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Date : 20201015


Dossier : A-296-19

Référence : 2020 CAF 171

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NEAR

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

IMPEX SOLUTIONS INC.

intimée

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 14 septembre 2020.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 15 octobre 2020.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LEBLANC

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LE JUGE DE MONTIGNY

 


Date : 20201015


Dossier : A-296-19

Référence : 2020 CAF 171

CORAM :

LE JUGE NEAR

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

IMPEX SOLUTIONS INC.

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LEBLANC

[1] La Cour est saisie de l’appel, interjeté en vertu de l’article 68 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), c. 1 (2e suppl.) (la Loi), d’une décision du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal), datée du 27 mai 2019, concernant le classement tarifaire des couvre-chaussures jetables (modèle no KBCP525) importés par l’intimée (appel no AP-2017-065).

[2] Le Tribunal a conclu que les marchandises en cause devaient être classées dans le numéro tarifaire 3926.20.95 de l’Annexe du Tarif des douanes, L.C. 1997, c. 36 (Annexe du Tarif) à titre d’autres vêtements et accessoires de vêtements, de matières plastiques combinées à des nontissés, plutôt que dans le numéro tarifaire 6307.90.99, qui s’applique aux autres articles confectionnés, y compris les patrons de vêtements, d’autres matières textiles, comme l’avait déterminé l’autorité taxatrice, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC).

I. Résumé des faits

[3] Les marchandises en question ont été importées en 2015 et 2016 dans le numéro tarifaire 6307.90.99. Ce classement était conforme au rapport de vérification de l’observation commerciale de l’ASFC du 16 avril 2014. Le tarif applicable est de 18 %.

[4] Au début de 2017, l’intimée, en vertu des paragraphes 59(1) et 60(1) de la Loi, a demandé la révision puis le réexamen de cette décision, en vain. Elle faisait valoir que les marchandises en cause devaient être classées dans le numéro tarifaire 3926.20.95. Les marchandises importées dans cette catégorie sont visées par un tarif de 6,5 %.

[5] Les parties conviennent que les marchandises en cause sont composées d’une couche de polypropylène (PP) filé-lié thermolié, une matière textile, laminée sur un côté à une feuille de polyéthylène chloré (PE-C), une matière plastique. Selon le dossier, ces marchandises « sont fabriquées à partir d’une découpe rectangulaire du matériau pliée dans le sens de la longueur et dont les extrémités les plus courtes sont thermoscellées », et sont « conçues pour être portées sur les chaussures et sont utilisées dans les salles blanches, la transformation alimentaire, l’immobilier, la santé, la construction, la fabrication, l’industrie énergétique et la recherche et le développement » (décision du Tribunal, aux para. 12 et 13).

[6] Avant d’aborder les particularités de l’affaire, il est utile de rappeler le contexte des décisions de classement tarifaire.

[7] Le Tarif des douanes met en œuvre les obligations du Canada prévues à la Convention internationale sur le Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises (la Convention). La Convention a pour principal objet de fournir un système de classification normalisé aux États parties afin de « favorise[r] la stabilité et la prévisibilité en matière de classement à l’échelle internationale » tout en permettant aux États parties d’établir leurs propres taux de droits de douane « selon leurs propres obligations commerciales internationales » (Canada (Procureur général) c. Igloo Vikski Inc., 2016 CSC 38, [2016] 2 R.C.S. 80, au para. 4 (Igloo Vikski)).

[8] La Convention énonce ainsi des règles d’interprétation, comme en témoignent les articles 10 et 11 du Tarif des douanes, qui intègrent ces règles dans le droit interne canadien :

Dispositions générales

General

[…]

Classement des marchandises dans la liste des dispositions tarifaires

Classification of goods in the List of Tariff Provisions

 

10. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le classement des marchandises importées dans un numéro tarifaire est effectué, sauf indication contraire, en conformité avec les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé et les Règles canadiennes énoncées à l’annexe.

 

10. (1) Subject to subsection (2), the classification of imported goods under a tariff item shall, unless otherwise provided, be determined in accordance with the General Rules for the Interpretation of the Harmonized System and the Canadian Rules set out in the schedule.

 

[…]

Interprétation de la liste des dispositions tarifaires

 

Interpretation

11. Pour l’interprétation des positions et sous-positions, il est tenu compte du Recueil des Avis de classement du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises et des Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises et de leurs modifications, publiés par le Conseil de coopération douanière (Organisation mondiale des

douanes).

11. In interpreting the headings and subheadings, regard shall be had to the Compendium of Classification Opinions to the Harmonized Commodity Description and Coding System and the Explanatory Notes to the Harmonized Commodity Description and Coding System, published by the Customs Co-operation Council (also known as the World Customs Organization), as amended from time to time.

[9] Le Système harmonisé visé au paragraphe 10(1) présente une classification à huit chiffres divisée en sections et en chapitres, chaque chapitre énumérant les marchandises visées par les positions et sous-positions associées à un numéro tarifaire précis. Son fonctionnement est expliqué en ces termes dans l’arrêt Igloo Vikski (au para. 5) :

[...] [Ce système] procède, au sein des diverses sections de l’annexe, du général au spécifique, soit des chapitres aux positions, sous‑positions et numéros tarifaires. Par exemple, dans la section I (« Animaux vivants et produits du règne animal »), se trouve le numéro tarifaire 0302.13.40 qui s’applique au saumon rouge frais ou réfrigéré. Les deux premiers chiffres du numéro tarifaire (03) indiquent que l’article relève du chapitre 3 (« Poissons et crustacés, mollusques et autres invertébrés aquatiques »); les quatre premiers (03.02) correspondent à la position « Poissons frais ou réfrigérés, à l’exception des filets de poissons et autre chair de poissons [...] »; les six premiers chiffres (0302.13) correspondent à la sous‑position « Saumons du Pacifique »; le numéro tarifaire à huit chiffres correspond à la marchandise spécifique (« Rouge »).

[10] Il existe six Règles générales pour l’interprétation du système harmonisé (les Règles générales). Le classement commence par la Règle 1, qui prévoit notamment que « le classement [est] déterminé légalement d’après les termes des positions et des Notes de Sections ou de Chapitres » (voir également Igloo Vikski, au para. 20). Si le classement peut être déterminé par la seule application de la Règle 1, il n’est pas nécessaire de tenir compte des autres Règles (Igloo Vikski, au para. 21).

[11] Bien qu’il faille prendre en considération les Avis et Notes explicatives mentionnés à l’article 11 de l’Annexe du Tarif lorsqu’il s’agit de déterminer le classement des marchandises importées au Canada, ils ne sont pas impératifs, contrairement aux Notes de chapitres (Igloo Vikski, au para. 8).

[12] En l’espèce, les parties affirment que le classement des marchandises en cause peut être déterminé par la seule application de la Règle 1 et que, par conséquent, il n’est pas nécessaire de prendre en considération les autres règles interprétatives du Système harmonisé.

II. Les dispositions de classement concurrentes

[13] Le numéro tarifaire 3926.20.95 – celui qui a été jugé applicable aux marchandises en cause par le Tribunal – se trouve au Chapitre 39 (Matières plastiques et ouvrages en ces matières) de la Section VII de l’Annexe du Tarif (Matières plastiques ou ouvrages en ces matières; Caoutchouc et ouvrages en caoutchouc), qui comprend deux chapitres (39 et 40). Il s’inscrit dans la sous-position no 3926.20 (Vêtements et accessoires du vêtement (y compris les gants, mitaines et moufles)) de la position 39.26 (Autres ouvrages en matières plastiques et ouvrages en autres matières des nos 39.01 à 39.14.).

