Dossier : A-377-19
Référence : 2020 CAF 195
[TRADUCTION FRANÇAISE]
CORAM :
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LE JUGE EN CHEF NOËL
LE JUGE STRATAS
LE JUGE LEBLANC
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ENTRE :
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Yellow Point Lodge Ltd.
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appelante
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et
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SA MAJESTÉ LA REINE
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intimée
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Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 29 septembre 2020.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 10 novembre 2020.
MOTIFS DU JUGEMENT :
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LE JUGE EN CHEF NOËL
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Y ONT SOUSCRIT :
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LE JUGE STRATAS
LE JUGE LEBLANC
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Date : 20201110
Dossier : A-377-19
Référence : 2020 CAF 195
CORAM :
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LE JUGE EN CHEF NOËL
LE JUGE STRATAS
LE JUGE LEBLANC
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ENTRE :
|
Yellow Point Lodge Ltd.
|
appelante
|
et
|
SA MAJESTÉ LA REINE
|
intimée
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MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE EN CHEF NOËL
[1]
Yellow Point Lodge Ltd. (Yellow Point ou l’appelante) interjette appel d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt (2019 CCI 178) par laquelle le juge Visser (le juge de la Cour de l’impôt) a confirmé la cotisation établie par le ministre du Revenu national (le ministre) à l’égard de l’année d’imposition 2014 de l’appelante. Le ministre avait refusé, pour cette année, la déduction d’une valeur de 1 553 374 $ demandée par Yellow Point pour don d’un bien écosensible en application de l’alinéa 110.1(1)d) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e supp.) (la Loi) au motif que la période de report prospectif au cours de laquelle la déduction était applicable avait pris fin en 2013.
[2]
La question qu’il faut trancher est celle de savoir si le don en question a été fait en 2008, au moment de la disposition du bien visé par le don, ou en 2009, une fois qu’il était satisfait aux critères relatifs à la déduction applicable au don.
[3]
Il a toujours été entendu, pour l’application de la Loi, que le don est effectué au moment de la disposition du bien par le donateur en faveur du donataire, sans égard au moment où il est satisfait aux critères donnant droit, pour le donateur, à la déduction applicable au don d’un bien admissible. Au départ, l’appelante était d’accord sur ce point; elle a demandé l’allègement fiscal applicable au don d’un bien écosensible en 2008, lorsqu’elle a disposé du bien. Elle soutient maintenant que l’alinéa 110.1(1)d) incorpore un nouveau concept dans la Loi suivant lequel un don n’est pas réalisé tant qu’il ne satisfait pas à tous les critères ouvrant droit à la déduction fiscale applicable au don. Dans le cas qui nous occupe, il s’agit de 2009.
[4]
Si l’appelante peut déclarer le don au cours de son année d’imposition 2009 au lieu de 2008, elle pourra reporter à son année d’imposition 2014 la partie de la déduction pour don d’un bien écosensible qu’elle n’a pas demandée réclamée et pourra ramener à zéro ses revenus établis à 1 553 374 $, presque le triple de son revenu des années précédentes.
[5]
Devant nous l’appelante soutient que le juge de la Cour de l’impôt, en refusant de conclure que le don avait été effectué en 2009, a mal interprété l’alinéa 110.1(1)d). Elle affirme qu’à la lumière d’une interprétation contextuelle de la disposition, même si le bien visé par le don a fait l’objet d’une disposition en 2008, le don à proprement dit n’a été effectué que l’année suivante.
[6]
Selon la Couronne, le juge de la Cour de l’impôt a conclu – à bon droit et suivant une analyse téléologique de l’alinéa 110.1(1)d) – que le don avait été effectué en 2008, au moment de la disposition du bien visé par le don.
[7]
Pour les motifs qui sont énoncés ci-après, je rejetterais l’appel.
[8]
Les dispositions pertinentes de la Loi sont reproduites à l’annexe des présents motifs.
I.
Faits
[9]
L’appelante, une société, possède un fonds de terre qui est demeuré à l’état naturel sauf pour ce qui est de l’exploitation d’un gîte et de chalets. Le 6 juin 2008, l’appelante a accordé un covenant en vue de la disposition d’une partie de son fonds de terre (le bien visé par le don) à parts égales au Land Conservancy of British Columbia (TLC) et à la Nanaimo & Area Land Trust Society (NALT) (énoncé conjoint des faits, dossier d’appel, p. 51, par. 4 à 6; motifs, par. 2). L’intérêt dans le bien-fonds a été transféré à TLC et à NALT le même jour (copie de l’effet général, document no FB179685, dossier d’appel, p. 59).
