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Date : 20201230


Dossier : A-359-19

Référence : 2020 CAF 225

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NEAR

LE JUGE LOCKE

LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

GEOFFREY BELCHETZ, STEVEN BLACK,

LORENZO BRANDIMARTE, CLEMENTE CABILLAN, WAYNE CARMAN, JOYCE DOYLE, TIMOTHY FELTIS, JOSEPH GOTTDENKER, ROBERT HILL, FRANK KOSAR, HENRY KUTZKO, STUART MITCHELL, FRANN RASMINSKY- MITCHELL, JOHN NKANSAH,

NARH OMABOE, JAMES RATHBUN, LOUIS SCHEINMAN, HOWARD SIDSWORTH, MICHAEL SLOCOMBE, ROBERT TAUTKUS, GARY THORNTON,

EDWARD VALLEAU et WALTER VOGL

appelants

et

SA MAJESTÉ LA REINE (représentée par le ministre du Revenu national à titre de ministre responsable de la Loi de l’impôt sur le revenu), L’AGENCE DU REVENU DU CANADA ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimés

Audience tenue par vidéoconférence en ligne organisée par le greffe, le 7 décembre 2020.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 30 décembre 2020.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MACTAVISH

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LE JUGE LOCKE

 


Date : 20201230


Dossier : A-359-19

Référence : 2020 CAF 225

CORAM :

LE JUGE NEAR

LE JUGE LOCKE

LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

GEOFFREY BELCHETZ, STEVEN BLACK, LORENZO BRANDIMARTE, CLEMENTE CABILLAN, WAYNE CARMAN, JOYCE DOYLE, TIMOTHY FELTIS, JOSEPH GOTTDENKER, ROBERT HILL, FRANK KOSAR, HENRY KUTZKO, STUART MITCHELL, FRANN RASMINSKY MITCHELL, JOHN NKANSAH,

NARH OMABOE, JAMES RATHBUN, LOUIS SCHEINMAN, HOWARD SIDSWORTH, MICHAEL SLOCOMBE, ROBERT TAUTKUS, GARY THORNTON,

EDWARD VALLEAU et WALTER VOGL

appelants

et

SA MAJESTÉ LA REINE (représentée par le ministre du Revenu national à titre de ministre responsable de la Loi de l’impôt sur le revenu), L’AGENCE DU REVENU DU CANADA ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE MACTAVISH

[1] Au milieu des années 1980, les appelants ont investi dans un stratagème qui, au bout du compte, a été jugé frauduleux. Par conséquent, les pertes fiscales déclarées et les déductions fiscales demandées par les appelants ont été rejetées par l’Agence du revenu du Canada (Agence). En 2014, la Cour canadienne de l’impôt a rejeté les appels en matière d’impôt interjetés par les appelants.

[2] Les appelants demandaient également un allègement d’intérêts courus sur leurs impôts impayés en application de la disposition d’allègement pour les contribuables prévue au paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la LIR). La demande d’allègement d’intérêts a été examinée par trois fonctionnaires différents de l’Agence, et les appelants ont obtenu un allègement d’intérêts courus pour une période d’environ 15 ans au terme des deux premiers examens administratifs. Le fonctionnaire responsable du troisième examen administratif a conclu qu’aucun allègement d’intérêts impayés supplémentaire n’était justifié. Cette décision a été confirmée par la suite par la Cour fédérale dans un jugement répertorié sous la référence 2019 CF 1034.

[3] Les appelants interjettent désormais appel du jugement de la Cour fédérale, en alléguant que la décision de l’Agence de leur refuser de nouveaux allègements d’intérêts était déraisonnable. Ils affirment que le fonctionnaire de l’Agence ayant réalisé le troisième examen administratif n’a pas tenu compte de leur demande d’allègement en fonction d’une disposition de la circulaire d’information pertinente de l’Agence. Selon cette disposition, les intérêts peuvent faire l’objet d’une renonciation ou d’une annulation s’ils découlent de retards de traitement de l’Agence qui font en sorte que le contribuable n’a pas été informé d’une somme due dans un délai raisonnable.