[14] Le numéro tarifaire complet à huit chiffres (3926.20.95) désigne les marchandises particulières qu’il regroupe, à savoir « [a]utres vêtements et accessoires de vêtements, de matières plastiques combinées à des tissus, à des étoffes de bonneterie, à des bolducs, à des nontissés ou à des feutres ».

[15] Le numéro tarifaire 6307.90.99 — applicable aux marchandises en cause selon l’ASFC – se trouve au Chapitre 63 (Autres articles textiles confectionnés; assortiments; friperie et chiffons) de la Section XI de l’Annexe du Tarif (Matières textiles et ouvrages en ces matières), qui comprend quatorze chapitres (50 à 63). Il vise plus précisément les produits de la sous-position no 6307.90 (Autres) de la position no 63.07 (Autres articles confectionnés, y compris les patrons de vêtements).

[16] Le numéro tarifaire complet à huit chiffres (6307.90.99) désigne les marchandises précises qui en relèvent, c’est-à-dire les autres articles confectionnés, y compris les patrons de vêtements, d’autres matières textiles.

[17] Comme il est indiqué plus haut, aux termes de la Règle 1, le classement est déterminé, entre autres, selon les termes de toute Note de Section ou de Chapitre applicable (Igloo Vikski, au para. 20).

[18] L’alinéa a) de la Note 8 de la Section XI dispose ce qui suit :

8. Pour l’application des Chapitres 50 à 60 :

a) ne relèvent pas des Chapitres 50 à 55 et 60 et, sauf dispositions contraires, des Chapitres 56 à 59 les articles confectionnés au sens de la Note 7 ci‑dessus; […]

[19] La Note 1 du Chapitre 39 précise ce qui suit :

1. Dans la Nomenclature, on entend par matières plastiques les matières des positions nos 39.01 à 39.14 qui, lorsqu’elles ont été soumises à une influence extérieure (généralement la chaleur et la pression avec, le cas échéant, l’intervention d’un solvant ou d’un plastifiant), sont susceptibles ou ont été susceptibles, au moment de la polymérisation ou à un stade ultérieur, de prendre par moulage, coulage, profilage, laminage ou tout autre procédé, une forme qu’elles conservent lorsque cette influence a cessé de s’exercer.

Dans la Nomenclature, l’expression matières plastiques couvre également la fibre vulcanisée. Ces termes ne s’appliquent toutefois pas aux matières à considérer comme des matières textiles de la Section XI.

III. La décision du Tribunal

[20] Le Tribunal commence son analyse de la Règle 1 par un examen du Chapitre 64 de la Section XII de l’Annexe du Tarif, car ce chapitre porte expressément sur les chaussures. Le Tribunal conclut que les marchandises en cause ne répondent pas au critère déterminant de cette catégorie parce qu’elles sont dépourvues de « semelles rapportées », c’est-à-dire faute d’une pièce distincte fixée à la tige (ou dessus) d’une quelconque manière (décision du Tribunal, au para. 37).

[21] Ayant tiré cette conclusion, le Tribunal estime que les couvre-chaussures doivent être classés en fonction de leur matière constitutive. Il conclut, en se référant à la définition de « nontissés » dans les Notes explicatives de la position no 56.03, que la matière du « dessus » des marchandises en cause, c’est-à-dire la matière « dont la surface de recouvrement extérieure est la plus grande, sans égard aux accessoires ou renforts tels que bordures, protège-chevilles, ornements, boucles, pattes, œillets ou dispositifs analogues » est le nontissé en PP et que la matière constitutive de la « semelle extérieure » est la couche de PE-C (décision du Tribunal, aux para. 40 et 41).

[22] Ensuite, le Tribunal examine si les marchandises en cause peuvent être classées dans le numéro tarifaire 6307.90.99, comme l’a fait l’ASFC. Il détermine d’abord si les marchandises relèvent de la position no 63.07. Il faut pour cela que les marchandises soient a) « confectionnées », b) en tous textiles et c) qu’elles ne soient pas décrites dans des chapitres plus précis de la Section XI ni ailleurs dans la Nomenclature (décision du Tribunal, au para. 43).

[23] Le Tribunal convient avec l’ASFC que les marchandises en cause sont des articles « confectionnés » au sens de l’alinéa f) de la Note 7 de la Section XI, c’est-à-dire des articles « assemblés par couture, par collage ou autrement (à l’exclusion des pièces du même textile réunies aux extrémités de façon à former une pièce de plus grande longueur, ainsi que des pièces constituées par deux ou plusieurs textiles superposés sur toute leur surface et assemblés ainsi entre eux, même avec intercalation d’une matière de rembourrage) » (décision du Tribunal, au para. 44).

[24] Toutefois, le Tribunal rejette l’affirmation de l’ASFC selon laquelle la deuxième et troisième conditions ont également été remplies. L’ASFC était d’avis que la matière constitutive des marchandises – une combinaison du nontissé de PP et de la couche de PE-C – pouvait être classée dans la position no 56.03 parmi les « [n]ontissés même imprégnés, enduits, recouverts ou stratifiés ». Toutefois, parce que les marchandises elles-mêmes, sur le fondement de l’alinéa a) de la Note 8, étaient exclues de cette position, elles satisfaisaient à la troisième condition pour être classées dans le numéro tarifaire 6307.90.99, car elles n’étaient pas décrites plus précisément dans d’autres chapitres de la Section XI ou ailleurs dans la Nomenclature.

[25] Le Tribunal en décide autrement. Il juge que la position no 56.03 n’est pas applicable puisque, conformément à l’alinéa a) de la note 8, les Chapitres 56 à 59 de la Section XI ne s’appliquent pas aux marchandises en cause puisqu’il s’agit d’articles « confectionnés ». En conséquence, il affirme que toute analyse supplémentaire visant à déterminer si la matière constitutive des marchandises peut être définie comme un nontissé selon la position no 56.03 est sans objet, cette position ne s’appliquant tout simplement pas (décision du Tribunal, au para. 47).

[26] Ensuite, le Tribunal examine si les matières constitutives des marchandises peuvent néanmoins être classées selon la position no 63.07 comme des articles « en tous textiles ». Ce faisant, il estime qu’il faut tenir compte de la raison d’être de la couche de PE-C, qui n’est pas un textile. Se fondant sur le paragraphe 1 des Notes explicatives visant le Chapitre 63, le Tribunal signale que les articles textiles « confectionnés » peuvent contenir du plastique à la condition que celui-ci ne constitue pas davantage que de simples garnitures ou accessoires. Estimant que la couche de PE-C des marchandises en cause joue un rôle important en procurant « de l’adhérence, de la durabilité et une protection contre l’eau » aux couvre-chaussures, il conclut que cette couche constitue davantage que de simples garnitures ou accessoires (décision du Tribunal, aux para. 48-50).

[27] Avant de se prononcer sur l’applicabilité de la position no 63.07, le Tribunal vérifie si les marchandises en cause peuvent être décrites plus précisément ailleurs dans la Nomenclature. À cette fin, il examine l’applicabilité de la position no 39.26 et conclut que les couvre-chaussures sont constitués de matières plastiques au sens de cette position. Le Tribunal juge ainsi que, le nontissé en PP n’étant pas « soit entièrement noy[é] dans la matière plastique, soit totalement endui[t] ou recouver[t] sur le[s] deux faces de cette même matière », aux termes de l’alinéa b) de la rubrique « Matières plastiques combinées à des matières textiles » des notes explicatives du Chapitre 39, l’application de la position no 39.26 n’est pas exclue. En effet, la liste des produits énumérés à cette rubrique n’est pas exhaustive (décision du Tribunal, aux para. 52-55).

