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Date : 20201008


Dossier : A-84-19

Référence : 2020 CAF 168

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE LASKIN

LA JUGE RIVOALEN

 

ENTRE :

 

 

RONALD VAN DER STEEN

 

 

appelant

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

intimée

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 15 septembre 2020.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 8 octobre 2020.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LASKIN

LA JUGE RIVOALEN

 


Date : 20201008


Dossier : A-84-19

Référence : 2020 CAF 168

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE LASKIN

LA JUGE RIVOALEN

 

ENTRE :

 

 

RONALD VAN DER STEEN

 

 

appelant

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE WEBB

[1] M. van der Steen interjette appel devant notre Cour d’un jugement de la Cour canadienne de l’impôt (2019 CCI 23), qui a rejeté sa demande de crédit d’impôt pour don de bienfaisance relativement à un paiement versé à la Canadian Literacy Enhancement Society (la CLES) en 2004. La Cour canadienne de l’impôt a conclu que M. van der Steen n’avait pas établi qu’il avait l’intention libérale requise lorsqu’il a fait ce paiement.

[2] Pour les motifs qui suivent, je rejetterais le présent appel.

I. Les faits

[3] M. van der Steen est avocat. En 2004, il exerçait le droit en tant qu’associé d’une société de personnes. Cette année-là, il détenait de 165 000 $ à 265 000 $ environ dans son régime enregistré d’épargne-retraite (REER). Il a décidé qu’il voulait retirer au moins 100 000 $ de ce REER.

[4] Pour établir comment il pourrait effectuer ce retrait d’une manière avantageuse sur le plan fiscal, M. van der Steen s’est entretenu avec Steve Reynolds, qui était l’une des personnes engagées dans la création de la CLES. M. Reynolds lui a conseillé de faire don à la CLES de la totalité de la somme retirée du REER. Parce que Union Securities Ltd, la société détentrice du REER, avait retenu un montant au titre de l’impôt sur le revenu sur le paiement qui a été fait à M. van der Steen, ce dernier a emprunté de l’argent à une banque pour remplacer les fonds retenus à la source. Il a ainsi été en mesure de verser à la CLES un paiement excédant en réalité la somme brute qu’il avait retirée de son REER.

[5] Au paragraphe 13 de ses motifs, le juge de la Cour canadienne de l’impôt a cité l’intention déclarée par M. van der Steen pour expliquer le paiement à la CLES :

[traduction]

[…] faire un don et maximiser le rendement de ce que je peux obtenir dans une déclaration de revenus pour avoir retiré de l’argent de mon REER.

[6] La Couronne soutient en l’espèce que M. van der Steen, avant de faire le paiement, s’était vu promettre un paiement (qualifié de « ristourne ») en contrepartie de son paiement à la CLES. La promesse d’un tel paiement supplémentaire ou d’une telle ristourne signifierait que M. van der Steen n’avait pas d’intention libérale.

[7] En raison des types d’investissements qu’il détenait dans son REER, M. van der Steen a retiré la somme de 64 829,52 $ de son REER. Bien que le juge de la Cour canadienne de l’impôt indique que la somme retirée s’élevait à 64 854,52 $, ce dernier montant représentait le crédit demandé par M. van der Steen (onglet 21 du dossier d’appel). D’après la copie du feuillet T4RSP qui figure au dossier et la copie de la déclaration de revenus de M. van der Steen pour 2004, la somme effectivement retirée était de 64 829,52 $. M. van der Steen a également effectué un paiement de 65 000 $ à la CLES au cours de cette même année.

[8] Sa demande de crédit d’impôt pour don de bienfaisance fondée sur le paiement de 65 000 $ à la CLES a été rejetée et des pénalités pour faute lourde ont été imposées.

II. La décision de la Cour canadienne de l’impôt

[9] Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a conclu qu’il incombait à M. van der Steen de prouver qu’il avait l’intention libérale requise lorsqu’il a effectué le paiement à la CLES. Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a mentionné, au paragraphe 61 de sa décision, que plusieurs circonstances l’amenaient à rechercher si M. van der Steen avait établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il « avait l’intention de s’appauvrir dans toute la mesure de son don de 65 000 $ ». Une de ces circonstances, à l’alinéa 61a), est la déclaration de M. van der Steen selon laquelle il avait conclu qu’il y avait « peu de logique d’épargner dans son REER pour la retraite » et que c’était la raison pour laquelle il avait choisi de retirer une somme importante en 2004. Toutefois, comme l’a fait observer le juge de la Cour canadienne de l’impôt, en 2007, 2008, 2009, 2012 et 2014, M. van der Steen a versé des cotisations à son REER, dont des cotisations de 29 908 $ en 2007 et de 21 909 $ en 2008.

