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Date : 20201002


Dossier : A-102-20

Référence : 2020 CAF 155

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Présent :  LE JUGE WEBB

ENTRE :

DROITS DES VOYAGEURS

demandeur

et

OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

défendeur

Requête écrite décidée sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 2 octobre 2020.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE WEBB

 


Date : 20201002


Dossier : A-102-20

Référence : 2020 CAF 155

Présent :  LE JUGE WEBB

ENTRE :

DROITS DES VOYAGEURS

demandeur

et

OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

défendeur

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE WEBB

[1]  L’Office des transports du Canada (l’OTC) a déposé une requête en radiation de la demande de contrôle judiciaire déposée par l’organisme Droits des voyageurs. La demande de contrôle judiciaire vise deux déclarations publiées sur le site Web de l’OTC en réponse à la pandémie de COVID-19. Le « Message concernant les crédits » porte sur la situation découlant de l’annulation de vols. Il comprend le passage suivant :

L’Office des transports du Canada (OTC) examinera le bien-fondé de chaque situation précise qui lui sera présentée, mais il estime que, de façon générale, une solution qui serait convenable dans le contexte actuel serait que les compagnies aériennes fournissent aux passagers touchés des bons ou des crédits pour des vols futurs qui n’expireront pas dans un délai déraisonnablement court (un délai de 24 mois serait jugé raisonnable dans la plupart des cas).

[2]  La seconde déclaration faisant l’objet de la demande de contrôle judiciaire renvoie au Message concernant les crédits.

[3]  Après avoir déposé sa demande de contrôle judiciaire, Droits des voyageurs a présenté une requête en vue d’obtenir une ordonnance interlocutoire demandant le retrait des déclarations du site Web de l’OTC. Cette requête demandait également qu’il soit « interdit aux membres de l’OTC de traiter les plaintes des passagers concernant des remboursements au motif qu’il existe une crainte raisonnable de partialité de leur part du fait de ces déclarations publiques de l’Office » (Droits des voyageurs c. Office des transports du Canada, 2020 CAF 92, au paragraphe 3).

[4]  Dans sa décision rejetant la requête, la juge Mactavish a appliqué le critère relatif à l’injonction interlocutoire établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt RJR-Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, 1994 CanLII 117 (CSC).

[5]  Au paragraphe 16 de ses motifs concernant le rejet de cette requête, la juge Mactavish a fait observer que le critère auquel il faut satisfaire pour établir l’existence d’une question sérieuse à trancher est peu rigoureux. Au paragraphe 17, elle a affirmé ce qui suit :

Eu égard au caractère peu exigeant de ce critère, je présumerai que Droits des voyageurs a satisfait au volet du critère à remplir pour accorder une injonction interlocutoire qui concerne l’existence d’une question sérieuse à trancher, dans la mesure où ce groupe demande qu’il soit interdit aux membres de l’OTC de traiter les plaintes des voyageurs au motif qu’il existe une crainte raisonnable de partialité de leur part. En revanche, comme je l’expliquerai plus en détail dans les présents motifs, je ne suis pas convaincue que Droits des voyageurs ait satisfait sous ce rapport au volet du critère concernant le préjudice irréparable.

[6]  La juge Mactavish a également souligné que le critère est plus rigoureux dans le cas d’une demande d’injonction interlocutoire mandatoire enjoignant à une personne de prendre des mesures avant qu’il soit statué sur le fond de la demande principale. Elle a conclu que, dans ce cas, la partie sollicitant l’injonction doit établir une forte apparence de droit (au paragraphe 19).

[7]  Lorsqu’elle a examiné si Droits des voyageurs avait établi une forte apparence de droit, la juge MacTavish a affirmé ce qui suit :

22  Ce ne sont toutefois pas toutes les actions administratives qui donnent droit au contrôle judiciaire. Ainsi, il n’existe aucun droit de contrôle lorsque le comportement en litige ne porte pas atteinte à des droits, n’impose pas d’obligations juridiques ou n’entraîne pas d’effets préjudiciables : Canada (Attorney General) v. Democracy Watch, 2020 FCA 69, [2020] F.C.J. No. 498, au paragraphe 19. Voir également l’arrêt Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 153, [2019] 2 R.C.F. no 3, autorisation d’interjeter appel à la Cour suprême du Canada refusée, no 38379 (2 mai 2019); Démocratie en surveillance c. Commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, 2009 CAF 15, 86 Admin. L.R. (4th) 149.