[28] Ayant conclu que la matière constitutive des marchandises en cause – un nontissé stratifié avec des matières plastiques – est plus précisément décrite à la position no 39.26, le Tribunal détermine que les marchandises sont visées par le numéro tarifaire 3926.20.95 (autres vêtements et accessoires de vêtements, de matières plastiques combinées à des nontissés). Aux Notes explicatives du Chapitre 63, elles sont exclues de la position no 63.07 (décision du Tribunal, aux para. 56-58)

IV. Questions en litige et norme de contrôle

[29] Aux termes du paragraphe 68(1) de la Loi, les décisions de classement tarifaire rendues en application des articles 60 ou 61 de la Loi peuvent faire l’objet d’un appel devant la Cour, mais uniquement sur des questions de droit.

[30] Récemment, dans l’affaire Neptune Wellness Solutions c. Canada (Agence des services frontaliers), 2020 CAF 151 (Neptune), qui soulève également une question de classement tarifaire, la Cour examine les répercussions de l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov) sur les appels prévus par la Loi, estimant que ce jugement a « modifié de façon fondamentale » la manière dont la Cour doit instruire ces appels :

[13] Le jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 (arrêt Vavilov), a modifié de façon fondamentale la manière avec laquelle notre Cour doit entendre les appels intentés aux termes d’un droit d’appel conféré par la loi. La Cour suprême a redonné au terme appel son sens ordinaire, et la norme de contrôle applicable lors d’un contrôle judiciaire, ainsi que les principes connexes n’ont plus à être appliqués aux appels prévus par la loi (aux paragraphes 36 à 38). Les normes applicables en appel s’appliquent (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235), et la norme de contrôle applicable lorsque l’appel vise des questions de droit est donc la norme de la décision correcte (arrêt Vavilov, au paragraphe 37). La jurisprudence antérieure, pour laquelle les critères du contrôle judiciaire ont été appliqués, devra être soigneusement examinée afin de déterminer si elle s’applique toujours, et dans quelle mesure.

[En italique dans l’original.]

[31] La Cour décrit ensuite le droit d’appel prévu au paragraphe 68(1) de la Loi comme étant « circonscrit ». Ainsi, pour que la Cour intervienne, « [u]ne question de droit doit être soulevée » (Neptune, au para. 14).

[32] L’appelant soutient que le présent pourvoi soulève de telles questions, le Tribunal ayant mal interprété l’alinéa a) de la Note 8 de la Section XI et/ou fait fi de la Note 1 du Chapitre 39. Selon lui, bien que les décisions du Tribunal en matière de classement tarifaire, même son interprétation de l’Annexe du Tarif, soient depuis longtemps assujetties à la norme de la décision raisonnable compte tenu de l’expertise du décideur sur ces questions, elles sont maintenant susceptibles de révision selon la norme de la décision correcte par l’effet de l’arrêt Vavilov.

[33] Comme le soutient l’intimée, si la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable est écartée dans l’arrêt Vavilov, elle n’est pas remplacée d’office par celle de la décision correcte. L’existence d’une disposition d’appel indique qu’une cour de révision exerce une fonction d’appel et applique, ce faisant, les normes de contrôle décrites dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 23 (Housen). Ces normes sont celle de la décision correcte pour les questions de droit et celle de l’erreur manifeste et dominante pour les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit où le principe de droit n’est pas facilement isolable (Vavilov, au para. 37).

[34] L’intimée souligne que les questions de classement tarifaire, comme elles emportent l’application d’un régime juridique à un ensemble de faits, sont des questions mixtes de fait et de droit, assujetties à une norme de contrôle empreinte de déférence. À l’appui de cette affirmation, au paragraphe 41 de son mémoire, l’intimée cite notamment le paragraphe 41 de l’arrêt Canada (Services frontaliers) c. Decolin Inc., 2006 CAF 417, qui est rédigé ainsi :

Il n’est pas contesté que le TCCE est un tribunal spécialisé et que, même s’il ne bénéficie pas d’une clause privative, les questions de classement tarifaire relèvent carrément de son expertise. Il s’agit de questions mixtes de fait et de droit, comportant l’application d’un cadre juridique à un ensemble de faits. Par rapport à la Cour, le TCCE ne possède aucune expertise en ce qui a trait à l’interprétation de textes juridiques d’application générale, mais il a l’avantage d’avoir une longue expérience dans l’application de l’Annexe du Tarif des douanes à toute une gamme de marchandises. Somme toute, la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable simpliciter : voir Yves Ponroy Canada c. Canada (Sous‑ministre du Revenu national (M.R.N.)), [2000] A.C.F. no 1202 (C.A.F.), aux paragraphes 4 à 6. [Soulignement ajoutés.]

[35] L’intimée soutient que l’appelant n’a pas circonscrit de principe de droit facilement isolable sur lequel fonder son appel qui emporterait l’application de la norme de la décision correcte à l’interprétation et à l’application par le Tribunal des dispositions pertinentes de l’Annexe du Tarif. À titre subsidiaire, c’est-à-dire si la Cour détermine que la norme de la décision correcte s’applique, l’intimée soutient que la décision du Tribunal est correcte et doit être maintenue.

[36] Comme il est mentionné plus haut, la compétence de la Cour en matière d’appel joue dès lors qu’une question de droit est soulevée. Dans ce type d’appel, le défi consiste le plus souvent à discerner les questions de droit isolables des questions mixtes de fait et de droit (Neptune, au para. 16). Dans l’arrêt Neptune, au paragraphe 16, la Cour reproduit le passage suivant de l’arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Emerson Milling Inc., 2017 CAF 79, [2018] 2 R.C.F. 573 (Emerson Milling), où la Cour illustre ce qui constitue une question de droit isolable intégrée à une question de droit et de fait :

26 [...] Les questions de droit ou normes juridiques qui sont isolables doivent être considérées comme des questions de droit du type de celles que le législateur voulait voir contrôlées par notre Cour aux termes du paragraphe 41(1). À plusieurs occasions, notre Cour a statué sur des appels qui soulevaient des questions de droit ou normes juridiques isolables (en plus d’autres questions de droit ou de compétence) :

Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Office des transports du Canada, 2010 CAF 65, [2011] 3 R.C.F. 264 (l’arrêt CN 2010) et Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Office des transports du Canada), 2008 CAF 363, 383 N.R. 349 (l’arrêt CN 2008). Quels sont les éléments qui relèvent de certains mots définis par la Loi et doivent donc entrer dans le calcul du plafond de revenu prévu par la Loi? La question de droit isolable était le sens des mots figurant dans la Loi.

Dreyfus, précité, au paragraphe 18. Deux questions soulevées constituaient des questions de droit isolables, à savoir des questions d’interprétation des lois. L’« approche d’évaluation », méthode adoptée par l’Office pour trancher les questions relevant des articles 113 à 116, repose-t-elle sur une interprétation erronée de ces dispositions? L’Office a-t-il omis d’examiner des questions que la Loi l’obligeait à examiner?

Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Richardson International Limited, 2015 CAF 180, 476 N.R. 83. Ressort-il des faits une « ligne de chemin de fer » et d’un « raccordement » qui fait jouer les obligations d’interconnexion du transporteur? La question de droit isolable concernait le sens de ces mots.

Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Viterra Inc., 2017 CAF 6. Au vu des faits, les obligations du transporteur prévues par l’article 113 jouaient-elles? La méthode de rationnement du transporteur constituait-elle un contrat confidentiel visé par le paragraphe 113(4) de la Loi?

[37] Pour décider si un appel interjeté en vertu du paragraphe 68(1) de la Loi soulève une question de droit isolable, il convient de déterminer la « nature essentielle » ou le « sens réel » de l’appel à partir de l’avis d’appel et, si les motifs qui y sont énoncés sont formulés de manière différente, le mémoire des faits et du droit de l’appelant. Ce qui importe en fin de compte, c’est le fond, et non la forme, de la question soulevée (Emerson Milling, aux para. 29 et 30; voir également Canada (Revenu national) c. JP Morgan Asset Management (Canada) Inc., 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557, aux para. 49 et 50; et Neptune, au para. 17).

