Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20201222


Dossier : A‑79‑19

Référence : 2020 CAF 223

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

MURRAY WILKINSON, JERRY JESSO, CHRISTOPHER ARGUE,

JAMES BASTARACHE, CATHERINE BLACK, CYNTHIA BURNS,

LAURA CLARKE, RICHARD CUZZETTO, ANGELO DE RIGGI,

JEFF DUNK, GEORGE DURSTON, JACQUES FRECHETTE,

LILY-CLAUDE FORTIN, FRANK GONCALVES, NELSON GUAY,

CLAUDE HARVEY, MARK HASTIE, MARK HAYES, FANNY HO,

ALANA HUNTLEY, MARK KAPICZOWSKI, KEVIN KELLY,

ROSE-ANN JANG, ALAN JOHNS, CAMERON JUNG, BOB LEDOUX,

ROBERT LOHNES, INA MACRAE, GREGORY MCKENNA,

SHANE MCKINNON, MAUREEN MILLER, MANJIT SINGH MOORE,

RON NAULT, FIONA NORTHCOTE, HENRY PETERS,

LINDA ROBERTSON, RALPH SCHOENIG, PATRICK SCOTT,

DARLENE STAMP, RICHARD STEFANIUK, DOUG TISDALE,

KEITH WATKINS ET HARALD WUIGK

appelants

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 2 novembre 2020.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 22 décembre 2020.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE RIVOALEN

 


Date : 20201222


Dossier : A‑79‑19

Référence : 2020 CAF 223

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

MURRAY WILKINSON, JERRY JESSO, CHRISTOPHER ARGUE,

JAMES BASTARACHE, CATHERINE BLACK, CYNTHIA BURNS,

LAURA CLARKE, RICHARD CUZZETTO, ANGELO DE RIGGI,

JEFF DUNK, GEORGE DURSTON, JACQUES FRECHETTE,

LILY-CLAUDE FORTIN, FRANK GONCALVES, NELSON GUAY,

CLAUDE HARVEY, MARK HASTIE, MARK HAYES, FANNY HO,

ALANA HUNTLEY, MARK KAPICZOWSKI, KEVIN KELLY,

ROSE-ANN JANG, ALAN JOHNS, CAMERON JUNG, BOB LEDOUX,

ROBERT LOHNES, INA MACRAE, GREGORY MCKENNA,

SHANE MCKINNON, MAUREEN MILLER, MANJIT SINGH MOORE,

RON NAULT, FIONA NORTHCOTE, HENRY PETERS,

LINDA ROBERTSON, RALPH SCHOENIG, PATRICK SCOTT,

DARLENE STAMP, RICHARD STEFANIUK, DOUG TISDALE,

KEITH WATKINS ET HARALD WUIGK

appelants

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

I. Introduction

[1] La Cour est saisie de l’appel du contrôle judiciaire afférent à un grief de classification, publié sous la référence 2019 CF 83 (les motifs), à l’issue duquel la Cour fédérale a déclaré raisonnable la décision du président de l’Agence des services frontaliers du Canada portant rejet de la recommandation unanime du comité de règlement des griefs de classification (le comité). Comme les trois décisions de la Cour fédérale dont il est question ci‑après désignent le président de l’ASFC sous la dénomination d’« administrateur général », je fais de même aux fins d’uniformité.

[2] C’est la troisième fois que l’administrateur général a examiné la recommandation du comité, et la troisième fois aussi que sa décision fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire. À l’issue de la première de ces demandes (2014 CF 741 – Wilkinson no 1), la Cour fédérale a conclu au caractère déraisonnable de la décision de l’administrateur général, se fondant sur l’insuffisance des motifs par lesquels il avait justifié son rejet de la recommandation du comité. Dans sa deuxième décision (2016 CF 1062 – Wilkinson no 2), la Cour fédérale a de nouveau déclaré déraisonnable la décision de l’administrateur général, cette fois au motif qu’il s’était appuyé sur un graphique qui ne correspondait pas fidèlement à la description de travail. Le présent appel porte sur le contrôle judiciaire (2019 CF 83 – Wilkinson no 3) de la troisième décision par laquelle l’administrateur général a, encore une fois, rejeté la recommandation du comité.

[3] Dans la présente espèce, la Cour fédérale a conclu au caractère raisonnable du rejet formulé par l’administrateur général. Je ne puis malheureusement souscrire à cette décision, de sorte que j’accueillerais l’appel.

II. Rappel des faits

[4] La norme de classification du groupe des services frontaliers (la norme de classification) présente un système de cotation numérique qui définit les éléments des postes à classifier, détermine le degré auquel chaque élément est présent dans le poste considéré et attribue une valeur en points à chaque degré. La personne ou le groupe qui établit ou réexamine la classification de tout poste donné détermine le degré auquel chaque élément est présent dans la description de travail afférente au poste considéré, puis classifie le poste en question (ou en recommande la classification) en se fondant sur la somme des points attribués à chaque élément. En cas de désaccord sur la classification, la question peut être portée devant un comité de règlement des griefs de classification; celui‑ci reprend l’opération et soumet une recommandation à l’administrateur général, qui peut la rejeter ou l’accepter, telle quelle ou en la modifiant. S’il rejette la recommandation, l’administrateur général doit justifier sa décision en exposant « les raisons qui [l’]ont conduit à rejeter les recommandations du comité lesquelles sont liées directement à la justification avancée par le comité à l’appui de ses recommandations » : Directive sur les griefs de classification (en vigueur depuis le 1er juillet 2015 et modifiée le 6 mai 2020) (la Directive).

[5] Dans la présente espèce, les 43 appelants, qui occupaient tous auparavant, d’un océan à l’autre, divers postes de supervision à l’Agence des douanes et du revenu du Canada ou au ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration, ont été regroupés, après la fusion de divers programmes de services frontaliers, sous des « postes […] collectivement […] désignés en tant que “FBC003, Gestionnaire des Programmes régionaux” [GPR] aux termes d’une description de travail générique et classifiés au niveau FB-06 » : Wilkinson no 3, par. 2.