23  À titre d’exemple, il a été établi que les bulletins d’information et les avis non contraignants formulés dans des décisions anticipées en matière d’impôt sur le revenu ne portent pas atteinte à des droits, n’imposent pas d’obligations juridiques ou n’entraînent pas d’effets préjudiciables : voir, par exemple, Air Canada c. Administration portuaire de Toronto et autre, 2011 CAF 347, 426 N.R. 131; Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national), [1998] 2 C.T.C. 176, 148 F.T.R. 3. Il convient de souligner que, dans son avis de demande, Droits des voyageurs lui-même mentionne que les déclarations de l’OTC [traduction] « ont pour effet de rendre une décision anticipée non sollicitée » quant à la manière dont l’OTC traitera les plaintes des voyageurs concernant le remboursement de vols annulés à cause de la pandémie.

[8]  Au paragraphe 27 de ses motifs, la juge Mactavish a formulé la conclusion suivante :

27  On ne peut donc pas conclure que les déclarations contestées portent atteinte à des droits, imposent des obligations juridiques ou entraînent des effets préjudiciables à Droits des voyageurs ou aux passagers aériens. Bien que cette conclusion soit suffisante pour statuer sur la requête en injonction mandatoire de Droits des voyageurs, je ne suis pas convaincue non plus, comme je l’explique ci-dessous, que Droits des voyageurs ait satisfait au volet du critère concernant le préjudice irréparable.

[9]  Droits des voyageurs n’a donc pas réussi à établir, relativement à sa requête en injonction mandatoire enjoignant à l’OTC de retirer les déclarations de son site Web, que ces déclarations « portent atteinte à des droits, imposent des obligations juridiques ou entraînent des effets préjudiciables à Droits des voyageurs ou aux passagers aériens ».

[10]  Après avoir tiré cette conclusion, la juge Mactavish a fait observer ce qui suit :

39  Comme il allègue que la demande de contrôle judiciaire de Droits des voyageurs ne porte pas sur une question pouvant faire l’objet d’un contrôle judiciaire, l’OTC soutient dans son mémoire des faits et du droit que la demande devrait être rejetée. À ce jour, toutefois, notre Cour n’a été saisie d’aucune requête visant à obtenir pareille réparation et, quoi qu’il en soit, toute requête en ce sens devrait être tranchée par une formation collégiale, et non par un juge siégeant seul. Par conséquent, je refuse de rendre l’ordonnance demandée.

[11]  En réaction à cette observation quant à l’absence de requête devant notre Cour sollicitant le rejet de la demande de contrôle judiciaire, l’OTC a déposé la présente requête en radiation de la demande.

[12]  Dans l’arrêt Canada (Revenu national) c. JP Morgan Asset Management (Canada) Inc., 2013 CAF 250 [JP Morgan], notre Cour a affirmé que le critère applicable à la radiation de demandes de contrôle judiciaire est rigoureux :

47  La Cour n’accepte de radier un avis de demande de contrôle judiciaire que s’il est « manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli » : David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (C.A.), à la page 600. Elle doit être en présence d’une demande d’une efficacité assez radicale, un vice fondamental et manifeste qui se classe parmi les moyens exceptionnels qui infirmeraient à la base sa capacité à instruire la demande : Rahman c. Commission des relations de travail dans la fonction publique, 2013 CAF 117, au paragraphe 7; Donaldson c. Western Grain Storage By‑Products, 2012 CAF 286, au paragraphe 6; Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959.

