Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20201109


Dossier : A-208-19

Référence : 2020 CAF 194

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LOCKE

 

 

ENTRE :

6075240 CANADA INC.

appelante

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 22 septembre 2020.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 9 novembre 2020.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LOCKE

 


Date : 20201109


Dossier : A-208-19

Référence : 2020 CAF 194

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LOCKE

 

 

ENTRE :

6075240 CANADA INC.

appelante

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

I.  Introduction

[1]  L’appelante 6075240 Canada Inc. interjette appel de la décision de la Cour fédérale (2019 CF 642) qui a rejeté sa demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre du Revenu national (le ministre) qui a refusé d’émettre de nouvelles cotisations pour les années d’imposition 2010 et 2012 au motif que les déclarations de revenus pour ces années ont été soumises hors de la période normale de cotisation. L’appelante n’ayant pas soumis ses déclarations de revenu dans les délais prévus dans la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e supp.) (la Loi), le ministre a émis des cotisations dites « estimatives » pour les années d’imposition 2010 et 2012. L’appelante a fait parvenir au ministre ses déclarations de revenu pour chacune de ces années d’imposition plus de trois ans après la date de l’envoi de l’avis de cotisation « estimative ». Le ministre a alors informé l’appelante que le paragraphe 152(4) de la Loi ne lui permet pas d’établir une nouvelle cotisation hors de la période normale de cotisation. Il en fut de même pour 2012. Insatisfaite de la décision du ministre, l’appelante a demandé le contrôle judiciaire de ces décisions devant la Cour fédérale.

[2]  La Cour fédérale a rejeté la demande de l’appelante au motif que la décision du ministre, interprétant les dispositions pertinentes de la Loi était raisonnable.

[3]  L’appelante reproche au ministre de ne pas avoir fait une analyse qui tient compte du texte, du contexte et de l’objet de la Loi. En ce qui concerne la Cour fédérale, l’appelante fait valoir que celle-ci n’a pas interprété la Loi de sorte à donner un sens à toutes les dispositions pertinentes.

[4]  Pour les motifs exposés ci-dessous, je rejetterais l’appel avec dépens.

II.  Les Faits et la Décision en Appel

[5]  L’appelante est une société dont l’exercice financier se termine le 31 décembre. Elle est donc tenue de présenter sa déclaration de revenu au plus tard le 30 juin de l’année suivante. Or, elle n’a déposé ses déclarations de revenu pour les années 2010 et 2012 que le 2 septembre 2015, et le 8 mars 2018. Entretemps, le ministre a émis des cotisations « estimatives » pour 2010 et 2012, respectivement le 10 avril 2012 et le 28 mai 2014.

[6]  Ces cotisations ont été émises en vertu du paragraphe 152(7) de la Loi, qui se lit comme suit :

152(7) Le ministre n’est pas lié par les déclarations ou renseignements fournis par un contribuable ou de sa part et, lors de l’établissement d’une cotisation, il peut, indépendamment de la déclaration ou des renseignements ainsi fournis ou de l’absence de déclaration, fixer l’impôt à payer en vertu de la présente partie.

152(7) The Minister is not bound by a return or information supplied by or on behalf of a taxpayer and, in making an assessment, may, notwithstanding a return or information so supplied or if no return has been filed, assess the tax payable under this Part.

[7]  Lorsque l’appelante a tenté de présenter sa déclaration de revenu pour 2010, un agent de l’Agence canadienne du revenu (l’Agence) – un délégué du ministre – l’a informée que selon le paragraphe 152(4) de la Loi, le ministre ne pouvait établir une nouvelle cotisation hors de la période normale de cotisation. Lorsque l’appelante a déposé, en 2018, sa déclaration pour 2012, elle a essuyé un deuxième refus, pour les mêmes motifs.

[8]  L’appelante a demandé le contrôle judiciaire de ces deux décisions. La Cour fédérale a rejeté cette demande au motif que la décision du ministre est raisonnable au regard de la norme de contrôle qui s’applique dans les circonstances. Puisque la décision a été rendue avant que la Cour suprême ne se prononce dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] A.C.S. no 65 [Vavilov], la Cour fédérale n’a donc pas traité de la décision du ministre à la lumière des enseignements les plus récents de la Cour suprême.