[10]
À la fin de son année d’imposition 2008, soit le 31 décembre, l’appelante n’avait pas en sa possession les documents attestant le don d’un bien écosensible pour les fins de l’application de l’alinéa 110.1(1)d), à savoir:
une attestation de la juste valeur marchande du bien écosensible visée à la Loi et une attestation suivant laquelle le fonds de terre est sensible sur le plan écologique, délivrées par le ministre de l’Environnement du Canada (les attestations);
les reçus pour fins d’impôt délivrés par TLC et NALT.
C’est pourquoi l’appelante n’a pas demandé l’allègement fiscal applicable au don d’un bien écosensible pour l’année d’imposition 2008 (lettre du cabinet de comptables agréés Parkes & Moysey, dossier d’appel, p. 92 à 93; énoncé conjoint des faits, dossier d’appel, p. 53 à 54, par. 15).
[11]
Au cours de son année d’imposition 2009, l’appelante a obtenu, du ministre de l’Environnement, l’attestation de juste valeur marchande établissant la valeur du covenant à 5 810 000 $ et l’attestation suivant laquelle le bien-fonds visé par le don constituait un bien écosensible. Par la suite, TLC et NALT ont délivré à l’appelante des reçus pour fins d’impôt indiquant chacun une valeur de 2 905 000 $, ce qui représente la moitié de la juste valeur marchande du covenant (énoncé conjoint des faits, dossier d’appel, p. 52 à 53, par. 10 à 13).
[12]
Le 19 mai 2010, l’appelante a fourni ces documents au ministre et sollicité une nouvelle cotisation à l’égard de son année d’imposition 2008 pour que soit reconnu son don d’un bien écosensible d’une valeur de 5 810 000 $. En demandant la déduction de 382 779 $ en application de l’alinéa 110.1(1)d), l’appelante établirait à zéro son revenu pour cette année. En outre, l’appelante a reconnu avoir réalisé un gain en capital d’une valeur de 5 626 496 $ tiré de la disposition du bien visé par le don au cours de cette année et a demandé l’exemption correspondante en application de l’alinéa 38(a.2), ce qui a ramené à zéro la partie imposable du gain. Le 27 juillet 2010, le ministre a établi à l’avenant une nouvelle cotisation à l’égard de l’année d’imposition 2008 de l’appelante (énoncé conjoint des faits, dossier d’appel, p. 54, par. 16 à 17; lettre du cabinet de comptables agréés Parkes & Moysey, dossier d’appel, p. 92 à 93).
[13]
L’appelante a ensuite demandé, à l’égard du bien visé par le don conformément à l’alinéa 110.1(1)d), des déductions annuelles d’une valeur respective de 474 673 $, 495 339 $, 496 252 $, 519 720 $, 468 055 $ pour ses années d’imposition 2009 à 2013 (énoncé conjoint des faits, dossier d’appel, p. 54 à 55, par. 18).
[14]
Dans sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2014, l’appelante a demandé une autre déduction pour don d’un bien écosensible, cette fois d’une valeur de 1 553 374 $. Dans la cotisation établie le 28 juillet 2015, le ministre a refusé la déduction au motif que la période de report prospectif de cinq ans applicable à ce type de déduction avait pris fin en 2013 (énoncé conjoint des faits, dossier d’appel, p. 55, par. 19 à 21).
[15]
La cotisation a été confirmée, et l’appelante a interjeté appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt.
II.
Décision portée en appel
[16]
Le juge de la Cour de l’impôt indique tout d’abord que la question est celle de savoir si l’appelante peut demander la déduction prévue à l’alinéa 110.1(1)d) à l’égard de son année d’imposition 2014. Il doit donc déterminer quand « le don a été fait »
en interprétant les règles relatives au report prospectif applicables aux dons de biens écosensibles prévues à cette disposition (motifs, par. 13 et 16).
[17]
Selon le juge de la Cour de l’impôt, la thèse de l’appelante selon laquelle « le don a été fait »
en 2009 une fois qu’il a été satisfait à tous les critères applicables au don d’un bien écosensible n’est pas étayée par le libellé de l’alinéa 110.1(1)d) (motifs, par. 19). Le juge de la Cour de l’impôt convient avec la Couronne pour dire que les critères prévus à cette disposition pour la déduction doivent être examinés isolément (motifs, par. 21 à 22).