48  Il existe deux justifications d’un critère aussi rigoureux. Premièrement, la compétence de la Cour fédérale pour radier un avis de demande n’est pas tirée des Règles, mais plutôt de la compétence absolue qu’ont les cours de justice pour restreindre le mauvais usage ou l’abus des procédures judiciaires : David Bull, précitée, à la page 600; Canada (Revenu national) c. Compagnie d’assurance‑vie RBC, 2013 CAF 50. Deuxièmement, les demandes de contrôle judiciaire doivent être introduites rapidement et être instruites « à bref délai » et « selon une procédure sommaire » : Loi sur les Cours fédérales, précitée, au paragraphe 18.1(2) et à l’article 18.4. Une requête totalement injustifiée – de celles qui soulèvent des questions de fond qui doivent être avancées à l’audience – fait obstacle à cet objectif.

[13]  Le principal argument soulevé par Droits des voyageurs dans le mémoire qu’il a déposé dans le cadre de la présente requête est que le critère applicable à la possibilité d’exercer un recours en contrôle judiciaire a changé. Droits des voyageurs fait valoir que le critère fondé sur la question de savoir si la conduite d’un organisme administratif porte atteinte à des droits, impose des obligations juridiques ou entraîne des effets préjudiciables n’est plus applicable. Par conséquent, Droits des voyageurs soutient que la juge Mactavish a commis une erreur en fondant sa décision sur sa conclusion selon laquelle les déclarations visées n’avaient pas pour effet de porter atteinte à des droits, d’imposer des obligations juridiques ou d’entraîner des effets préjudiciables.

[14]  Droits des voyageurs fait valoir que notre Cour a affirmé ce qui suit dans l’arrêt Air Canada c. Administration portuaire de Toronto et al., 2011 CAF 347 [AC c. APT] :

28  La jurisprudence reconnaît qu’il y a de nombreuses situations où, en raison de sa nature ou de son caractère, la conduite d’un organisme administratif ne fait pas naître le droit de présenter une demande de contrôle judiciaire.

29  Une de ces situations est celle où la conduite attaquée dans une demande de contrôle judiciaire n’a pas pour effet de porter atteinte à des droits, d’imposer des obligations juridiques ni d’entraîner des effets préjudiciables : Irving Shipbuilding Inc. c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 116, [2010] 2 R.C.F. 488; Démocratie en surveillance c. Commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, 2009 CAF 15, (2009), 86 Admin. L.R. (4th) 149.

[15]  Toutefois, au paragraphe 49 de son mémoire, Droits des voyageurs affirme que la Cour suprême du Canada a modifié le critère à appliquer pour établir s’il y a possibilité d’exercer un recours en contrôle judiciaire :

[traduction]

En 2018, dans l’arrêt Highwood Congregation of Jehovah’s Witnesses (Judicial Committee) c. Wall, 2018 CSC 26, la Cour suprême a reformulé le critère applicable à la possibilité d’exercer un recours en contrôle judiciaire, de sorte qu’il s’agit maintenant de savoir si une mesure prise par un organisme administratif constitue l’exercice d’un pouvoir étatique et si l’exercice de ce pouvoir présente une nature suffisamment publique [le critère établi dans l’arrêt Wall].

[En gras dans l’original.]

[16]  Droits des voyageurs n’affirme pas explicitement qu’à son avis, la Cour suprême a indirectement infirmé l’arrêt de notre Cour AC c. APT, mais cet argument semble implicite dans ses observations dont le point culminant est la déclaration suivante, au paragraphe 63 de son mémoire :

[traduction]

Par conséquent, les formations de la Cour dans les arrêts Oceanex [Oceanex Inc. c. Canada (Transport), 2019 CAF 250] et Guérin [Guérin c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 272] ont conclu à bon droit que la possibilité d’exercer un recours en contrôle judiciaire visant la conduite d’organismes administratifs doit être établie en fonction du critère établi dans l’arrêt Wall.

[17]  L’OTC, pour sa part, est d’avis que le principe énoncé dans l’arrêt AC c. APT, selon lequel il n’y a pas de recours en contrôle judiciaire lorsque « la conduite attaquée dans une demande de contrôle judiciaire n’a pas pour effet de porter atteinte à des droits, d’imposer des obligations juridiques ni d’entraîner des effets préjudiciables », est toujours valide et n’a pas été infirmé par la Cour suprême. Par conséquent, puisque les déclarations en litige dans la demande de contrôle judiciaire en l’espèce n’ont pas pour effet de porter atteinte à des droits, d’imposer des obligations juridiques ou d’entraîner des effets préjudiciables, la demande de contrôle judiciaire devrait être radiée.