[9]  L’appelante a tenté de convaincre la Cour fédérale que la période normale de cotisation ne commence à courir que lorsque le contribuable produit sa déclaration de revenu. Cet argument se fonde sur le texte du paragraphe 152(4) qui se lit comme suit :

152(4) Le ministre peut établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire concernant l’impôt pour une année d’imposition, ainsi que les intérêts ou les pénalités, qui sont payables par un contribuable en vertu de la présente partie ou donner avis par écrit qu’aucun impôt n’est payable pour l’année à toute personne qui a produit une déclaration de revenu pour une année d’imposition. Pareille cotisation ne peut être établie après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation applicable au contribuable pour l’année que dans les cas suivants : […] (je souligne)

152(4) The Minister may at any time make an assessment, reassessment or additional assessment of tax for a taxation year, interest or penalties, if any, payable under this Part by a taxpayer or notify in writing any person by whom a return of income for a taxation year has been filed that no tax is payable for the year, except that an assessment, reassessment or additional assessment may be made after the taxpayer’s normal reassessment period in respect of the year only if…

(emphasis added)

[10]  Faisant abstraction de certaines portions du paragraphe 152(4), l’appelante fait valoir que le sens qui doit lui être donné est le suivant :

Le ministre peut établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire concernant l’impôt pour une année d’imposition […] en vertu de la présente partie […] à toute personne qui a produit une déclaration de revenu pour une année d’imposition.

[11]  Selon l’appelante, il s’ensuit que, du seul fait qu’elle ait produit une déclaration de revenu, le ministre peut établir une nouvelle cotisation. Qui plus est, l’obligation du ministre d’examiner avec diligence la déclaration de revenu d’un contribuable pour une année d’imposition et de fixer l’impôt, prévue au paragraphe 152(1) de la Loi, ne peut être privée de son effet par une cotisation « estimative ».

[12]  La Cour fédérale a rejeté les arguments mis de l’avant par l’appelante. La Cour estime que l’objectif visé par les dispositions pertinentes de la Loi est la finalité des cotisations, ce qui rend douteuse une interprétation de ces dispositions selon laquelle « une catégorie importante de cotisations échappe à toute limite temporelle pour ce qui est de l’établissement d’une nouvelle cotisation. » (Motifs au par. 10). La Cour a souligné que la Loi ne crée pas différents types de cotisation de sorte qu’une cotisation dite « estimative », prévue au paragraphe 152(7) de la Loi, est une cotisation au même titre que tout autre cotisation.

[13]  La Cour a ajouté que l’obligation d’examiner avec diligence une déclaration de revenu et de fixer l’impôt payable doit être interprétée à la lumière des autres dispositions qui portent sur la cotisation et la recotisation. Lorsque cette disposition est mise en contexte, il faut conclure que la règle de l’examen diligent « ne s’applique pas lorsque le paragraphe 152(4) interdit d’émettre une nouvelle cotisation. » (Motifs, au par. 11).

[14]  La Cour a aussi rejeté l’argument mis de l’avant par l’appelante quant à l’interprétation du paragraphe 152(4). Elle a comparé le texte français de la Loi au texte anglais, et a indiqué que le bout de phrase sur lequel s’appuie l’argument de l’appelante ne contient pas l’ambiguïté qu’elle lui attribue. Le texte anglais en question se lit comme suit :

… or notify in writing any person by whom a return of income for a taxation year has been filed that no tax is payable for the year, …

[15]  La Cour fédérale a donc conclu que la portion de phrase sur laquelle se fonde l’argument de l’appelante, c’est-à-dire « à toute personne qui a produit une déclaration de revenu pour une année d’imposition », n’a pas la portée que souhaite lui donner l’appelante. La Cour a plutôt déterminé que ce bout de phrase s’applique uniquement à celui qui « donne[r] avis par écrit qu’aucun impôt n’est payable pour l’année » (Motifs au par. 13).

