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Date : 20201218


Dossier : A-250-20

Référence : 2020 CAF 221

[TRADUCTION FRANÇAISE]

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

POMEROY ACQUIRECO LTD.

intimée

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 18 décembre 2020.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE LOCKE

 


Date : 20201218


Dossier : A-250-20

Référence : 2020 CAF 221

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

POMEROY ACQUIRECO LTD.

intimée

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE LOCKE

I. Contexte et critère juridique

[1] L’appelante (la Couronne) sollicite :

  1. une ordonnance, en application de l’article 351 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, en vue d’obtenir l’autorisation de présenter de nouveaux éléments de preuve; et

2. une ordonnance en application du paragraphe 343(3) des Règles pour déterminer le contenu du dossier d’appel tel que proposé.

[2] Étant donné que le désaccord des parties sur le contenu du dossier d’appel ne concerne que les nouveaux éléments de preuve que l’appelante se propose de présenter, la seule question en litige portant sur la requête concerne lesdits nouveaux éléments de preuve.

[3] L’article 351 des Règles est ainsi libellé :

Nouveaux éléments de preuve

New evidence on appeal

351 Dans des circonstances particulières, la Cour peut permettre à toute partie de présenter des éléments de preuve sur une question de fait.

351 In special circumstances, the Court may grant leave to a party to present evidence on a question of fact.

[4] Les parties citent différentes décisions au sujet du critère juridique applicable à une requête de production de nouveaux éléments de preuve. Cependant, elles s’entendent pour dire ce qui suit :

  1. L’autorisation de présenter de nouveaux éléments de preuve est accordée à titre exceptionnel; il doit y avoir des circonstances particulières;

  2. En règle générale, les nouveaux éléments de preuve proposés doivent répondre aux trois exigences suivantes :

    1. Ils n’auraient pas pu, avec une diligence raisonnable, être présentés avant la fin de l’audience devant le tribunal d’instance inférieure;

    2. Ils sont crédibles;

    3. Ils sont pour ainsi dire déterminants quant à une question en litige dans l’appel;

3. Les éléments de preuve qui ne remplissent pas ces trois conditions peuvent toujours être admis si l’intérêt de la justice l’exige.

[5] Étant donné, à mon avis, qu’elle reflète mieux la jurisprudence qui lie cette Cour, je préfère la définition du critère juridique pour l’apport de nouveaux éléments de preuve qui figure dans l’arrêt Coady c. Canada (Gendarmerie royale), 2019 CAF 102, par. 3 (arrêt Coady) :

[...] Le critère régissant de telles demandes est bien établi et nécessite que la partie qui veut présenter de nouveaux éléments de preuve établisse (1) qu’ils n’auraient pas pu être produits au procès avec diligence raisonnable, (2) qu’ils sont pertinents, en ce sens qu’ils portent sur une question décisive ou potentiellement décisive quant à l’appel, (3) qu’ils sont plausibles, en ce sens qu’on peut raisonnablement y ajouter foi, et (4) qu’ils sont tels que si l’on y ajoute foi, on peut raisonnablement penser qu’ils auraient influé sur le résultat : Palmer c. La Reine, [1980] 1 RCS 759, page 775, (1979) 30 N.R. 181; May c. Établissement Ferndale, 2005 CSC 82, [2005] 3 RCS 809, au paragraphe 107. [...] Si les éléments de preuve ne satisfont pas au critère qui précède, la Cour possède tout de même un pouvoir discrétionnaire résiduel lui permettant d’admettre les éléments de preuve en appel. Cependant, ce pouvoir doit être exercé dans l’intérêt de la justice, avec parcimonie et uniquement [traduction] « dans les cas les plus clairs » [...]

[6] Les parties citent également le passage suivant de l’arrêt Amchem Products Inc. c. Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Board), [1992] A.C.S. no 110, par. 6 (arrêt Amchem), concernant la manière dont les exigences devraient être appliquées aux appels de questions interlocutoires, comme le présent appel :

[TRADUCTION]

[...] Selon moi, en exerçant le pouvoir discrétionnaire à l’égard d’une demande concernant un appel visant une ordonnance interlocutoire, il ne convient pas d’appliquer ces règles de manière stricte. Il faut tenir compte du fait que la possibilité de présenter tous les documents n’est pas la même que pour un procès [...]

