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Date : 20201104


Dossier : A-473-19

Référence : 2020 CAF 190

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

TARIQ RANA

demandeur

et

SECTION LOCALE 938 DE LA FRATERNITÉ INTERNATIONALE DES TEAMSTERS

défenderesse

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe le 4 novembre 2020.

Jugement rendu à l’audience par vidéoconférence en ligne le 4 novembre 2020.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE LASKIN

 


Date : 20201104


Dossier : A-473-19

Référence : 2020 CAF 190

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

TARIQ RANA

demandeur

et

SECTION LOCALE 938 DE LA FRATERNITÉ INTERNATIONALE DES TEAMSTERS

défenderesse

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience par vidéoconférence en ligne le 4 novembre 2020.)

LE JUGE LASKIN

[1] Le demandeur, M. Rana, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue par le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) (2019 CCRI LD 4231). Dans sa décision, le Conseil a refusé de réexaminer la décision du Conseil (2019 CCRI LD 4112) rejetant la plainte de M. Rana selon laquelle le syndicat intimé a manqué à son devoir de représentation équitable aux termes de l’article 37 du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2.

[2] L’employeur de M. Rana a mis fin à son emploi de chauffeur de camion. À la demande de M. Rana, le syndicat a déposé un grief contre son licenciement et a tenté, sans succès, de négocier un règlement. Il a finalement décidé, et a informé M. Rana, qu’il ne poursuivrait pas le grief.

[3] Une formation de trois personnes du Conseil a sommairement rejeté la plainte de M. Rana relativement au devoir de représentation équitable. Le Conseil a conclu qu’il n’avait pas réussi à établir une preuve suffisante à première vue de comportement arbitraire ou de mauvaise foi de la part du syndicat. Il n’a donc pas demandé au syndicat de répondre à la plainte.

[4] M. Rana a demandé le réexamen de cette décision aux termes de l’article 18 du Code. Il a affirmé dans sa requête que la formation avait enfreint les principes de justice naturelle et l’avait privé d’une instruction équitable en se fondant sur des faits extérieurs au dossier. Il s’agissait de faits, a-t-il soutenu, que la formation a soit sollicités ou a été invité à recevoir, soit fabriqués, soit découverts [traduction] « au moyen de pouvoirs de divination surnaturels ». S’il n’avait pas agi de la sorte, le Conseil, selon lui, aurait rendu une décision différente. Il a également fait valoir que le syndicat n’avait pas pris en compte le grief, ne l’avait pas traité correctement, ne l’avait pas informé des motifs de sa décision de ne pas poursuivre le grief ou de le soumettre à l’arbitrage. Dans une réponse qu’il a déposée aux observations du syndicat et de l’employeur, il a avancé d’autres faits pour appuyer ses affirmations.

[5] La demande a été confiée à une formation d’une personne issue du Conseil, comprenant le vice-président du Conseil qui avait fait partie de la formation chargée d’examiner la plainte relative au devoir de représentation équitable. Au départ, la demande avait été assignée à cette même formation, mais elle a été réaffectée lorsque l’un des membres de la formation s’est récusé. Dans une lettre adressée au Conseil relativement à une question interlocutoire qui n’est plus en litige, M. Rana avait déclaré que [traduction] « l’équité procédurale et la justice naturelle ne peuvent être assurées par le Conseil si celui-ci soumet la demande de réexamen de M. Rana à la même formation qui a fabriqué des faits lors de son examen initial et du rejet de la plainte initiale déposée par M. Rana aux termes de l’article 37 [...] ».

[6] En concluant qu’aucun réexamen n’était justifié, le Conseil a analysé la thèse de M. Rana concernant la composition de la formation. Il a mentionné que l’article 12.01 du Code habilite le président du Conseil à constituer les formations pour entendre les affaires dont le Conseil est saisi. Il a également fait référence aux décisions du Conseil affirmant que les parties n’ont pas le droit de revoir la composition des formations (décision Société Radio-Canada, 2004 CCRI 262) et que, dans certains cas, la formation initiale peut être la mieux placée pour examiner une demande de réexamen (décision Scott, 2012 CCRI LD 2716). Il a conclu que le dossier de M. Rana entrait dans cette catégorie et que l’intervention de la formation désignée n’avait pas donné lieu à un parti pris et n’avait pas nui à sa capacité d’examiner la demande de manière équitable et objective.

[7] Le Conseil a ensuite examiné l’argument de M. Rana selon lequel la formation chargée de traiter sa plainte pour manquement au devoir de représentation équitable n’a pas été validement saisie des faits qu’elle a examinés. Il n’a trouvé aucun fondement à l’allégation de M. Rana selon laquelle la formation avait fabriqué des éléments de preuve. Le Conseil a expliqué que, dans un cas, la formation avait tiré une conclusion fondée sur le dossier dont elle disposait et sur sa connaissance générale de l’industrie canadienne du camionnage. Même en écartant cette conclusion, selon le Conseil, il n’y aurait aucun changement dans l’issue de la plainte. Le Conseil a expliqué, en traitant les deux autres conclusions contestées par M. Rana, que celles-ci étaient étayées par le dossier. Le Conseil a également conclu que M. Rana n’avait pas démontré pourquoi les faits supplémentaires qu’il avait présentés en réponse à sa demande de réexamen n’auraient pas pu être soumis à la formation initiale.