[18]  Il est important d’examiner ce qu’a dit chaque cour exactement. Le paragraphe pertinent de l’arrêt Highwood Congregation of Jehovah’s Witnesses (Judicial Committee) c. Wall, 2018 CSC 26 (Wall), est le paragraphe 14 :

Ce ne sont pas toutes les décisions qui sont susceptibles de contrôle judiciaire en vertu du pouvoir de surveillance d’une cour supérieure. Un tel recours est possible uniquement lorsqu’un pouvoir étatique a été exercé et que l’exercice de ce pouvoir présente une nature suffisamment publique. En effet, même les organismes publics prennent des décisions de nature privée — par exemple pour louer des locaux ou pour embaucher du personnel — et de telles décisions ne sont pas assujetties au pouvoir de contrôle des tribunaux : Air Canada c. Administration portuaire de Toronto, 2011 CAF 347, [2013] 3 R.C.F. 605, par. 52. L’organisme public qui prend des décisions de nature contractuelle « n’exerce pas un pouvoir central à la mission administrative que lui a attribuée le législateur », mais plutôt un pouvoir de nature privée (ibid.). Des décisions de la sorte ne soulèvent pas de préoccupations relatives à la primauté du droit, car, pour que cela soit le cas, il faut être en présence de l’exercice d’un pouvoir délégué.

[19]  Rien dans ce paragraphe n’indique que la Cour suprême infirme l’arrêt AC c. APT de notre Cour. Au contraire, dans le paragraphe cité, la Cour suprême renvoie précisément à cet arrêt, quoique pour un principe différent que celui invoqué en l’espèce. Si la Cour suprême avait souhaité que l’arrêt AC c. APT cesse de faire jurisprudence pour ce qui est du principe selon lequel une décision n’est pas susceptible de contrôle judiciaire si la conduite attaquée n’a pas pour effet de porter atteinte à des droits, d’imposer des obligations juridiques ou d’entraîner des effets préjudiciables, elle aurait vraisemblablement déclaré explicitement qu’elle infirmait cet arrêt.

[20]  En outre, il est important d’examiner le contexte dans lequel la Cour suprême a fait cette déclaration. La question en litige dans l’arrêt Wall est exposée au premier paragraphe de cette décision :

1.  La principale question en litige dans le présent pourvoi est celle de savoir si les tribunaux ont compétence pour contrôler les décisions d’organismes religieux qui soulèvent des préoccupations en matière d’équité procédurale et, si oui, dans quelles circonstances. En 2014, l’appelant, le Judicial Committee of the Highwood Congregation of Jehovah’s Witnesses (« Comité de discipline religieuse »), a excommunié l’intimé, Randy Wall, parce qu’il avait admis avoir eu une conduite pécheresse et qu’on avait estimé qu’il n’était pas suffisamment repentant. Un comité d’appel a confirmé la décision du Comité de discipline religieuse. M. Wall a présenté à la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta une demande introductive d’instance en contrôle judiciaire visant la décision d’excommunication dont il fait l’objet. La cour s’est d’abord demandé si elle avait compétence pour trancher la question. Tant le juge en cabinet qui a examiné la demande que les juges majoritaires en Cour d’appel ont conclu que les tribunaux avaient compétence et pouvaient statuer sur le fond de la demande de M. Wall.

[21]  La question en litige était donc de savoir si la décision prise par le Comité de discipline religieuse pouvait faire l’objet d’un contrôle judiciaire. La Cour suprême en est venue à la conclusion que cette décision n’était pas justiciable. Elle n’a pas conclu qu’une conduite donnée qui n’a pas pour effet de porter atteinte à des droits, d’imposer des obligations juridiques ou d’entraîner des effets préjudiciables pouvait néanmoins faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Dans l’arrêt Wall, M. Wall avait été excommunié par le Comité de discipline religieuse et, par conséquent, il avait été porté atteinte à ses droits.