[38] Dans l’affaire Neptune, les questions concernent l’interprétation de la position no 03.06 de l’Annexe du Tarif et, plus précisément, la portée de l’expression « propres à l’alimentation humaine ». La Cour estime que ces questions « font intervenir des questions de droit isolables » qui sont assujetties à la norme de la décision correcte (Neptune, au para. 18).

[39] En l’espèce, l’appelant fait valoir dans les documents qu’il a déposés devant la Cour que le Tribunal a commis une erreur de droit en affirmant que l’alinéa a) de la Note 8 de la Section XI empêche que l’on tienne compte des Chapitres 50 à 60, et notamment du Chapitre 56, pour déterminer si la matière constitutive des marchandises en cause peut être classée comme articles textiles au titre des Chapitres 61 à 63. Il soutient en outre que le Tribunal a commis une autre erreur de droit en ne tenant pas compte de la Note 1 du Chapitre 39, qui prévoit que « l’expression matières plastiques [...] ne s’appliqu[e] [...] pas aux matières à considérer comme des matières textiles de la Section XI », lorsqu’il a classé les marchandises en cause comme des ouvrages en matières plastiques.

[40] Je conclus que la première question en est une de droit, car l’appelant ne conteste pas seulement la manière dont l’Annexe du Tarif a été appliquée aux couvre-chaussures; il conteste, en premier lieu, l’interprétation par le Tribunal de l’alinéa a) de la note 8 de la Section XI. Selon l’appelant, si les marchandises « confectionnées » ne peuvent pas être classées dans les Chapitres 50 à 60 aux termes de l’alinéa a) de la Note 8, ces chapitres peuvent, contrairement à ce qu’estime le Tribunal, être pris en considération lors de l’évaluation de la matière constitutive des marchandises. Autrement dit, la question centrale à résoudre est de savoir si l’expression « ne relèvent pas » qui figure à l’alinéa a) de la Note 8 empêche uniquement les marchandises « confectionnées » d’être classées dans les Chapitres 50 à 60, ou si elle interdit toute prise en compte de ces chapitres dans l’évaluation de la matière constitutive des marchandises. Il s’agit là, à mon avis, comme dans l’affaire Neptune, d’une pure question d’interprétation légale, assujettie à la norme de la décision correcte, car elle concerne les contours du cadre analytique juridique applicable au classement tarifaire des marchandises importées.

[41] Je conclus également que le deuxième motif d’appel de l’appelant — à savoir l’omission par le Tribunal de considérer la Note 1 du Chapitre 39 lorsqu’il a déterminé que les marchandises en cause étaient des ouvrages en matières plastiques — soulève une question de droit. L’appelant soutient que, suivant cette Note, le Tribunal était tenu de déterminer d’abord si la matière constitutive des marchandises était un textile défini à la Section XI, et plus particulièrement, un nontissé défini dans les Notes explicatives de la position no 56.03, avant même d’examiner si le Chapitre 39 s’appliquait aux marchandises en cause. En passant outre à cette directive, le Tribunal aurait ainsi négligé, selon l’appelant, une étape analytique cruciale imposée par la Note 1 du Chapitre 39.

[42] Cette deuxième question exige du Tribunal qu’il détermine si, suivant la Note 1 du Chapitre 39, il faut évaluer la matière constitutive des marchandises à la lumière de la Section XI, avant de considérer le Chapitre 39. En d’autres termes, la question est de savoir si la logique et l’économie de l’Annexe du Tarif exigent qu’une matière constitutive qui combine des matières textiles et des matières plastiques soit évaluée dans un ordre précis. Si c’est le cas, ne pas évaluer cette matière dans cet ordre constitue une erreur de droit. Répétons-le, il s’agit d’une question de droit assujettie à la norme de la décision correcte.

V. Discussion

A. Le Tribunal a-t-il commis une erreur dans son interprétation de l’alinéa a) de la Note 8 de la Section XI?

[43] L’appelant soutient que l’interprétation de l’alinéa a) de la note 8 par le Tribunal, suivant laquelle le Chapitre 56 ne peut éclairer l’évaluation de la matière constitutive des marchandises, est fondamentalement erronée, et ce pour trois raisons.

[44] Premièrement, l’appelant affirme que l’interprétation du Tribunal va à l’encontre de l’approche moderne d’interprétation des lois, car elle ne tient essentiellement pas compte du sens ordinaire du texte de l’alinéa a) de la Note 8 et de l’économie générale de l’Annexe du Tarif en sa totalité. Essentiellement, l’appelant soutient qu’une simple lecture de l’alinéa a) de la Note 8 révèle sans équivoque que la limite contenue à cet alinéa ne concerne que les marchandises confectionnées, par opposition à la matière dont les marchandises sont constituées. Selon l’appelant, l’alinéa a) de la Note 8 n’indique pas que les chapitres assujettis à cette limite (Chapitres 50 à 60) ne sont pas pertinents lorsqu’il s’agit de déterminer si la matière constitutive des marchandises est un textile.

[45] Ainsi, selon l’appelant, pour savoir si les marchandises sont des articles « textiles » il faut évaluer si la matière, dont elles sont constituées, peut être classée comme matière textile dans le Chapitre 56. En d’autres termes, contrairement à l’interprétation du Tribunal, l’alinéa a) de la Note 8 ne s’oppose pas à ce qu’il soit tenu compte du Chapitre 56 dans le cadre de l’analyse du classement, même si les marchandises elles-mêmes ne peuvent être classées dans ce chapitre en raison de l’alinéa a) de la Note 8. Cette approche, affirme l’appelant, est conforme à l’économie générale, à l’objet et à la logique de l’Annexe du Tarif, où les sections et les chapitres vont généralement des matières aux articles et marchandises fabriqués à partir de ces matières. Par conséquent, la seule façon de déterminer si une marchandise est un ouvrage « en matières textiles » ou « en matières plastiques » est de consulter la définition et le classement de ces matières dans les parties antérieures de la section ou du chapitre concerné, ce que le Tribunal n’a pas fait en l’espèce.

[46] Deuxièmement, l’appelant fait valoir qu’en interprétant de manière erronée l’alinéa a) de la Note 8, le Tribunal s’est écarté du cadre analytique correct établi par sa propre jurisprudence pour déterminer le classement des combinaisons de matières textiles et de matières plastiques. Selon ce cadre, soutient l’appelant, le classement de marchandises « confectionnées » composées d’une matière textile combinée à une matière plastique oblige à se rapporter préalablement à la définition de cette matière dans les chapitres pertinents.

[47] Enfin, l’appelant soutient que cette interprétation de l’alinéa a) de la note 8 par le Tribunal, si elle est maintenue, peut conduire à des résultats absurdes et, partant, à un classement erroné de nombreuses marchandises composées de matières textiles combinées à des matières plastiques, compte tenu notamment du fait que, selon l’Annexe du Tarif, de nombreux articles textiles intègrent des matières plastiques sous une forme quelconque.

[48] L’intimée soutient que la thèse de l’appelant repose sur une mauvaise interprétation de la conclusion de fait tirée par le Tribunal quant aux matières constitutives des marchandises, à savoir les nontissés en PP et les matières en PE-C. Elle fait valoir, à cet égard, que la combinaison de ces matières aboutit à une « matière intermédiaire » qui, tout comme les marchandises en cause, est « confectionnée », car elle est constituée d’une [traduction] « feuille unique [de matières plastiques] » qui est ensuite assujettie à une ouvraison par découpage dans sa forme finale (mémoire des faits et du droit de l’intimée, au para. 57). Selon l’intimée, il en découle l’exclusion du classement dans la position no 56.03. Pour citer l’intimée, « [s]i la couche de PP des matières peut être classée à la lumière du Chapitre 56 du Tarif des douanes, les “matières constitutives” sont exclues du classement du fait qu’elles sont combinées avec une matière plastique, puis assujetties à une ouvraison supplémentaire (découpées sous une forme quelconque) » (mémoire des faits et du droit de l’intimée, au para. 57).