[6] Mécontents de cette classification, les appelants ont présenté des griefs relatifs à la nature du travail et à la classification sous le régime de l’alinéa 208(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. (2003), ch. 22. En novembre 2010, le grief sur la description de travail a été accueilli, et l’employeur, soit l’ASFC, a approuvé une version révisée de la description de travail générique des postes en question (la description de travail), qui restaient classifiés au niveau FB‑06. Les appelants ont ensuite fait valoir leurs griefs de classification sur le fondement de la description de travail. Ces griefs ont été instruits en 2012.

[7] Dans le cadre de ses travaux, le comité a entendu des représentants de l’employeur aussi bien que les appelants, qui ont présenté les uns comme les autres des observations écrites et orales. Il s’est réuni au moins trois fois et a effectué une analyse comparative de chaque élément de la description de travail. Il a noté que celle‑ci ne rendait pas un compte exact de tous les postes auxquels elle s’appliquait, mais, comme elle avait été approuvée par le vice-président de la Direction générale des opérations, il a néanmoins poursuivi son analyse. Le comité a en fin de compte établi qu’il convenait d’attribuer à l’élément désigné « prise de décision » le degré 6 plutôt que le degré 5. Cette décision avait pour effet d’augmenter le nombre de points attribué au poste, de sorte qu’il pouvait être classifié au niveau FB‑07. Le comité a en conséquence recommandé à l’unanimité la classification à ce niveau des postes de GPR.

[8] Comme on l’a vu plus haut, l’administrateur général a rejeté cette recommandation, rejet qui a fait l’objet d’un contrôle judiciaire. Le présent appel résulte de la conclusion de la Cour fédérale déclarant raisonnable cette décision de l’administrateur général.

III. La décision de la Cour fédérale

[9] Les appelants (les demandeurs devant la Cour fédérale) soutenaient que la décision de l’administrateur général devait être annulée aux motifs qu’elle était déraisonnable et que la procédure suivie pour y parvenir violait les droits que l’équité procédurale leur assure. La Cour fédérale a examiné les deux questions en litige. Elle a d’abord constaté que la norme de contrôle judiciaire applicable aux griefs de classification est celle de la décision raisonnable et que le tribunal appelé à se prononcer sur des questions d’équité procédurale doit se demander « si le décideur a suivi un processus juste et équitable à la lumière des droits substantiels et des conséquences en cause » : par. 31 des motifs.

[10] La Cour fédérale a constaté que les droits que l’équité procédurale assure aux appelants « se situ[aient] à l’extrémité inférieure du continuum ». L’employeur avait rempli son obligation d’équité procédurale en offrant à ces derniers la possibilité de répondre au rapport établi par une consultante pour l’administrateur général. La Cour fédérale a conclu qu’il était loisible à ce dernier de s’appuyer sur l’analyse effectuée par la consultante de la décision du comité et de la description de travail : par. 42 des motifs.

[11] La Cour fédérale a ensuite analysé la décision de l’administrateur général portant rejet de la recommandation pour voir si elle était raisonnable. Tout en admettant que, dans le cadre d’un grief de classification, l’administrateur général doive accepter la description de travail telle quelle, elle a également conclu, en s’appuyant sur l’arrêt de notre Cour Allard c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2018 CAF 85, [2018] A.C.F. no 473 (Allard), qu’il était fondé à minimiser les parties de cette description non conforme à l’ensemble de celle‑ci. La Cour fédérale a en fin de compte conclu au caractère raisonnable de la décision de l’administrateur général, aux motifs qu’il avait examiné la description de travail dans sa totalité, qu’il avait tenu compte du raisonnement du comité et qu’il avait exposé les motifs du rejet. Par conséquent, selon la Cour fédérale, la décision contestée était justifiée, transparente et intelligible et appartenait aux issues possibles acceptables.

[12] Afin d’éviter de citer à la présente étape pour les répéter plus tard les passages pertinents de la recommandation du comité et des autres documents applicables, je reproduis ces passages et les commente dans le cours de mon analyse.

IV. Les questions en litige

[13] Les appelants soutiennent que notre Cour devrait annuler la décision de l’administrateur général aux motifs qu’elle est déraisonnable et que la procédure suivie pour y parvenir violait les droits que leur assure l’équité procédurale. L’intimé avance quant à lui que la décision de l’administrateur général commande la retenue judiciaire, étant donné la connaissance intime du fonctionnement de l’ASFC que possède ce dernier.

[14] Comme j’ai conclu au caractère déraisonnable de la décision de l’administrateur général, il ne sera pas nécessaire que j’examine la question de l’équité procédurale. Par conséquent, j’étudie seulement la question du caractère raisonnable ou non de la décision.

V. Analyse

[15] La Cour fédérale a décidé que le contrôle de la décision de l’administrateur général était assujetti à la norme de la décision raisonnable. Bien que la décision de la Cour fédérale soit antérieure à l’arrêt de la Cour suprême Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] A.C.S. no 65 (Vavilov), elle se trouve sur ce point conforme à cet arrêt, selon lequel la norme de contrôle judiciaire applicable aux décisions administratives est par présomption celle du caractère raisonnable, sauf dans des conditions déterminées, dont aucune ne se retrouve dans la présente espèce.

[16] L’arrêt Vavilov porte également que le caractère raisonnable dépend « des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen ». Cela veut dire que « chaque décision doit être à la fois justifiée par l’organisme administratif et évaluée par la cour de révision en fonction de son propre contexte particulier » : par. 90 de l’arrêt Vavilov.