[16]  L’appelante a également invité la Cour fédérale à interpréter la Loi dans le sens de la Loi sur les impôts, R.L.R.Q. c. I-3, en vigueur au Québec, qui prévoit que la période de nouvelle cotisation peut commencer à courir à partir du moment où le contribuable produit une déclaration de revenu, et ce, même si celle-ci est produite hors de la période normale de cotisation. La Cour fédérale n’a pas accédé à cette demande, prenant acte du fait que les législateurs fédéral et provinciaux ont édicté des règles différentes.

[17]  Somme toute, la Cour fédérale n’a pas été convaincue que l’interprétation de la Loi mise de l’avant par le délégué du ministre était déraisonnable et a rejeté la demande de l’appelante.

III.  Les Questions en Litige

[18]  L’appelante allègue que le délégué du ministre a fondé sa décision de ne pas examiner ses déclarations de revenu sur une interprétation de la Loi qui n’est ni raisonnable ni correcte. Il s’ensuit que la seule question en litige est celle de l’interprétation des dispositions pertinentes de la Loi.

IV.  Analyse

A.  La norme de contrôle

[19]  En l’espèce, le rôle de cette Cour est de décider si la Cour fédérale a choisi la bonne norme de contrôle et si elle l’a bien appliquée aux faits de la cause. Ceci revient à dire « qu’en se « met[tant] à la place » du tribunal d’instance inférieure la cour d’appel se concentre effectivement sur la décision administrative » (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559 au par. 46).

[20]  Puisque la Cour suprême a rendu sa décision dans l’affaire Vavilov après que la Cour fédérale eut rendu sa décision, il importe de souligner les éléments de cette décision qui s’appliquent dans les circonstances de cette cause.

 

[21]  Dans l’affaire Vavilov, la Cour suprême a statué qu’il y a une présomption de contrôle selon la norme de la décision raisonnable qui est applicable à tous les aspects de la décision administrative en cause (Vavilov, au par. 25). La Cour suprême s’est par la suite penchée sur les caractéristiques de la décision raisonnable.

[22]  Notamment, au paragraphe 84 de ses motifs, la Cour suprême nous enseigne « qu’une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec « une attention respectueuse », et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion ». Néanmoins, au paragraphe 91, la Cour suprême s’empresse de nous rappeler que ces motifs « ne doivent pas être jugés au regard d’une norme de perfection ». De fait, au paragraphe 92, la Cour suprême souligne l’importance de ne pas exiger que le décideur administratif s’exprime comme le ferait un juge:

[…] En réalité, les concepts et le vocabulaire employés par ces décideurs sont souvent, dans une très large mesure, propres à leur champ d’expertise et d’expérience, et ils influent tant sur la forme que sur la teneur de leurs motifs. Ces différences ne sont pas forcément le signe d’une décision déraisonnable; en fait, elles peuvent indiquer la force du décideur dans son champ d’expertise précis. La « justice administrative » ne ressemble pas toujours à la « justice judiciaire » et les cours de révision doivent en demeurer pleinement conscientes.

[23]  Cela étant, la Cour suprême, au paragraphe 100, n’écarte pas les caractéristiques de la décision raisonnable, telles qu’exposées dans l’affaire Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 :

[…] Avant de pouvoir infirmer la décision pour ce motif [la déraisonnabilité], la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence.

[24]  Et la Cour suprême de poursuivre :

Il nous semble utile ici, d’un point de vue conceptuel, de nous arrêter à deux catégories de lacunes fondamentales. La première est le manque de logique interne du raisonnement. La seconde se présente dans le cas d’une décision indéfendable sous certains rapports compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision.

(Vavilov, au par. 101).

[25]  Il incombe donc à cette Cour d’examiner la décision du délégué du ministre à la lumière de ces principes.

B.  L’interprétation de la Loi

[26]  Puisque nous devons nous pencher sur la décision administrative, il importe d’en reproduire les portions pertinentes :

Selon paragraphe 152(4) de la « Loi de l’impôt sur le revenu », nous pouvons établir une nouvelle cotisation pour une année si nous en recevons la demande dans les trois ans avant la fin de la période de nouvelle cotisation. Cette période débute à la date de « l’Avis de cotisation » original ou de l’avis indiquant qu’aucun impôt est payable pour une année et se termine trois ans après cette date pour une société privée dont le contrôle est canadien et quatre ans après cette date pour toutes les autres sociétés. Puisque nous avons établi la cotisation de votre déclaration pour l’année 31 décembre 2010 le 10 avril 2012 et que nous avons reçu votre demande de redressement le 15 septembre 2015, nous ne pouvons pas donner suite à cette dernière.