[49] L’intimée soutient que cette conclusion est confirmée par la note 26 des motifs du Tribunal qui, selon l’intimée, souligne l’ouvraison supplémentaire effectuée pour créer les « matières constitutives » des marchandises. La note 26 est rédigée ainsi :

Les notes explicatives de la position no 56.03 comprennent aussi ce qui suit : « On admet ici, pour autant qu’ils ne soient pas couverts d’une façon plus spécifique par d’autres positions de la Nomenclature, les nontissés en pièces, coupés de longueur ainsi que ceux de forme carrée ou rectangulaire simplement découpés dans des pièces plus grandes sans autre ouvraison [...] » [Italiques ajoutés].

[50] L’intimée soutient en outre que la jurisprudence du Tribunal sur laquelle se fonde l’appelant (Sher-Wood Hockey Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada, AP-2009-045 (Sher-Wood) et Louise Paris Ltd. C. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada, AP-2017-001, 2019 CanLII 110897 (CA TCCE) (Louise Paris)) peut être distinguée de la présente affaire. Elle fait valoir que, dans ces décisions, le Tribunal, contrairement à ses conclusions dans la présente affaire, [traduction] « ne définit pas les “matières constitutives” comme étant [un] produit intermédiaire », mais procède plutôt à une analyse visant à déterminer si les matières constitutives des marchandises en cause dans ces affaires répondaient à la définition d’un textile pouvant être classé sous la position no 56.03 (mémoire des faits et du droit de l’intimée, au para. 63). Le point de départ de l’analyse diffère de la présente en l’espèce.

[51] Avant de faire état de ce que je considère être l’interprétation correcte à donner à l’alinéa a) de la Note 8, il me faut d’abord signaler que la thèse de l’intimée repose entièrement sur une lecture erronée des conclusions du Tribunal. Selon l’intimée, le Tribunal a conclu que la matière constitutive des marchandises était une matière intermédiaire « confectionnée », c’est-à-dire une matière composée « d’une seule feuille de PP nontissée et de matière plastique de PE‑C découpée et scellée pour créer une feuille en matières plastiques » (en italiques et souligné dans l’original; mémoire des faits et du droit de l’intimée, au para. 51). Cette thèse exclut tout examen de la position no 56.03 dans l’évaluation de la matière constitutive des marchandises, même compte tenu de l’interprétation de l’alinéa a) de la Note 8 avancée par l’appelant.

[52] Or, rien dans les motifs du Tribunal ne permet une telle affirmation. Le mot « intermédiaire » ne figure pas dans les motifs, et le mot « confectionné » semble s’appliquer exclusivement aux produits finis, et non à leur matière constitutive. Le Tribunal, après avoir déterminé que les marchandises en cause étaient dépourvues de « semelles rapportées » et ne pouvaient donc pas être classées sous le Chapitre 64 de la Section XII à titre de chaussures, déclare que les marchandises sont « fait[e]s [. . .] des “feuilles en matières plastiques” », estime que l’étape suivante de son analyse au titre de la Règle 1 consiste à classer les marchandises en fonction de leur matière constitutive, qui n’est pas déterminée (décision du Tribunal, au para. 38).

[53] Comme il est indiqué plus haut, selon le Tribunal, la matière constitutive du dessus est le nontissé en PP et celle de la semelle extérieure, la couche de PE-C (décision du Tribunal, au para. 41). Le classement des marchandises en cause nécessite la prise en compte de ces deux matières constitutives (décision du Tribunal, note 25).

[54] Il n’y a donc aucune indication, dans les conclusions du Tribunal, de l’existence d’une « matière intermédiaire » du type de celle avancée par l’intimée, c’est-à-dire une matière qui est « confectionnée » parce qu’elle est assujettie à une « ouvraison complémentaire » par « découpage ». Cette constatation est confirmée par la conclusion principale du Tribunal selon laquelle la position 56.03 ne s’applique pas au classement des matières constitutives des marchandises, qui repose sur sa conclusion suivant laquelle les marchandises elles-mêmes (les couvre-chaussures), par opposition à leurs matières constitutives, sont « confectionnées au sens de la Note 7 » (décision du Tribunal, au para. 47). Ceci ne pourrait pas être plus clair.

[55] J’estime que l’interprétation de l’alinéa a) de la note 8 par le Tribunal est erronée en droit, car elle empêche l’application du Chapitre 56 à la matière constitutive des marchandises parce qu’elles sont « confectionnées » pour l’application de la Note 7. Selon moi, le Tribunal confond deux étapes distinctes de l’analyse du classement et, partant, n’établit aucune distinction entre la détermination de la matière constitutive des marchandises, d’une part, et le classement des marchandises, d’autre part.

[56] S’il est clair que l’effet combiné de la Note 7 et de l’alinéa a) de la Note 8 de la Section XI empêche le classement des marchandises sous le Chapitre 56 parce qu’elles sont « confectionnées », je suis d’accord avec l’appelant pour dire que le Chapitre 56 reste pertinent pour l’évaluation des matières constitutives des marchandises. L’avis contraire du Tribunal s’écarte à tort de l’approche moderne d’interprétation des lois.

[57] Bien que les règles régissant l’interprétation de l’Annexe du Tarif, tant à l’échelle internationale qu’à l’échelle nationale, aient été qualifiées d’« uniques » (Canada (Ministre du Revenu national, Douanes et Accise) c. Schrader Automotive Inc., [1999] A.C.F. 331, 1999 CanLII 7719 (CAF), au para. 5), la jurisprudence indique que l’approche moderne d’interprétation des lois demeure pertinente en matière de classement tarifaire (Canada (Sous-ministre du Revenu national) c. Mattel Canada Inc., 2001 CSC 36, [2001] 2 R.C.S. 100, au para. 41; A & R Dress Co. Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national), 2005 CF 681, [2006] 3 R.C.F. F-15; A&R Dress Co. Inc. c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), [2009] 4 R.C.F. 192, 2009 CF 27, au para. 21). Ainsi, il faut lire l’alinéa a) de la Note 8 de la Section XI, comme toute autre disposition législative, « dans [son] contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec [l’économie] de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, 1998 CanLII 837, au para. 21, citant Elmer Driedger, The Construction of Statutes, 2e éd. (Toronto : Butterworths, 1983), p. 87).

[58] L’alinéa a) de la Note 8 prévoit que, sauf si le contexte exige le contraire, les Chapitres 56 à 59 ne s’appliquent pas aux marchandises « confectionnées » pour l’application de la Note 7. Il n’indique pas que ces chapitres ne s’appliquent pas lorsqu’il s’agit de déterminer si la matière constitutive d’une marchandise est une matière textile. Or, dès lors que la première étape de l’analyse prévue à la règle 1 se révèle peu concluante quant au classement des marchandises, comme en l’espèce, la seconde étape, telle qu’elle est à juste titre déterminée par le Tribunal, porte ensuite sur la matière constitutive des marchandises. Je suis d’accord avec l’appelant pour dire que, pour savoir si les marchandises sont « d’autres articles textiles » pour l’application du Chapitre 63, il faut évaluer si la matière dont elles sont constituées, peut être classée comme textile dans le Chapitre 56.