[10] Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a également formulé des observations concernant le témoignage de M. van der Steen à l’alinéa 61b). Il a noté que « M. van der Steen sembl[ait] appuyer vite sur la détente quant à certaines de ses dénégations ».

[11] À l’alinéa 61d), le juge de la Cour canadienne de l’impôt a également noté que le paiement de 65 000 $ effectué par M. van der Steen à la CLES en 2004 détonnait par rapport aux dons qu’il avait effectués dans les années précédentes et subséquentes. Au paragraphe 14 de ses motifs, le juge de la Cour canadienne de l’impôt a dressé la liste des sommes versées par M. van der Steen à des organismes de bienfaisance enregistrés de 1987 à 2014. Si l’on exclut la somme déclarée en 2004, le don le plus important que M. van der Steen ait fait au cours d’une année donnée était de 2 803 $ en 2003. De 1987 à 2014 (exception faite de 2004), il n’y a eu que trois années (2002, 2003 et 2005) au cours desquelles M. van der Steen a donné plus de 2 000 $ à des organismes de bienfaisance enregistrés. Le paiement de 65 000 $ à la CLES en 2004 représentait plus de 23 fois le montant total qu’il avait versé à l’ensemble des organismes de bienfaisance en 2003, l’année où le total des dons de bienfaisance qu’il avait effectués était le plus élevé de toutes les années énumérées (à l’exception de 2004).

[12] Par conséquent, le juge de la Cour canadienne de l’impôt a conclu ce qui suit, au paragraphe 62 de ses motifs :

[...] M. van der Steen n’a pas réussi à prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il ne s’attendait pas à recevoir une ristourne et qu’il avait l’intention de s’appauvrir dans toute la mesure des 65 000 $ versés.

[13] Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a accueilli l’appel de M. van der Steen concernant l’imposition de la pénalité pour faute lourde et la Couronne n’a pas interjeté appel de cette décision.

III. Les questions en litige et la norme de contrôle

[14] L’appelant a soulevé plusieurs questions dans son mémoire :

  1. l’admissibilité de témoignages de tiers;

  2. les hypothèses du ministre et le fardeau de la preuve;

  3. l’intention libérale de M. van der Steen;

  4. les retards et l’équité.

[15] En ce qui concerne l’aspect de ces questions qui porte sur une conclusion de fait ou une conclusion mixte de fait et de droit rendue par le juge de la Cour canadienne de l’impôt, la norme de contrôle applicable est celle de l’erreur manifeste et dominante. Pour ce qui est de l’aspect de ces questions soulevant une question de droit ou une question de droit isolable d’une question mixte de fait et de droit, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33).

IV. Analyse

[16] Les questions en litige soulevées par M. van der Steen seront examinées dans l’ordre où elles sont présentées dans son mémoire des faits et du droit.

A. L’admissibilité de témoignages de tiers

[17] M. van der Steen a fait valoir que l’affidavit de Mme Harvey daté du 1er mars 2016, ainsi que les pièces jointes, n’aurait pas dû être admis en preuve par le juge de la Cour canadienne de l’impôt. Mme Harvey était agente des litiges à l’Agence du revenu du Canada. Toutefois, M. van der Steen n’a pas inclus cet affidavit dans son dossier d’appel. Il a plutôt inclus un autre affidavit de Mme Harvey, daté du 21 janvier 2016. Quoi qu’il en soit, la Couronne, au paragraphe 64 de son mémoire, a noté que [traduction] « [d]ans son affidavit du 1er mars 2016, B. Harvey présente l’historique des nouvelles cotisations de l’appelant et expose en détail la nouvelle cotisation supplémentaire imposant la pénalité pour faute lourde ». Comme il est indiqué plus haut, l’imposition de la pénalité pour faute lourde n’est plus contestée puisque le juge de la Cour canadienne de l’impôt a annulé la nouvelle cotisation établissant cette pénalité et que la Couronne n’a pas appelé de cette décision.

