste et dominante ou erreur de droit isolable : Clorox, précité, au paragraphe 19, citant Monster Cable Products, Inc. c. Monster Daddy, LLC, 2013 CAF 137, [2013] A.C.F. no 589 (QL), au paragraphe 4.

[55] Il ressort clairement des paragraphes 10 à 13 de la décision de la Cour fédérale que cette dernière a bien saisi l’importance qu’ont les nouveaux éléments de preuve sur la norme de contrôle à appliquer dans un appel visant une décision rendue en vertu de l’article 45. La Cour fédérale a également compris qu’il lui fallait examiner la nature, l’importance, la valeur probante et la fiabilité de ces éléments de preuve afin de déterminer la norme de contrôle qu’il convenait d’appliquer à la décision du registraire.

[56] Après avoir examiné les nouveaux éléments de preuve produits par Hilton, la Cour a conclu, au paragraphe 27 de ses motifs, que la norme de contrôle à appliquer en l’espèce était celle de la « décision correcte pour ce qui a trait aux questions visées par les nouveaux éléments de preuve » et qu’elle appliquerait pour le reste la norme du caractère raisonnable dans son contrôle de la décision du registraire.

[57] En ce qui concerne l’affidavit de Mme Elford, cette dernière est une spécialiste expérimentée de la recherche de marques dont le témoignage portait sur l’état du Manuel à différents moments. Ce Manuel énumère les types de services pouvant être inclus dans les enregistrements de marques de commerce. Dans son affidavit, Mme Elford présentait également son point de vue sur la pratique qui avait été suivie relativement aux ajouts et aux suppressions apportés au Manuel.

[58] Mme Elford a déclaré dans son affidavit que l’avocat de Hilton lui avait demandé de trouver la version la plus ancienne possible du Manuel. On lui a également demandé de rechercher les termes [traduction] « services hôteliers », [traduction] « services de réservation d’hôtels », [traduction] « services de réservation » et [traduction] « gestion d’hôtels » dans cette version du Manuel.

[59] Mme Elford a déclaré que la version la plus ancienne du Manuel qu’elle a pu trouver était celle du 18 janvier 2006. Ce manuel nomme les « services hôteliers » et la « gestion d’hôtels » comme étant des services acceptables, mais il ne contient pas les termes [traduction] « services de réservation d’hôtels » ou [traduction] « services de réservation ».

[60] Mme Elford a en outre affirmé que, bien qu’elle n’ait pu trouver de version plus ancienne du Manuel, elle ne se souvenait pas d’avoir vu, en 45 ans d’expérience, un terme qui ait été ajouté au Manuel, puis qui y ait été retiré avant d’y être plus tard réintégré. Par conséquent, elle a estimé que les termes [traduction] « services de réservation d’hôtels », [traduction] « services de réservation » ou [TRADUCTION] « réservations d’hôtels » aient pu figurer dans une version du Manuel antérieure à celle du 18 janvier 2006.

[61] Le registraire s’est reporté à la version actuelle du Manuel pour déterminer si le terme « services hôteliers » inclut des services comme les « services de réservation ». En concluant que ce n’était pas le cas, le registraire a affirmé que le Manuel « prévoit expressément les termes [traduction] “services hôteliers” et “hôtels” comme termes préapprouvés, distincts d’autres services liés aux hôtels comme la [traduction] “réservation d’hôtels”, les “services de réservation d’hôtels”, la “gestion hôtelière” et la “gérance administrative d’hôtels pour des tiers” ». Bien que les observations du registraire sur le Manuel aient été précédées de la mention « [p]ar ailleurs » (en anglais, « [a]s an aside »), l’analyse relative à l’état du Manuel faisait clairement partie de son analyse de la question de l’emploi et n’était pas une simple remarque incidente.

[62] Le témoignage de Mme Elford portait sur cette question. Il ressort de ce témoignage que, bien que la marque WALDORF ASTORIA de Hilton ait été enregistrée au Canada en 1988, le Manuel en vigueur à cette date ne comprenait pas [traduction] « les services de réservation d’hôtels, les services de réservation et la réservation d’hôtels ».

[63] La Cour fédérale a conclu que le témoignage de Mme Elford concernant l’état du Manuel n’était pas un témoignage d’expert, mais un simple exposé des faits concernant des questions relevant de sa connaissance personnelle. En ce qui concerne sa déclaration relative à sa connaissance personnelle des pratiques du Bureau des marques de commerce relativement aux ajouts au Manuel, la Cour a conclu qu’il s’agissait d’un exposé des faits qui était recevable en appel, mais qu’il avait une valeur probante limitée. En ce qui concerne l’intention de Mme Elford de fournir un témoignage d’expert ou l’intention de Hilton de se fonder sur son témoignage pour étayer des propositions allant au-delà des faits énoncés, la Cour a conclu que le témoignage de Mme Elford n’était pas recevable.

[64] La Cour fédérale a expressément parlé de l’importance du témoignage de Mme Elford au paragraphe 24 de ses motifs. La Cour a conclu que son affidavit présentait des éléments de preuve « admissibles et probants » pour ce qui était de l’exemplaire du Manuel qu’avait en sa possession Mme Elford et de sa connaissance personnelle quant aux ajouts au Manuel. La Cour a noté que le témoignage relatif aux versions antérieures du Manuel était important, car il « aurait empêché le registraire de commettre l’erreur de se fonder sur sa version actuelle ».

[65] La Cour a en outre observé que le témoignage de Mme Elford était utile pour ce que la Cour a appelé « la question centrale ici », c’est-à-dire la question de savoir si l’emploi de la marque avait été démontré en liaison avec des « services hôteliers » ou s’il était nécessaire de préciser « services de réservation d’hôtels » dans l’enregistrement de la marque de commerce. Au paragraphe 73 de ses motifs, la Cour fédérale a conclu que le registraire avait commis une erreur, car « la version actuelle du Manuel a servi de fondement à l’interprétation d’un enregistrement remontant à 1988 ».

[66] Il ressort clairement de ceci que la Cour fédérale a compris que la norme de contrôle applicable à la question du Manuel dépendait de la question de savoir si l’affidavit de Mme Elford était admissible et probant et s’il aurait pu avoir une incidence sur la décision du registraire. La Cour fédérale a clairement reconnu que tel était le cas pour certaines parties désignées de son témoignage et que le registraire avait commis une erreur en se fondant sur des termes qui avaient été ajoutés au Manuel après l’enregistrement de la marque pour établir le sens des services en cause. Miller Thomson n’a pas établi que la Cour a commis une erreur à cet égard relativement à l’application de la norme de contrôle.

[67] Les motifs de la Cour fédérale sont moins clairs en ce qui concerne l’incidence du témoignage figurant dans le deuxième affidavit de M. Eriksen. La Cour a fait observer que cet affidavit fournissait de meilleures copies de certaines pièces qui avaient été jointes à l’affidavit original de M. Eriksen, plus précisément des captures d’écran de diverses pages du site Web de Hilton. La Cour a conclu que rien ne dépendait de la qualité des copies des pièces originales et que cette partie du deuxième affidavit de M. Eriksen était redondante et n’aurait donc aucune incidence sur la norme de contrôle.

[68] La Cour a ensuite fait observer que le deuxième affidavit de M. Eriksen fournissait également des renseignements sur le lien entre les diverses personnes morales formant le groupe Hilton ainsi que sur le fonctionnement au Canada des systèmes de réservation de chambres dans les hôtels Hilton. La Cour a affirmé que « [c]es compléments d’information par rapport au premier affidavit recèlent une certaine valeur probante, comme il sera expliqué plus loin ».

[69] La Cour fédérale est revenue sur le deuxième affidavit de M. Eriksen au paragraphe 94 de ses motifs. Elle y a déclaré que cet affidavit « précise que le système de réservation est exploité par Hilton Reservations Worldwide au nom de la chaîne de sociétés Hilton, dont Waldorf-Astoria fait partie » et que « [l]a marque de commerce Waldorf-Astoria est affichée au site Web lorsque la réservation et le paiement sont effectués, de même que sur les confirmations transmises aux clients par messagerie électronique ».