[59] Rien dans le libellé de l’alinéa a) de la Note 8 n’empêche le Tribunal de procéder à une telle analyse. Bien au contraire, le renvoi préalable aux Chapitres 50 à 60, qui définissent les textiles, était crucial pour déterminer si les couvre-chaussures « confectionnés » étaient ou non en « matières textiles ».

[60] Peut-être plus important encore, cette interprétation est, à mon avis, conforme à l’économie de l’Annexe du Tarif. Comme le fait remarquer l’appelant, les chapitres d’une section vont généralement des matières sous leur forme primaire aux articles ou marchandises fabriqués à partir de ces matières. Cette logique est reproduite à la Section XI, qui porte d’abord sur les fibres textiles et les tissus (Chapitres 50 à 55), puis les nontissés, les tapis, les tapisseries, les tissus enduits et les étoffes de bonneterie (chapitres 56 à 60) et enfin les articles textiles « confectionnés » (Chapitres 61 à 63). L’expression liminaire qui figure à l’alinéa a) de la Note 8, « [p]our l’application des Chapitres 50 à 60 », souligne la distinction entre deux séries de chapitres à l’intérieur de la Section XI : les Chapitres 50 à 60, qui portent sur les matières textiles, et les Chapitres 61 à 63, qui portent sur les articles textiles « confectionnés ».

[61] Je suis d’accord avec l’appelant pour dire que, si la Cour confirmait l’interprétation de l’alinéa a) de la Note 8 par le Tribunal, on se demanderait comment un article « confectionné », dont la matière constitutive est une combinaison de matière textile et de matière plastique classée comme textile suivant la Section XI, pourrait être classé comme une matière textile. Ce n’est pas un résultat qu’aurait pu envisager le législateur.

[62] L’erreur du Tribunal dans l’interprétation de l’alinéa a) de la Note 8 a vicié le reste de son analyse. Ayant conclu que les « textiles », aux fins de l’application de la position no 63.07, n’étaient pas limités aux positions de la Section XI, le Tribunal a procédé à une autre analyse, qui tenait compte de l’objet de la couche de PE-C, une matière plastique. Il a jugé que, puisque cette matière constituait davantage que de simples garnitures ou accessoires, les marchandises en cause devaient être classées conformément aux Règles générales, ce qui l’obligeait à examiner si les matières constitutives des marchandises pouvaient être classées ailleurs dans la Nomenclature, notamment au Chapitre 39, sous la Section VII (décision du Tribunal, aux para. 49-51).

[63] Bien que cette analyse ait pu être justifiée et étayée par les notes explicatives du Chapitre 63, elle ne saurait remplacer l’examen préalable des Chapitres 50 à 60 à l’égard de la matière constitutive. En d’autres termes, le Tribunal, sur le fondement d’une interprétation incorrecte de l’alinéa a) de la Note 8, a fait fi de ces chapitres.

[64] Comme le soutient l’appelant, le Tribunal a aggravé l’erreur en adoptant une approche qui s’écarte du cadre analytique défini dans les décisions Sher-Wood et Louise Paris lorsqu’il s’agit de déterminer le classement des combinaisons de matières textiles et de matières plastiques. Selon ce cadre, le Tribunal doit d’abord déterminer le classement de la matière constitutive avant celui des marchandises elles-mêmes.

[65] Dans l’affaire Sher-Wood, la question est de savoir si les gants de hockey sur glace doivent être classés comme gants en matières textiles sous le numéro tarifaire 6216.00.00 ou comme vêtements en matières plastiques sous le numéro tarifaire 3926.20.92. Le Tribunal détermine d’abord les matières – un tissu qui relève de la position no 59.03 pour la surface extérieure et un nontissé qui relève de la position no 56.03 pour la surface intérieure – avant de passer au classement des marchandises elles-mêmes. Étant donné sa conclusion suivant laquelle les matières sont des matières textiles visées par les Chapitres 56 et 59, le Tribunal est d’avis que les gants peuvent être classés sous la position no 62.16. Par conséquent, il n’estime pas que l’alinéa a) de la Note 8 empêche la prise en compte des Chapitres 50 à 60 dans l’évaluation des matières constitutives des marchandises.

[66] Cette approche est reprise dans l’affaire Louise Paris, rendue après la décision du Tribunal dans la présente affaire. L’affaire Louise Paris porte sur certains vêtements pour femmes fabriqués à partir de matières textiles combinées à des matières plastiques. La question est de savoir s’il s’agit, pour le classement tarifaire, de matières textiles ou de matières plastiques. Convaincu que la matière constitutive est une matière textile décrite au Chapitre 59, le Tribunal estime que les articles fabriqués en cette matière sont classés au Chapitre 62.

[67] L’intimée soutient qu’il faut établir une distinction entre ces deux décisions et l’affaire qui nous intéresse, au motif que l’analyse procède de différents « points de départ », c’est-à-dire de chapitres différents de l’Annexe du Tarif, et repose sur des conclusions de fait différentes concernant les caractéristiques des matières constitutives des marchandises. L’intimée affirme en outre que l’argument de l’appelant n’est pas fondé puisque le Tribunal n’est pas, en droit, lié par ses décisions antérieures.

[68] Je ne suis pas de cet avis. Les motifs invoqués en faveur d’une telle distinction reposent essentiellement sur la thèse selon laquelle le Tribunal, contrairement à son raisonnement dans les décisions Sher-Wood et Louise Paris, définit la matière constitutive comme un produit « intermédiaire » et fonde son analyse sur cette constatation. Comme je l’indique plus haut, cette thèse découle d’une interprétation gravement erronée des conclusions du Tribunal. Elle ne constitue donc pas une base valable pour distinguer la présente affaire de ces deux décisions.

[69] Les décisions Sher-Wood et Louise Paris illustrent, à mon avis, la manière de procéder à l’analyse des matières de marchandises « confectionnées » de matières textiles combinées à des matières plastiques, selon une interprétation correcte de l’alinéa a) de la Note 8, à la lumière des Chapitres 50 à 60. Les deux affaires sont tranchées sur le fondement de la matière constitutive des marchandises en cause. Dans la décision Sher-Wood, le Tribunal demande d’abord si les marchandises relèvent du Chapitre 95, qui porte généralement sur les articles de sport, y compris les équipements de sport ou d’athlétisme. Le Tribunal estime que ce n’est pas le cas, car les gants ne figurent pas au Chapitre 95. Il classe ensuite les marchandises en fonction de leur matière constitutive. Contrairement à ce que soutient l’intimée, ce raisonnement est similaire à celui avancé dans la présente espèce, dans laquelle le Tribunal détermine les matières constitutives des marchandises, ayant conclu que ces dernières ne relèvent pas du Chapitre 64.

[70] Dans l’affaire Louise Paris, le Tribunal classe les marchandises en fonction de leur matière constitutive sans mentionner au préalable un chapitre précis. À mon avis, le fait que, dans l’affaire Sher-Wood et en l’espèce, les marchandises aient pu a priori être classées dans un chapitre précis, contrairement à la situation dans l’affaire Louise Paris, n’a aucune incidence sur la détermination des matières constitutives. Tant dans cette dernière que dans l’affaire Sher‑Wood, l’alinéa a) de la Note 8 n’a pas empêché la prise en compte des Chapitres 56 à 59 dans le cadre analytique. Ce qui précède démontre également que l’interprétation de l’alinéa a) de la Note 8 par l’intimée est erronée.

[71] Enfin, certes, le Tribunal n’est pas lié par ses décisions antérieures. Or, l’intimée omet de mentionner que « [la] formation [du Tribunal] ne devrait pas s’écarter sans raison des décisions antérieures » (Canada (Procureur général) c. Bri-Chem Supply Ltd, 2016 CAF 257, [2017] 3 R.C.F. 123, au para. 44). Ainsi, la décision contestée, telle qu’elle a été rendue, peut avoir une incidence sur l’issue d’instances futures. Aussi, le Tribunal, en rendant cette décision, ne pouvait pas s’écarter des décisions antérieures, à moins d’une bonne raison. Le Tribunal n’a invoqué aucune telle raison dans la présente affaire.