[18]
Il cherche d’abord à déterminer s’il y a eu don. Comme ce terme n’est pas défini dans la Loi, le juge de la Cour de l’impôt adopte la définition qu’en donne notre Cour dans l’arrêt Canada c. Berg, 2014 CAF 25 au paragraphe 23, en renvoyant à l’arrêt antérieur Friedberg c. La Reine (1991), 92 D.T.C. 6031 (C.A.F.) à la p. 6032 : « un don est le transfert volontaire du bien d’un donateur à un donataire, en échange duquel le donateur ne reçoit pas d’avantage ni de contrepartie »
(motifs, par. 22). À la lumière de cette définition, le juge de la Cour de l’impôt conclut que le don a été fait au moment où l’appelante a accordé le covenant à TLC et à NALT le 6 juin 2008 (motifs, par. 23). Chacun des autres critères énoncés à l’alinéa 110.1(1)d) « ne fait pas partie de la détermination à savoir si un don a été fait »
(motifs, par. 25).
[19]
Le juge de la Cour de l’impôt procède ensuite à l’analyse téléologique. Il affirme tout d’abord que son interprétation est « étayée par le libellé de l’alinéa et le contexte de la Loi considérée dans son ensemble »
(motifs, par. 26). Il ressort clairement selon lui du libellé de l’alinéa 110.1(1)d) et des paragraphes 110.1(2) et (5) que « le versement du don »
n’est pas subordonné au respect des critères applicables à la déduction. Il s’agit d’un fait distinct de l’obtention des attestations nécessaires (motifs, par. 26 à 29).
[20]
De l’avis du juge de la Cour de l’impôt, aux termes des paragraphes 118.1(10.2) à (12) de la Loi, qui régissent l’obtention de l’attestation de juste valeur marchande du ministre de l’Environnement visée à l’alinéa 110.1(1)d) et accordent un droit d’appel aux contribuables, le versement du don constitue un fait distinct (motifs, par. 30 à 38). Par exemple, le paragraphe 118.1(10.2) prévoit que le contribuable «
qui dispose, ou se propose de disposer, d’un bien »
peut demander au ministre de l’Environnement de déterminer la juste valeur marchande du bien, et le paragraphe 118.1(10.5) oblige le ministre à délivrer l’attestation de juste valeur marchande «
à la personne ayant disposé du bien »
. Selon lui, on peut déduire de ces deux dispositions que la délivrance des attestations de juste valeur marchande est distincte du versement du don (motifs, par. 31 et 34).
[21]
Enfin, le juge de la Cour de l’impôt souligne l’obligation, prévue au paragraphe 118.1(11), imposée au ministre d’établir une nouvelle cotisation pour donner effet à l’attestation de juste valeur marchande, une fois cette dernière délivrée. Il s’ensuit que le donateur peut bénéficier de la déduction au cours de la période complète de report prospectif prévue à l’alinéa 110.1(1)d), et ce même si la détermination finale de la juste valeur marchande du bien visé par le don traîne en longueur (motifs, par. 37).
[22]
Ainsi, le juge de la Cour de l’impôt conclut que le versement du don et le respect des critères applicables à la déduction sont des faits incontestablement distincts. Selon lui, le don est fait au moment où il prend effet sur le plan juridique (motifs, par. 41). Une telle conclusion assure la certitude, puisque le versement du don et le début de la période de déduction coïncident et ne sont pas subordonnés à la délivrance des certificats, qui peut être retardée par le processus administratif (motifs, par. 42 à 43; Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, par. 11 à 12).
[23]
Par conséquent, selon le juge de la Cour de l’impôt, l’alinéa 110.1(1)d) permet à l’appelante de demander la déduction pour don d’un bien écosensible à l’égard de ses années d’imposition 2008 à 2013, de sorte que l’année d’imposition 2014 excède la période de report prospectif (motifs, par. 44).
III.
Thèse de l’appelante
[24]
En premier lieu, l’appelante soutient que le juge de la Cour de l’impôt a conclu à tort que le sens qui doit être attribué à l’expression « le don a été fait »
qui figure au sous-alinéa 110.1(1)d)(iii) est clair. Au contraire, selon elle, ces mots sont ambigus (mémoire de l’appelante, par. 34 à 36). Ainsi, le juge de la Cour de l’impôt aurait dû procéder à une analyse contextuelle et téléologique de l’alinéa 110.1(1)d) avant de conclure que la définition issue du droit privé s’appliquait. Il en est ainsi parce que « les lois fiscales peuvent, pour leurs propres fins, requalifier les opérations contractuelles ou économiques en mettant de côté les catégories juridiques établies par la
common law
et le droit civil »
(mémoire de l’appelante, par. 37 à 38, citant Québec (Agence du revenu) c. Services Environnementaux AES inc., 2013 CSC 65, [2013] 3 R.C.S. 838, par. 45).