(Dossier d’Appel, p. 173).

[27]  L’appelante n’ayant pas produit de déclaration pour l’année d’imposition 2010 avant le 15 septembre 2015, la mention de « la cotisation de votre déclaration pour l’année 31 décembre 2010 [établi] le 10 avril 2012 » porte à la confusion. Le sens de cette mention ressort d’une lettre de l’Agence en lien avec l’année d’imposition 2009 qui explique que les cotisations émises en vertu du paragraphe 152(7) de la Loi sont considérées comme étant des déclarations reçues par l’Agence (Dossier d’Appel, p. 171).

[28]  Dans cette même lettre, l’Agence explique son refus de traiter la déclaration de revenu pour l’année d’imposition 2009 en disant que la déclaration n’a pas été reçue « dans les trois ans suivant l’émission de cette cotisation 152(7) [sic] ». Cette explication, bien que concise, est la même que celle fournie par l’Agence à l’égard de la déclaration produite pour 2012.

[29]  Ainsi, le fait que l’Agence considère qu’une cotisation en vertu du paragraphe 152(7) est une déclaration de revenu n’explique en rien son refus de traiter une déclaration produite en dehors de la période normale de cotisation. Le fondement de ce refus, dans les deux lettres au dossier, est le fait que la déclaration tardive a été produite hors de la période normale de cotisation, c’est-à-dire plus que trois ans après l’envoi de l’avis de première cotisation : voir l’alinéa 152(3.1)b) de la Loi.

[30]  Le raisonnement de l’Agence est donc fondé sur son interprétation des dispositions pertinentes de la Loi. L’appelante s’oppose à l’interprétation de l’Agence et soumet sa propre interprétation à l’égard des dispositions en cause. Il reste à voir si l’appelante peut démontrer que l’interprétation de l’Agence est déraisonnable.

[31]  L’appelante insiste sur le fait que la Loi ne prévoit aucun délai de prescription pour produire une déclaration de revenu, tant et aussi longtemps que la déclaration initiale n’a pas été produite. En effet, l’appelante fait valoir que, bien que la Loi prévoit que l’appelante doit produire sa déclaration de revenu le ou avant le 30 juin de chaque année (voir l’alinéa 150(1)a) de la Loi), la production de sa déclaration après cette date n’est pas forclose par aucune disposition de la Loi. Cet argument sera examiné ci-dessous.

[32]  L’appelante poursuit son raisonnement en soulignant que le paragraphe 152(1) exige que le ministre « examine la déclaration de revenu d’un contribuable pour une année d’imposition, fixe l’impôt pour l’année, ainsi que les intérêts et les pénalités éventuels payables… ». Selon elle, cette disposition fait en sorte que le ministre est tenu d’examiner la déclaration de revenu pour une année, nonobstant le fait que celle-ci ait été produite après l’émission d’une cotisation « estimative ». Force est de constater que l’Agence n’a jamais dit le contraire. En effet, elle prétend qu’elle ne peut pas traiter une déclaration produite hors de la période normale de cotisation alors qu’à l’intérieur de cette période, elle examine les déclarations qui lui sont produites.

[33]  L’appelante complète son raisonnement en affirmant, au paragraphe 29 de son mémoire qu’« il faut avoir produit sa déclaration de revenus (sic) pour que le délai de trois ans commence à courir ». Pourtant, le paragraphe 152(3.1) est sans équivoque sur ce point :

152(3.1) Pour l’application des paragraphes (4), (4.01), (4.2), (4.3), (5) et (9), la période normale de nouvelle cotisation applicable à un contribuable pour une année d’imposition s’étend sur les périodes suivantes :