[22]  Droits des voyageurs fait valoir que notre Cour, dans deux arrêts, a appliqué le critère établi dans l’arrêt Wall. Dans l’arrêt Oceanex Inc. c. Canada (Transport), 2019 CAF 250, la Cour a simplement noté que la Cour suprême avait récemment réexaminé le droit régissant le contrôle judiciaire et qu’elle avait mis l’accent sur le principe suivant :

[...] le contrôle judiciaire n’est possible que lorsque deux conditions sont remplies – « lorsqu’un pouvoir étatique a été exercé et que l’exercice de ce pouvoir présente une nature suffisamment publique » [...]

[Souligné dans l’original.]

[23]  Notre Cour n’a pas conclu qu’une décision serait susceptible de contrôle judiciaire dès qu’elle satisfait à ces deux conditions, sans égard au fait que la décision ou la conduite visée ait ou non pour effet de porter atteinte à des droits, d’imposer des obligations juridiques ou d’entraîner des effets préjudiciables.

[24]  Dans l’arrêt Guérin c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 272, on renvoie à l’arrêt Wall de la Cour suprême au paragraphe 65 : « Ce principe a récemment été réitéré par la Cour suprême dans Highwood Congregation of Jehovah’s Witnesses (Judicial Committee) c. Wall [...] » Le principe auquel notre Cour renvoyait était cité au paragraphe précédent : « Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême a clairement réaffirmé le principe selon lequel la relation de la Couronne avec ses employés est régie par le droit des contrats. » Le principe auquel notre Cour a renvoyé n’était pas celui concernant la possibilité d’exercer un recours en contrôle judiciaire, mais plutôt celui portant que la relation entre la Couronne et ses employés était régie par le droit des contrats.

[25]  Par conséquent, aucun de ces arrêts n’étaye la thèse avancée par Droits des voyageurs. Droits des voyageurs renvoie également à l’arrêt Wenham c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 199. Dans cet arrêt, notre Cour a affirmé ce qui suit :

36  Une demande peut être vouée à l’échec à l’une ou l’autre de ces trois étapes :

I.  Objections préliminaires. Une demande qui n’est pas autorisée par la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C., 1985, ch. F‑7, ou qui ne vise pas des questions de droit public peut être annulée dès le départ : JP Morgan, au paragraphe 68; Highwood Congregation of Jehovah’s Witnesses (Judicial Committee) c. Wall, 2018 CSC 26, [2018] 1 R.C.S. 750; Air Canada c. Administration portuaire de Toronto, 2011 CAF 347, [2013] 3 R.C.F. 605.

[26]  Notre Cour a affirmé que tant l’arrêt Wall de la Cour suprême que son arrêt AC c. APT fournissent un motif pouvant justifier le rejet d’une demande de contrôle judiciaire. Par conséquent, une demande de contrôle judiciaire peut être rejetée si elle ne satisfait pas au critère établi dans l’arrêt Wall ou si la décision ou la conduite visée n’a pas eu pour effet de porter atteinte à des droits, d’imposer des obligations juridiques ou d’entraîner des effets préjudiciables.

[27]  Rien n’étaye donc la thèse avancée par Droits des voyageurs, qui soutient que « lorsqu’un pouvoir étatique a été exercé et que l’exercice de ce pouvoir présente une nature suffisamment publique », l’exercice de ce pouvoir de nature publique est susceptible de contrôle judiciaire même si cet exercice n’a pas eu pour effet de porter atteinte à des droits, d’imposer des obligations juridiques ou d’entraîner des effets préjudiciables.

[28]  Toutefois, la conclusion de la juge Mactavish selon laquelle les déclarations visées n’avaient pas pour effet de porter atteinte à des droits, d’imposer des obligations juridiques ou d’entraîner des effets préjudiciables concernait la partie de la demande de contrôle judiciaire relative à la requête sollicitant une ordonnance enjoignant à l’OTC de retirer ces déclarations de son site Web.