[25]
L’appelante reconnaît que la définition du don issue du droit privé s’applique généralement aux dons effectués sous le régime de la Loi; ainsi le don est effectué au moment du transfert du bien (mémoire de l’appelante, par. 44, renvoyant à l’arrêt Berg, par. 23). Or, la présente affaire porte sur une catégorie créée par la Loi, à savoir le don d’un bien écosensible, qui est soumis à un traitement distinct (mémoire de l’appelante, par. 45). Ce régime prévoit un traitement fiscal avantageux des dons de fonds de terre sensibles sur le plan écologique, en vue de favoriser la préservation de l’habitat et la biodiversité, dès lors qu’il est satisfait aux critères établis à l’alinéa 110.1(1)d) et au paragraphe 110.1(2) (mémoire de l’appelante, par. 46 à 47).
[26]
L’appelante soutient que l’expression « le don a été fait »
qui figure à l’alinéa 110.1(1)d) est ambiguë et doit être interprétée à la lumière des paragraphes 110.1(2) et (5) ainsi que 118.1(10.2) et (10.5) d’une manière conforme au régime applicable aux dons de biens écosensible (mémoire de l’appelante, par. 41 et 56). Une telle analyse contextuelle démontre qu’il est disposé du bien avant que le don soit réalisé (mémoire de l’appelante, par. 4 et 57). Plus précisément, le paragraphe 110.1(5), lorsqu’il est interprété suivant le paragraphe 118.1(10.5), établit que la juste valeur marchande au moment du don est réputée être celle du bien, au moment où il en est disposé, déterminée par le ministre de l’Environnement. Si l’alinéa 110.1(1)d) ne concevait pas deux faits distincts, la présomption ne serait d’aucune utilité (mémoire de l’appelante, par. 58 et 61).
[27]
Selon l’appelante, la crainte soulevée par le juge de la Cour de l’impôt – suivant laquelle une telle interprétation créerait de l’incertitude à propos de la période où la déduction peut être demandée – n’est pas fondée. Il est loisible aux donateurs éventuels de demander que soit établie la juste valeur marchande de leur bien avant d’effectuer le don (mémoire de l’appelante, par. 68 à 69). Cependant, si la période de déduction commence au moment où il est disposé du bien, comme l’affirme le juge de la Cour de l’impôt, les donateurs ne sont pas en mesure de demander la déduction avant qu’il soit satisfait à tous les critères. Il peut s’écouler plusieurs années avant que le don soit considéré comme un don de bien écosensible (mémoire de l’appelante, par. 75).
[28]
L’appelante mentionne l’affirmation du juge de la Cour de l’impôt suivant laquelle le problème ne se pose pas, car le paragraphe 118.1(11) oblige le ministre à établir une nouvelle cotisation à l’égard des années incluses dans la période de report prospectif. Toutefois, elle soutient qu’une [traduction] « interprétation bilingue »
de cette disposition révèle que le ministre n’est pas tenu d’établir une nouvelle cotisation (mémoire de l’appelante, par. 81 à 85).
[29]
L’appelante soutient donc que l’adoption, par le juge de la Cour de l’impôt, de la définition du don issue du droit privé, laquelle risque d’empêcher un donateur de tirer profit de la période de déduction complète de six ans, est incompatible avec une analyse textuelle et contextuelle de l’alinéa 110.1(1)d) et va à l’encontre de l’objet du régime applicable aux dons de biens écosensibles. Le droit de demander une déduction ne devrait pas être subordonné à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire (mémoire de l’appelante, par. 88 à 89).
IV.
Thèse de la Couronne
[30]
Selon la Couronne, le juge de la Cour de l’impôt a conclu à bon droit que le don est effectué dès lors que le bien est transféré. Par conséquent, les critères énoncés au paragraphe 110.1(1)d) doivent être examinés séparément. La délivrance des attestations par le ministre de l’Environnement ne modifie pas le moment où le don est fait (mémoire de la Couronne, par. 23 et 26).