[70] Bien que cela eût été utile, il n’y a pas d’analyse expresse dans les motifs de la Cour fédérale quant à l’importance qu’ont eue les éléments de preuve du deuxième affidavit de M. Eriksen (à l’exception des captures d’écran) relativement à la norme de contrôle, hormis la déclaration au paragraphe 94 et l’observation selon laquelle ces éléments de preuve avaient « une certaine valeur probante ». En contraste avec la conclusion de la Cour selon laquelle le témoignage de Mme Elford était pertinent, car il « aurait empêché le registraire de commettre l’erreur de se fonder sur sa version actuelle », il n’y a aucune indication semblable dans les motifs de la Cour fédérale selon laquelle le témoignage présenté dans le deuxième affidavit de M. Eriksen aurait pu avoir une incidence sur la décision du registraire.

[71] Ceci, ajouté au fait que la Cour fédérale a clairement compris l’incidence que de nouveaux éléments de preuve peuvent avoir sur la norme de contrôle applicable dans un appel visant une décision rendue en vertu de l’article 45, mène à la conclusion que la Cour fédérale n’a pas jugé que le nouveau témoignage de M. Eriksen était suffisamment probant pour justifier un examen de novo de la question en litige. En effet, comme on le verra plus loin, la Cour fédérale a expressément jugé que certains éléments de la décision du registraire étaient déraisonnables, et non incorrects. Aucune erreur n’a donc été démontrée à cet égard.

[72] Cela nous amène ensuite à la question centrale dans le présent appel, à savoir si la Cour fédérale a commis une erreur en concluant qu’il y avait eu emploi de la marque WALDORF ASTORIA au Canada pendant la période pertinente.

IX. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il y avait eu emploi de la marque WALDORF ASTORIA au Canada?

[73] Miller Thomson soutient que la Cour fédérale a commis plusieurs erreurs en concluant que la marque WALDORF ASTORIA avait été employée au Canada pendant la période pertinente, notamment en énonçant de manière erronée le critère juridique applicable et en interprétant de manière erronée le terme « services hôteliers ». La Cour fédérale a également commis une erreur, selon Miller Thomson, en concluant que l’utilisation d’une marque pour des services accessoires aux services enregistrés est suffisante pour établir l’emploi d’une marque au Canada pour l’application de l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce.

a) La Cour fédérale a-t-elle énoncé de manière erronée le critère juridique applicable?

[74] Comme il est écrit ci-dessus, Miller Thomson soutient que la Cour fédérale a énoncé de manière erronée le critère applicable à l’« emploi » d’une marque en liaison avec des services au sens du paragraphe 4(2) de la Loi. Ce paragraphe dispose qu’une « marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services ».

[75] Selon Miller Thomson, la Cour fédérale a indûment confondu la question de savoir si Hilton avait démontré l’emploi de la marque WALDORF ASTORIA au Canada avec celle de savoir si la marque WALDORF ASTORIA jouissait d’une réputation au Canada. Elle soutient que la question de savoir si la marque WALDORF ASTORIA permettait ou non de distinguer les services hôteliers de Hilton de services hôteliers ou autres de tiers n’est pas en cause en l’espèce. Toutefois, Miller Thomson soutient que la Cour fédérale a déclaré qu’une analyse fondée sur le caractère distinctif était la « logique qui guidera[it] [s]on analyse de la portée de la notion d’emploi dans le contexte des services hôteliers ».

[76] Je ne puis souscrire à cette observation. Lorsqu’on lit les observations figurant au paragraphe 72 des motifs de la Cour fédérale dans leur contexte, il apparaît que la Cour faisait référence à la nécessité d’examiner la question de l’emploi à la fois du point de vue du propriétaire de la marque de commerce et de celui du consommateur, et non pas à la question de savoir si la marque était distinctive.

[77] Miller Thomson soutient également que la Cour fédérale a estimé qu’un client ordinaire concluant un contrat contraignant pour la réservation d’une chambre d’hôtel et bénéficiant d’un tarif réduit ainsi que de points de fidélité pour la réservation conclurait qu’il reçoit un élément des « services hôteliers » au Canada ou des services accessoires à son séjour à l’hôtel. Toutefois, le critère juridique n’est pas de savoir si une personne a reçu un élément des services enregistrés, mais de savoir si les services enregistrés ont été exécutés au Canada.

[78] Miller Thomson soutient en outre que la question est de savoir si les services enregistrés qui ont été exécutés au Canada [traduction] « constituent des services enregistrés au sens ordinaire du commerce des termes de l’enregistrement ». Elle fait valoir que, plutôt que d’appliquer ce critère, la Cour fédérale a examiné si les « services hôteliers » comprenaient les services de réservation et si des personnes au Canada profitent de ces services.

[79] À l’appui de cette affirmation, Miller Thomson note que la Cour fédérale a déterminé que les questions dont elle était saisie étaient de savoir si Hilton avait établi :

a) que la portée du terme « services hôteliers », dans son sens commercial ordinaire au cours de la période pertinente (conformément à l’article 30 de la Loi) englobe les réservations et les services de réservation;

b) que des personnes se trouvant au Canada ont tiré avantage de tels services au cours de la période pertinente.

[80] Miller Thomson soutient que la question correcte à laquelle la Cour fédérale devait répondre était la suivante : [traduction] « L’une ou l’autre des activités visées constitue-t-elle une prestation de “services hôteliers” au Canada au sens ordinaire du commerce de ce terme? »

[81] Les conclusions du registraire quant au sens du terme « emploi » pour l’application de l’article 45 de la Loi sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte : Cosmetic Warriors Limited. c. Riches, McKenzie & Herbert LLP, 2019 CAF 48, [2019] 3 R.C.F. 125, aux paragraphes 16 et 17. La Cour fédérale pouvait donc déterminer si la décision du registraire à l’égard du sens du terme « emploi » était correcte. Notre Cour a également le droit d’appliquer la norme de la décision correcte aux conclusions de la Cour fédérale sur cette question.

[82] Il ressort du paragraphe 35 des motifs de la Cour fédérale que cette dernière avait conscience que la question en litige était de savoir si Hilton avait établi qu’un certain élément des « services hôteliers » avait été effectué ou fourni au Canada. À cet égard, la Cour a fait observer que, du fait du paragraphe 4(2) de la Loi, une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des « services » si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services. La Cour a ensuite indiqué expressément dans le même paragraphe que l’emploi ne sera pas établi lorsqu’aucun élément des services eux-mêmes n’est exécuté ou fourni au Canada : citant les décisions Don the Beachcomber et Marineland, précitées.

[83] De même, après avoir passé en revue la jurisprudence pertinente sur la question de l’« emploi », la Cour fédérale a observé au paragraphe 56 de ses motifs que « la notion d’exécution ou de fourniture de services à des Canadiens est sous-jacente dans toute la jurisprudence susmentionnée ». La Cour a ajouté dans ce paragraphe que « la notion de l’exécution des services est centrale ». Au paragraphe 76 de ses motifs, la Cour fédérale a conclu que, « selon le sens commun, ces services [de réservation] sont compris dans la portée du terme “services hôteliers”, et l’on s’attendrait normalement à ce qu’ils fassent partie des services hôteliers fournis. Qui plus est, tous vont au-delà de l’emplacement physique de l’hôtel ou de la chambre. »

[84] Il ressort de ces affirmations que la Cour fédérale a correctement compris le critère applicable à l’« emploi » dans l’analyse effectuée au titre de l’article 45, et Miller Thomson n’a démonté aucune erreur à cet égard.

b) Le sens ordinaire du commerce du terme « services hôteliers »

[85] Avant que l’on puisse déterminer si un service donné est exécuté au Canada, il faut d’abord déterminer quelles activités sont comprises dans le service en question, à la lumière du sens ordinaire du commerce de ce terme. Ce n’est que lorsque la portée des services indiqués dans l’enregistrement aura été déterminée que l’analyse pourra porter sur la question de savoir si ces services ont été effectués au pays.