[18] De plus, M. van der Steen a déclaré, à l’audience concernant le présent appel, qu’il ne s’opposait pas au contenu de l’affidavit du 1er mars 2016. Il s’opposait uniquement au moment auquel l’affidavit a été produit. Il a déclaré qu’il n’avait pas eu le temps de contre-interroger Mme Harvey avant le début de l’audience devant la Cour canadienne de l’impôt. Il a mentionné que le juge de la Cour canadienne de l’impôt avait proposé d’ajourner l’audience pour lui donner le temps de contre-interroger Mme Harvey. Toutefois, M. van der Steen a préféré que l’audience se tienne sans plus attendre.

[19] Il n’y a aucune raison que notre Cour intervienne dans la décision d’admettre en preuve l’affidavit de Mme Harvey.

[20] L’autre objection de M. van der Steen à l’admission du témoignage d’un tiers visait les témoins entendus au sujet de la CLES et des promesses qui avaient été faites à d’autres personnes qui avaient effectué des paiements à la CLES. Plus précisément, M. van der Steen s’est opposé au témoignage de M. Saran, qui a déclaré avoir fait des paiements à la CLES en s’attendant à ce qu’une partie importante de son « don » lui soit restituée.

[21] Toutefois, il ressort clairement du paragraphe 36 des motifs du juge de la Cour canadienne de l’impôt qu’il avait estimé que le témoignage de M. Saran n’était « ni pertinent ni admissible afin d’établir, directement ou indirectement, que M. van der Steen a fait un paiement à la CLES dans des circonstances semblables à celles de M. Saran ». De plus, lorsque le juge de la Cour canadienne de l’impôt a exposé les circonstances qu’il jugeait pertinentes (énoncées au paragraphe 61 de ses motifs), il n’a fait aucun renvoi aux témoignages de tiers. Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a seulement fait référence au témoignage de M. van der Steen et à ses dossiers fiscaux.

[22] Il n’y a aucune raison de modifier la conclusion du juge de la Cour canadienne de l’impôt relativement à l’admissibilité des témoignages de tiers.

B. Les hypothèses du ministre et le fardeau de la preuve

[23] Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a conclu qu’il incombait à M. van der Steen de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il était animé de l’intention libérale requise.

[24] Au paragraphe 2 de son avis d’appel modifié à la Cour canadienne de l’impôt, déposé le 28 mars 2014, M. van der Steen a déclaré ce qui suit :

[traduction]

En 2004, l’appelant a fait un don à la Canadian Literacy Enhancement Society (ci-après « CLES ») de 65 000,00 $ (soixante-cinq mille dollars et zéro cent).

[25] Au paragraphe 7 de la réponse à l’avis d’appel modifié, déposée le 7 avril 2014, la Couronne a nié le fait allégué au paragraphe 2 de l’avis d’appel modifié.

[26] Dans l’arrêt Eisbrenner c. Canada, 2020 CAF 93, notre Cour a confirmé que le contribuable qui plaide un fait donné dans son avis d’appel devant la Cour canadienne de l’impôt a le fardeau de prouver ce fait selon la prépondérance des probabilités lorsque la Couronne le nie. M. van der Steen aurait su s’il avait l’intention libérale requise pour que son versement de 65 000 $ à la CLES soit reconnu comme étant un don de bienfaisance.

[27] Le juge de la Cour canadienne de l’impôt n’a pas commis d’erreur en concluant qu’il incombait à M. van der Steen de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il avait l’intention libérale requise.

C. L’intention libérale de M. van der Steen

[28] À l’audience concernant le présent appel, M. van der Steen a continué d’insister sur le fait que son intention, en effectuant les opérations en cause, était de mettre en place un [traduction] « plan fiscal » qui lui permettrait de retirer des fonds de son REER et de conserver de l’argent pour son usage personnel. Essentiellement, il a soutenu que le fait qu’il ait déclaré avoir une intention libérale devrait suffire à lui permettre d’obtenir gain de cause dans le présent appel et que, par conséquent, le juge de la Cour canadienne de l’impôt n’a pas accordé suffisamment de poids à l’intention qu’il a déclarée.

[29] Comme l’a noté le juge de la Cour canadienne de l’impôt, la déclaration du contribuable quant à ses intentions doit être examinée à la lumière de toutes les circonstances. Au paragraphe 53 de ses motifs, le juge de la Cour canadienne de l’impôt a renvoyé au passage suivant de l’arrêt Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695, à la page 736, 1993 CanLII 55 :

Comme dans d’autres domaines du droit, lorsqu’il faut établir l’objet ou l’intention des actes, on ne doit pas supposer que les tribunaux se fonderont seulement, en répondant à cette question, sur les déclarations du contribuable, ex post facto ou autrement, quant à l’objet subjectif d’une dépense donnée. Ils examineront plutôt comment l’objet se manifeste objectivement, et l’objet est en définitive une question de fait à trancher en tenant compte de toutes les circonstances.