[31]
La Couronne affirme que le juge de la Cour de l’impôt a correctement adopté la définition de don issue du droit privé comme l’enseigne notre Cour dans l’arrêt Berg. En common law, à l’instar du don de bienfaisance, le don d’un bien écosensible est effectué au moment où le bien admissible change de mains (mémoire de la Couronne, par. 27 à 28).
[32]
En outre, la Couronne affirme que l’interprétation préconisée par le juge de la Cour de l’impôt est conforme au cadre légal qui prévoit que le versement et l’attestation du don sont des faits distincts. Elle illustre sa thèse à l’aide d’exemples comme celui du don d’un bien culturel qui doit être attesté par la Commission canadienne d’examen des exportations de biens culturels avant qu’une déduction puisse être demandée. Sous ce régime, l’attestation, si elle est nécessaire pour la déduction, ne l’est pas pour le versement du don. Comme c’est le cas à l’égard du don d’un bien écosensible, le don et l’attestation constituent deux faits distincts (mémoire de la Couronne, par. 31 à 33).
[33]
Selon la Couronne, l’interprétation adoptée par le juge de la Cour de l’impôt est également étayée par le libellé de l’alinéa 110.1(1)d) et des dispositions connexes. Par exemple, le paragraphe 110.1(2) dispose que « le versement du don doit être attesté »
par la présentation au ministre d’un reçu pour fins d’impôts et des deux attestations. Ainsi, le « versement du don »
constitue un fait qui est distinct des actes nécessaires au respect des autres critères. Qui plus est, l’alinéa 38(a.2), aux termes duquel le gain en capital issu du don d’un bien écosensible est égal à zéro, prévoit que « la disposition consiste à faire don »
, ce qui laisse entendre que « faire don […] d’un bien visé […] à l’alinéa 110.1(1)d) »
correspond au moment où il est disposé du bien (mémoire de la Couronne, par. 34 à 35).
[34]
La Couronne n’est pas d’accord avec l’appelante pour dire que le ministre peut refuser, en vertu du paragraphe 118.1(11), d’établir une nouvelle cotisation par suite de la délivrance d’une attestation de juste valeur marchande ou du prononcé d’un jugement au cours d’une année ultérieure. Invoquant l’arrêt R. c. Daoust, 2004 CSC 6, [2004] 1 R.C.S. 217, elle soutient qu’il ressort d’une interprétation correcte de cette disposition que le libellé de la version anglaise, dans laquelle figure une formulation manifestement impérative, doit être privilégié (mémoire de la Couronne, par. 37 et 40 à 41).
[35]
Enfin, la Couronne affirme que l’interprétation adoptée par le juge de la Cour de l’impôt de l’alinéa 110.1(1)d) est conforme à l’objet du régime des dons de biens écosensibles (mémoire de la Couronne, par. 46 à 47). Cette interprétation offre aux donateurs une certitude quant au début et à la fin de la période de déduction de sorte qu’ils peuvent demander la déduction à un moment opportun (mémoire de la Couronne, par. 48).
V.
Analyse
[36]
Il est admis qu’il a été disposé du bien visé par le don au moment où le covenant a été accordé, à savoir au cours de l’année d’imposition 2008 de l’appelante (mémoire de l’appelante, par. 24; mémoire de la Couronne, par. 51). Un covenant constitue un « bien »
pour l’application de la Loi (paragraphe 248(1)), et le don d’un covenant visant un fonds de terre admissible est expressément reconnu à l’alinéa 110.1(1)d) comme étant un don d’un bien écosensible. Par conséquent, la seule question dont nous sommes saisis est celle de savoir si le juge de la Cour de l’impôt a conclu à bon droit que le don du bien écosensible a été fait en 2008, au moment de la disposition du bien, ou au cours de l’année suivante, lorsqu’il était satisfait aux critères préalables à l’allègement fiscal connexe. Il s’agit d’une pure question d’interprétation à laquelle s’applique la norme de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 8).
[37]
Avant l’analyse, quelques remarques à propos du terme « disposition »
s’imposent. La notion de disposition est fondamentale dans le traitement par la Loi des dons et du régime des gains en capital dans son ensemble, car il ne peut y avoir de gain ou de perte sans disposition, qu’elle soit réputée ou réelle (voir la définition du terme «
immobilisations
»
prévue à l’article 54; Vern Krishna, Fundamentals of Canadian Income Tax, vol. 1, 2e éd., Toronto, Thomson Reuters, 2019, p. 531). Aux termes de la définition prévue au paragraphe 248(1), la « disposition »
s’entend notamment de « toute opération ou tout événement donnant droit au contribuable au produit de disposition d’un bien »
. Pour sa part, le terme « produit de disposition »
s’entend notamment du « prix de vente du bien qui a été vendu »
(article 54).