[86] Miller Thomson fait observer que, selon l’article 30 de la Loi, le critère de l’« emploi » d’une marque en liaison avec des services consiste à savoir si les services enregistrés qui ont été exécutés au Canada [traduction] « constituent des services enregistrés au sens ordinaire du commerce des termes de l’enregistrement ». Elle conteste la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle le terme « services hôteliers » « inclut forcément des éléments connexes dont certains doivent être fournis dans un hôtel traditionnel, mais d’autres aussi pour lesquels il est désormais tout naturel de considérer qu’ils peuvent être “exécutés” (du point de vue du propriétaire inscrit) ou qu’on peut “en tirer avantage” (du point de vue du client) au Canada ».

[87] Miller Thomson soutient que rien dans les éléments de preuve dont disposait le registraire ou la Cour fédérale ne montre que la réservation d’un hôtel était considérée par qui que ce soit comme étant une prestation de services hôteliers. En conséquence, Miller Thomson soutient que la Cour fédérale a commis une erreur en substituant son point de vue à celui du registraire sur ce point. Je ne peux pas retenir cette observation.

[88] Le registraire a conclu que le consommateur moyen s’attendrait à ce qu’il y ait un hôtel physique là où des « services hôteliers » sont offerts au Canada. Se fondant sur ce qu’il a appelé une interprétation du « sens commun » du terme « services hôteliers », le registraire a estimé que la possibilité d’effectuer une réservation dans un hôtel ou de participer à un programme de fidélisation ne pouvait être assimilée à l’exploitation d’un hôtel. Le registraire a en outre conclu que, parce qu’il n’y avait pas d’hôtel Waldorf Astoria au Canada, la marque WALDORF ASTORIA n’avait pas été employée au pays pour l’application des articles 4 et 45 de la Loi sur les marques de commerce.

[89] En examinant la question de savoir si les activités exercées par Hilton équivalaient à l’exécution de « services hôteliers » au Canada, la Cour fédérale a conclu que le registraire avait commis une erreur parce qu’il avait formulé la mauvaise question. La question n’était pas de savoir si l’on pouvait assimiler la capacité de faire des réservations d’hôtel à l’exploitation d’un hôtel, étant donné que Hilton cherchait à démontrer l’emploi de sa marque en liaison avec des « services hôteliers », et non avec l’« exploitation d’un hôtel ». La Cour fédérale a reconnu qu’un hôtel traditionnel situé et exploité au Canada aurait effectivement été requis si le service enregistré avait été l’exploitation d’un hôtel.

[90] Toutefois, la Cour fédérale a déclaré que la bonne question en l’espèce était de savoir quelle était la portée du terme « services hôteliers » dans son sens ordinaire du commerce, à la fois du point de vue du consommateur et de celui du propriétaire de la marque de commerce. Reprenant les termes utilisés par le registraire, la Cour a posé la question suivante : « [S]erait-il contraire au sens commun de déduire que des “services hôteliers” sont fournis au Canada à un client ordinaire qui conclut une entente contraignante en vue de la réservation d’une chambre d’hôtel, et qui bénéficie d’un tarif réduit tout en accumulant des points de fidélisation pour sa réservation, étant entendu que la transaction est effectuée par une personne se trouvant au Canada? »

[91] La Cour fédérale a conclu que le terme « services hôteliers » « inclut forcément des éléments connexes dont certains doivent être fournis dans un hôtel traditionnel, mais d’autres aussi pour lesquels il est désormais tout naturel de considérer qu’ils peuvent être “exécutés” (du point de vue du propriétaire inscrit) ou qu’on peut “en tirer avantage” (du point de vue du client) au Canada ». La Cour a ensuite conclu que cette conclusion « ne dénatur[ait] aucunement le sens ordinaire du terme “services hôteliers” tel qu’il était entendu en 1998 et au cours de la période pertinente ». C’est d’autant plus vrai « si, comme c’est le cas ici, la transaction entière est effectuée en ligne au Canada et si les Canadiens bénéficient d’une série d’avantages qui s’ajoutent à leur séjour proprement dit dans un hôtel ».

[92] Comme il est indiqué, Miller Thomson soutient que rien dans les éléments de preuve dont disposait le registraire ou la Cour fédérale ne montrait que la réservation d’hôtel était considérée par qui que ce soit comme étant la prestation de « services hôteliers ». Selon Miller Thomson, la Cour fédérale a ainsi commis une erreur de droit en substituant son propre point de vue à celui du registraire sans disposer d’éléments de preuve à l’appui de cette conclusion.

[93] Toutefois, contrairement à ce que soutient Miller Thomson, le registraire disposait bel et bien d’éléments de preuve sur le sens ordinaire du commerce du terme « services hôteliers », du moins du point de vue du propriétaire de la marque. Comme il est écrit ci-dessus, M. Eriksen a déclaré expressément dans son affidavit que le terme « services hôteliers » est interprété dans l’industrie hôtelière comme comprenant [traduction] « des services de réservation, des services de paiement et l’accès aux chambres d’hôtel ». Il a ajouté que les hôtels [traduction] « ne pouvaient fonctionner que si les clients étaient en mesure de réserver et de payer les chambres à l’avance », que les services de réservation et de paiement [traduction] « font partie intégrante de la prestation de services hôteliers » et que le coût de la prestation de ces services et d’autres services accessoires est inclus dans le prix de la chambre.

[94] Le registraire a repris le témoignage de M. Eriksen à cet égard dans sa longue description des éléments de preuve présentés par Hilton, mais il n’a fait aucun renvoi à ce témoignage dans son analyse. Plutôt que d’examiner le témoignage non contredit de M. Eriksen quant au sens du terme « services hôteliers » et d’expliquer pourquoi il ne l’a pas retenu, le registraire s’est plutôt fondé sur ce qu’il a appelé une interprétation du « sens commun » du terme, estimant que la possibilité de faire une réservation dans un hôtel ou de participer à un programme de fidélisation n’était pas assimilable à des « services hôteliers ».

[95] Il est vrai qu’il existe une présomption selon laquelle les décideurs de première instance, comme le registraire, ont examiné tous les éléments de preuve dont ils disposaient. En effet, comme l’a fait observer notre Cour dans l’arrêt Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157, [2018] 2 R.C.F. 344, au paragraphe 67, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 37793 (17 mai 2018), ces décideurs « jouissent d’une présomption réfutable selon laquelle [ils] ont pris en considération et évalué tous les éléments dont [ils] disposent » : aux paragraphes 66 et 67; Housen, précité, au paragraphe 46.

[96] Il est également vrai que la Cour fédérale n’a pas reçu d’éléments de preuve supplémentaires quant au sens du terme « services hôteliers », donc elle devait faire preuve de retenue à l’égard de cet élément de la décision du registraire. La Cour fédérale a clairement compris que tel était le cas, puisqu’elle a conclu qu’il « n’[était] pas raisonnable de sa part de proposer une interprétation de la portée du terme “service” censément fondée sur le “sens commun”, mais qui fait abstraction du seul élément de preuve qui traite de ce point » [non souligné dans l’original].

[97] L’article 30 de la Loi sur les marques de commerce exige que la demande d’enregistrement d’une marque de commerce contienne un état, dressé non pas dans des « termes ordinaires », mais dans des « termes ordinaires du commerce », des produits ou services en liaison avec lesquels la marque est employée ou en liaison avec lesquels on projette de l’employer.

[98] Le sens ordinaire du commerce du terme « services hôteliers » était un élément central de la question de savoir si Hilton avait établi l’emploi de la marque WALDORF ASTORIA au Canada en liaison avec de tels services. Dans les circonstances, la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en concluant que le fait que le registraire n’ait pas reconnu ni pris en compte le seul élément de preuve direct dont il disposait quant au sens ordinaire du commerce du terme « services hôteliers » constituait une omission importante justifiant l’intervention de la Cour.