[17] Les contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision qui nous intéresse comprennent les règles, lignes directrices et normes que le Conseil du Trésor a établies conformément aux pouvoirs que lui confère la Loi sur l’administration financière, L.R.C. (1985), ch. F‑11, relativement à la classification des postes de la fonction publique. Ces normes, aux fins de la présente instance, sont la norme de classification applicable aux postes de GPR, les lignes directrices d’application (les lignes directrices) et la Directive en vigueur au moment des faits.

[18] La Directive comprend une annexe intitulée « Procédures obligatoires pour les griefs de classification » (les Procédures), qui fixe, entre autres choses, la composition du comité de règlement des griefs de classification. Un tel comité doit réunir :

un président accrédité en matière de classification;

un agent des griefs du Bureau du dirigeant principal des ressources humaines;

une personne de l’intérieur ou de l’extérieur de l’organisme, de préférence un gestionnaire, qui connaît les normes d’évaluation des emplois utilisées et le type de travail évalué.

[19] Tout indique qu’un comité ainsi composé devrait pouvoir s’attaquer avec une certaine expertise à la tâche pour laquelle il a été constitué. C’est ce que semblent avoir pensé aussi les rédacteurs des Procédures, puisqu’ils ont pris le soin de préciser que, dans le cas où il ne souscrirait pas à la recommandation du comité, l’administrateur général doit motiver son rejet par des raisons « liées directement à la justification avancée par le comité à l’appui de ses recommandations ». On voit donc que l’administrateur général doit justifier son refus de mettre en œuvre la recommandation du comité en renvoyant aux motifs exposés par celui‑ci. Autrement dit, il est tenu d’expliquer pourquoi il estime cette recommandation erronée.

[20] En ce qui a trait au contrôle judiciaire de la décision de l’administrateur général, signalons que la composition du comité et la charge incombant à l’administrateur général de justifier, le cas échéant, son rejet de la recommandation du comité donnent à penser que le premier n’est pas entièrement libre de substituer sa décision à celle du comité. Il doit en effet expliquer en quoi il se trouve en désaccord avec le comité sur le plan de l’appréciation des faits ou du raisonnement. C’est en gardant ces contraintes à l’esprit que l’instance révisionnelle, qu’il s’agisse de la Cour fédérale ou de notre Cour siégeant en appel de la Cour fédérale, doit examiner la justification avancée par l’administrateur général pour rejeter les motifs du comité. Par conséquent, si les raisons avancées par l’administrateur général pour rejeter les recommandations du comité ne sont pas liées aux motifs exposés par ce dernier, sa décision sera déraisonnable. Elle le sera également s’il interprète mal la recommandation du comité et la rejette en se fondant sur quelque chose que celui‑ci n’a pas dit ou décidé.

[21] L’intimé soutient que la décision de l’administrateur général peut être dite raisonnable si elle est étayée par des parties de la description de travail. Je ne suis pas de cet avis. Il ne suffit pas que l’administrateur général puisse désigner tel ou tel élément de la description de travail susceptible d’étayer sa décision. Il doit pouvoir lier ces éléments à la décision du comité et montrer pourquoi celui‑ci aurait dû retenir de préférence les éléments sur lesquels lui-même se fonde.

[22] L’intimé invoque l’arrêt Allard de notre Cour au soutien de sa thèse. Cet arrêt concernait le contrôle judiciaire de la décision de l’employeur, qui avait fait sienne la décision du comité de règlement des griefs au sujet d’un poste. Les plaignants soutenaient que le comité de classification (dont les motifs étaient assimilés à ceux de l’employeur puisque ce dernier avait adopté la recommandation) avait commis une erreur en ne donnant pas effet à des éléments de la description de travail qui citaient des tâches de portées nationale et internationale.

[23] Notre Cour, ne voyant aucune raison d’infirmer ou de modifier la décision de l’employeur, a conclu que se justifiait la comparaison avec le poste repère choisi par le comité. Elle a établi une distinction entre la description de travail des plaignants et celle du poste de cotation supérieure auquel ils comparaient les leurs. L’arrêt Allard n’enseigne nullement qu’il suffirait à l’employeur de trouver dans la description de travail un quelconque élément propre à étayer sa décision de rejeter la recommandation du comité, ce qui n’est pas étonnant puisque dans ce cas l’employeur avait accepté cette recommandation.

[24] Dans la présente espèce, la justification du rejet par l’administrateur général de la recommandation du comité se trouve dans une lettre à l’un des plaignants, datée du 30 novembre 2017 et portant la signature de Mme Jacqueline Rigg, vice-présidente de la Direction générale des ressources humaines à l’ASFC : voir la page 868 du dossier d’appel. Comme cette lettre dit exposer [traduction] « les raisons pour lesquelles le président a décidé de rejeter la recommandation du comité de règlement des griefs de classification concernant votre grief de classification », Mme Rigg peut être considérée comme la déléguée du président (c’est‑à‑dire de l’administrateur général), et les raisons exposées dans sa lettre comme les motifs de l’administrateur général.

[25] Au cours des débats, on a fait grand cas du rapport établi par une consultante pour aider l’administrateur général à se conformer aux directives données par la Cour fédérale dans la décision Wilkinson no 2, où elle avait renvoyé l’affaire à celui‑ci « aux fins d’un réexamen devant porter sur l’ensemble de la description de travail du gestionnaire, Programmes régionaux » : par. 17 de la décision Wilkinson no 2. Dans cette affaire, l’administrateur général disposait d’un graphique, établi par des agents des ressources humaines, concernant l’élément « prise de décision » du poste de GPR. Ce graphique, a conclu la Cour fédérale, « comporte de grandes lacunes du fait qu’il omet ou ne prend pas en compte des éléments pertinents de la description de travail du gestionnaire, Programmes régionaux, qui, est-il permis de croire, correspondent à des exemples d’activités professionnelles de degré 6 et qui, à juste titre, auraient pu amener l’administrateur général à approuver la recommandation du Comité » : par. 12 de la décision Wilkinson no 2.