II. Faits pertinents

[7] La décision en appel en l’espèce a été rendue le 30 septembre 2020 par le juge Sommerfeldt de la Cour canadienne de l’impôt. Il a rejeté la requête de l’appelante en vue de modifier sa réponse à l’avis d’appel pour ajouter de nouvelles allégations et de nouveaux arguments. La requête en modification a été déposée le 24 août 2020. L’appel devant la Cour canadienne de l’impôt était en cours depuis 2017. L’une des modifications proposées consistait à ajouter un argument selon lequel le prêt en question dans cet appel était un trompe-l’œil (l’argument du trompe-l’œil).

[8] L’intimée, Pomeroy Acquireco Ltd, s’est opposée à la présentation de l’argument du trompe-l’œil au motif qu’il exigerait la preuve d’intentions et d’un objectif subjectifs au moment des transactions en question, et que la principale personne ayant cette connaissance, Robert Pomeroy, était décédée le 11 juin 2020. L’intimée a déposé ses documents liés à la requête en réponse le 3 septembre 2020, et en soutien à son opposition à la modification elle a inclus des extraits de la transcription d’un interrogatoire préalable de 2018 de M. Pomeroy. La requête a été entendue le 9 septembre 2020 et elle a été tranchée le 30 septembre 2020. Dans ses motifs de rejet de la requête de l’appelante en vue de modifier sa réponse, le juge Sommerfeldt a convenu que le témoignage de M. Pomeroy serait important pour l’argument du trompe-l’œil et qu’il serait injuste pour l’intimée d’autoriser la modification visant à ajouter cet argument après la mort de M. Pomeroy.

[9] Dans le présent appel de la décision du juge Sommerfeldt, l’appelante demande maintenant l’autorisation d’ajouter l’intégralité de la transcription de l’interrogatoire préalable de 2018 de M. Pomeroy (les nouveaux éléments de preuve). L’appelante fait valoir que les nouveaux éléments de preuve sont importants pour démontrer que M. Pomeroy ne savait pas grand-chose au sujet des transactions en question, et qu’il n’aurait donc pas pu apporter des éléments de preuve d’importance pour l’appel devant la Cour canadienne de l’impôt. L’appelante souhaite s’appuyer sur les nouveaux éléments de preuve pour réfuter la conclusion du juge Sommerfeldt selon laquelle l’intimée subirait une injustice si la modification était autorisée.

III. Analyse

[10] Comme les parties citent des décisions différentes au sujet du critère juridique à appliquer à la présente requête, elles n’ont pas abordé chacune des quatre exigences qui sont énumérées dans l’arrêt Coady. L’opposition de l’intimée à la requête est axée sur deux points. Tout d’abord, l’intimée fait valoir que l’appelante ne satisfait pas à l’exigence selon laquelle elle n’aurait pas pu présenter les nouveaux éléments de preuve devant la Cour canadienne de l’impôt avec diligence raisonnable. Ensuite, l’intimée fait valoir que les nouveaux éléments de preuve ne sont pas « déterminants quant à une question en litige » dans le présent appel. Cette deuxième exigence ne correspond précisément à aucune des exigences énumérées dans l’arrêt Coady. J’examinerai cet argument par rapport aux exigences selon lesquelles les éléments de preuve proposés (i) doivent être pertinents, en ce sens qu’ils portent sur une question décisive ou potentiellement décisive quant à l’appel, et (ii) si l’on y ajoute foi, on peut raisonnablement penser qu’ils auraient influé sur le résultat devant l’instance inférieure.

[11] La crédibilité des nouveaux éléments de preuve n’est pas contestée.

A. La question de savoir si les nouveaux éléments de preuve auraient pu, avec diligence raisonnable, être présentés devant la Cour canadienne de l’impôt.