[30] Dans l’arrêt récent MacDonald c. Canada, 2020 CSC 6, la Cour suprême du Canada a également fait observer ce qui suit :

43 Le témoignage ex-post facto de M. MacDonald quant à ses intentions ne saurait supplanter les manifestations d’un objet différent qui ressort objectivement du dossier.

[31] Il ressort clairement de la décision du juge de la Cour canadienne de l’impôt qu’il a examiné les intentions déclarées par M. van der Steen en tenant compte des éléments de preuve objectifs qui contredisaient ces intentions déclarées. Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a conclu que la simple déclaration de M. van der Steen quant à ses intentions ne suffisait pas, compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire, pour établir qu’il avait l’intention libérale requise.

[32] L’examen des conséquences fiscales découlant du [traduction] « plan fiscal » de M. van der Steen étaye également la conclusion du juge de la Cour canadienne de l’impôt.

[33] M. van der Steen a déclaré qu’il avait eu l’intention de retirer les fonds d’une manière fiscalement avantageuse et dans le but qu’il lui reste de l’argent pour son usage personnel. Pour ce faire, il a retiré la somme brute de 64 829,52 $ de son REER et a versé 65 000 $ à la CLES. Sans qu’il soit tenu compte des conséquences fiscales, la somme nette qu’il aurait obtenue par suite de ces deux opérations est un déficit de 170,48 $. Par conséquent, les seuls fonds dont il disposerait pour ses dépenses personnelles proviendraient de la différence entre l’impôt qui serait dû après la prise en compte de la somme retirée de son REER et le crédit d’impôt qui résulterait du don de bienfaisance de 65 000 $.

[34] Seuls les tableaux de l’impôt fédéral de 2004 sont inclus dans le dossier. Par conséquent, l’analyse fiscale sera d’abord effectuée par rapport à l’impôt fédéral net à payer. Selon l’annexe 1 de la déclaration de revenus de M. van der Steen pour 2004, pour des revenus supérieurs à 70 000 $, mais ne dépassant pas 113 804 $, le taux d’imposition fédéral était de 26 % et, pour des revenus supérieurs à 113 804 $, le taux d’imposition fédéral applicable était de 29 %.

[35] Les autres revenus de M. van der Steen en 2004 s’élevaient à 77 305,93 $ et ses déductions dans le calcul de son revenu net étaient de 7 170,31 $. Il n’a pas bénéficié d’autres déductions dans le calcul de son revenu imposable. Comme son revenu imposable total en 2004 était de 134 965,14 $ (comme il est indiqué dans sa déclaration de revenus), son revenu imposable, avant que soit prise en compte la somme retirée du REER, était de 70 135,62 $ (134 965,14 $ - 64 829,52 $).

[36] Par conséquent, la partie des 64 829,52 $ retirés du REER qui ferait passer le revenu imposable de 70 135,62 $ à 113 804 $ (43 668,38 $) aurait été imposée à 26 % et la partie restante (21 161,14 $) aurait été imposée à 29 % :

[VIDE]

Somme

Taux d’imposition

Impôt fédéral sur le revenu

Somme imposée à 26 %

43 668,38 $

26 %

11 353,78 $

Somme imposée à 29 %

21 161,14 $

29 %

6 136,73 $

Total

64 829,52 $

[vide]

17 490,51 $

[37] Le total de l’impôt fédéral à payer après que soit pris en compte le retrait de 64 829,52 $ du REER de M. van der Steen en 2004 s’élevait à 17 490,51 $.

[38] Un don de bienfaisance d’un montant supérieur à 200 $ en 2004 donnait droit à un crédit d’impôt non remboursable égal à 29 % de ce don. Étant donné que M. van der Steen avait fait en 2004 d’autres dons de bienfaisance, reconnus comme tels, dépassant 200 $, un don de 65 000 $ aurait donné droit à un crédit d’impôt fédéral non remboursable de 18 850 $ (65 000 $ x 29 %).