152(3.1) For the purposes of subsections (4), (4.01), (4.2), (4.3), (5) and (9), the normal reassessment period for a taxpayer in respect of a taxation year is

a) quatre ans suivant soit la date d’envoi d’un avis de première cotisation en vertu de la présente partie le concernant pour l’année, soit, si elle est antérieure, la date d’envoi d’une première notification portant qu’aucun impôt n’est payable par lui pour l’année, si, à la fin de l’année, le contribuable est une fiducie de fonds commun de placement ou une société autre qu’une société privée sous contrôle canadien;

(a) if at the end of the year the taxpayer is a mutual fund trust or a corporation other than a Canadian-controlled private corporation, the period that ends four years after the earlier of the day of sending of a notice of an original assessment under this Part in respect of the taxpayer for the year and the day of sending of an original notification that no tax is payable by the taxpayer for the year; and

b) trois ans suivant celle de ces dates qui est antérieure à l’autre, dans les autres cas.

(b) in any other case, the period that ends three years after the earlier of the day of sending of a notice of an original assessment under this Part in respect of the taxpayer for the year and the day of sending of an original notification that no tax is payable by the taxpayer for the year.

[34]  Puisque l’appelante n’est pas une fiducie de fonds commun de placement, qu’elle est une société sous contrôle canadien et qu’elle n’a jamais reçu une première notification voulant qu’aucun impôt n’était payable par la société pour l’année, elle est assujettie à l’alinéa b). En conséquence, cela veut dire que la période normale de cotisation commence à courir à compter de la date d’envoi d’un avis de première cotisation pour l’année.

[35]  L’argument central de l’appelante repose sur le paragraphe 152(4) de la Loi, ce qui n’est guère surprenant puisque c’est la disposition sur laquelle se fonde la position du ministre. Dans un premier temps, l’appelante prétend que le paragraphe 152(4) permet l’établissement d’une nouvelle cotisation ou une recotisation « à toute personne qui a produit une déclaration de revenu pour une année d’imposition ». Or, comme l’a noté la Cour fédérale, la version anglaise du paragraphe 152(4) n’a pas le sens que l’appelante donne à la version française.

[36]  Dans l’hypothèse où la version française est ambiguë, cette ambiguïté disparait lorsqu’ on la compare à la version anglaise. Cette comparaison démontre que la référence au fait de produire une déclaration est en lien avec les contribuables ayant produit une déclaration dans laquelle ils soutiennent qu’aucune taxe n’est payable et non pas au fait d’établir une cotisation ou une nouvelle cotisation. D’ailleurs, l’utilisation de la préposition « à » s’accorde plutôt avec « donner avis » qu’avec « peut établir une cotisation ». Somme toute, l’appelante ne m’a pas convaincu que son interprétation du paragraphe 152(4) est bien fondé.

[37]  L’appelante a aussi tenté de se soustraire à l’opération du paragraphe 152(4) en soulevant la définition de la période normale de cotisation. Nous avons noté ci-dessus sa tentative de définir le moment auquel le temps commence à courir pour les fins de cette période, tentative qui fait fi du texte du paragraphe 152(3.1). Le texte de loi est clair en ce que le point de départ est l’envoi de l’avis de première cotisation et non pas la date de production de la déclaration.

[38]  Malgré cela, l’appelante insiste et fait valoir qu’une cotisation « estimative » n’est pas une cotisation pour les fins du paragraphe 152(3.1). Le paragraphe 152(7) qui prévoit une cotisation en l’absence d’une déclaration de revenu se trouve au paragraphe 6 ci-dessus mais il est opportun d’y faire référence, par souci de convenance :

152(7) Le ministre n’est pas lié par les déclarations ou renseignements fournis par un contribuable ou de sa part et, lors de l’établissement d’une cotisation, il peut, indépendamment de la déclaration ou des renseignements ainsi fournis ou de l’absence de déclaration, fixer l’impôt à payer en vertu de la présente partie.

152(7) The Minister is not bound by a return or information supplied by or on behalf of a taxpayer and, in making an assessment, may, notwithstanding a return or information so supplied or if no return has been filed, assess the tax payable under this Part.

[39]   D’emblée, je note que le paragraphe 152(7) n’est pas une disposition qui autorise la cotisation : cette disposition est procédurale car elle établit que le ministre n’est pas lié par la déclaration du contribuable, une mise au point nécessaire afin d’éviter le cul-de-sac qui résulterait si les renseignements fournis par le contribuable liaient le ministre. Dans le même ordre d’idées, le pouvoir de cotiser en l’absence d’une déclaration empêche le contribuable réfractaire d’échapper à toute cotisation en ne produisant aucune déclaration.