[26] La consultante estimait apparemment que sa mission comprenait la vérification de l’exactitude de la description de travail, à en juger par les passages où elle fait état d’une absence de justification et d’exemples, et par des observations telles que les suivantes : [traduction] « difficile à justifier comme responsabilité fondamentale et directe du GPR[;] on ne précise pas l’objet, ni le lien avec les tâches fondamentales, ni la portée ou l’effet direct – impossible à coter », etc. Point n’est besoin de multiplier les exemples. La description de travail est ce qu’elle est et doit être acceptée telle quelle. La consultante a mal compris les directives de la Cour, suivant lesquelles la décision de l’administrateur général devait prendre plus, et non pas moins, en compte les éléments de la description de travail.

[27] En conséquence, je n’accorde aucune valeur probante au rapport de la consultante. La lettre signée par Mme Rigg inclut des passages substantiels de ce rapport. Comme cette lettre constitue l’exposé des motifs de la décision de l’administrateur général, c’est là et non ailleurs qu’il faut chercher le raisonnement justifiant ses conclusions.

[28] Les appelants ont insisté sur le rapport de la consultante au soutien de leur thèse que l’administrateur général avait une fois encore réécrit illégitimement la description de travail, mais cet argument ne convainc que dans la mesure où la révision de cette dernière par la consultante a été reprise dans la décision de l’administrateur général. La plupart des éléments énumérés au tableau du paragraphe 50 du mémoire des appelants ne figuraient pas en tant que tels dans les motifs avancés par l’administrateur général pour rejeter la recommandation du comité. Cependant, comme il est indiqué ci-après, l’administrateur général a effectivement [traduction] « réécrit » la description de travail « en élevant les EAP (exemples d’activités professionnelles) au niveau d’une exigence essentielle » : voir le paragraphe 59 du mémoire des faits et du droit des appelants.

[29] J’examine ensuite la décision de l’administrateur général. Après avoir décrit les tâches des postes considérés, il tient le raisonnement suivant :

[traduction]

Cependant, le comité a omis de prendre en considération dans son analyse le contexte opérationnel du poste de GPR sous le rapport de la prise de décision.

S’agissant des décisions relatives à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques et programmes nationaux, l’apport du GPR est simplement une contribution parmi d’autres et n’atteint pas le seuil des recommandations de fond.

Les recommandations de fond deviennent en général, telles quelles, le contenu de la décision, sans autres étapes ou niveaux d’analyse et d’examen, ce qui n’est pas le cas des contributions du GPR. Ces contributions peuvent constituer un apport utile à l’élaboration et à la mise en œuvre de politiques et programmes nationaux efficaces, mais ils n’expriment qu’un point de vue parmi bien d’autres, notamment ceux des directeurs régionaux dont relève le poste de GRP, ainsi que de divers agents de la Direction générale des opérations. Qui plus est, la responsabilité de l’élaboration de politiques et programmes nationaux repose sur la Direction générale des programmes à l’Administration centrale. Les contributions du GPR n’atteignent donc pas le niveau qui en ferait des recommandations de fond, condition nécessaire de l’attribution du degré 6 à l’élément « prise de décision ».

Dossier d’appel, aux pages 869 et 870.

[30] Ce passage peut se résumer ainsi: les recommandations du GPR sur les questions relatives à l’élaboration et à la mise en œuvre de politiques et programmes nationaux ne sont pas des recommandations de fond; donc, puisque la formulation de recommandations de fond constitue une condition d’attribution du degré 6 à l’élément « prise de décision », le poste de GRP ne remplit pas le critère afférent à ce degré.

[31] Il convient de comparer ce point de vue aux conclusions du comité sur la prise de décision, en accordant une attention particulière à la formulation de recommandations. Aux pages 19 et 20 de son rapport (pages 604 et 605 du dossier d’appel), le comité formule les observations suivantes au sujet des recommandations du GPR :

[traduction]

Il faut élaborer des stratégies de prestation de programmes, définir, exécuter et guider les tâches propres à concrétiser la vision de l’Agence, ainsi qu’établir ou coordonner l’orientation opérationnelle d’unités ou de groupes de travail multidisciplinaires régionaux. Il faut aussi exercer des facultés d’appréciation dans la formulation de recommandations sur les effets opérationnels et financiers de propositions qui influeront sur la prestation des services et l’efficacité des programmes. Les titulaires des postes considérés doivent prendre des décisions sur la répartition optimale des ressources et adresser des recommandations sur les programmes à la haute direction […] Ils présentent aux districts et divisions d’une région donnée des recommandations de fond et de portée générale sur l’exécution de programmes et de politiques multidisciplinaires, et ils offrent à la haute direction de l’Agence une expertise et des recommandations concernant la rédaction, l’élaboration et la mise œuvre de politiques et programmes nationaux. Ces recommandations influent directement sur la manière dont les politiques et lignes directrices nationales seront élaborées et appliquées.

[32] Tout d’abord, signalons que le comité n’a pas conclu que le GPR formule des recommandations de fond concernant l’élaboration et la mise en œuvre de politiques et programmes nationaux. Il a plutôt conclu que le GPR présentait des recommandations de fond sur l’exécution de programmes et politiques multidisciplinaires aux districts et divisions d’une région donnée. Pour ce qui concerne la haute direction de l’Agence, le comité a conclu que le GPR lui offrait une expertise et des recommandations touchant la rédaction, l’élaboration et la mise en œuvre de politiques et programmes nationaux.

[33] Si l’administrateur général pensait que le comité avait dit que le GPR adressait des recommandations de fond à la haute direction, il a mal compris le rapport du comité. Celui‑ci a en effet pris soin d’établir une distinction entre les recommandations de fond et les recommandations tout court. Or, l’administrateur général ne contestait pas que les recommandations du GPR influent sur les politiques et lignes directrices nationales, puisqu’il a constaté qu’elles contribuaient, parmi d’autres apports, à leur élaboration.