[12] L’appelante fait valoir que cette exigence est satisfaite, car, lorsqu’elle a présenté les documents associés à sa requête devant la Cour canadienne de l’impôt, elle ne pouvait pas prévoir qu’elle devrait présenter les nouveaux éléments de preuve. L’appelante fait valoir que le besoin de présenter ces éléments de preuve n’est apparu clairement que le 3 septembre 2020, lorsque l’intimée a déposé ses documents liés à la requête. À ce moment-là, aucune règle ne permettait à l’appelante de déposer de nouveaux éléments de preuve devant la Cour canadienne de l’impôt.

[13] L’intimée note que le 3 septembre 2020, date à laquelle la pertinence des nouveaux éléments de preuve est devenue évidente, se situe six jours avant l’audition de la requête devant la Cour canadienne de l’impôt. L’intimée fait valoir que l’appelante aurait pu faire valoir devant le juge Sommerfeldt que le témoignage de M. Pomeroy ne serait pas important pour l’argument du trompe-l’œil et/ou elle aurait pu contre-interroger la personne qui a souscrit l’affidavit déposé par l’intimée sur le sujet. L’intimée fait également valoir que, malgré l’absence d’une règle particulière permettant à l’appelante de présenter les nouveaux éléments de preuve au juge Sommerfeldt, elle aurait pu demander l’autorisation de le faire. L’intimée fait valoir que le fait que l’appelante n’ait pris aucune des mesures susmentionnées était une décision stratégique qui dépasse le champ d’application de l’article 351 des Règles pour remédier à la situation.

[14] Je conviens avec l’intimée que l’appelante ne satisfait pas à cette exigence. Je ne suis pas convaincu qu’en faisant preuve de diligence, l’appelante n’aurait pas pu présenter les nouveaux éléments de preuve devant la Cour canadienne de l’impôt. J’accepte que l’appelante ait pris connaissance de la pertinence des nouveaux éléments de preuve au plus tard le 3 septembre 2020. L’absence d’une règle particulière permettant à l’appelante de présenter ces éléments de preuve après cette date a certainement constitué un obstacle. Mais je ne suis pas convaincu que l’appelante n’aurait pas pu demander, et éventuellement obtenir, l’autorisation de présenter les éléments de preuve devant la Cour canadienne de l’impôt.

[15] J’aborderai ce point plus en détail dans la discussion ci-dessous sur l’intérêt de la justice.

B. La question de savoir si les nouveaux éléments de preuve sont pour ainsi dire déterminants quant à une question en litige.

[16] Comme je l’ai mentionné ci-dessus, l’appelante fait valoir que les nouveaux éléments de preuve montrent que M. Pomeroy ne savait pas grand-chose au sujet des transactions en question et que, par conséquent, le témoignage de M. Pomeroy ne serait pas important pour l’argument du trompe-l’œil. L’appelante fait alors valoir qu’elle peut démontrer que l’intimée ne serait pas lésée si la modification demandée devant la Cour canadienne de l’impôt était accordée, et que la Cour canadienne de l’impôt a donc commis une erreur en rendant sa décision.

[17] L’intimée fait valoir que les nouveaux éléments de preuve ne peuvent pas pour ainsi dire être déterminants quant à la question en litige dans l’appel - la conclusion de la Cour canadienne de l’impôt selon laquelle il serait préjudiciable pour l’intimée d’autoriser la modification proposée. L’intimée note que les nouveaux éléments de preuve concernent un interrogatoire préalable qui a eu lieu avant que l’argument du trompe-l’œil ne soit proposé, et que, par conséquent, rien ne portait sur les intentions et l’objectif subjectifs de M. Pomeroy au moment où ont eu lieu les transactions en question, dont les parties conviennent qu’il s’agit d’éléments essentiels à l’argumentation. L’intimée fait valoir que le fait que M. Pomeroy ne connaissait pas certains détails de la mécanique transactionnelle est distincte des questions pertinentes liées à l’argument du trompe-l’œil.