[99] Comme je l’expliquerai plus loin dans les présents motifs, je ne suis pas non plus convaincue que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que le terme « services hôteliers » incluait des services accessoires comme les services de réservation et de paiement, en plus de l’accès aux chambres d’hôtel. Toutefois, avant d’examiner cette question, il faut d’abord se pencher sur le fait que le registraire s’est fondé sur le Manuel pour interpréter le terme « services hôteliers ».

c) L’utilisation de la version actuelle du Manuel pour interpréter le sens d’un enregistrement datant de 1988

[100] Le registraire s’est fondé en partie sur la version du Manuel en vigueur au moment où il a rendu sa décision en 2017 pour tirer ses conclusions relativement au sens ordinaire du commerce du terme « services hôteliers ». Le registraire a également noté que cette version du Manuel comportait en anglais les termes « hotel services » et « hotels », tous deux traduits par « services hôteliers », parmi les termes préapprouvés, ainsi que des termes pour d’autres services liés à l’hôtellerie comme « réservations d’hôtel », « services de réservation d’hôtels », « services de réservation de chambres d’hôtel », « gestion hôtelière » et « services de gestion hôtelière ».

[101] Le registraire a fait observer qu’il y a ainsi dans le Manuel une distinction expresse entre les « services hôteliers » et d’autres services liés à l’hôtellerie, comme les « réservations d’hôtel », les « services de réservation de chambres d’hôtel », la « gestion hôtelière » et les « services de gestion hôtelière ».

[102] Toutefois, d’après le témoignage de Mme Elford, la version de 2006 du Manuel ne comportait pas les termes « services de réservation d’hôtel » ou « services de réservation », mais les termes « services hôteliers » et « gestion hôtelière » y figuraient. De plus, il est logique de conclure que des termes tels que « services de réservation d’hôtel » ou « services de réservation » ne figurent pas dans les versions du Manuel publiées avant 2006.

[103] Dans la décision Levi Strauss & Co. c. Canada (Registraire des marques de commerce), 2006 CF 654, [2006] A.C.F. no 840 (QL), la Cour fédérale a observé que le sens des termes utilisés dans les enregistrements de marques de commerce peut évoluer avec le temps. C’est particulièrement le cas lorsque, comme en l’espèce, il y a eu des développements rapides dans le commerce en ligne qui peuvent sans aucun doute avoir une incidence sur le sens ordinaire du commerce d’un terme, du point de vue tant du propriétaire de la marque de commerce que du client.

[104] Comme la Cour fédérale l’a fait observer en l’espèce, bien que les demandeurs d’enregistrement ne soient pas tenus de respecter à la lettre le libellé du Manuel, on ne peut pas reprocher à Hilton d’avoir utilisé le terme préapprouvé de la version du Manuel en vigueur à l’époque de l’enregistrement de la marque en 1988. Je partage l’avis de la Cour fédérale selon lequel le registraire a commis une erreur en interprétant la portée d’un enregistrement de l’ère pré-Internet à la lumière du libellé de la version actuelle du Manuel.

d) Les « services » comprennent les services primaires et accessoires

[105] Comme nous l’avons mentionné plus haut, Miller Thomson soutient que le terme « services hôteliers », dans son sens ordinaire, s’entend de la fourniture d’une chambre d’hôtel comme service principal. Par conséquent, Hilton devait démontrer qu’elle avait employé la marque WALDORF ASTORIA dans la fourniture de chambres d’hôtel au Canada, et non dans l’exécution d’un service quelconque qui était accessoire aux « services hôteliers ». Selon Miller Thomson, la Cour fédérale a donc commis une erreur en concluant qu’il existait d’autres services, qui sont accessoires, tels que les services de réservation, qui seraient communément considérés comme relevant des « services hôteliers ».

[106] Miller Thomson soutient que la Cour fédérale, en tirant cette conclusion, a mal interprété la jurisprudence selon laquelle les services enregistrés puissent être accessoires à la vente de biens. La Cour fédérale aurait également commis une erreur, selon Miller Thomson, en concluant que l’emploi d’une marque pour des services accessoires aux services enregistrés est suffisant pour établir l’« emploi » d’une marque au Canada pour l’application de l’article 45 de la Loi. Selon Miller Thomson, Hilton devait démontrer qu’elle avait employé la marque WALDORF ASTORIA dans l’exécution de « services hôteliers » au Canada (c’est-à-dire la fourniture de chambres d’hôtel), et non dans l’exécution de quelque chose qui était accessoire aux « services hôteliers ».

[107] Le terme « services » n’est pas défini dans la Loi sur les marques de commerce. Le sens de ce terme a toutefois été examiné dans la jurisprudence, qui établit que le terme devait être interprété de manière libérale et que chaque cas doit être décidé en fonction des faits qui lui sont propres : TSA Stores, Inc. c. Registraire des marques de commerce, 2011 CF 273, [2011] A.C.F. no 319 (QL), au paragraphe 16, citant Kraft Ltd., précitée, aux paragraphes 8 et 9; Supershuttle International, Inc. c. Fetherstonhaugh & Co., 2015 CF 1259, [2015] A.C.F. no 1544 (QL), au paragraphe 39. En effet, Miller Thomson a reconnu à l’audience que l’établissement de l’emploi d’une marque au Canada est un exercice en grande partie fondé sur les faits.

[108] La jurisprudence reconnaît en outre que la Loi sur les marques de commerce ne fait pas de distinction entre les services primaires et les services accessoires. Tant et aussi longtemps que des membres du public, consommateurs ou acheteurs, reçoivent un avantage de l’activité en question, il s’agit d’un service : Kraft, précitée, au paragraphe 9; Société nationale des chemins de fer français c. Venice Simplon-Orient-Express Inc., 2000 CanLII 16547, [2000] A.C.F. n°1897 (QL) (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 8 à 10.

[109] En effet, l’une des principales questions que devait trancher la Cour fédérale dans la décision Orient-Express était de savoir si l’expression [traduction] « services de voyage, nommément des services de transport de passagers par train » devait recevoir une interprétation étroite impliquant uniquement [traduction] « l’exploitation d’un train », ou une interprétation plus large qui aurait inclus [traduction] « tous services ou activités accessoires accomplis pour le transport de passagers par train et dont l’exploitation d’un train ne représente qu’une dimension ». La Cour fédérale, étant en faveur de l’interprétation plus large, a conclu que les services en question comprenaient des [traduction] « services ou activités accessoires accomplis pour le transport de passagers par train » et que « la prestation au Canada par une agence de voyages de services de réservations et de vente de billets constituait la prestation au Canada de tels services par le propriétaire inscrit » : au paragraphe 10.

[110] Dans le même ordre d’idées, dans l’affaire Borden Ladner Gervais srl c. WestCoast Hotels, Inc., [2006] T.M.O.B. no 5 (QL), version française en ligne : https://decisions.opic-cipo.gc.ca/tmob-comc/decisions/fr/item/222860/index.do, le registraire a conclu que l’emploi de la marque WESTCOAST en liaison avec des services de réservation hôtelière et des services liés à un programme de fidélisation constituait la prestation de « services d’hôtel ». Voir également Dollar General Corporation c. 2900319 Canada Inc., 2018 CF 778, [2018] A.C.F. no 801 (QL).

[111] Miller Thomson note que, dans l’affaire Kraft, il était question d’une marque employée en liaison avec la vente de biens et que certains services avaient été jugés accessoires à la vente des biens en question. Selon Miller Thomson, il n’existe pas de précédent de notre Cour établissant que la fourniture de services accessoires à des services enregistrés équivaut à la prestation des services enregistrés eux-mêmes.

[112] Il existe cependant de la jurisprudence du registraire et de la Cour fédérale qui établit que la fourniture de services accessoires à des services enregistrés peut être considérée comme la prestation des services enregistrés eux-mêmes.