[38]
Il s’ensuit que, lorsqu’il est disposé du bien par voie de vente la manière la plus courante par laquelle un bien change de mains, c’est le transfert du titre de propriété qui donne lieu à la disposition, car c’est ce fait qui donne au vendeur le droit au produit de la disposition du bien vendu (MNR v. Wardean Drilling Ltd, [1969] C.T.C. 265, 69 D.T.C. 5194 (C. de l’É.); voir également Canada c. Construction Bérou Inc., 1999 CanLII 18807 (C.A.F.), par. 6 (juge Desjardins) et par. 11 à 13 (juge Létourneau), renvoyant à l’arrêt Olympia and York Developments Ltd. c. La Reine, [1981] 1 C.F. 691 (« l’acquisition est le pendant de la disposition »
)).
[39]
Or, quelle règle s’applique-t-elle dans le cas d’un bien qui n’est pas vendu, mais qui fait l’objet d’un don? Il est généralement admis que la même règle vaut dans de telles circonstances : la disposition a lieu lorsque le titre de propriété du bien visé par le don est transféré par le donateur au donataire, sous le régime de la common law ou du droit civil, selon le cas. Le sous-alinéa 69(1)b)(ii) complète l’équation; aux termes de cette disposition, le donateur est réputé avoir reçu un produit de disposition égal à la juste valeur marchande du bien ayant fait l’objet du don. L’appelante ne le conteste pas.
[40]
En revanche, elle soutient que l’alinéa 110.1(1)d) prévoit une exception à cette règle. À son avis, l’expression « le don a été fait »
qui figure dans la disposition est ambiguë. L’appelante insiste pour dire que, même s’il a été disposé du bien ayant fait l’objet du don au moment où le covenant a été accordé, une analyse téléologique de la disposition révèle que le don n’a pas été fait avant l’année suivante, lorsque les attestations nécessaires et les reçus ont été transmis au ministre.
[41]
Je suis d’accord avec le juge de la Cour de l’impôt pour dire que le moment où un don est fait et le moment où il donne droit à une déduction ou à une exemption sous le régime de la Loi sont des questions distinctes. L’ambiguïté que l’appelante cherche à trouver dans le libellé de l’alinéa 110.1(1)d) découle entièrement de son incapacité à faire cette distinction.
[42]
Pour répondre à la question de savoir quand « le don a été fait »
pour l’application de l’alinéa 110.1(1)d), il suffit de consulter l’alinéa 38(a.2) qui prévoit, en mentionnant expressément le don de biens écosensibles, que « la disposition consiste à faire don »
— en anglais « the disposition is the making of a gift »
. Il s’agit d’une expression consacrée dans la Loi (voir par exemple le paragraphe 40(1.01), la division 110.1(1)a)(B) et le sous-alinéa 127.52(1)d)(i)). Cette conclusion est conforme au libellé du sous-alinéa 69(1)b)(ii), qui renvoie à une disposition « au moyen d’une donation entre vifs »
— en anglais « by way of gift inter vivos »
. Ces libellés ne soulèvent aucune ambiguïté : le don et la disposition du bien visé par le don ont lieu dès lors que le titre de propriété est transféré par le donateur au donataire conformément au droit privé applicable.
[43]
En l’espèce, l’appelante admet qu’elle a disposé du bien visé par le don en 2008 et a ainsi réalisé un gain en capital de 5 626 496 $ au cours de cette année en application du sous-alinéa 69(1)b)(ii). Or, comme nous l’indiquons plus haut, la disposition ne se produit pas sans un événement déclencheur, qu’il soit réputé ou réel. L’appelante ne souligne aucun événement susceptible de donner lieu à la disposition et au gain en capital en découlant qu’elle a déclaré en 2008, si ce n’est le don. En outre, l’appelante soutient qu’elle a demandé à bon droit l’exemption applicable au gain en capital découlant du don d’un bien écosensible à l’égard de l’année d’imposition 2008, ce qui n’est possible que si elle a fait un don d’un bien écosensible au cours de cette année-là (alinéa 38(a.2)).
