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Date : 20201026


Dossier : A-438-19

Référence : 2020 CAF 182

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

FÉDÉRATION DES CAISSES DESJARDINS DU QUÉBEC

appelante

et

MINISTÈRE DU REVENU NATIONAL et

SOPHIE PAYETTE

intimés

Audience tenue par vidéoconférence en ligne organisée par le greffe, le 26 octobre 2020.

Jugement rendu à l’audience à Ottawa (Ontario), le 26 octobre 2020.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE LEBLANC

 


Date : 20201026


Dossier : A-438-19

Référence : 2020 CAF 182

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

FÉDÉRATION DES CAISSES DESJARDINS DU QUÉBEC

appelante

et

MINISTÈRE DU REVENU NATIONAL et

SOPHIE PAYETTE

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Ottawa (Ontario), le 26 octobre 2020.)

LE JUGE LEBLANC

[1]  Nous sommes saisis de l’appel d’un jugement de la Cour canadienne de l’impôt (CCI), rendu en date du 22 octobre 2019 (2019 CCI 235), statuant que le travail effectué par l’intimée, Sophie Payette (l’intimée), pour le compte de l’appelante, entre les 1er janvier et 17 mai 2016, l’a été en vertu d’un contrat de louage de services, et non d’un contrat d’entreprise, faisant en sorte que pendant cette période, l’intimée aurait occupé un « emploi assurable » au sens de l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, c. 23 (la Loi), la rendant éligible, suite à son congédiement, au versement de prestations d’assurance-emploi.

[2]  L’appelante, soutenue en cela par l’intimée, ministre du Revenu national (la ministre), plaide que ce jugement est mal fondé, la CCI ayant fait défaut, selon elle, de se livrer à une analyse de l’ensemble des faits pertinents révélés par la preuve, en fonction des règles de droit applicables.

[3]  Malgré les efforts louables de l’intimée pour tenter de nous convaincre du contraire, nous sommes d’avis qu’il y a lieu d’intervenir et de casser le jugement de la CCI. Plus particulièrement, nous sommes d’avis que la CCI, qui était essentiellement appelée à déterminer, aux termes d’une application complémentaire de la Loi et du Code civil du Québec, s’il existait ou non, pendant la période en cause, un lien de subordination juridique entre l’intimée et l’appelante (voir Ray-Mont Logistiques Montréal Inc. c. Canada (Revenu national), 2020 CAF 113, [2020] A.C.F. no 751 (QL/Lexis) au para. 7; voir aussi Le Livreur Plus Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national), 2004 CAF 68, 326 N.R. 123 au para. 18 (Le Livreur Plus) et Grimard c. Canada, 2009 CAF 47, [2009] 4 R.C.F. 592 aux para. 20-43), s’est mal dirigée en droit. Cet exercice devait se faire dans une perspective globale où aucun facteur n’était censé jouer un rôle dominant (Canada (Procureur Général) c. Charbonneau (1996), 207 N.R. 299, 1996 CanLII 3971 (C.A.F.) au para. 3; 1392644 Ontario Inc. (Connor Homes) c. Canada (Revenu National), 2013 CAF 85, 358 D.L.R. (4th) 363 aux para. 28-29; voir aussi Dicom Express inc. c. Paiement, 2009 QCCA 611, [2009] R.J.Q. 924 au para. 17 (Dicom)).

[4]  Or, cela n’a pas été fait. D’une part, la CCI, comme en fait foi notamment le paragraphe 65 de son jugement, a fait jouer un rôle dominant, voire déterminant, au fait que le contrat liant l’intimée à l’appelante n’avait pas été négocié d’égal à égal. Nous convenons avec l’appelante et la ministre que le pouvoir de négociation des parties à la convention qui les lient n’est d’aucune pertinence afin de conclure à l’existence ou non d’un lien de subordination. Une telle distinction s’établit plutôt par l’analyse d’indices d’encadrement témoignant d’un contrôle exercé par le payeur sur le prestataire de services. En d’autres termes, l’impossibilité de négocier les clauses du contrat, en la tenant pour avérée, ne démontre aucunement que l’intimée était sous le contrôle de l’appelante aux fins de la prestation de ses services. Quant à l’obligation d’exclusivité découlant du contrat, aussi invoquée par la CCI comme facteur militant en faveur de la présence d’un lien de subordination, en soi, le fait de n'être lié qu'à un seul client qui impose certains devoirs ou obligations au regard de standards de qualité de service, ne signifie pas pour autant qu'il y a subordination juridique. Subordination juridique et dépendance économique ne sont en effet pas à confondre (Dicom au para. 16).

[5]  D’autre part, la CCI a accordé du poids au fait que des rapports d’évaluation de la qualité et de la quantité du travail étaient émis périodiquement. Encore là, la CCI a confondu les notions applicables puisque le contrôle des résultats n’équivaut pas au contrôle de l’exécution des travaux, lequel est propre au contrat de louage de services (Le Livreur Plus au para. 19).

[6]  Enfin, la CCI, tenue de procéder à une analyse globale de l’affaire, se devait de considérer toute la preuve à la lumière des critères applicables, ce qu’elle n’a pas fait non plus (Combined Insurance Company of America c. Canada (Revenu national), 2007 CAF 60, 359 N.R. 358 au para. 26). Notamment, elle a ignoré le fait que l’intimée pouvait compter sur les services d’une adjointe, qu’elle avait elle-même embauchée, et n’a pas discuté du fait que, pour fins fiscales, l’intimée se réclamait du statut de travailleuse autonome et qu’elle était inscrite auprès du Registraire des entreprises du Québec. Ce faisant, la CCI a fait défaut de donner à tous les éléments de la preuve au dossier la signification juridique que commandait la Loi, telle qu'interprétée par la jurisprudence, et le poids que les circonstances de l’affaire exigeaient.

[7]  Cela suffit donc pour intervenir. Tout comme la ministre, nous estimons que la réparation appropriée, dans les présentes circonstances, est de retourner le dossier à la CCI, pour reconsidération, par un(e) autre juge de la CCI. Nous sommes aussi d’avis qu’il y a lieu d’accueillir l’appel sans frais.

« René LeBlanc »

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-438-19

 

INTITULÉ :

FÉDÉRATION DES CAISSES DESJARDINS DU QUÉBEC c. MINISTÈRE DU REVENU NATIONAL et SOPHIE PAYETTE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE EN LIGNE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 octobre 2020

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE NADON

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LEBLANC

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE :

LE JUGE LEBLANC

 

COMPARUTIONS :

Simon-Pierre Hébert

 

Pour l'appelante

 

Simon Petit

Julien Dubé-Senécal

 

Pour l’intimé

MINISTÈRE DU REVENU NATIONAL

 

Mercedes Diaz

POUR L’INTIMÉE

SOPHIE PAYETTE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

BCF s.e.n.c.r.l.

Québec (Québec)

 

Pour l'appelante

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour l’intimé

MINISTÈRE DU REVENU NATIONAL

 

 

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