[113] Par exemple, les marques en cause dans la décision TSA Stores Inc. avaient été enregistrées pour être employées en liaison avec divers types de services de magasins de détail. Constatant que la Loi sur les marques de commerce ne faisait pas de distinction entre les services principaux, accessoires et secondaires, la Cour fédérale a conclu que, tant que des membres du public, consommateurs ou acheteurs, tiraient un avantage de l’activité au pays, celle-ci serait réputée être un service. Bien qu’il n’y ait pas eu de magasins TSA « traditionnels » au Canada, la Cour fédérale a néanmoins conclu que le site Web de la société fournissait aux clients canadiens une quantité appréciable de renseignements et de conseils sur une vaste gamme de produits, ce dont les clients canadiens profitaient. Comme les marques en cause figuraient sur le site Internet de la société en lien avec ces services accessoires, la Cour a conclu qu’il existait une preuve de l’emploi des marques au Canada en liaison avec des services de magasins de détail.

[114] De même, la question que la Cour fédérale devait trancher dans la décision Orient-Express était de savoir si les services de vente de billets de train et de réservation de places dans un train qui étaient exécutés par des agents de voyages au Canada pour des billets de train qui pouvaient seulement être utilisés à l’étranger constituaient l’exécution au Canada de [traduction] « services de voyage, nommément des services de transport de passagers par train » par le propriétaire inscrit. Après avoir fait observer que le terme « services » n’était pas défini dans la Loi et que celle-ci ne faisait pas de distinction entre les services primaires, connexes ou accessoires, la Cour fédérale a souscrit à la conclusion du registraire selon laquelle, [traduction] « dans la mesure où des membres du public, des consommateurs ou des acheteurs bénéficient d’une activité, il s’agit d’un service » : précitée, au paragraphe 8. La Cour a donc conclu que la réservation de places dans un train et la vente de billets de train par l’intermédiaire d’agents de voyage situés au Canada constituaient une prestation de services de transport de passagers par rail au Canada : au paragraphe 10.

[115] Ces précédents établissent donc que, tant que des consommateurs, des acheteurs ou des membres du public au Canada reçoivent un avantage important de l’activité en cause, cette activité constituera l’exécution du service au Canada.

[116] Compte tenu de ce qui précède, je ne suis pas convaincue que la Cour fédérale ait commis une erreur en concluant que le terme « services hôteliers » incluait des services accessoires, tels que les services de réservation ou de paiement. La question demeure toutefois de savoir si des membres du public, des consommateurs ou des acheteurs ont, au Canada, tiré de ces activités accessoires un avantage suffisamment important pour constituer un « emploi » de la marque WALDORF ASTORIA au pays.

e) Les activités de Hilton constituent-elles une prestation de services hôteliers au Canada?

[117] Cela nous amène donc à ce que la Cour fédérale a appelé la « question centrale » de la présente affaire, à savoir si Hilton avait établi que des personnes au Canada avaient tiré des avantages concrets importants des « services hôteliers » de Hilton au cours de la période pertinente. En d’autres termes, il faut déterminer si au moins certains des « services hôteliers » de Hilton ont été exécutés au Canada.

[118] Comme il est indiqué plus haut, si une conclusion quant au sens du terme « emploi » est susceptible d’examen selon la norme de la décision correcte, la conclusion sur la question de savoir si une marque donnée a été utilisée en liaison avec des services donnés est largement de nature factuelle : Gesco Industries, Inc. c. Sim & McBurney, 2000 CanLII 16369, [2000] A.C.F. no 1766 (QL) (C.A.F.), aux paragraphes 5 et 11. L’emploi d’une marque en liaison avec un service doit donc être apprécié au cas par cas : Express File Inc. c. HRB Royalty Inc., 2005 CF 542, [2005] A.C.F. no 667 (QL), au paragraphe 23; Supershuttle, précitée, au paragraphe 41.

[119] En effet, l’avocat de Miller Thomson a reconnu à l’audience à l’égard du présent appel que la question de savoir si l’emploi d’une marque avait été établi pour l’application de l’article 45 de la Loi était [traduction] « essentiellement » une question de fait.

[120] Puisque j’ai conclu que la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur dans son choix du critère juridique applicable, la question à trancher est alors celle de savoir si la Cour fédérale a commis une erreur manifeste et dominante en appliquant ce critère aux faits en l’espèce. L’« erreur manifeste et dominante » est une norme commandant une grande retenue qui autorise le tribunal d’appel à intervenir seulement lorsqu’il y a une erreur évidente qui a déterminé l’issue de l’affaire : Salomon c. Matte-Thompson, 2019 CSC 14, [2019] 1 R.C.S. 729, au paragraphe 33; Mahjoub, précité, aux paragraphes 61 à 75.

[121] Le registraire a largement fondé son analyse de la question de l’emploi sur une décision antérieure du registraire, soit la décision M Hotel, précitée. La décision M Hotel découlait d’une procédure intentée en vertu de l’article 45, laquelle portait également sur l’emploi d’une marque de commerce en liaison avec un hôtel qui n’était pas situé au Canada. La marque de commerce en litige dans la décision M Hotel avait été enregistrée pour être utilisée en liaison avec des [traduction] « services hôteliers et services de réservation d’hôtel ». Le registraire a conclu que la marque de commerce avait été employée au Canada pour des « services de réservation d’hôtel », mais pas pour des « services hôteliers ».

[122] En parvenant à cette conclusion, le registraire avait observé dans la décision M Hotel que, contrairement aux services de vente au détail en litige dans des affaires telles que TSA Stores Inc., un hôtel ne peut pas être exploité sur Internet. C’est dans la décision M Hotel qu’il a été affirmé pour la première fois qu’il était « contraire au sens commun d’assimiler la possibilité d’effectuer une réservation dans un hôtel à l’exploitation d’un hôtel » : au paragraphe 38.

[123] Tout en reconnaissant dans sa décision en l’espèce que, « sur le plan scientifique et linguistique, les “services hôteliers” pourraient recevoir une interprétation plus large », le registraire n’a pu conclure que la décision rendue dans l’affaire M Hotel était entachée d’une erreur du fait qu’il y était conclu que ni les services de réservation ni les programmes de fidélisation n’étaient des « services hôteliers ». En conséquence, le registraire a conclu que, parce que les clients ne pouvaient pas profiter des « services hôteliers » de Hilton sans avoir préalablement quitté le Canada, l’emploi de la marque WALDORF ASTORIA au pays n’avait pas été établi.

[124] La Cour fédérale a déclaré qu’une question essentielle pour déterminer si l’emploi d’une marque de commerce au Canada pour des services avait été établi était de savoir si des personnes au pays pouvaient tirer un certain avantage de la fourniture des services en question. La Cour a en outre conclu que le registraire avait commis une erreur en n’ayant pas porté son attention sur les faits propres à la présente affaire et en s’étant fondé sur la décision M Hotel qui, selon la Cour, portait « sur des faits différents ».

[125] La Cour fédérale a conclu que les éléments de preuve en l’espèce établissaient que les personnes se trouvant au Canada pouvaient profiter de plusieurs avantages, en plus de leur séjour proprement dit dans un hôtel Waldorf Astoria. En outre, un grand nombre de personnes au pays ont profité de ces avantages. Se reportant aux éléments de preuve contenus dans le premier affidavit de M. Eriksen, la Cour fédérale a conclu que les personnes au Canada verraient la marque WALDORF ASTORIA en consultant le site Web de Hilton et qu’elles pourraient effectuer leur réservation de plusieurs manières : soit directement auprès de l’hôtel sur Internet, soit par l’intermédiaire d’un fournisseur de services tiers, soit en composant un numéro de téléphone sans frais au Canada. La marque figurerait également sur les courriels envoyés aux clients pour confirmer leurs réservations.

[126] La Cour fédérale a également tenu compte du témoignage de M. Eriksen selon lequel 41 000 personnes ayant une adresse au Canada avaient séjourné dans des hôtels Waldorf Astoria au cours de la période pertinente, ce qui a généré environ 50 millions de dollars de revenus. Quelque 1 300 personnes originaires du Canada avaient profité d’un tarif réduit pour leur chambre pendant la période pertinente en payant le prix de la chambre dès la réservation. Ces personnes ont également reçu un courriel de confirmation de leur réservation portant la marque WALDORF ASTORIA. De plus, les personnes inscrites au programme de fidélisation de Hilton accumulaient des points à chaque réservation et pouvaient les échanger contre des séjours ou d’autres avantages dans des hôtels situés au Canada ou ailleurs.