[34] La question qui reste est celle de savoir si la formulation de recommandations de fond constitue une condition nécessaire de l’attribution du degré 6 à l’élément « prise de décision ». Le paragraphe introductif de la section de la norme de classification portant sur la prise de décision est ainsi rédigé :

Cet élément mesure les différents niveaux de responsabilité, en matière de prise de décisions, qui découlent du degré de discernement ou de latitude appliquée à la prise de décisions, ainsi que l’impact des décisions prises. Les décisions peuvent porter sur des politiques, l’élaboration ou l’exécution de programmes, la prestation de services ou la conformité à des exigences ainsi que sur les ressources humaines, financières ou matérielles. Aux fins de cet élément, il faut interpréter le mot décision dans son sens le plus large, de façon à englober les recommandations ou les conseils donnés en qualité d’expert. [Non souligné dans l’original.]

[Dossier d’appel, à la page 72.]

[35] Les définitions des degrés 5 et 6 de l’élément « prise de décision » qui suivent ce paragraphe introductif montrent la différence de leurs champs d’application :

5- Les décisions prises influent sur la mise en œuvre et l’exécution des programmes ainsi que sur la prestation des services. Pour prendre des décisions, il faut être autonome et indépendant, et, règle générale, les décisions ont trait à l’organisation et à la coordination des objectifs des programmes en matière de service.

6- Les décisions prises portent sur le choix global des façons d’élaborer ou d’exécuter les programmes, en fonction de divers programmes, projets ou opérations intégrés. Les décisions sont fondées sur l’expertise considérable accumulée en gestion ou dans un domaine particulier.

[Dossier d’appel, p. 72.]

[36] Les lignes directrices, conçues pour orienter l’application de la norme de classification, portent les observations suivantes sur les degrés 5 et 6 de l’élément « prise de décision » :

Au degré 5, les décisions sont prises en fonction des paramètres des objectifs des programmes et des contraintes opérationnelles. Il faut bénéficier de beaucoup de latitude et d’autonomie pour prendre des décisions reposant sur une longue expérience professionnelle, opérationnelle et en gestion. À ce niveau, les décisions portent sur le fonctionnement des programmes en milieu opérationnel, et elles influent sur le mode d’exécution des programmes, dans le contexte opérationnel, et sur la façon dont les opérations sont influencées par le programme.

Au degré 6, les décisions sont plus complexes en raison de la nature intégrée des opérations, c.-à-d. plus de contraintes, plus de variables, plus d’objectifs de programme qui ne sont peut-être pas coordonnés. Les décisions sont fondées sur une importante expertise en gestion ou dans un domaine spécialisé. Les décisions influent sur le mode de mise en œuvre des programmes dans cet environnement plus complexe.

[Dossier d’appel, p. 102.]

[37] On remarquera que les descriptions données dans la norme de classification et les lignes directrices des degrés 5 et 6 de l’élément « prise de décision » ne mentionnent pas la formulation de recommandations, à plus forte raison de recommandations de fond. Pour comprendre pourquoi l’on parle de la formulation de recommandations à la rubrique « prise de décision », il est utile d’examiner les observations du comité sur la description de travail.

[38] À la page 12 de son rapport (page 597 du dossier d’appel), le comité explique avoir [traduction] « vite conclu que la description de travail générique […] ne correspond exactement aux attributions d’aucun des postes occupés par les plaignants; cette description comporte des passages qui s’appliquent à certains postes et non à d’autres » (non souligné dans l’original). Cependant, comme la description de travail résultait d’un grief relatif à la nature du travail, et avait été approuvée et signée par un représentant de la direction, le comité estimait n’avoir d’autre choix que d’évaluer le poste tel qu’il était décrit, malgré le fait qu’il se trouverait ainsi amené à formuler une recommandation qui, à l’évidence, [traduction] « ne s’appliquerait entièrement à aucun des postes considérés » (non souligné dans l’original) : dossier d’appel, p. 597 et 598.

[39] Le comité conclut en faisant observer que la description de travail n’est manifestement pas conforme aux lignes directrices de l’organisme central concernant l’utilisation des descriptions de travail génériques, [traduction] « étant donné qu’elle ne décrit complètement aucun des postes considérés — certaines de ses parties se révélant inapplicables à la plupart de ces postes —, que ceux-ci s’inscrivent dans des contextes organisationnels différents d’une région à l’autre et que la description de travail générique est utilisée pour certains postes qui ne comportent en fait la gestion d’aucun programme » : rapport du comité, p. 12 et 13 (p. 597 et 598 du dossier d’appel).

[40] Le fait que la description de travail soit appliquée à des postes dont les titulaires ne géraient en fait aucun programme permet de se faire une idée de la raison pour laquelle on a inscrit la formulation de recommandations sous la rubrique de la prise de décision. Si on voulait classifier de manière équitable les postes non cadres, il fallait trouver un mécanisme permettant de les coter adéquatement sous le rapport de l’élément « prise de décision »; sinon, ces postes seraient sous-évalués et sous-rémunérés. Par conséquent, la formulation de recommandations de fond a été assimilée à la prise de décision pour les postes dépourvus d’attributions de gestion de programmes. Il ne s’ensuit pas que la présentation de recommandations de fond constitue une condition essentielle de l’attribution du degré 6 (ou d’un quelconque autre degré) à l’élément « prise de décision »; elle est simplement une activité de plus pouvant entrer dans la catégorie de la prise de décision.

[41] La conclusion de l’administrateur général selon laquelle la formulation de recommandations de fond constitue une [traduction] « condition nécessaire de l’attribution du degré 6 à l’élément “prise de décision” » est-elle fondée? La seule indication susceptible d’étayer cette conclusion se trouve dans les exemples d’activités professionnelles que donnent les lignes directrices, où deux exemples sur trois se rapportent à la formulation de recommandations de fond. L’exemple restant correspond étroitement à l’analyse que propose le comité du poste de GPR sous le rapport de la prise de décision.