[4] Il est vrai que le troisième examinateur administratif n’a pas renvoyé spécifiquement à cette disposition dans sa décision, mais il est évident qu’il a examiné la question de savoir si les appelants devaient recevoir des allègements d’intérêts supplémentaires en raison des retards attribuables à l’Agence dans le traitement des déclarations de revenu des appelants. Tant les motifs au soutien du rejet de la demande d’allègement des appelants et le résultat qui en découle étaient raisonnables, et il n’y a aucune raison qui justifierait l’intervention de la Cour. Par conséquent, je rejetterais l’appel.

I. Résumé des faits

[5] Les appelants ont investi dans une ou plusieurs des sociétés en commandite offertes par Overseas Credit and Guaranty Corporation (OCGC) en 1984, 1985 et 1986. Ces sociétés en commandite offraient la possibilité d’investir dans une entreprise d’affrètement de yachts de luxe structurée de façon à offrir des avantages fiscaux très attrayants aux investisseurs tout en les exposant à un risque personnel restreint.

[6] OCGC a fourni aux investisseurs des tableaux de pertes annuelles pour les années d’imposition 1984 à 1988, et les investisseurs ont demandé la déduction de leur part proportionnelle de ces pertes dans leur déclaration de revenus pour les années visées.

[7] L’Agence a entrepris la vérification visant le stratagème d’OCGC en 1986, et à la fin de l’année 1987, les appelants ont reçu une lettre de l’Agence les avisant que leurs déclarations de revenus avaient été mises en suspens jusqu’à la fin de la vérification de l’Agence. Ces lettres ont été désignées en l’espèce comme les « lettres d’interception ». Ces lettres avisaient les appelants que, s’ils souhaitaient que les cotisations fondées sur leurs déclarations de revenus soient établies sans les déductions en question, ils devaient en faire part à la Direction des programmes de vérification de l’Agence. Aucun des appelants n’a choisi cette option.

[8] À l’automne 1990 ou vers l’automne 1990, les appelants ont reçu un avis de cotisation ou de nouvelle cotisation les avisant que les pertes déclarées dans leurs déclarations de revenus liées à OCGC avaient été rejetées. Les appelants ont également été avisés du montant d’impôt et d’intérêts qu’ils devaient.

[9] Des discussions de conciliation s’en sont suivies, et plusieurs investisseurs ont finalement conclu un règlement avec l’Agence. D’autres investisseurs ont contesté, puis interjeté appel de leur cotisation d’impôt. Ces appels ont mené à la décision de la Cour canadienne de l’impôt de 2014 qui rejetait les appels interjetés par les appelants (Garber c. La Reine, 2014 CCI 1, [2014] 4 CTC 2077.

[10] En rejetant l’appel interjeté par les appelants, la Cour canadienne de l’impôt a conclu que l’entreprise d’affrètement de yacht n’était rien de plus qu’une illusion et que la société en commandite OCGC n’exploitait pas une véritable entreprise. La Cour canadienne de l’impôt a également conclu que les investisseurs étaient des victimes innocentes et dupées qui avaient été encouragées par de fausses déclarations à investir dans ce qui était, à vrai dire, un stratagème à la Ponzi, avec pour résultat le rejet de toutes les déductions demandées par les appelants. Les principaux responsables du stratagème d’OCGC ont été accusés au criminel et ont été déclarés coupables de fraude en lien avec le stratagème d’investissement.

a) Premier examen administratif

[11] Certains investisseurs (y compris les appelants) ont demandé un allègement d’intérêts en 2004 en application du paragraphe 220(3.1) de la LIR, dans sa version alors en vigueur. Le paragraphe 220(3.1) a été modifié en 2005, limitant à 10 ans la période pendant laquelle un allègement d’intérêts pouvait être demandé. Puisque la demande des appelants a été déposée avant 2005, la période pendant laquelle le ministre pouvait leur accorder un allègement d’intérêts n’était pas restreinte. Le premier motif d’allègement invoqué par les appelants est le retard administratif de la part de l’Agence.

[12] Les demandes d’allègement des appelants ont été mises en suspens, dans l’attente de la décision de la Cour canadienne de l’impôt à l’égard de leurs appels en matière d’impôt. Les demandes d’allègement ont été réactivées après que la Cour canadienne de l’impôt a rendu sa décision en 2014, et un membre de la Section d’appel de l’Agence a effectué le premier examen administratif des demandes d’allègement d’intérêts des appelants en 2015. Cet examen a mené à l’annulation d’intérêts courus sur une période d’environ 14 ans en raison des retards de traitement de la part de l’Agence.