[29]  Comme il a été mentionné plus haut, la juge Mactavish a affirmé qu’elle présumait que « Droits des voyageurs a satisfait au volet du critère à remplir pour accorder une injonction interlocutoire qui concerne l’existence d’une question sérieuse à trancher, dans la mesure où ce groupe demande qu’il soit interdit aux membres de l’OTC de traiter les plaintes des voyageurs au motif qu’il existe une crainte raisonnable de partialité de leur part ». Droits des voyageurs a été débouté de sa requête en injonction interlocutoire à cet égard à l’étape du préjudice irréparable, et non à l’étape de l’existence d’une question sérieuse à trancher. L’OTC n’a pas abordé cette distinction dans le mémoire des faits et du droit joint à son dossier de requête. Il a plutôt fait porter ses observations sur la conclusion de la juge Mactavish selon laquelle les déclarations visées n’avaient pas pour effet de porter atteinte à des droits, d’imposer des obligations juridiques ou d’entraîner des effets préjudiciables.

[30]  Après avoir reçu le dossier de requête de Droits des voyageurs, l’OTC a répondu à l’argument concernant la crainte raisonnable de partialité dans ses observations en réponse, qui étaient plus volumineuses que ses observations initiales.

[31]  Dans ses observations en réponse, l’OTC a affirmé ce qui suit :

[traduction]

13.  [Droits des voyageurs] demande à la Cour d’examiner des faits qui, selon lui, créent une crainte raisonnable de partialité pour les affaires à venir. Il n’existe aucun précédent pour ce type de demande. La marche à suivre est de soulever la question dans les affaires où une décision de [l’OTC] aurait pour effet de porter atteinte aux droits des parties.

14.  La décision de la juge Mactavish sur la requête en injonction interlocutoire confirme ce point de vue. La juge Mactavish a fait observer que les allégations relatives à une crainte de partialité ne peuvent être soulevées que dans les instances où il est porté atteinte aux droits d’une personne, comme dans l’arrêt E.A. Manning [E.A. Manning Ltd. v. Ontario Securities Commission, 18 O.R. (3d) 97, [1994] O.J. No. 1026] :

Même s’il s’avère ultérieurement que des membres de l’OTC ont de fait participé à l’élaboration de ces déclarations, l’argument de Droits des voyageurs pourrait être invoqué dans le contexte d’une plainte réelle déposée par un voyageur, et toute crainte de partialité pourrait alors être examinée dans ce contexte. Le cas échéant, le plaignant pourrait ensuite demander réparation devant notre Cour s’il n’est pas convaincu d’avoir eu droit à une instruction équitable.

[32]  Toutefois, ces observations de la juge Mactavish, qui se trouvent au paragraphe 36 de ses motifs, concernent le volet du préjudice irréparable du critère établi dans l’arrêt RJR-MacDonald, et non la question de savoir si la demande de contrôle judiciaire soulevait une question sérieuse à juger liée à l’affaire. L’absence de précédent ne doit pas nécessairement mener à la conclusion que la demande de contrôle judiciaire doit être radiée. L’OTC n’a pas non plus été en mesure de citer un précédent qui étayait clairement sa thèse selon laquelle cette partie de la demande de contrôle judiciaire est « manifestement irréguli[ère] au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli[e] » (David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588, à la page 600, 1994 CanLII 3529 (C.A.F.)).

[33]  Les arguments sur la crainte raisonnable de partialité doivent être présentés lorsqu’est entendue la demande de contrôle judiciaire, et non dans des observations en réponse à une requête en radiation de la demande de contrôle judiciaire. Il ne faut pas empêcher Droits des voyageurs de présenter ses arguments seulement parce qu’il n’existe pas de précédent.

[34]  Par conséquent, je rejetterais la présente requête en radiation de la demande de contrôle judiciaire. Les dépens de la présente requête suivront l’issue de l’instance.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-102-20

INTITULÉ :

DROITS DES VOYAGEURS c. OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

REQUÊTE ÉCRITE DÉCIDÉE SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE WEBB

DATE DES MOTIFS :

Le 2 OCTOBRE 2020

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Simon Lin

Pour le demandeur

Allan Matte

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Evolink Law Group

Burnaby (Colombie-Britannique)

Pour le demandeur

Direction des services juridiques

Office des transports du Canada

Gatineau (Québec)

Pour le défendeur

 

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