[127] La Cour fédérale a conclu que ces éléments de preuve démontraient la nature et la portée des avantages dont profitaient les personnes au Canada et que, à cause de l’existence de ces avantages, il y avait distinction entre la présente affaire et plusieurs des décisions citées par le registraire, y compris la décision M Hotel sur laquelle il s’était principalement fondé.

[128] La Cour fédérale a conclu que le registraire avait commis une erreur en omettant d’examiner la nature des avantages reçus par les personnes au Canada lors de la prestation des « services hôteliers » au pays. Plus précisément, le registraire n’avait pas renvoyé aux éléments de preuve démontrant que Hilton était en communication directe avec ses clients au Canada et que des clients avaient conclu des ententes contractuelles contraignantes en payant à l’avance au Canada le prix de la chambre en échange d’un tarif réduit. Il n’a pas non plus mentionné le fait que les membres du programme de fidélisation de Hilton recevraient des points qu’ils pouvaient ensuite échanger pour des séjours à l’hôtel ou d’autres avantages qu’ils pouvaient recevoir au Canada.

[129] Compte tenu de ces faits, la Cour fédérale a conclu que des personnes au Canada ont profité d’avantages importants au pays grâce à la prestation des services hôteliers de Hilton. Elle a donc conclu que l’emploi de la marque WALDORF ASTORIA avait été établi et la décision du registraire de radier la marque du registre a été annulée.

[130] Sous réserve de mes observations ci-après au sujet du programme de fidélisation de Hilton, Miller Thomson n’a pas établi que la Cour fédérale a commis une erreur manifeste et dominante en tirant ces conclusions. Il était loisible à la Cour de conclure, vu les éléments de preuve dont elle disposait, que la possibilité pour le client canadien de réserver un type particulier de chambre d’hôtel dans un hôtel Waldorf Astoria précis, à un endroit donné, à un prix déterminé (et potentiellement réduit) constituait un avantage important pour lui.

[131] En ce qui concerne la décision M Hotel, le registraire a conclu que, compte tenu du sens ordinaire des termes dans l’état des services et à la lumière des éléments de preuve produits dans cette affaire, que les « services de réservation » n’étaient pas des « services hôteliers ». Le registraire a en outre conclu que l’enregistrement ne devait pas être maintenu simplement parce que le service qui était effectivement disponible au Canada n’avait qu’un lien indirect avec les « services hôteliers ».

[132] En contrepartie, les éléments de preuve en l’espèce montrent que les services de réservation ou de paiement ne sont pas « indirectement lié[s] » aux « services hôteliers ». M. Eriksen a clairement indiqué que les hôtels ne pouvaient tout simplement pas fonctionner si les clients ne pouvaient pas réserver et payer les chambres d’hôtel à l’avance. La preuve non contredite devant le registraire était que ces services n’étaient pas [traduction] « indirectement lié[s] » aux « services hôteliers », mais faisaient bien [traduction] « partie intégrante de la fourniture de services hôteliers ».

[133] J’estime toutefois que la Cour fédérale a commis une erreur relativement aux avantages que semblaient avoir reçus les personnes au Canada dans le cadre du programme de fidélisation HILTON HHONORS. La Cour a conclu que les personnes qui s’inscrivent au programme de fidélisation de Hilton à partir du Canada pouvaient accumuler des points pour chaque réservation dans des établissements Waldorf Astoria et les échanger contre des séjours ou d’autres avantages dans des hôtels situés au Canada ou ailleurs. La Cour a expressément conclu que ces opérations étaient entièrement effectuées au Canada.

[134] Des renseignements relativement au programme de fidélisation HILTON HHONORS se trouvaient dans le premier affidavit de M. Erikson. Bien qu’il ait donné un aperçu du fonctionnement du programme de fidélisation, il n’indique nulle part que les points de fidélité sont gagnés au moment où la chambre d’hôtel est réservée plutôt qu’au moment où le client séjourne effectivement dans un hôtel Waldorf Astoria. Le dossier dont disposait la Cour fédérale ne contenait tout simplement pas d’éléments de preuve lui permettant de trancher cette question dans un sens ou dans l’autre.

[135] Il s’agit d’une erreur « manifeste » dans la mesure où elle était évidente, mais elle n’est pas « dominante », car l’erreur n’était pas déterminante pour l’issue de l’affaire : Salomon c. Matte-Thompson, précité, au paragraphe 33. Il en est ainsi, car il existait d’autres avantages importants dont profitaient les personnes au Canada et qui constituaient une prestation de « services hôteliers » au pays, lesquels étaient suffisants pour constituer un « emploi » de la marque WALDORF ASTORIA pour l’application de l’article 45 de la Loi.

[136] Cela dit, les Canadiens peuvent s’inscrire au programme de fidélisation HILTON HHONORS depuis le Canada, comme l’ont fait plus de 400 000 personnes pendant la période pertinente. La marque WALDORF ASTORIA figure sur les documents d’inscription. Les membres du programme peuvent gagner des points de fidélité lors de séjours dans des établissements Hilton au Canada et à l’étranger, et ils peuvent utiliser ces points pour des séjours dans des établissements Hilton au Canada et ailleurs. Il s’agit manifestement d’un avantage dont les Canadiens peuvent profiter au Canada.

[137] Il est vrai qu’il existe des décisions qui sembleraient étayer la thèse défendue par Miller Thomson. Par exemple, dans la décision Motel 6 Inc. c. No. 6 Motel Limited, [1982] 1 C.F. 638, [1982] A.C.F. no 154 (QL) (C.F. 1re inst.), la Cour fédérale a conclu que, parce qu’il n’y avait pas de motels physiques au pays, la demanderesse n’avait pas établi l’emploi de sa marque de commerce « Motel 6 » au Canada en association avec des « services de motels ».

[138] Pour en venir à cette conclusion, la Cour fédérale a estimé que la correspondance ou la communication par téléphone avec des clients, des clients potentiels ou les agents de la demanderesse au Canada uniquement afin de prendre et de confirmer des réservations de chambre dans un motel situé aux États-Unis ne constituait pas un emploi d’une marque en liaison avec des « services de motels » au Canada. Selon la Cour fédérale dans cette décision, il devait y avoir au moins quelque installation commerciale au Canada dans de tels cas.

[139] Non seulement il convient d’établir une certaine distinction entre les faits en l’espèce et ceux de l’affaire Motel 6, mais également il convient de souligner que l’affaire Motel 6 ne relevait pas de l’article 45. Elle portait plutôt sur la question de l’emploi de la marque de commerce de la demanderesse dans le cadre d’une procédure en radiation prévue à l’article 57. Compte tenu de la nature sommaire de l’instance prévue à l’article 45, le fardeau de la preuve qui pèse sur le titulaire d’une marque de commerce y est plus léger que dans une procédure en radiation : Cinnabon, Inc. c. Yoo-Hoo of Florida Corp, [1998] 4 C.F. 569, 1998 CanLII 9088 (C.A.F.); Woods Canada Ltd., précitée, au paragraphe 9.

[140] Les observations de la Cour dans la décision Motel 6 doivent également être appréciées à la lumière de la situation qui existait au début des années 1980. L’Internet en était à ses balbutiements et n’était pas accessible au grand public comme il l’est aujourd’hui. La notion de commerce en ligne n’existait pas non plus lorsque la définition d’« emploi » a été ajoutée dans la Loi sur les marques de commerce en 1953, laquelle définition est restée essentiellement la même depuis.