[13] Il est particulièrement pertinent pour le présent appel de noter que l’allègement a été autorisé à l’égard des années d’imposition 1985 à 1989. Un allègement a été autorisé pour les années d’imposition 1985, 1986 et 1987 pour les périodes entre :

1. le 1er janvier 1988 et le 12 décembre 1988;

2. le 14 janvier 1989 et le 14 mars 1989;

3. le 15 juin 1989 et le 25 avril 1990;

4. le 1er mai 1990 et le 14 mars 1991.

Un allègement d’intérêts a été accordé pour l’année d’imposition 1988 pour la période entre le 15 juin 1989 et le 14 mars 1991, ainsi que pour l’année d’imposition 1989 pour la période entre le 1er mai 1990 et le 14 mars 1991.

[14] Le présent appel a principalement pour objet d’examiner le refus du ministre d’accorder un allègement d’intérêts aux appelants pour la totalité de la période s’étendant de l’échéance de la production des déclarations pour chaque année visée à partir du 1er mai 1985 jusqu’à la date à laquelle les appelants ont reçu un avis de cotisation ou un avis de nouvelle cotisation.

[15] Les appelants affirment qu’ils auraient dû obtenir un allègement pour la totalité de cette période, puisque ce n’est qu’à la fin de l’année 1990, soit au moment où l’Agence a établi les avis de cotisation ou les avis de nouvelles cotisations, qu’ils ont été mis au courant de la fraude complexe et à grande échelle perpétrée par les individus derrière le stratagème d’OCGC. Les appelants allèguent que ce n’est qu’à ce moment qu’ils ont été mis au courant du rejet des pertes déclarées et des déductions demandées ainsi que des montants dus à l’Agence par suite de ces cotisations ou nouvelles cotisations.

b) Deuxième examen administratif

[16] Les appelants, insatisfaits du premier examen administratif, ont demandé un nouvel examen de leur demande d’allègement pour les contribuables. Ils demandaient notamment un allègement pour la période s’étendant entre le 1er mai 1985 et l’automne 1990, ce qui n’avait alors pas encore été accordé. Les appelants faisaient une fois de plus valoir qu’il était inéquitable que des intérêts leur soient imposés pendant la période avant qu’ils ne connaissent le montant d’impôt dû.

[17] La deuxième demande d’examen administratif des appelants a été accueillie en partie, et un allègement d’intérêts a été accordé pour diverses périodes s’étalant entre le mois d’août 2014 et le mois de mai 2017 en raison de retards attribuables à l’Agence suivant la décision de la Cour canadienne de l’impôt. Aucun allègement supplémentaire n’a été accordé pour la période entre le 1er mai 1985 et l’automne 1990. En conséquence des examens administratifs de premier et deuxième niveau, les appelants ont obtenu des allègements d’intérêts pour une période d’environ 15 ans.

[18] Tout en reconnaissant que près de 30 ans se sont écoulés entre la date de cotisation d’impôt sur le revenu et la fin des instances devant la Cour canadienne de l’impôt, le décideur du deuxième examen administratif a conclu qu’aucun allègement supplémentaire ne devait être accordé aux appelants à cet égard. Pour parvenir à cette conclusion, le décideur a souligné qu’un allègement avait déjà été accordé aux appelants au terme du premier examen administratif en raison des retards de l’Agence liés à la vérification, aux appels et aux instances devant la Cour canadienne de l’impôt.

[19] Le décideur du deuxième examen administratif a également conclu que les lettres d’interception envoyées aux appelants les avisaient qu’ils pourraient échapper à l’imposition de frais d’intérêt en acquittant immédiatement les montants de cotisation impayés. Les lettres n’affirmaient rien de tel.

[20] Les appelants ont demandé le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de la décision rendue dans le cadre du deuxième examen administratif. Cette demande a finalement été réglée sans qu’il y ait tenue d’audience. Conformément au règlement amiable dont ont convenu les parties, les demandes d’allègement d’intérêts des appelants seraient examinées rapidement par un nouveau fonctionnaire de l’Agence qui n’avait jamais été engagé dans cette affaire.