[18] À ce stade, je dois rappeler que le critère juridique que je privilégie n’exige pas que les nouveaux éléments de preuve soient pour ainsi dire déterminants quant à une question en litige. Je dois plutôt me demander si (i) les nouveaux éléments sont pertinents en ce sens qu’ils portent sur une question décisive ou potentiellement décisive quant à l’appel, et (ii) si l’on y ajoute foi, on peut raisonnablement penser qu’ils auraient influé sur le résultat devant l’instance inférieure. À mon avis, la formulation de ces deux exigences établit un seuil inférieur à la formulation citée par les parties. Ces exigences ne dépendent pas de la conclusion pratique, mais plutôt de la possibilité de trancher le présent appel et d’influer sur la décision de la Cour canadienne de l’impôt.

[19] Je suis convaincu que les nouveaux éléments de preuve portent sur une question qui est potentiellement décisive dans le cadre du présent appel. À mon avis, le contenu de la transcription qui constitue les nouveaux éléments de preuve pourrait appuyer l’argument de l’appelante selon lequel M. Pomeroy aurait peu à apporter à l’argument du trompe-l’œil. Par conséquent, les nouveaux éléments de preuve pourraient être déterminants quant à la question de savoir si le juge Sommerfeldt a commis une erreur en concluant à un préjudice pour l’intimée. De même, je suis convaincu que les nouveaux éléments de preuve auraient pu raisonnablement influer sur la décision du juge Sommerfeldt.

[20] Par conséquent, je me range du côté de l’appelante sur la question de cette exigence.

C. Intérêt de la justice.

[21] Parmi les exigences relatives à la présentation de nouveaux éléments de preuve qui sont énumérées dans l’arrêt Coady, je constate qu’elles sont toutes remplies, sauf la première. Comme je l’ai mentionné ci-dessus, je ne suis pas convaincu que les nouveaux éléments de preuve n’auraient pas pu être présentés au tribunal de première instance avec diligence raisonnable. Cela dit, je suis conscient que la requête devant la Cour canadienne de l’impôt était interlocutoire et que la possibilité pour l’intimée de présenter cette preuve était limitée en raison de l’absence d’un mécanisme procédural clair à cette fin. L’autorisation de présenter les nouveaux éléments de preuve aurait pu être demandée lors de l’audience devant la Cour canadienne de l’impôt, ou peu de temps avant, mais une telle demande aurait été irrégulière et aurait très bien pu être infructueuse.

[22] Comme cela est indiqué dans l’arrêt Coady, la Cour dispose d’un pouvoir discrétionnaire résiduel pour admettre les éléments de preuve, mais « ce pouvoir doit être exercé dans l’intérêt de la justice, avec parcimonie et uniquement [traduction] « dans les cas les plus clairs » ».

[23] Bien que la situation actuelle ne soit peut-être pas des plus claires, je suis conscient des indications données dans l’arrêt Amchem : en exerçant ce pouvoir discrétionnaire dans le cadre d’un appel d’une décision interlocutoire, les exigences ne devraient pas être appliquées strictement. Il faut tenir compte de la possibilité limitée de présenter tous les documents en tant qu’éléments de preuve du procès.

[24] Tout bien considéré, et compte tenu de la possibilité limitée qu’avait l’intimée de présenter les nouveaux éléments de preuve devant la Cour canadienne de l’impôt, je conclus que l’intérêt de la justice exige que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire pour admettre les nouveaux éléments de preuve.

[25] J’accueillerai la requête de l’appelante.

« George R. Locke »

j.c.a.

Traduction certifiée conforme.

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-250-20

 

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LA REINE c. POMEROY ACQUIRECO LTD.

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 18 décembre 2020

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Natalie Goulard

Simon Vincent

Charles Junior Jean

 

Pour l’appelante

 

Robert Neilson

 

Pour l’intimée

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

 

Pour l’appelante

 

Felesky Flynn LLP

Edmonton (Alberta)

 

Pour l’intimée

 

 

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