[141] Comme je l’ai indiqué plus haut, le sens des termes utilisés dans les enregistrements de marques de commerce peut évoluer au fil du temps. C’est d’autant plus vrai lorsque, comme en l’espèce, il y a eu des avancées technologiques importantes qui ont radicalement changé la manière dont les services sont offerts aux consommateurs : David Bowden et Junyi Chen, « Canadian Trademark Law and ‘Use’ in the Computer and Internet Age », (2017) 33 C.I.P.R. 49, aux pages 50 et 51.

[142] Les exigences relatives à l’« emploi » pour l’application de l’article 45 de la Loi doivent s’adapter aux pratiques commerciales du XXIe siècle. Cela dit, comme l’a dit un observateur bien informé, définir de façon précise et exhaustive ce que signifie « emploi » à l’égard d’une marque de commerce est une tâche non seulement impossible, mais pas nécessairement souhaitable. Il en est ainsi parce que la définition [traduction] « peut facilement devenir trop rigide ou obsolète dans un monde en mutation rapide où, chaque jour, de nouvelles méthodes de vente, de marketing et de commerce sont conçues et déployées » : Bojan Pretnar, « Use and Non-Use in Trade Mark Law » dans Jeremy Phillips et Ilanah Simon, éditeurs, Trade Mark Use (Oxford : Presses de l’Université Oxford, 2005), pages 11 à 27; cité avec approbation dans l’arrêt Cosmetic Warriors, précité, au paragraphe 23.

[143] Néanmoins, comme l’a fait observer la Cour fédérale dans la décision Unicast SA c. South Asian Broadcasting Corporation Inc., 2014 CF 295, 2014 CarswellNat 874, la notion d’« emploi » ne peut pas être indéfinie. La décision Unicast portait sur l’affichage d’une marque de commerce sur le site Web d’une station de radio située à l’extérieur du Canada, mais que pouvaient écouter les Canadiens par Internet. La Cour fédérale a conclu que cette utilisation était insuffisante pour prouver l’emploi de la marque au Canada en liaison avec diverses formes de services de radiocommunication.

[144] Comme l’a fait observer la Cour fédérale, s’il en était autrement, tout titulaire étranger d’une marque de commerce pourrait obtenir la radiation d’une marque canadienne authentique au motif que celle-ci avait été utilisée antérieurement sur Internet, même si le titulaire étranger de la marque n’avait aucun lien avec le Canada ni aucune présence effective au pays : Unicast, précitée, au paragraphe 47. Il s’agit d’une réserve légitime, mais ce n’est pas ce dont il s’agit en l’espèce.

[145] En l’espèce, la Cour fédérale a pris en considération la réserve exprimée dans la décision Unicast, invoquant précisément cette décision pour étayer les affirmations selon lesquelles « la notion de l’exécution des services est centrale » et « il est essentiel qu’un aspect quelconque des services soit offert directement aux Canadiens ou exécuté au Canada ». Au vu des éléments de preuve dont elle disposait, la Cour a néanmoins conclu que certains aspects des « services hôteliers » avaient été fournis au Canada et que les Canadiens pouvaient tirer un avantage important de ces services au pays.

[146] En fin de compte, les affaires comme celle en l’espèce dépendent souvent de la qualité des éléments de preuve fournis par le propriétaire de la marque de commerce. Toutefois, au même titre qu’il n’est ni possible ni souhaitable de définir de façon précise et exhaustive ce en quoi constitue l’emploi d’une marque de commerce, il n’est pas non plus possible d’énumérer tous les types d’éléments de preuve qui peuvent être nécessaires pour établir l’emploi d’une marque sur l’Internet en liaison avec une catégorie particulière de services.

[147] Cela dit, de simples affirmations d’emploi ne suffiront pas, et le simple fait d’afficher la marque sur un site Web étranger ne suffira pas pour établir l’emploi de la marque au Canada en liaison avec des services enregistrés. De plus, que des personnes au Canada puissent voir passivement le contenu d’un site Web étranger ne suffira pas pour établir l’emploi d’une marque au pays. Il doit y avoir, au minimum, un degré suffisant d’interactivité entre le propriétaire de la marque de commerce et le consommateur canadien pour que l’emploi de la marque au Canada soit établi par l’utilisation de services sur Internet.

[148] Les éléments de preuve relatifs aux données mesurables de sites Web, telles que le nombre de fois qu’un site Web affichant une marque a été consulté par des personnes au Canada, peuvent, dans certains cas, aider à établir l’emploi de la marque au pays. Il en va de même pour des éléments de preuve à l’égard du nombre de Canadiens qui se sont prévalus des services en ligne offerts en lien avec la marque, ainsi que pour les chiffres de vente relativement à la valeur des services enregistrés qui ont été fournis aux consommateurs canadiens par Internet.

[149] En effet, la Cour fédérale a affirmé dans la décision Unicast que le propriétaire de la marque de commerce dans cette affaire aurait eu la possibilité de démontrer l’emploi antérieur de sa marque au Canada s’il avait fourni des éléments de preuve suffisants montrant que des Canadiens avaient effectivement utilisé ses services de diffusion en direct : précitée, aux paragraphes 69 et 70.

[150] Des éléments de preuve montrant que le contenu proposé par le site Web est conservé sur des serveurs situés au Canada peuvent également être convaincants, tout comme des éléments de preuve montrant qu’il y a de la publicité s’adressant aux consommateurs canadiens. De même, des éléments de preuve montrant que les prix sont affichés en dollars canadiens et d’autres indicateurs montrant que le site Web est destiné aux clients canadiens peuvent également établir qu’il est satisfait aux exigences des articles 4 et 45 de la Loi : Lapointe Rosenstein srl c. The West Seal, Inc, 2012 COMC 114, [2012] C.M.O.C. no 5114 (QL), au paragraphe 27; Dollar General Corporation, précitée, au paragraphe 27.

[151] Il peut y avoir d’autres facteurs propres à l’industrie ou au secteur dans lesquels le propriétaire de la marque de commerce exerce ses activités qui peuvent nécessiter un type donné de preuve pour établir l’emploi d’une marque au Canada en liaison avec des services précis. On en trouve un exemple dans la décision Unicast, qui, comme je l’ai indiqué ci-dessus, concernait une marque employée en liaison avec des émissions de radio diffusées sur Internet. Cette forme de communication est régie par la Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11, et des éléments de preuve montrant qu’il était satisfait aux exigences de cette loi auraient pu être utiles pour établir l’emploi au Canada de la marque en litige dans cette affaire.

[152] Toutefois, comme je l’ai indiqué plus haut, chaque affaire repose sur les faits qui lui sont propres, et des éléments de preuve qui sont pertinents dans une affaire peuvent ne pas l’être dans une autre. Au bout du compte, la question à trancher dans chaque affaire sera de savoir si le propriétaire de la marque de commerce a fourni des éléments de preuve établissant que les résidents du Canada peuvent tirer des avantages importants des services qui sont fournis au Canada.

X. L’appel visant les dépens

[153] Ayant accueilli l’appel de Hilton, la Cour fédérale (dans les motifs portant le numéro de référence 2018 CF 1111) a adjugé à Hilton des dépens de 15 600 $, soit 9 000 $ pour les frais juridiques et 6 600 $ pour les débours.

[154] Hilton avait demandé une somme globale de 49 696,75 $ au lieu de dépens, ainsi que 6 608,21 $ pour les débours. Elle a affirmé que cela représentait environ 50 % des frais juridiques qu’elle avait payés et 100 % de ses débours.

[155] À titre subsidiaire, Hilton a demandé des dépens calculés selon l’extrémité supérieure de la fourchette prévue à la colonne V du tarif B des Règles des Cours fédérales (D.O.R.S./98-106), avec une indemnité pour le deuxième avocat présent à l’audience de la Cour fédérale, qui s’élèverait à 18 600 $, plus 100 % de ses débours, pour un total de 25 208,21 $. Hilton a également fait observer que ses frais juridiques, calculés selon l’extrémité supérieure de la fourchette prévue à la colonne III du tarif B, s’élèveraient à 10 600 $.