[44]
L’appelante ne peut affirmer, d’une part, qu’elle a fait don d’un bien écosensible en 2008 de sorte à pouvoir demander l’exemption applicable au gain en capital et, d’autre part, qu’elle a fait ce don en 2009 pour ce qui est de la déduction applicable. Ces deux formes d’allègement fiscal découlent du même don. Il ne fait aucun doute que l’appelante est devenue admissible à l’exemption applicable au gain en capital et à la déduction applicable en 2009, une fois qu’il avait été satisfait à tous les critères énoncés à l’alinéa 110.1(1)d) et au paragraphe 110.1(2). Cependant, rien dans ce qui précède ne permet de changer le moment où « le don a été fait »
.
[45]
La prétention de l’appelante – selon laquelle la présomption établie au paragraphe 110.1(5) serait superflue si le versement et la disposition du don se produisaient en même temps – est également infondée. Cette disposition habilite le ministre de l’Environnement à fixer la juste valeur marchande du bien visé par le don « au moment où il a été fait »
. Toutefois, le ministre peut être appelé à établir la valeur du bien avant le don (paragraphe 118.1(10.2)). Dans un tel cas, la juste valeur marchande établie avant le don est réputée correspondre à la juste valeur marchande « au moment où il a été fait »
aux termes du paragraphe 110.1(5). C’est pourquoi il fallait une fiction juridique.
[46]
Enfin, le juge de la Cour de l’impôt a conclu que la procédure prévue au paragraphe 118.1(11) permet à un contribuable de demander la déduction à l’égard de l’année au cours de laquelle le don a été fait et à l’égard des cinq années subséquentes, et ce même si la détermination finale de la juste valeur marchande du bien visé par le don traîne en longueur.
[47]
L’appelante affirme que le juge de la Cour de l’impôt, en tirant cette conclusion, a conclu à tort que le ministre était tenu de donner effet à la juste valeur marchande finale du bien visé par le don. Elle souligne l’emploi au paragraphe 118.1(11) du verbe « peut » et établit une
comparaison avec le libellé anglais de la disposition, dans lequel figure le verbe « shall »
(doit). Selon l’appelante, les deux versions sont incompatibles, et c’est la version française qui rend le plus fidèlement l’intention du législateur.
[48]
Le paragraphe 118.1(11) est ainsi rédigé :
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[49]
Certes, le verbe « peut »
, qui traduit la faculté, et le verbe « shall »
(doit), qui traduit l’obligation, semblent incompatibles si on les analyse séparément (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, par. 39 à 40), mais il n’y a pas de conflit en l’espèce. En effet, les deux versions du paragraphe 118.1(11) obligent le ministre à établir une cotisation ou une nouvelle cotisation en vue de donner effet à une attestation ou à un jugement qui confirme ou modifie la juste valeur marchande établie dans l’attestation. C’est ce qui ressort clairement du libellé anglais — « shall be made »
(doit établir) —; j’estime que la version française, malgré son libellé — « le ministre peut établir les cotisations »
—, a le même effet.
[50]
J’arrive à cette conclusion, car les dispositions prévoyant l’appel d’une attestation de juste valeur marchande délivrée par le ministre de l’Environnement indiquent clairement qu’il faut donner effet à l’attestation par l’établissement d’une cotisation ou d’une nouvelle cotisation.
[51]
À cet égard, je signale que, lorsqu’un appel est interjeté d’une attestation de juste valeur marchande en application du paragraphe 169(1.1), la Cour de l’impôt, notre Cour ou la Cour suprême, si elle autorise le pourvoi, peut confirmer ou modifier l’attestation conformément au paragraphe 171(1.1). C’est la même procédure qui s’applique à l’appel interjeté d’une cotisation ou d’une nouvelle cotisation en vertu du paragraphe 171(1), à cette différence près que, si l’attestation de juste valeur marchande est modifiée par jugement, la juste valeur marchande déterminée par le tribunal est réputée être celle que le ministre de l’Environnement a fixée au départ. Il ressort de cette procédure que le ministre doit donner effet à l’attestation de juste valeur marchande si celle-ci n’est pas portée en appel ou à la juste valeur marchande déterminée par voie de jugement en cas d’appel de l’attestation.
[52]
L’avocat de l’appelante n’a pas semblé s’opposer à cette conclusion à l’audience, mais il a insisté pour dire que l’obligation du ministre d’établir une cotisation ou une nouvelle cotisation prend naissance seulement s’il est par ailleurs satisfait à tous les critères applicables au don admissible. Certes, mais rien ne permet de croire que le juge de la Cour de l’impôt n’avait pas ce constat à l’esprit. Tout ce qu’il a dit, c’est que l’obligation de cotiser fait en sorte que les donateurs ne subissent pas de préjudice dans le cas où le don est fait une année et la juste valeur marchande du bien visé par le don est finalement fixée au cours d’une année ultérieure.