[21] Les parties ont également convenu que cet examen indépendant se limiterait à la question du retard attribuable à l’Agence pendant la vérification de la société en commandite d’OCGC et de ses investisseurs, pendant les processus d’appel et d’opposition et pendant le litige devant la Cour canadienne de l’impôt. Elles ont également convenu que les circonstances particulières de chaque investisseur individuel ne seraient pas prises en considération, mais que l’examinateur tiendrait compte de tous les faits, documents, circonstances et arguments juridiques pertinents présentés par les appelants en tant que groupe, à l’Agence.

c) Troisième examen administratif

[22] Un troisième examen de la demande d’allègement des appelants a donc été réalisé par un délégué du ministre en conformité avec le règlement amiable. Les appelants ont transmis au délégué du ministre trois ensembles d’observations écrites faisant valoir plusieurs arguments expliquant pourquoi, selon eux, un allègement d’intérêts supplémentaire était justifié en l’espèce. Le dossier présenté au délégué du ministre comprenait également des centaines de documents, ainsi que les observations des parties portant sur les premier et deuxième examens administratifs de même que sur les première et deuxième décisions.

[23] Tous les arguments des appelants ont été rejetés par le délégué du ministre, qui a déterminé qu’aucun allègement d’intérêt supplémentaire ne devait être accordé en l’espèce. En ce qui a trait à la période de 1985 à 1990 visée dans le présent appel, le délégué du ministre a conclu que les déclarations de revenus des appelants avaient fait l’objet d’une nouvelle cotisation dans les délais impartis par la LIR. De plus, les appelants avaient reçu les lettres d’interception dès 1987, les avisant que leurs déclarations de revenus pour l’année d’imposition 1986 avaient été mises en suspens pendant la vérification dont faisaient l’objet les sociétés en commandite d’OCGC. L’Agence a indiqué dans ces lettres que les demandeurs pouvaient demander que leurs déclarations soient établies sans les déductions demandées, mais qu’aucun des appelants n’avait décidé de se prévaloir de cette option. Par conséquent, le délégué du ministre a conclu que les intérêts courus pendant la période visée n’étaient pas une question indépendante de la volonté des appelants.

[24] Le délégué du ministre a également relevé que, dans les premier et deuxième examens, le retard mis par l’Agence à établir les cotisations et les nouvelles cotisations relatives aux déclarations de revenus des appelants avait été pris en compte et qu’un allègement avait été accordé pour toute période au cours de laquelle la vérification ne se poursuivait pas activement. Par conséquent, le délégué du ministre a conclu que les appelants n’avaient droit à aucun allègement des intérêts courus supplémentaire.

II. Décision de la Cour fédérale

[25] Les appelants ont demandé le contrôle judiciaire de la décision du délégué du ministre. La Cour fédérale a tranché que la décision était raisonnable et a rejeté la demande des appelants.

[26] En concluant que la décision du délégué du ministre était raisonnable, la Cour fédérale a noté que les retards cumulés en l’espèce ne justifient pas automatiquement un allègement des intérêts. La Cour a conclu que le délégué du ministre avait réalisé un examen exhaustif des retards et tenu compte de façon raisonnable de leur durée, du fait que l’allègement d’intérêt ne s’appliquait pas pour certaines périodes et du fait que d’autres retards avaient déjà été comptabilisés dans les examens antérieurs. Le délégué du ministre a également tenu compte des autres éléments soulevés par les appelants.

[27] La Cour fédérale a également conclu qu’il n’y avait pas de circonstances indépendantes de la volonté des appelants qui auraient pu les empêcher de respecter leur obligation de payer leurs impôts. Si les appelants avaient accepté l’offre figurant dans les lettres d’interception, qui proposait d’établir leurs cotisations sans tenir compte des déductions en litige, ils auraient reçu leurs avis de cotisation. Ils auraient ensuite pu contester les cotisations au motif qu’elles ne comprenaient pas les crédits d’impôt et les déductions auxquelles les appelants croyaient avoir droit. Si les appelants avaient payé leurs impôts dus calculés dans les cotisations, aucun intérêt ne se serait accumulé. Si les contestations des appelants avaient en définitive été confirmées et que les transferts de crédits d’impôt et les déductions demandées avaient été jugés valides, ils auraient eu droit à ces crédits et déductions de façon rétroactive, avec intérêts, et auraient ainsi été totalement compensés.