[72] En résumé, je conclus que le Tribunal a commis une erreur dans son interprétation de l’alinéa a) de la Note 8 de la Section XI et que cette erreur a vicié le cadre analytique qui a conduit à la décision en cause. Comme le dit l’appelant, le Tribunal avait la possibilité d’évaluer si la matière constitutive des marchandises, une combinaison de matières textiles et de matières plastiques, correspondait ou non à un textile au sens du Chapitre 56. Il n’était toutefois pas possible pour le Tribunal d’écarter entièrement cette analyse. Ce faisant, le Tribunal a commis une erreur de droit.

[73] J’estime en outre qu’en s’écartant de son approche dans l’affaire Sher-Wood, qui consiste à évaluer les matières constitutives des marchandises composées de matières textiles et de matières plastiques à la lumière des Chapitres 50 à 60, démarche confirmée dans la décision Louise Paris, le Tribunal a mal interprété l’alinéa a) de la Note 8. Il n’a donc pas appliqué le bon cadre analytique.

[74] Une telle conclusion devrait normalement suffire pour emporter l’annulation de la décision du Tribunal. Or, l’appelant, comme il est mentionné plus haut, soutient en outre que le Tribunal, en faisant fi de la Note 1 du Chapitre 39, également partie du cadre analytique, a empiré son interprétation erronée de l’alinéa a) de la Note 8.

B. Le Tribunal a-t-il commis une erreur de droit en faisant fi de la Note 1 du Chapitre 39?

[75] La Note 1 du Chapitre 39 prévoit que l’expression « matières plastiques » dans l’ensemble de la Nomenclature ne s’applique pas aux matières considérées comme des matières textiles de la Section XI. L’appelant soutient que le Tribunal a également commis une erreur de droit en faisant fi de cette exclusion qui l’obligeait à vérifier d’abord si la matière constitutive des marchandises était un textile selon la définition des chapitres de la Section XI, avant de se pencher sur le Chapitre 39.

[76] Selon l’intimée, la Note 1 du Chapitre 39 ne pouvait jouer dans l’analyse du Tribunal, puisqu’il avait déjà déterminé, en fait, que la matière constitutive des couvre-chaussures n’était pas une matière textile.

[77] La Section XI et le Chapitre 39 sont assujetti à des sections ou chapitre s’excluant mutuellement. La Note 1 et l’alinéa p) de la Note 2 du Chapitre 39 ont pour effet combiné d’exclure à la fois les matières textiles et les marchandises de la Section XI du champ d’application de ce chapitre. Inversement, l’alinéa h) de la Note 1 de la Section XI exclut du champ d’application de cette Section « les tissus, étoffes de bonneterie, feutres et non-tissés, imprégnés, enduits ou recouverts de matière plastique ou stratifiés avec cette même matière, et les articles en ces produits, du Chapitre 39 ».

[78] La question qui se pose en l’espèce est de savoir si la présence de ces dispositions d’incompatibilité suggère que l’analyse visant à décider si les marchandises combinant des matières textiles et des matières plastiques relèvent de la Section XI ou du Chapitre 39 doit respecter un ordre précis, la première étape de l’analyse étant de déterminer si les marchandises sont des matières textiles.

[79] À mon avis, la Note 1 du Chapitre 39 prévoit effectivement cet ordre précis dans lequel les matières et, par extension, les marchandises, doivent être évaluées. Un examen des dispositions en question montre que la règle d’exclusion générale figurant à la Note 1 et à l’alinéa p) de la Note 2 du Chapitre 39, qui porte à la fois sur les matières textiles et les marchandises de la Section XI, n’a pas d’équivalent dans cette dernière. Il en découle que, si les matières textiles de la Section XI ne sauraient être considérées comme des matières plastiques pour l’application des positions nos 39.01 à 39.14, l’inverse n’est pas nécessairement vrai, car les matières plastiques du Chapitre 39 pourraient possiblement être considérées comme des matières textiles au sens de la Section XI. C’est pourquoi, à mon avis, le Tribunal doit d’abord déterminer si les matières sont des matières textiles et ensuite, et seulement ensuite, si elles ne le sont pas, évaluer si elles sont des matières plastiques au sens du Chapitre 39.

[80] C’est l’approche que le Tribunal semble avoir suivie dans la décision Sher-Wood :

[45] Sous réserve de certaines conditions qui ne sont pas pertinentes dans le cadre du présent appel, dans la note 1 du chapitre 39, est entendu par « matières plastiques » les matières des positions nos 39.01 à 39.14. Ainsi, pour répondre au libellé de la position no 39.26, les marchandises en cause doivent être confectionnées par la couture de feuilles de l’une de ces matières. Cependant, la note 1 du chapitre 39 prévoit l’exception importante suivante à la définition de l’expression « matières plastiques » : « [c]es termes [« matières plastiques »] ne s’appliquent toutefois pas aux matières à considérer comme des matières textiles de la Section XI ».

[46] Par conséquent, le Tribunal doit déterminer si les deux combinaisons particulières de matières plastiques et de matières textiles utilisées pour former les marchandises en cause sont considérées comme des matières textiles de la section XI. Si ces deux composants qui sont cousus ensemble pour former l’extérieur des marchandises en cause sont considérés comme des matières textiles, ils ne peuvent constituer des « matières plastiques en feuille », ce qui empêcherait le Tribunal de conclure que les marchandises en cause sont confectionnées par couture de « matières plastiques en feuilles ».

[81] Comme il est indiqué plus haut, l’intimée soutient que le recours à la Note 1 du Chapitre 39 n’était pas nécessaire dans la présente affaire puisque le Tribunal avait déjà déterminé que la matière constitutive des marchandises n’était pas une matière textile. Je ne suis pas de cet avis.

[82] Je crois qu’il est raisonnable de dire que le Tribunal, après avoir déterminé, à la lumière des Notes explicatives sur le Chapitre 63, que la couche de PE-C constituait davantage que de simples garnitures ou accessoires, n’a pas expressément rejeté la caractérisation proposée des matières constitutives en tant que matières textiles. En effet, l’incorporation de matières plastiques qui ne sont pas de simples garnitures ou accessoires n’exclut pas automatiquement le classement des marchandises dans la position no 63.07. Les Notes explicatives sur le Chapitre 63, comme le fait observer le Tribunal, lui enjoignent simplement de classer les marchandises « conformément aux Notes y afférentes des Sections, des Chapitres (Règle générale interprétative 1) ou, à défaut, conformément aux autres Règles générales interprétatives » (voir le paragraphe 1 des Notes explicatives sur le Chapitre 63 et la décision du Tribunal, paragraphe 49).

[83] Le Tribunal ne procède pas à une telle analyse avant d’examiner si les marchandises en cause étaient plus précisément décrites par la position no 39.26 (décision du Tribunal, au para. 51). Le Tribunal s’inspire de la démarche censée avoir été adoptée dans l’affaire Rui Royal International Corp. c Agence des services frontaliers du Canada, 2011 CanLII 93784, au para. 85 (Rui Royal) (décision du Tribunal, note 33).