[42] La Cour fédérale faisait observer dans l’affaire Wilkinson no 1, où le défendeur avait invoqué les exemples d’activités professionnelles au soutien du rejet de la recommandation du comité par l’administrateur général, que l’utilisation de tels exemples pour définir les exigences essentielles du poste revenait à « mettre la charrue avant les bœufs » : par. 25 de la décision Wilkinson no 1. Je souscris à cette appréciation. Un exemple est un « cas, événement particulier, chose précise qui entre dans (une catégorie, un genre...) et qui sert à confirmer, illustrer, préciser (un concept) » : Le Grand Robert de la langue française, 2021. Chacun des exemples en question illustre le champ des activités professionnelles du GPR et traduit ainsi l’étendue du poste. Il n’est pas raisonnable de conclure que la formulation de recommandations de fond constitue un aspect essentiel de la prise de décision au degré 6 parce que l’expression « recommandations de fond » figure dans certains des exemples. La formulation de telles recommandations peut constituer un élément essentiel de certains postes de GPR et non d’autres.

[43] C’est là que l’administrateur général a réécrit la description de travail de manière à faire de la formulation de recommandations de fond un élément essentiel de la prise de décision au degré 6, alors que ni la norme de classification ni les lignes directrices ne prévoient cette condition. Au risque de me répéter, je précise que l’élément « prise de décision » comprend la formulation de recommandations de fond, mais que l’absence de cette caractéristique n’exclut pas pour un poste toute possibilité de se voir attribuer un degré de cet élément.

[44] À propos des exemples d’activités professionnelles, je remarque aussi que l’affirmation de l’administrateur général selon laquelle les exemples 6.5.2 et 6.5.3 représentent bien le degré de prise de décision afférent au poste de GPR est purement gratuite et ne répond pas aux motifs exposés par le comité sur cette question. Il n’est pas nécessaire d’en dire davantage à ce sujet.

[45] Quoi qu’il en soit, le comité a conclu que le titulaire du poste de GPR formulait effectivement des recommandations de fond, mais pas au niveau national. Comme je l’ai déjà dit, il a pris soin d’établir la distinction entre, d’une part, les recommandations de fond présentées aux districts et divisions d’une région donnée et, d’autre part, les conseils et recommandations de portée générale adressés à la haute direction.

[46] Par conséquent, je conclus qu’il était déraisonnable de la part de l’administrateur général de rejeter la recommandation du comité en raison de l’absence de la formulation de recommandations de fond au niveau national. Aucun des documents applicables ne prévoit pareille condition.

[47] Deuxièmement, l’administrateur général a rejeté la recommandation du comité au motif que ce dernier avait omis de prendre en considération le contexte opérationnel du poste de GPR sous le rapport de la prise de décision : dossier d’appel, p. 869.

[48] L’administrateur général a fait observer que, s’agissant des décisions relatives à l’élaboration et à la mise en œuvre de politiques et programmes nationaux, l’apport du GPR est simplement une contribution parmi d’autres. Or, à mon humble avis, le comité n’a pas dit autre chose. Comme je le fais remarquer plus haut, il a bien pris soin d’établir la distinction entre les recommandations de fond adressées aux entités régionales, d’une part, et, d’autre part, l’expertise et les recommandations offertes à la haute direction de l’Agence. De plus, l’observation du comité selon laquelle les recommandations du GPR à la haute direction de l’Agence [traduction] « influent directement sur la manière dont les politiques et lignes directrices nationales seront élaborées et mises en œuvre » est conforme à l’opinion de l’administrateur général comme quoi le GPR apporte à la prise de décision nationale une contribution parmi d’autres.

[49] L’administrateur général formule ensuite l’observation suivante : [traduction] « on ne peut donc dire que le GPR, par ses recommandations, se trouverait en prise directe sur les décisions relatives à l’élaboration de politiques nationales […] Il serait plus juste d’attribuer au GPR un rôle de participation, plutôt qu’une responsabilité décisionnelle directe » : dossier d’appel, p. 870. Ici encore, le comité n’a jamais dit autre chose.

[50] Les observations de l’administrateur général sur la structure d’organisation sont plus étroitement liées au contexte organisationnel :

[traduction] […] ce poste [de GPR] est un poste parmi bien d’autres dans une région donnée, et il y a de nombreuses régions. Il y a des directeurs régionaux, dont relèvent en fin de compte les GPR, et au‑dessus, toute une structure de direction supérieure régionale qui ont un rôle à jouer dans l’orientation et la prise de décisions sous ce rapport.

[Dossier d’appel, p. 870.]

[51] Ce passage donne à penser que l’administrateur général contestait que les GPR fassent des recommandations de fond au niveau national au motif que leur position dans la hiérarchie organisationnelle n’étayait pas l’idée que leurs recommandations puissent être appliquées sans un supplément d’analyse et d’orientation de la part des cadres de niveaux supérieurs. C’est possible, mais le comité n’a pas dit que les GPR adressent des recommandations de fond aux niveaux supérieurs de la hiérarchie de l’Agence.

[52] Considérées ensemble, ces observations montrent que l’administrateur général estimait que le comité avait fait erreur en faisant fi du contexte opérationnel des activités du GPR, mais que son objection réelle concernait les recommandations de fond et s’appuyait sur son point de vue selon lequel la formulation de telles recommandations au niveau national constitue une condition nécessaire de l’attribution du degré 6 à l’élément « prise de décision ». Or ni les normes de classification, ni les lignes directrices, ni le rapport du comité n’étayent cette thèse.