III. Questions en litige

[28] La seule question en litige soulevée par les appelants est de savoir si la décision du délégué du ministre de refuser l’allègement d’intérêt pour la totalité de la période s’étendant entre l’échéance de production pour toutes les années d’imposition en cause, et la date à laquelle les appelants ont reçu leur avis de cotisation ou de nouvelle cotisation, était raisonnable.

IV. Norme de contrôle

[29] Lors d’un appel d’une décision de la Cour fédérale saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision administrative, notre Cour doit se « met[tre] à la place » de la Cour fédérale, et déterminer si elle a employé la norme de contrôle appropriée et si elle l’a appliquée correctement : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, par. 45 à 47.

[30] La Cour a déjà jugé que la « nature non définie » du pouvoir conféré au ministre au paragraphe 220(3.1) de la LIR plaide contre un examen judiciaire minutieux du processus de prise de décisions : Canada (Agence du revenu) c. Telfer, 2009 CAF 23, 386 NR 212, par. 40, autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada refusée, [2009] C.S.C.R. no 142. La norme de la décision raisonnable est donc la norme de contrôle à appliquer lors de l’examen de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre en vertu du paragraphe 220(3.1) de la LIR (arrêt Telfer, précité, par. 24).

[31] La Cour fédérale a déterminé à juste titre que la norme de la décision raisonnable était la norme de contrôle à appliquer en l’espèce. En déterminant si la décision du délégué du ministre était raisonnable, la Cour fédérale a appliqué la jurisprudence applicable à ce moment, soit la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, par. 47, [2008] 1 R.C.S. 190. Bien que l’arrêt Dunsmuir a depuis été remplacé par l’arrêt de la Cour suprême du Canada intitulé Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, 441 D.L.R. (4th) 1, je ne suis pas convaincue que l’évolution de la jurisprudence aurait eu une incidence sur le résultat de la présente affaire, car la décision du délégué du ministre était raisonnable, tant en fonction de la norme établie dans l’arrêt Dunsmuir que de celle figurant dans l’arrêt Vavilov.

V. Les observations des appelants

[32] Les appelants font valoir que leurs dossiers s’inscrivent directement dans l’application du paragraphe 26(a) de la circulaire d’information IC07-1R1 publiée par l’Agence, « Dispositions d’allègement pour les contribuables » (18 août 2017). Ce paragraphe dispose que « [l]es pénalités et les intérêts peuvent également faire l’objet d’une renonciation ou d’une annulation s’ils découlent principalement d’actions de l’[Agence], telles que des [...] retards de traitement, qui ont fait en sorte que le contribuable n’a pas été informé d’une somme due dans un délai raisonnable ».

[33] Les appelants reconnaissent qu’ils ont été mis au courant de la vérification visant le stratagème d’OCGC par les lettres d’interception reçues à la fin de l’année 1987. Ils soutiennent toutefois que ce n’est que lorsqu’ils ont reçu leurs avis de cotisation ou de nouvelle cotisation à la fin de l’année 1990 qu’ils ont appris que les pertes et déductions qu’ils avaient déclarées et demandées étaient rejetées et qu’ils devaient un montant d’impôt précis à l’Agence.

[34] Les appelants affirment que, contrairement au paragraphe 26(a) de la circulaire d’information, le premier examinateur administratif a commis une erreur en ne leur accordant pas d’allègement d’intérêts pour l’ensemble de la période entre l’échéance de production pour chaque année d’imposition en cause et la date à laquelle chaque appelant a reçu un avis de cotisation ou de nouvelle cotisation.

[35] Selon les appelants, cette erreur est survenue dans le deuxième examen administratif, lorsqu’une fois de plus, l’allègement d’intérêts leur a été refusé pour la période en question, sans motifs significatifs fournis au soutien du rejet de leur demande en vue d’obtenir de nouveaux allègements, outre la conclusion selon laquelle [traduction] « aucun allègement supplémentaire n’est justifié ».

[36] Les appelants soutiennent que cette conclusion est fondée sur des renseignements qui étaient manifestement erronés, c’est-à-dire que le document d’information sur l’allègement pour les contribuables obtenu par un des contribuables en application de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1, présente de manière inexacte les informations reçues par les appelants dans les lettres d’interception. Selon ce document, les appelants ont été avisés d’acquitter immédiatement leurs impôts impayés afin d’éviter d’avoir à payer des frais d’intérêt. Les appelants font valoir que les lettres d’interception qu’ils ont reçues ne faisaient pas mention de cet avis.