[53]
Si l’on revient au libellé du paragraphe 118.1(11), le choix du verbe « peut »
illustre la situation où [traduction] « un fonctionnaire qui est habilité à faire quelque chose peut aussi être tenu de le faire »
(Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd., Markham, Lexis Nexis, 2014, p. 81). Ainsi, le verbe « peut »
représente l’autorisation que la loi confère au ministre d’établir une cotisation en dehors de la période de cotisation, sans rien enlever à l’obligation du ministre à cet égard, lorsqu’il est saisi d’une attestation de juste valeur marchande ou d’un jugement rendu à l’issue d’un appel. Si le libellé de la version anglaise n’emploie pas le verbe « peut »
pour étayer le fait que le ministre est habilité à établir une cotisation en dehors de la période de cotisation, cette autorisation est implicite, car l’obligation de faire quelque chose emporte en soi l’autorisation de faire cette chose. À la lumière d’une telle interprétation, les deux versions exigent du ministre qu’il donne effet à l’attestation de juste valeur marchande ou au jugement final confirmant ou modifiant cette dernière et, à cette fin, habilite le ministre à établir une cotisation en dehors de la période de cotisation. J’estime que cette interprétation traduit le mieux l’intention du législateur.
[54]
Par conséquent, le juge de la Cour de l’impôt a conclu à bon droit que la procédure actuelle assure au contribuable la possibilité de demander la déduction à l’égard de l’année d’imposition au cours de laquelle il a fait le don et à l’égard des cinq années subséquentes, et ce même si la détermination finale de la juste valeur marchande du bien ayant fait l’objet du don traîne en longueur.
VI.
Dispositif
[55]
Je rejetterais l’appel avec dépens.
"Marc Noël"
Juge en chef
« Je suis d’accord.
David Stratas j.c.a. »
« Je suis d’accord.
René LeBlanc j.c.a. »
ANNEXE
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Obligation du ministre de l’Environnement
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Duty of Minister of the Environment
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(10.3) Sur réception de la demande, le ministre de l’Environnement fixe avec diligence, conformément au paragraphe 110.1(5) ou au paragraphe (12), selon le cas, la juste valeur marchande du bien mentionné dans la demande et en avise par écrit la personne qui a disposé du bien ou qui se propose d’en disposer. Toutefois, il n’est pas donné suite à la demande si celle-ci parvient à ce ministre une fois écoulée la période de trois ans suivant la fin de l’année d’imposition de la personne au cours de laquelle il a été disposé du bien.
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(10.3) In response to a request made under subsection (10.2), the Minister of the Environment shall with all due dispatch make a determination in accordance with subsection (12) or 110.1(5), as the case may be, of the fair market value of the property referred to in that request and give notice of the determination in writing to the person who has disposed of, or who proposes to dispose of, the property, except that no such determination shall be made if the request is received by that Minister after three years after the end of the person’s taxation year in which the disposition occurred.
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COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
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Dossier :
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A-377-19
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APPEL D’UNE DÉCISION RENDUE PAR L’HONORABLE HENRY A. VISSER EN DATE DU 28 AOÛT 2019, DOSSIER NO. 2016-3838(IT)G
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INTITULÉ :
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YELLOW POINT LODGE LTD. c. SA MAJESTÉ LA REINE
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Lieu de l’audience :
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audience tenue par vidéoconférence
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DATE de l’audience :
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le 29 septembre 2020
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motifs du jugement :
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le juge en chef NOËL
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y ont souscrit :
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LE JUGE STRATAS
LE JUGE LEBLANC
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DATE DES MOTIFS :
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LE 10 NOVEMBRE 2020
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COMPARUTIONS
Dominic C. Belley
Nicolas Benoît-Guay
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pour l’appelante
YELLOW POINT LODGE LTD.
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Selena Sit
Max Matas
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Pour l’intimée
HER MAJESTY THE QUEEN
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Norton Rose Fulbright Canada
Montréal (Québec)
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pour l’appelante
YELLOW POINT LODGE LTD.
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Nathalie G. Drouin
Sous-procureure générale du Canada
Ottawa (Ontario)
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pour l’intimée
SA MAJESTÉ LA REINE
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