[8] Dans sa demande devant notre Cour, M. Rana semble, à plusieurs égards, contester non pas la décision de réexamen, mais la décision antérieure du Conseil sur sa plainte relative au devoir de représentation équitable. Or, c’est ce qu’il ne peut pas faire : une demande de contrôle judiciaire d’une décision de réexamen ne peut pas être utilisée comme un moyen de révision de la décision initiale du Conseil (Remstar Corporation c. Syndicat des employé-es de TQS Inc. (FNC-CSN), 2011 CAF 183, au paragraphe 3, autorisation d’interjeter appel refusée, [2012] 1 R.C.S. xii).

[9] M. Rana n’a pas non plus démontré que la décision de réexamen contenait une erreur susceptible de révision. Un nouvel examen est une mesure exceptionnelle. Comme le Conseil l’a reconnu ici (citant la décision Buckmire c. Section locale 938 de la Fraternité internationale des Teamsters, 2013 CCRI 700, aux paragraphes 37 à 44), les principaux motifs pour lesquels le Conseil peut réexaminer une décision antérieure d’une formation sont les suivants :

  • 1) il y a des faits nouveaux que le demandeur n’aurait pas pu porter à l’attention de la formation initiale et qui auraient été susceptibles de persuader le Conseil d’arriver à une conclusion différente;

  • 2) une erreur de droit ou de politique qui jette un doute sérieux sur l’interprétation du Code ou de la politique du Conseil;

  • 3) l’inobservation par le Conseil d’un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale.

[10] M. Rana a consacré une grande partie de son argumentation orale à l’argument selon lequel il était en droit, pour des raisons d’équité, de présenter des faits supplémentaires dans sa réponse à la demande de réexamen. Toutefois, il a reconnu qu’il avait connaissance de ces faits lorsqu’il a déposé sa plainte et qu’il les avait retenus à ce moment-là afin qu’ils puissent être utilisés dans la réponse qu’il espérait pouvoir donner aux observations du syndicat. Il a fait valoir que son droit à une réplique a été rétabli lorsque le Conseil a invité le syndicat à présenter des observations sur le réexamen, et que le Conseil n’aurait pas respecté les principes d’équité en refusant de prendre en considération les faits supplémentaires qu’il avait présentés.

[11] À notre avis, cette observation ne tient pas compte de l’obligation de M. Rana de faire de son mieux pour étayer sa plainte. Il a pris la décision stratégique de ne pas le faire. Cela ne lui donne pas le droit de présenter ces faits à la formation chargée du réexamen de l’affaire, par dérogation à la politique du Conseil qui figure dans le premier motif de réexamen exposé ci-dessus. Nous ne voyons aucune erreur susceptible de révision de la part du Conseil dans sa décision de ne pas tenir compte des faits supplémentaires lors du réexamen.

[12] M. Rana soutient également que le Conseil a commis une erreur de politique, de manière à répondre aux exigences du deuxième motif de réexamen, en ne soumettant pas le comportement du syndicat à l’examen plus approfondi requis dans une affaire de licenciement. Or, le Conseil a expressément conclu (à la p. 6 de la décision relative au devoir de représentation équitable) que le syndicat s’était penché sur la situation créée par le licenciement de M. Rana. Il a procédé à un examen détaillé du comportement du syndicat. Il incombe à M. Rana de démontrer que le Conseil a agi de manière déraisonnable en n’accordant pas de réexamen pour ce motif, vu les éléments de preuve déposés dans la plainte relative au devoir de représentation équitable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, au paragraphe 100, 441 D.L.R. (4th) 1). À notre avis, il ne s’est pas déchargé de ce fardeau.

[13] En ce qui concerne le troisième motif, comme nous l’avons déjà indiqué, la formation chargée du réexamen a ensuite examiné et rejeté l’argument de M. Rana selon lequel la formation chargée de traiter sa plainte pour manquement au devoir de représentation équitable avait examiné des faits dont elle n’avait pas été validement saisie. Nous ne voyons aucun motif d’intervenir à l’égard de cet élément de la décision de la formation.

[14] M. Rana soulève également de nouveau des allégations de partialité, tant de la part de la formation initiale que de la formation chargée du réexamen. L’allégation contre la formation de réexamen est principalement fondée sur le fait que la formation reconstituée comprenait le vice-président qui a fait partie de la formation qui a examiné la plainte relative au devoir de représentation équitable, et qui se serait appuyée sur des faits ne figurant pas au dossier. Comme nous l’avons déjà affirmé, la formation chargée du réexamen a examiné et rejeté cette allégation, et nous sommes d’accord avec sa conclusion de fait. Nous ne voyons pas non plus le bien-fondé de l’allégation, contradictoire, de partialité et d’injustice procédurale de M. Rana, fondée sur l’allégation que le Conseil n’avait pas assigné la demande de réexamen à la même formation de trois personnes que celle qui a traité la plainte initiale. Cela aurait de toute façon été impossible une fois qu’un des membres de la formation s’est récusé.

[15] Pour ces motifs, nous rejetterons la demande avec dépens.

« J.B. Laskin »

j.c.a.

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-473-19

INTITULÉ :

TARIQ RANA c. SECTION LOCALE 938 DE LA FRATERNITÉ INTERNATIONALE DES TEAMSTERS

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE PAR VIDÉOCONFÉRENCE TENUE PAR LE GREFFE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 novembre 2020

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LASKIN

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :

LE JUGE LASKIN

COMPARUTIONS :

Tariq Rana

 

Pour la demanderesse

(pour son propre compte)

 

Alex St. John

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wright Henry LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour la défenderesse

 

 

 

 

 

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