[39] La somme dont M. van der Steen aurait disposé pour ses dépenses personnelles, une fois prises en compte les conséquences fiscales fédérales, aurait été la suivante :

Somme retirée du REER :

64 829,52 $

Somme versée à la CLES :

(65 000,00 $)

Impôt fédéral payé sur la somme retirée du REER :

(17 490,51 $)

Crédit d’impôt fédéral non remboursable pour un don de bienfaisance de 65 000 $ :

18 850,00 $

Somme nette :

1 189,01 $

[40] Bien que le tableau de l’impôt provincial ne soit pas inclus dans le dossier, je peux prendre connaissance d’office de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.O. 1990, ch. I.2, dans sa version en vigueur en 2004. Le paragraphe 4(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu de l’Ontario disposait que, pour les années d’imposition se terminant après le 31 décembre 1999, le taux d’imposition le plus élevé s’appliquait aux revenus imposables supérieurs à 60 009 $. Le revenu imposable était défini à l’article 1 comme étant le revenu imposable au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (la Loi). Le montant de 60 009 $ constituant la limite inférieure de la tranche d’imposition la plus élevée a été ajusté chaque année, après 1999, en fonction de l’indice des prix à la consommation (article 4.0.2). En 2004, le taux d’imposition le plus élevé s’appliquait aux revenus imposables excédant 66 752 $ (selon les formulaires publiés par l’Agence du revenu du Canada).

[41] D’après le paragraphe 4.0.1(24) de la Loi de l’impôt sur le revenu de l’Ontario, le crédit pour les dons de bienfaisance supérieurs à 200 $ était égal au taux d’imposition le plus élevé, multiplié par le montant du don de bienfaisance. Étant donné, comme je l’ai mentionné plus haut, que le revenu imposable de M. van der Steen avant que soit prise en compte la somme retirée du REER était de 70 135,62 $, tous les revenus supplémentaires résultant du retrait auraient été imposés au taux d’imposition le plus élevé prévu par la Loi de l’impôt sur le revenu de l’Ontario. Le crédit pour dons de bienfaisance aurait également été fondé sur le taux d’imposition le plus élevé, mais il aurait simplement compensé l’impôt sur le revenu de l’Ontario que M. van der Steen aurait dû payer en plus à cause de la somme retirée du REER, de sorte que M. van der Steen n’aurait conservé aucun montant d’argent supplémentaire en raison des conséquences fiscales provinciales. Au contraire, étant donné que la Loi sur l’impôt sur le revenu de l’Ontario prévoyait également une contribution-santé de l’Ontario (articles 2.2 et 3.1) qui était calculée en fonction du revenu imposable du particulier, M. van der Steen aurait dû débourser le montant de cette contribution-santé supplémentaire de l’Ontario puisque la somme retirée du REER avait augmenté son revenu imposable sans que ce dernier soit réduit par le crédit d’impôt non remboursable pour don de bienfaisance.

[42] Par conséquent, le seul montant que M. van der Steen aurait conservé pour son usage personnel à la suite du retrait de 64 829,52 $ de son REER et du don de bienfaisance de 65 000 $ aurait été inférieur à 1 189,01 $. Étant donné que l’objectif déclaré de M. van der Steen était de [traduction] « maximiser le rendement de ce [qu’il pourrait] obtenir dans une déclaration de revenus pour avoir retiré de l’argent de [son] REER », il ne semble pas logique qu’il retire plus de 64 000 $ de son REER pour conserver moins de 2 % de cet argent pour son usage personnel. La promesse d’une somme supplémentaire qui lui serait versée serait plus conforme à son intention déclarée de [traduction] « maximiser le rendement ».

[43] Lorsque la question du montant d’argent relativement faible que M. van der Steen conserverait à la suite de ses opérations consistant à retirer une somme de son REER et à en faire don à un organisme de bienfaisance a été soulevée à l’audience sur le présent appel, la seule réponse fournie par M. van der Steen a été que ce n’était pas lui qui avait fait ce type d’analyse. Cette explication n’est pas suffisante étant donné que la somme retirée de son REER représentait un pourcentage important du montant d’argent détenu dans celui-ci et un pourcentage important (plus de 80 %) de ses autres revenus en 2004.

[44] Il ne semble pas non plus logique que M. van der Steen retire un pourcentage important de son REER (entre 24 % et 39 %, selon la fourchette de 165 000 $ à 265 000 $ représentant la valeur estimée des actifs de son REER) et le donne à un organisme dont il sait très peu de choses. M. van der Steen n’a fourni aucune raison satisfaisante qui expliquerait pourquoi il aurait tout donné à cet organisme de bienfaisance en particulier s’il avait simplement l’intention retirer de l’argent de son REER et de le donner à un organisme de bienfaisance enregistré.