[40]  En d’autres termes, une cotisation permise en vertu du paragraphe 152(7) est une cotisation au même titre que toute autre cotisation ou recotisation. Le paragraphe 152(8), selon lequel une cotisation est réputée être valide, s’applique aussi bien aux cotisations prévues au paragraphe 152(7) qu’à celles autorisées par le paragraphe 152(4).

[41]  En conséquence, l’argument de l’appelante selon lequel une cotisation prévue au paragraphe 152(7) n’est pas une cotisation pour les fins du paragraphe 152(3.1) doit aussi être rejeté.

[42]  Revenons maintenant au paragraphe 152(1) selon lequel le ministre est tenu d’examiner la déclaration de revenu d’un contribuable pour une année d’imposition avec diligence et de fixer l’impôt payable pour l’année ainsi que les intérêts et pénalités. L’appelante estime que cette disposition fait en sorte que, nonobstant toute mesure que le ministre est autorisé à prendre en l’absence d’une déclaration de revenu de la part d’un contribuable, le ministre est obligé de cotiser et de fixer l’impôt payable dès que ce contribuable produit une déclaration.

[43]  Cet argument ne tient pas compte du paragraphe 152(8) selon lequel toute cotisation est réputée être valide. En conséquence, si le ministre a le droit de recotiser un contribuable, l’examen de la déclaration tardive d’un contribuable a un objet, c’est-à-dire fixer l’impôt payable par celui-ci. La production tardive n’annule pas une cotisation « estimative » et n’oblige pas le ministre à recotiser à la hausse ou à la baisse. Toutefois le ministre doit examiner la déclaration. La seule façon d’annuler une cotisation, qu’elle soit « estimative » ou non, est par voie d’avis d’opposition et d’appel aux tribunaux, tout en respectant les délais prévus à la Loi, ce qui comprend les prorogations de délais, le cas échéant.

[44]  Toutefois, lorsque la période normale de cotisation s’est écoulée, la possibilité de fixer l’impôt payable en recotisant le contribuable est caduque. La cotisation « estimative », qui est réputée valide selon le paragraphe 152(8), ne peut être mise de côté par le simple fait de produire une déclaration hors de la période normale de cotisation.

[45]  Une interprétation contextuelle du paragraphe 152(1) mène à la conclusion que ce paragraphe ne peut imposer au ministre une obligation sans objet, c’est-à-dire l’obligation d’examiner une déclaration lorsque le droit de modifier le montant d’impôt payable pour l’année d’imposition en cause est prescrit. Cela étant, le contribuable n’est pas exempté de produire une déclaration. L’article 238 trouve application, et ce jusqu’à l’expiration de la période de prescription prévue au paragraphe 244(4) de la Loi.

[46]  Pour ces motifs, l’appelante n’a pas réussi à démontrer que la décision du ministre de ne pas traiter les déclarations produites par l’appelante était déraisonnable. Bien que la décision soit succincte, il faut garder à l’esprit que ce décideur opère dans un domaine fort technique où le législateur s’efforce d’être le plus précis possible. Comme l’a indiqué la Cour suprême dans Vavilov (paragraphe 92), on ne peut pas s’attendre du délégué du ministre qu’il se livre à une analyse digne d’un juriste d’expérience. La décision rendue par ce décideur a permis à l’appelante de la contester en toute connaissance de cause.

V.  Conclusion

[47]  Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Richard Boivin j.c.a. »

« Je suis d’accord.

George R. Locke j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-208-19

 

INTITULÉ :

6075240 CANADA INC. c. LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 septembre 2020

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

 

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LOCKE

 

 

DATE DES MOTIFS :

LE 9 novembre 2020

 

 

COMPARUTIONS :

Chantal Donaldson

 

Pour l'appelante

 

Dominik Longchamps

Charles Camirand

 

Pour l'intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Noël et Associés

Gatineau (Québec)

 

Pour l'appelante

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour l'intimé

 

 

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