[37] Le présent appel porte sur le troisième examen administratif, et non pas sur les deux premiers. Les appelants reconnaissent que l’erreur commise dans le deuxième examen administratif relativement aux informations données dans les lettres d’interception avait été corrigée lors de l’examen de troisième niveau. Ils soutiennent toutefois que la décision du délégué du ministre était déraisonnable, car elle ne tenait pas compte de leur demande d’allègement en application du paragraphe 26(a) de la circulaire d’information, une demande qui, selon eux, n’a pas été adéquatement examinée dans aucun des examens précédents.

[38] Selon les appelants, le délégué du ministre a écarté la question des retards attribuables à l’Agence en mettant l’accent sur l’article 25 de la circulaire d’information plutôt que sur le paragraphe 26(a). L’article 25 dispose que les pénalités et les intérêts peuvent faire l’objet d’un allègement « en tout ou en partie, si elles découlent de circonstances indépendantes de la volonté du contribuable ».

VI. Analyse

[39] Dans sa décision d’accorder ou non un allègement à un contribuable aux termes du paragraphe 220(3.1) de la LIR, la ministre ne dispose pas d’une latitude absolue, ne peut pas agir au gré de ses fantaisies, ni ne peut entériner automatiquement, sans y réfléchir, la pénalité qu’il a précédemment imposée (Canada c. Guindon, 2013 CAF 153, par. 57 et 58, confirmé dans 2015 CSC 41, sans que cette question y soit traitée). Les tribunaux peuvent également intervenir lorsqu’une décision est fondée sur une conclusion de faits erronée (Lalonde c. Canada (Agence du revenu), 2010 CF 531, par. 32).

[40] Tous les facteurs pertinents doivent être pris en considération, et la décision d’un examen administratif doit être fondée sur l’objectif d’équité sur lequel repose le paragraphe 220(3.1) de la LIR et qui sous-tend l’ensemble de la LIR (arrêt Guindon (CAF), précité, par. 58). Le ministre doit véritablement exercer son pouvoir discrétionnaire, qui ne doit pas être entravé ni restreint par des énoncés de politique tels que la circulaire d’information en matière d’impôt sur le revenu IC07-1R1 (Stemijon Investments Ltd. c. Procureur général du Canada, 2011 CAF 299, 341 D.L.R. (4th) 710, par. 25 et 27).

[41] Ce dernier principe est clairement énoncé à l’article 24 de la circulaire d’information, qui prescrit que ces dispositions sont uniquement des lignes directrices et n’ont pas force exécutoire.

[42] Il ressort clairement de l’examen du troisième examen administratif que le délégué du ministre a tenu compte de toutes les observations des appelants. Dans son analyse de 21 pages, le délégué du ministre relève toutes les questions en litige soulevées par les appelants, les observations des appelants à l’égard de chacune de ces questions, puis les résume. Il y développe également une analyse expliquant pourquoi, à son avis, aucun allègement d’intérêts supplémentaire n’était justifié en l’espèce.

[43] Il est vrai que le délégué du ministre a examiné si les intérêts cumulés sur les impôts impayés des appelants pour la période en litige découlaient de circonstances indépendantes de la volonté des contribuables, comme l’envisage l’article 25 de la circulaire d’information. En concluant que ce n’était pas le cas, il a souligné que les lettres d’interception offraient aux appelants l’option d’obtenir l’établissement de leur cotisation d’impôt sur le revenu sans tenir compte du transfert des crédits et autres déductions liées à OCGC. Il a également observé que, si les appelants avaient accepté cette offre, cela aurait eu pour conséquence de mettre fin au cumul d’intérêts pendant la poursuite des processus d’opposition et d’appel des appelants. La Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en concluant que cet aspect de la décision du délégué du ministre était raisonnable.

[44] Même si on ne retrouve aucun renvoi explicite au paragraphe 26(a) de la circulaire d’information dans la décision du délégué du ministre, une étude de cette décision révèle que les observations des appelants à l’égard des retards de traitement attribuables à l’Agence ont été soigneusement examinées par le délégué du ministre. Il s’est manifestement penché sur la question de savoir si un allègement d’intérêt supplémentaire était justifié pour la période s’étendant entre l’échéance de production pour chacune des années d’imposition visées et la date à laquelle chaque appelant a reçu le premier avis de cotisation ou de nouvelle cotisation.