[156] Miller Thomson s’est opposée à la demande de Hilton, faisant valoir que Hilton demandait des dépens plus de dix fois supérieurs aux dépens les plus élevés adjugés par la Cour fédérale dans un appel déposé au titre de l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce. Miller Thomson fait valoir que, bien que l’affaire ait été importante pour Hilton, elle n’était pas plus complexe que tout autre appel interjeté au titre de l’article 45.

[157] La Cour fédérale a pris en considération les observations des parties, ainsi que la complexité de l’instance et le fait que l’affaire opposait [traduction] « des parties bien établies en affaires qui [avaient] clairement les moyens d’assumer financièrement leurs choix juridiques ». Elle a néanmoins conclu que Hilton [traduction] « n’a pas démontré en quoi les circonstances justifiaient l’adjudication de dépens supérieurs à ceux prévus à la colonne III du tarif B ».

[158] Miller Thomson soutient que la Cour fédérale, ayant déclaré qu’elle calculerait les dépens selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne III du tarif B, a ensuite commis une erreur en calculant les dépens d’une autre manière. Selon Miller Thomson, si les dépens avaient été calculés selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne III du tarif B, Hilton aurait reçu des dépens de 5 208 $, sans compter les débours, plutôt que les 9 000 $ qui lui ont été adjugés. Miller Thomson soutient en outre que la Cour fédérale a commis une erreur de droit en ne procédant pas à une analyse du caractère raisonnable des débours demandés par Hilton et que, quoi qu’il en soit, Hilton n’avait pas fourni de renseignements qui auraient permis l’examen du caractère raisonnable de ces débours.

[159] L’adjudication des dépens est « un exemple typique d’une décision discrétionnaire » : Nolan c. Kerry (Canada) Inc., 2009 CSC 39, [2009] 2 R.C.S. 678, au paragraphe 126. La cour d’appel ne doit intervenir dans l’attribution de dépens que si le tribunal inférieur « a commis une erreur de principe ou si cette attribution est nettement erronée » : Sun Indalex Finance, LLC c. Syndicat des Métallos, 2013 CSC 6, [2013] 1 R.C.S. 271, au paragraphe 247, citant Hamilton c. Open Window Bakery Ltd., 2004 CSC 9, [2004] 1 R.C.S. 303, au paragraphe 27.

[160] Dans l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, [2017] 1 R.C.F. 331, notre Cour a confirmé que la norme de contrôle applicable dans les appels visant des décisions discrétionnaires de la Cour fédérale est celle énoncée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Housen, précité, c’est-à-dire la norme de l’erreur manifeste et dominante s’il s’agit d’une conclusion de fait ou d’une conclusion mixte de fait et de droit et la norme de la décision correcte s’il s’agit d’une question de droit isolable.

[161] En ce qui concerne les 9 000 $ accordés à Hilton au titre des frais juridiques, Hilton avait demandé une somme de 49 696,75 $, représentant la moitié des frais qu’elle avait payés en raison de la procédure judiciaire devant la Cour fédérale. Elle avait justifié cette somme en produisant l’affidavit d’un auxiliaire juridique du cabinet de l’avocat de Hilton qui confirmait le montant des honoraires qui avaient été facturés à Hilton pour la procédure devant la Cour fédérale. À titre subsidiaire, Hilton avait demandé 18 600 $ pour les frais juridiques, calculés selon l’extrémité supérieure de la fourchette prévue à la colonne V du tarif B. Hilton a en outre indiqué que ses frais juridiques, calculés selon l’extrémité supérieure de la fourchette prévue à la colonne III du tarif B, s’élèveraient à 10 600 $. Les 9 000 $ attribués pour les frais juridiques ont donc été calculés selon un nombre d’unités moins élevé que l’extrémité supérieure de la fourchette prévue à la colonne III du tarif B.

[162] De plus, le calcul des dépens en fonction d’une colonne donnée du tarif B n’est pas une science exacte. Il peut être difficile de déterminer exactement où se trouve le « milieu de la fourchette » de la colonne III, car le paragraphe 2(2) du tarif B interdit d’attribuer un nombre d’unités qui comporte une fraction, de sorte que le nombre d’unités attribuées à un service donné peut être arrondi à un nombre entier supérieur ou inférieur. Par exemple, la fourchette d’unités prévues à la colonne III du tarif B pour l’article « préparation et dépôt d’une requête contestée » est de 4 à 7 unités. Le milieu de cette fourchette serait donc de 5,5 unités, chiffre qui pourrait être arrondi vers le bas pour se fixer à 5 unités ou vers le haut pour se fixer à 6 unités.

[163] La Cour fédérale était bien consciente de la complexité de la présente affaire et a déclaré que, [traduction] « par souci de simplicité », elle accordait à Hilton 9 000 $ pour les frais juridiques, en précisant que cette somme avait été calculée selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne III du tarif B. Dans ces circonstances, Miller Thomson ne m’a pas convaincue que la Cour fédérale avait commis une erreur de principe ou une erreur manifeste ou qu’elle avait calculé les frais juridiques selon un nombre d’unités qui n’était pas au milieu de la fourchette prévue à la colonne III du tarif B.

[164] En ce qui concerne l’attribution de 6 600 $ pour les débours, il est vrai que Hilton n’a pas fourni de ventilation détaillée des débours payés en son nom dans la présente affaire. Toutefois, comme l’a fait observer notre Cour dans l’arrêt Nova Chemicals Corporation c. Dow Chemical Company, 2017 CAF 25, [2017] A.C.F. no 173 (QL), les éléments de preuve dont dispose le juge chargé d’adjuger une somme globale n’ont pas à être « d’une ampleur comparable à celle qui serait exigée dans le cadre d’une taxation effectuée par un officier taxateur qui ne connaît pas bien le dossier » : au paragraphe 15. Notre Cour a ajouté qu’agir ainsi « irait à l’encontre de l’objet visé par l’adjudication d’une somme globale, à savoir épargner aux parties le temps et l’argent qui auraient par ailleurs été consacrés au processus de taxation ».

[165] Bien qu’il eût certainement été utile d’avoir plus de renseignements sur les débours, selon l’affidavit de l’auxiliaire juridique fourni par Hilton, des débours de 6 602,21 $ ont été payés en lien avec l’appel porté devant la Cour fédérale. À première vue, cette somme n’est pas exagérée pour une procédure de cette nature et, à la lumière de l’affidavit de l’auxiliaire juridique confirmant que les débours ont effectivement été payés, je ne suis pas convaincue que la Cour fédérale ait commis une erreur de principe ou une erreur manifeste dans sa décision sur les débours.

XI. Conclusion

[166] Étant donné ma conclusion selon laquelle la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en concluant qu’il y avait eu emploi de la marque WALDORF ASTORIA au Canada pendant la période pertinente ou en adjugeant les dépens en faveur de Hilton, je rejetterais l’appel regroupé. Conformément à l’entente conclue entre les parties, j’adjugerais à Hilton des dépens de 5 000 $ à l’égard du présent appel regroupé, ce qui inclut les débours et la TPS.

XII. L’appel incident

[167] L’appel principal de Miller Thomson ayant été rejeté, il est inutile d’examiner les questions soulevées dans l’appel incident de Hilton relativement à la modification du registre. Par conséquent, je rejetterais l’appel incident, sans dépens.

« Anne L. Mactavish »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Wyman W. Webb, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

D. G. Near, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste

COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

A-325-18 ET A-369-18

 

 

INTITULÉ :

MILLER THOMSON S.E.N.C.R.L., S.R.L. c. HILTON WORLDWIDE HOLDING LLP

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience tenue PAR VIDÉOCONFÉRENCE EN LIGNE, Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 juin 2020

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MACTAVISH

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :

Le 9 septembre 2020

 

COMPARUTIONS :

David M. Reive

Aiyaz A. Alibhai

 

Pour l’appelantE

 

Jonathan G. Colombo

Amrita V. Singh

 

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Miller Thomson S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

Pour l’appelantE

 

Bereskin & Parr, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

Pour l’intimée

 

 

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