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Date : 20201103


Dossier : A-122-20

Référence : 2020 CAF 188

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

AMGEN INC. et AMGEN CANADA INC.

appelantes

et

PFIZER CANADA ULC

intimée

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe le 3 novembre 2020.

Jugement rendu à l’audience à Ottawa (Ontario), le 3 novembre 2020.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE STRATAS

 


Date : 20201103


Dossier : A-122-20

Référence : 2020 CAF 188

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

AMGEN INC. et AMGEN CANADA INC.

appelantes

et

PFIZER CANADA ULC

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Jugement rendu à l’audience à Ottawa (Ontario), le 3 novembre 2020.)

LE JUGE STRATAS

[1] Notre Cour est saisie d’un appel interjeté à l’encontre du jugement rendu le 16 avril 2020 par la Cour fédérale (sous la plume du juge Southcott) : 2020 CF 522. La Cour fédérale a conclu que les revendications 43 à 47 du brevet canadien no 1 341 537 des appelantes étaient évidentes et qu’elles étaient donc invalides. Les appelantes prétendent que la Cour fédérale a commis une erreur susceptible de révision dans son application du critère de l’évidence.

[2] Les appelantes reconnaissent que la Cour fédérale a énoncé le bon critère juridique pour déterminer l’évidence : mémoire des faits et du droit des appelantes, par. 24. Elles prétendent en revanche que la Cour fédérale a commis une erreur en appliquant un principe erroné, en faisant fi d’un élément essentiel d’un critère juridique et en faisant abstraction de facteurs pertinents : mémoire des faits et du droit des appelantes, par. 28.

[3] Les appelantes prétendent plus précisément que la Cour fédérale a appliqué les mauvaises normes juridiques dans son évaluation des différents facteurs du critère de l’évidence. Elles font notamment valoir que, dans son évaluation du facteur de l’« ampleur des efforts », la Cour fédérale a omis de déterminer s’il s’agissait d’essais courants ou d’essais prolongés et ardus. Elles affirment que la Cour fédérale a plutôt, à tort, substitué à cette analyse une norme de la « créativité » ou de l’« inventivité ».

[4] Dans la formulation de leurs observations, les appelantes citent certains extraits des motifs de la Cour fédérale, qu’elles analysent en vase clos. Cependant, ce n’est pas ainsi que les cours d’appel doivent examiner les motifs des tribunaux de première instance. Nous devons examiner les motifs des tribunaux de première instance de manière globale, à la lumière du dossier présenté et des observations invoquées et en tenant dûment compte des expressions maladroites ou d’un niveau de langue familier et des efforts faits pour résumer des notions complexes : R. c. R.E.M., 2008 CSC 51, [2008] 3 R.C.S. 3, par. 35 et 55; Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157, [2018] 2 R.C.F. 344, par. 68; Canada c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165, par. 49 à 51. À la lumière d’un tel examen en l’espèce, nous concluons que la Cour fédérale a fait une interprétation juste des facteurs juridiques qui doivent être pris en compte et appliqués selon le critère de l’évidence.

[5] Selon la jurisprudence applicable, le critère de l’évidence est souple et il doit être appliqué en tenant compte du contexte, ainsi que des faits et des circonstances propres à chaque revendication : Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 R.C.S. 265, par. 61 à 63; Wenzel Downhole Tools Ltd. c. National-Oilwell Canada Ltd., 2012 CAF 333, par. 105; Astrazeneca Canada Inc. c. Mylan Pharmaceuticals ULC, 2017 CF 142, par. 39. Et c’est ce qu’a fait la Cour fédérale, fidèle à la jurisprudence. Elle a fait une évaluation approfondie de la crédibilité des experts, a exprimé de solides opinions et préférences sur le sujet et est parvenue à une conclusion sur l’évidence qui était conforme aux opinions des experts auxquels elle a accordé sa préférence ainsi qu’aux principes de la jurisprudence pertinente.

[6] Les appelantes semblent invoquer ce que l’intimée a qualifié d’argument fondé sur [traduction] l’« effet cumulatif » pour tenter de démontrer l’existence d’une question de droit isolable. Les appelantes prétendent que, du point de vue du droit, une série d’étapes évidentes, envisagées globalement, peuvent devenir non évidentes aux fins du critère de l’évidence. Elles affirment que la Cour fédérale a commis une erreur de principe en appliquant le critère de l’évidence sans tenir compte de cet argument de l’« effet cumulatif ».