[53] L’intimé fait valoir que les incohérences internes de la description de travail justifiaient le recours au contexte organisationnel de la part de l’administrateur général pour rejeter la recommandation du comité. En fait, l’administrateur général n’a pas fait état d’incohérences dans la description de travail, pas plus qu’il n’a mentionné de tels défauts en invoquant le contexte organisationnel. Le fait que les avocats se trouvent maintenant en mesure de repérer des incohérences de cette nature est dénué de pertinence. Quoi qu’il en soit, on aurait dû corriger, le cas échéant, les incohérences de la description de travail dans le cadre du grief afférent à celle‑ci et non en rendant incohérent à son tour le processus de classification.

[54] La Cour suprême donne l’enseignement suivant au paragraphe 85 de l’arrêt Vavilov : « une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti ». Dans la présente espèce, la décision de l’administrateur général contredisait les conclusions du comité sur les attributs du poste de GPR, ainsi que les critères définis par la norme de classification et les lignes directrices concernant ce poste. La décision de l’administrateur général était assujettie aux conclusions du comité, en ce sens qu’il était tenu de justifier le rejet de sa recommandation par des raisons « liées directement à la justification avancée par le comité à l’appui de ses recommandations ». En fait, l’administrateur général paraît avoir mal compris la justification de la recommandation du comité.

[55] La décision de l’administrateur général était aussi assujettie à la norme de classification et aux lignes directrices dans la mesure où ces textes définissent les degrés attribuables à l’élément « prise de décision » du poste de GPR. S’il est vrai que ces textes envisagent la possibilité que la prise de décision au degré 6 comprenne la formulation de recommandations de fond, on ne peut raisonnablement dire qu’ils fassent de celle‑ci une condition nécessaire de l’attribution de ce degré.

[56] En conséquence, je conclus au caractère déraisonnable de la décision de l’administrateur général.

VI. La réparation

[57] Les postes de GPR en litige dans le présent appel ont été créés et classifiés au niveau FB‑06, avec effet le 21 février 2007. La description de travail et la classification y afférentes ont toutes deux fait l’objet de griefs. Le grief relatif à la description de travail a été accueilli en novembre 2010, et le comité a rendu sa décision en juillet 2012. Depuis lors, l’administrateur général a rejeté cette recommandation trois fois, et chaque fois sa décision a été déclarée déraisonnable. Un témoin désintéressé et raisonnable serait peut-être fondé à soupçonner l’Agence d’avoir préjugé la question de la classification des appelants et de la recommandation du comité.

[58] Le comité a reconnu le caractère problématique de la description de travail et l’a critiquée sans ambiguïté, faisant observer qu’elle contredisait à de nombreux égards les lignes directrices de l’organisme central. Cependant il ne s’en estimait pas moins tenu de remplir sa mission. Mais l’Agence, quant à elle, ne semble pas avoir abordé de front la question de la description de travail, ce qui a entraîné des conséquences malheureuses pour les appelants.

[59] La réparation à laquelle donne habituellement lieu le contrôle judiciaire est le renvoi de l’affaire au décideur initial pour réexamen; ce renvoi est souvent assorti d’instructions : voir l’article 52 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7. Cette solution a déjà été essayée deux fois sans succès. Cette affaire traîne depuis déjà trop longtemps, et la recommandation du comité se heurte manifestement à une résistance. Le temps est donc venu de renvoyer l’affaire à l’administrateur général et de l’assortir d’instructions de fond propres à mettre un terme à ce roman-fleuve.

[60] Notre Cour a conclu dans l’arrêt Allard que le juge de la Cour fédérale, qui avait pris l’initiative de régler la question de la classification d’un poste, n’aurait pas dû le faire au vu des circonstances de l’espèce. Dans cette affaire, un grief de classification avait été instruit par un premier comité de règlement des griefs de classification, qui avait conclu que la classification existante devrait être maintenue. Cette décision avait été annulée à l’issue d’un contrôle judiciaire, au motif que le comité avait illégitimement modifié la description de travail en l’interprétant d’une manière qui équivalait à la réécrire. L’affaire a alors été renvoyée devant un second comité de règlement des griefs de classification, qui est parvenu à la même conclusion que le premier. Cette décision a elle aussi été annulée en contrôle judiciaire, au même motif que la première, à savoir que le comité avait irrégulièrement modifié la description de travail en l’interprétant de manière erronée.

[61] Le juge qui a instruit la seconde demande de contrôle a pris acte de la répugnance des tribunaux judiciaires à rendre, sauf dans des cas exceptionnels, des décisions revenant en principe aux tribunaux administratifs. Cependant, il estimait se trouver devant un tel cas et il a ordonné à l’employeur de « reconnaître » la classification du poste considéré à un niveau supérieur, conformément au souhait de l’appelant. La décision du juge était motivée par le fait que les deux comités avaient commis la même erreur et par le temps écoulé depuis le dépôt du grief.

[62] Notre Cour, en opinion incidente, a admis que l’instance révisionnelle peut ordonner un résultat particulier, mais en ajoutant qu’elle ne doit exercer ce pouvoir que dans les cas les plus évidents. Sans prétendre dresser une liste exhaustive des cas où le pouvoir devrait être exercé, notre Cour a précisé qu’il ne devrait l’être « que lorsqu’une seule issue possible raisonnable s’offre au décideur » : arrêt Allard, par. 45.

[63] L’arrêt Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. LeBon, 2013 CAF 55, [2013] A.C.F. no 196 (LeBon), fournit un exemple de ces cas où notre Cour a conclu qu’une seule issue possible raisonnable s’offrait au décideur. M. LeBon, citoyen canadien qui purgeait une peine d’emprisonnement aux États‑Unis, avait demandé à la purger au Canada sous le régime de la Loi sur le transfèrement international des délinquants, L.C. (2004), ch. 21. Sur les dix facteurs pris en considération, un seul militait contre lui. La Cour fédérale avait annulé la première décision du ministre au motif qu’il n’avait pas pris en compte et apprécié tous les facteurs. Après réexamen, le ministre était parvenu à la même conclusion. À l’issue de la seconde demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale avait conclu que le ministre n’avait manifesté qu’un intérêt de pure forme à l’égard de la décision précédente et qu’il avait préjugé la question; elle lui avait en conséquence ordonné d’autoriser le transfèrement.