[84] Toutefois, j’estime que cette décision ne fonde guère la démarche du Tribunal dans la présente affaire. Tout d’abord, dans la décision Rui Royal, le Tribunal a pu examiner si les marchandises étaient plus précisément décrites par l’une ou l’autre des positions, car les positions en cause n’étaient pas incompatibles. Deuxièmement, et fait peut-être plus important encore, le Tribunal répète l’opinion selon laquelle les Notes explicatives sur le chapitre 63 n’excluent pas nécessairement du classement dans ce chapitre les marchandises assorties de matières non textiles qui constituent davantage que des garnitures ou accessoires mineurs (Rui Royal, au para. 69). En d’autres termes, une telle conclusion n’exclut pas le classement, dans le Chapitre 63, de marchandises composées de matières textiles combinées à des matières plastiques et ne nécessite donc pas forcément un examen de l’applicabilité du Chapitre 39, comme l’a fait le Tribunal en l’espèce.

[85] Si le Tribunal avait procédé comme il se doit à l’analyse prescrite par les Notes explicatives sur le chapitre 63, il aurait peut-être conclu que les marchandises devaient être classées comme articles textiles dans la position no 63.07. Si tel était le cas, aux termes de l’alinéa p) de la Note 2 du Chapitre 39, les marchandises auraient été exclues du classement dans la position no 39.26, comme dans l’affaire La Société Canadian Tire Limitée c. Canada (Président de l’Agence des services frontaliers), 2010 CarswellNat 5292 (WL Can), au paragraphe 52.

[86] Dans le cas de positions incompatibles telles que les positions nos 63.07 et 39.26, la Note 1 du Chapitre 39 prévoit, à mon avis, un ordre précis dans lequel les matières et, par extension, les marchandises doivent être évaluées. À la lumière de ce qui précède, j’estime que le Tribunal n’a pas rejeté en bonne et due forme la proposition de l’appelant, voulant que la matière constitutive des marchandises soit classée comme matière textile, avant de conclure que les marchandises étaient faites de matières plastiques. Ce faisant, il a fait fi de la Note 1 du Chapitre 39.

C. Réparation

[87] L’appelant demande que l’affaire soit renvoyée au Tribunal pour réexamen à la lumière des présents motifs.

[88] Ayant succombé dans le présent appel, l’intimée exhorte la Cour à substituer sa décision à celle du Tribunal et à maintenir le classement des marchandises en cause dans la position no 39.26, comme le permet le paragraphe 68(2) de la Loi, qui habilite la Cour à « statuer sur le recours, selon la nature de l’espèce, par ordonnance ou constatation, ou [à] renvoyer l’affaire au [Tribunal] pour une nouvelle audience ».

[89] Reconnaissant que le renvoi de l’affaire constitue normalement la meilleure solution, l’intimée affirme que plusieurs considérations, définies dans l’arrêt Vavilov, telles que la nature du régime de réglementation, la bonne administration de la justice, l’objectif de mettre sur pied un processus décisionnel à la fois rapide et économique et le caractère inévitable du résultat, soutiennent la réparation qu’il demande.

[90] La jurisprudence récente de la Cour en matière de réparation en droit administratif rappelle qu’il ne convient d’indiquer à un décideur administratif comment trancher une question relevant de sa compétence, ou de statuer à sa place, que dans les « cas les plus clairs » et lorsque le dossier de preuve ne peut mener qu’à un seul résultat (D’Errico c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 95, au para. 16 (D’Errico); Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Tennant, 2018 CAF 132, au para. 28; Canada (Procureur général) c. Allard, 2018 CAF 85 aux para. 44 et 45).

[91] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême « abord[e] brièvement la question de savoir si la cour qui casse une décision déraisonnable devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de renvoyer l’affaire pour réexamen à la lumière des motifs donnés par la cour » (Soulignements ajoutés); Vavilov, au para. 139). Ce faisant, elle rappelle qu’il « conviendra le plus souvent » de renvoyer l’affaire au décideur pour qu’il revoie la décision (Vavilov, au para. 141).

[92] Renvoyant à l’arrêt D’Errico, la Cour suprême souligne l’existence de « situations limitées dans lesquelles le renvoi de l’affaire pour nouvel examen fait échec au souci de résolution rapide et efficace d’une manière telle qu’aucune législature n’aurait pu souhaiter ». Elle invoque à cet égard des facteurs tels que « [l]es préoccupations concernant les délais, l’équité envers les parties, le besoin urgent de régler le différend, la nature du régime de réglementation donné, la possibilité réelle ou non pour le décideur administratif de se pencher sur la question en litige, les coûts pour les parties et l’utilisation efficace des ressources publiques », susceptibles d’influer également sur l’exercice par la cour de son pouvoir discrétionnaire de renvoi (Vavilov, au para. 142).

[93] En l’espèce, en se fondant principalement sur l’arrêt D’Errico, l’intimée soutient, essentiellement, que le renvoi de l’affaire au Tribunal aurait des répercussions néfastes indues sur ses intérêts du fait des délais et des frais non-indemnisables. Elle soutient en outre qu’une telle mesure ne serait d’aucune utilité, étant donné que la Cour dispose du même dossier que le Tribunal.

[94] Je ne suis pas convaincu que cette affaire représente l’une de ces « situations limitées » où la Cour devrait procéder à sa propre appréciation de l’affaire, au vu du dossier dont elle est saisie, et en dicter l’issue sur le fondement des faits et du droit. Plus précisément, je ne pense pas que l’arrêt D’Errico soit d’une grande utilité pour l’intimée. Dans cette affaire, le dossier montre le préjudice qui aurait été causé par un retard supplémentaire, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. La nature des prestations en cause dans l’arrêt D’Errico, versées à une personne dont l’état de santé l’empêchait d’avoir une occupation véritablement rémunératrice, était une considération importante qui a amené la Cour à conclure que le législateur n’avait certes pas voulu qu’il faille huit ans pour qu’il soit statué définitivement sur une demande de prestations d’invalidité dans ces circonstances (D’Errico, au para. 19).

[95] Manifestement, l’intimée – une société commerciale qui fait affaire dans l’importation et la vente de marchandises – n’éprouve pas ce genre de difficultés.

[96] La présente affaire appelle la réparation habituelle. Le Tribunal a appliqué un cadre analytique juridique erroné. Les faits de l’affaire, y compris la preuve d’expert, ne mènent pas à un seul résultat clair, doivent maintenant être réévalués à la lumière du cadre approprié. Il est donc préférable de laisser cette question au Tribunal, à qui le législateur a confié la tâche de procéder à ces évaluations.

[97] Je propose donc d’annuler la décision du Tribunal et de renvoyer l’affaire à une autre formation du Tribunal pour réexamen conforme aux présents motifs.

[98] L’appelante réclame les dépens. Compte tenu de l’issue du présent appel, il sera fait droit à cette demande, et les dépens seront taxés sur une base partie-partie conformément à la colonne III du tableau du tarif B, comme le prévoit la règle 407 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

[99] Dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire en l’espèce, je rejette la demande de l’intimée qui souhaite que chaque partie assume ses propres dépens, car, selon elle, le Tribunal a adopté une approche différente de celle préconisée par les deux parties devant lui. D’autres voies – plus économiques– étaient ouvertes à l’intimée dans le cadre du présent appel, par exemple elle aurait pu consentir au jugement, ce qui aurait pu emporter le renvoi de l’affaire au Tribunal plus rapidement pour un nouvel examen selon l’approche appropriée. Rien n’indique que de telles avenues ont été envisagées par l’intimée.

« René LeBlanc »

j.c.a.

« Je souscris à ces motifs.

D.G. Near, j.c.a. »

« Je souscris à ces motifs.

Yves de Montigny, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-296-19

 

INTITULÉ :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. IMPEX SOLUTIONS INC.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 septembre 2020

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LEBLANC

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 15 octobre 2020

 

COMPARUTIONS :

Kirk Shannon

Fraser Harland

 

Pour l’appelant

 

Wendy J. Linden

Hunter Fox

Danica Doucette-Preville

 

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

 

Pour l’appelant

 

Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Ottawa (Ontario)

Pour l’intimée

 

 

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