[7] Nous ne croyons pas que la Cour fédérale a commis une telle erreur. Après avoir fait une lecture objective des motifs de la Cour fédérale en regard du dossier qui a été présenté, nous concluons que la Cour fédérale n’a pas écarté l’argument de l’« effet cumulatif » du point de vue du droit. La Cour fédérale a simplement rejeté cet argument à la lumière des éléments de preuve qui lui ont été présentés en l’espèce.

[8] En rédigeant ses motifs, la Cour fédérale a adopté une approche que l’on pourrait qualifier de « segmentée » dans son analyse des facteurs d’évidence. Selon nous, c’est simplement le résultat de la manière dont l’affaire a été plaidée.

[9] Certes, il peut arriver qu’une approche trop segmentée puisse engendrer des erreurs. La bonne approche consiste à définir la véritable notion d’évidence à la lumière des facteurs énoncés dans la jurisprudence, puis à appliquer cette notion en tenant dûment compte des facteurs pertinents. C’est ce qu’a fait la Cour fédérale, comme en témoigne sa conclusion générale formulée au paragraphe 366 de ses motifs. Il aurait peut-être été préférable que la conclusion globale de la Cour fédérale soit plus étoffée et plus exhaustive. À notre avis toutefois, la conclusion de la Cour fédérale sur l’évidence ne présente pas de problème de fond .

[10] Nous sommes d’avis que la thèse des appelantes vient de leur insatisfaction à l’égard de la conclusion à laquelle est arrivée la Cour fédérale, après avoir appliqué le droit aux éléments de preuve dont elle a été saisie. Il s’agit d’une question mixte de droit et de fait : Apotex Inc. c. Pfizer Canada Inc., 2019 CAF 16, par. 28; Wellcome Foundation Ltd. c. Novopharm Ltd., [2000] A.C.F. no 95 (CAF) (QL). Lorsqu’il n’existe aucune erreur de droit ni aucun principe isolable, comme c’est le cas en l’espèce, la norme de contrôle qui s’applique est celle de l’erreur manifeste et dominante : Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Apotex, par. 28.

[11] L’erreur manifeste et dominante est une norme élevée. Notre Cour a déclaré qu’un appelant ne peut, selon la norme de l’erreur manifeste et dominante, se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout; il doit faire tomber l’arbre tout entier : South Yukon, par. 46.

[12] La Cour fédérale n’a pas commis d’erreur manifeste et dominante. Elle a examiné et soupesé tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés, a formulé des conclusions claires quant à la crédibilité et a appliqué le critère de l’évidence aux faits constatés. La norme de l’erreur manifeste et dominante interdit à notre Cour de réévaluer les éléments de preuve qui ont été présentés à la Cour fédérale pour en arriver à une conclusion différente : Mahjoub, par. 79 et 80. En réalité, toutefois, c’est justement ce que les appelantes, par leurs prétentions, demandent à notre Cour de faire. Or, ce n’est pas notre rôle.

[13] En l’espèce, même si nous appliquions nous-mêmes le critère juridique de l’évidence aux éléments de preuve comme si nous étions des juges de première instance – ce que nous ne sommes pas censés faire – nous arriverions à la même conclusion que la Cour fédérale. En d’autres termes, puisque le sous-alinéa 52b)(i) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, nous autorise à rendre en appel le jugement que la Cour fédérale aurait dû rendre, après avoir examiné les éléments de preuve en regard des conclusions de la Cour fédérale sur la crédibilité, nous rendrions le même jugement que la Cour fédérale a rendu.

[14] Dans l’ensemble, nous estimons que les motifs de la Cour fédérale méritent d’être soulignés pour leur souci du détail, leur analyse rigoureuse des opinions des experts des deux parties et leur analyse dans l’ensemble exhaustive. Nous tenons également à souligner l’habile argumentation présentée par Mme Hussey au nom des appelantes à l’audience.

[15] Nous rejetterons l’appel avec dépens.

« David Stratas »

j.c.a.

Traduction certifiée conforme

Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-122-20

APPEL D’UN JUGEMENT RENDU PAR LE JUGE SOUTHCOTT DATÉ DU 16 AVRIL 2020, DOSSIER NO T-741-18

INTITULÉ :

AMGEN INC. et AMGEN CANADA INC. c. PFIZER CANADA ULC

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE PAR VIDÉOCONFÉRENCE TENUE PAR LE GREFFE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 3 novembre 2020

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LASKIN

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :

LE JUGE STRATAS

COMPARUTIONS :

Dominique T. Hussey

Emily P. Kettel

William A. Bortolin

 

Pour les appelantes

 

Orestes Pasparakis

Mark Davis

Daniel Daniele

Paul Jorgensen

Kassandra Shortt

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bennett Jones LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour les appelantes

 

Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

Pour l’intimée

 

 

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