[64] Notre Cour a confirmé la décision de la Cour fédérale. Elle a conclu à l’existence de deux sources d’autorité permettant à cette dernière d’exercer son pouvoir discrétionnaire de reddition d’une ordonnance impérative. Premièrement, une fois que le facteur invoqué par le ministre était écarté (parce qu’aucun élément du dossier ne l’étayait), tous les facteurs restants militaient pour le retour de M. LeBon au Canada. Il était donc loisible à la Cour fédérale « de conclure sur la foi des éléments de preuve que le seul moyen légitime d’exercer son pouvoir discrétionnaire était de faire droit au transfèrement ». Deuxièmement, notre Cour a conclu qu’il fallait rendre une ordonnance impérative pour empêcher que d’autres retards surviennent et qu’un nouveau préjudice soit causé à M. LeBon si l’affaire était renvoyée devant le ministre pour une troisième décision, alors que ce dernier n’avait pas tenu sérieusement compte de la décision précédente de la Cour : voir l’arrêt LeBon, par. 14.

[65] La présente affaire ressemble à bien des égards à celle qui a donné lieu à l’arrêt LeBon, mais elle en diffère sous au moins un rapport : l’administrateur général a eu une troisième chance d’examiner la recommandation du comité, et le résultat s’est révélé le même que dans les deux cas précédents.

[66] Comme dans l’affaire LeBon, le temps écoulé depuis le début du litige a causé un préjudice aux appelants. Ce préjudice, détaillé aux paragraphes 49 à 51 de l’affidavit de M. Jerry Jesso, comprend l’accroissement du stress au travail et dans la vie personnelle, des difficultés pécuniaires, le manque à gagner en prestations de retraite (problème particulièrement grave pour ceux qui ont pris leur retraite au cours du différend) et une moindre mobilité professionnelle. La prévention de nouveaux retards et d’une aggravation du préjudice est un facteur qui justifie l’intervention de notre Cour.

[67] De même que le ministre dans l’affaire LeBon, l’administrateur général s’est montré incapable de s’attaquer de front aux questions. Par conséquent, les motifs invoqués au soutien de son rejet de la recommandation du comité, à savoir l’absence de la formulation de recommandations de fond au niveau national et le fait que le comité aurait omis de prendre en considération le contexte organisationnel, ne tiennent tout simplement pas la route.

[68] Une fois ces éléments écartés, tous les facteurs restants examinés par l’administrateur général correspondent étroitement à la description donnée par le comité du poste de GPR, pour reprendre la formulation employée par notre Cour dans l’arrêt LeBon. En conséquence, la seule conclusion raisonnable veut que la recommandation du comité soit acceptée.

[69] Il ne s’agit pas ici, ferai‑je observer, d’un cas où la question de fond, relative à la classification, est tranchée par la Cour. Cette question a en effet été examinée de manière approfondie par le comité, qui a établi sur elle un rapport complet. L’intervention de notre Cour se fonde sur sa fonction centrale, qui est d’établir si la justification de la décision considérée est raisonnable. Ayant conclu au caractère déraisonnable du rejet par l’administrateur général de la recommandation du comité — et compte tenu du fait qu’après avoir eu trois chances de justifier sa conclusion, l‘administrateur général s’est montré incapable de formuler un raisonnement qui résisterait au contrôle selon une norme commandant la retenue judiciaire —, notre Cour n’outrepasse pas sa compétence en ordonnant au ministre d’accepter une recommandation d’experts dont il ne peut justifier le rejet.

[70] L’administrateur général avait le choix entre deux possibilités : soit il acceptait la recommandation du comité, soit il la rejetait. Or, s’il est incapable d’en justifier le rejet, il ne lui reste qu’à l’accepter.

[71] En conséquence, j’accueillerais l’appel, j’annulerais le jugement de la Cour fédérale et je renverrais l’affaire devant l’administrateur général pour un réexamen conforme au présent arrêt et à la recommandation du comité de règlement des griefs de classification, à conclure dans les 30 jours suivant la date du présent jugement.

VII. Les dépens

[72] Les appelants demandent des dépens majorés. Il est vrai, comme ils le font valoir, que l’administrateur général a mis un temps excessif à rendre ses décisions dans une affaire qui a commencé en 2007. Cependant, les appelants ayant recouvré leurs frais dans les instances antérieures, ces longueurs, si elles justifiaient la majoration des dépens, ont déjà été prises en compte. En revanche, la présente instance résulte du troisième échec de l’administrateur général à justifier son rejet de la recommandation du comité. Malgré les instructions accompagnant les décisions judiciaires antérieures, l’administrateur général a répété ses erreurs antérieures, par exemple en transformant des éléments des exemples d’activités professionnelles en conditions nécessaires. Vu ces circonstances, les appelants ont droit à des dépens majorés, mais pas à l’échelle demandée. Je leur accorderais leurs dépens devant notre Cour et devant la Cour fédérale en fonction de la valeur supérieure de la colonne 4.

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Yves de Montigny, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Marianne Rivoalen, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A‑79‑19

 

 

INTITULÉ :

MURRAY WILKINSON et al. c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 NOVEMBRE 2020

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE RIVAOLEN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 DÉCEMBRE 2020

 

COMPARUTIONS :

Andrew Raven

Morgan Rowe

 

POUR LES Appelants

 

Richard Fader

Marie‑France Boyer

 

POUR L’INTIMÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES Appelants

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

 

POUR L’INTIMÉ

 

 

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