[45] Le commentaire du délégué du ministre à la page 3 de sa décision l’illustre bien. Il déclare qu’il était raisonnable que l’Agence ne lance pas le processus de vérification avant octobre 1986, puisqu’elle ne pouvait pas déterminer si une vérification était nécessaire avant la production des déclarations de revenu des contribuables déclarant les pertes liées à OCGC. La période entre le 1er mai 1985 et octobre 1986 est l’une des périodes pour laquelle les appelants affirment qu’ils auraient dû bénéficier d’un allègement d’intérêts en raison des retards attribuables à l’Agence.

[46] Le délégué du ministre renvoie ensuite, aux pages 3 et 4 de sa décision, aux lettres d’interception de 1987, en concluant que l’Agence [traduction] « a fait preuve de diligence raisonnable en offrant aux contribuables l’option de recevoir rapidement l’avis de leur solde dû ». Il observe ensuite que [traduction] « [b]ien que je sache qu’une vérification ne signifie pas qu’un contribuable savait que les pertes de la société en commandite assujettie à la vérification seraient rejetées, je conclus par suite de mon examen que l’Agence a fait preuve de diligence en avisant les contribuables de leurs recours relatifs aux demandes liées à OCGC ».

[47] Le délégué du ministre note également que les périodes lors desquelles les retards étaient attribuables à l’Agence avaient été examinées au cours des premier et deuxième examens et qu’un allègement avait déjà été accordé pour les périodes lors desquelles la vérification ne se poursuivait pas activement. Un allègement d’intérêts a également été accordé pour tous les retards attribuables à l’Agence pour la période précédant la cotisation ou la nouvelle cotisation des déclarations de revenus des appelants.

[48] Le délégué du ministre termine cette partie de son analyse en concluant qu’il n’y a pas eu de retards indus de la part de l’Agence justifiant un allègement d’intérêts supplémentaires pour la période en cause outre celui ayant été accordé lors du premier examen administratif.

VII. Conclusion

[49] En fin de compte, le délégué du ministre a réalisé un examen exhaustif de tous les retards de traitement survenus en l’espèce, notamment des retards de traitement ayant eu lieu entre 1985 et 1990. Il a tenu compte des observations des appelants et a expliqué pourquoi il n’était pas convaincu qu’un allègement supplémentaire était justifié dans ce contexte. Sa décision était transparente, intelligible et justifiée. La Cour fédérale n’a donc pas commis d’erreur en concluant que la décision du délégué du ministre était raisonnable. Par conséquent, je rejetterais l’appel.

VIII. Dépens

[50] Conformément à l’entente conclue par les parties, j’adjugerais à l’intimée ses dépens fixés à 2 000 $, ce qui inclut les débours et la TPS.

« Anne L. Mactavish »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

D.G. Near, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

George R. Locke, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme.

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-359-19

 

INTITULÉ :

GEOFFREY BELCHETZ, STEVEN BLACK, LORENZO BRANDIMARTE, CLEMENTE CABILLAN, WAYNE CARMAN, JOYCE DOYLE, TIMOTHY FELTIS, JOSEPH GOTTDENKER, ROBERT HILL, FRANK KOSAR, HENRY KUTZKO, STUART MITCHELL, FRANN RASMINSKY-MITCHELL, JOHN NKANSAH, NARH OMABOE, JAMES RATHBUN, LOUIS SCHEINMAN, HOWARD SIDSWORTH, MICHAEL SLOCOMBE, ROBERT TAUTKUS, GARY THORNTON, EDWARD VALLEAU et WALTER VOGL c. SA MAJESTÉ LA REINE (REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL À TITRE DE MINISTRE RESPONSABLE DE LA LOI DE L’IMPÔT SUR LE REVENU), L’AGENCE DU REVENU DU CANADA ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDITION :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATES DE L’AUDIENCE :

Le 7 décembre 2020

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MACTAVISH

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 30 DÉCEMBRE 2020

 

COMPARUTIONS

Howard Winkler

 

Pour les appelants

 

Andrea Jackett

Pour les intimés

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Winkler Law

Toronto (Ontario)

 

Pour les appelants

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour les intimés

 

 

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