[45] Il n’y a aucun motif de modifier la conclusion du juge de la Cour canadienne de l’impôt selon laquelle M. van der Steen n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il avait l’intention libérale requise relativement aux 65 000 $ versés à la CLES pour que ce paiement soit reconnu comme étant un don de bienfaisance.

D. Les retards et l’équité

[46] M. van der Steen n’a établi l’existence d’aucun retard ou manquement à l’équité qui justifierait notre intervention. Il soutient qu’un laps de temps important s’est écoulé entre la date à laquelle il a produit son avis d’opposition, le 28 mai 2008, et celle à laquelle la nouvelle cotisation a été confirmée, le 12 septembre 2012. Toutefois, M. van der Steen n’était pas obligé d’attendre la réception de l’avis de confirmation pour déposer un appel devant la Cour canadienne de l’impôt. Il aurait pu le faire après l’expiration de la période de 90 jours suivant la date à laquelle il avait signifié son avis d’opposition (paragraphe 169(1) de la Loi). Puisqu’il a choisi d’attendre une réponse du ministre plutôt que d’interjeter appel, il ne peut pas se plaindre aujourd’hui du temps qui s’est écoulé avant que la Cour canadienne de l’impôt entende l’affaire.

[47] Comme l’a fait observer notre Cour dans l’arrêt Main Rehabilitation Co. c. Canada, 2004 CAF 403 :

6 Quoi qu’il en soit, il est également évident et manifeste que la Cour de l’impôt n’a pas compétence pour statuer qu’un avis de cotisation est nul parce qu’il constitue un abus de procédure reconnu en common law ou en violation de l’article 7 de la Charte.

7 Comme le signale à juste titre le juge la Cour de l’impôt, même si cette cour a compétence pour suspendre une procédure constituant un abus de ses procédures (voir à titre d’exemple Yacyshyn c. Canada, 1999 D.T.C. 5133 (C.A.F.)), il est de jurisprudence constante qu’on ne peut tenir compte des actions de l’ADRC dans le cadre d’appels interjetés à l’encontre d’un avis de cotisation.

8 Il en est ainsi parce que l’appel interjeté sur le fondement de l’article 169 met en cause la validité de la cotisation et non du processus ayant conduit à l’établir (voir à titre d’exemple Canada c. The Consumers’ Gas Company Ltd., 87 D.T.C. 5008 (C.A.F.), à la page 5012). Autrement dit, il ne s’agit pas de déterminer si les fonctionnaires de l’ADRC ont correctement exercé leurs pouvoirs, mais plutôt de déterminer si les montants pouvaient valablement être cotisés sous le régime de la Loi (Ludco Enterprises Ltd. c. R., [1996] 3 C.T.C. 74 (C.A.F.), à la page 84).

[48] C’est la validité de la nouvelle cotisation par laquelle le ministre a refusé le crédit d’impôt non remboursable pour dons de bienfaisance demandé par M. van der Steen pour son paiement de 65 000 $ à la CLES qui était en litige devant la Cour canadienne de l’impôt, et non les actes de l’Agence du revenu du Canada ou du ministre. Les arguments de M. van der Steen relatifs aux retards et à l’équité sont sans fondement.

V. Conclusion

[49] Je rejetterais l’appel. Après l’audience concernant l’appel, les parties ont produit une lettre dans laquelle elles indiquaient avoir convenu que des dépens de 2 400 $ seraient à payer à la partie obtenant gain de cause. J’adjugerais donc des dépens de 2 400 $ à l’intimée.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

« Je souscris à ces motifs.

J.B. Laskin, j.c.a. »

« Je souscris à ces motifs.

Marianne Rivoalen, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UN JUGEMENT DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT DATÉ DU 23 JANVIER 2019, RÉFÉRENCE NO 2019 CCI 23 (DOSSIER NO 2012-4731(IT)G)

DOSSIER :

A-84-19

 

INTITULÉ :

RONALD VAN DER STEEN c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 septembre 2020

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LASKIN

LA JUGE RIVOALEN

DATE DES MOTIFS :

Le 8 octobre 2020

COMPARUTIONS :

Alec McLennan

Pour l’appelant

Nadine Taylor Pickering

Pour l’intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McLennan & Associates

Oakville (Ontario)

Pour l’appelant

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimée

 

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