Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20210113


Dossier : A-186-20

Référence : 2021 CAF 1

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

MARGUERITE MARY (MARGARET) BUCK,

DOROTHY ANNE SAVARD, SYLVIA M. MCGILLIS, FRANCES JUNE MCGILLIS, FLORENCE JOYCE L’HIRONDELLE ET MARILYN MCGILLIS

 

appelantes

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et LA NATION CRIE D’ENOCH

intimés

Requête écrite décidée sans comparution des parties.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 13 janvier 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MACTAVISH

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE LASKIN

 


Date : 20210113


Dossier : A-186-20

Référence : 2021 CAF 1

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

MARGUERITE MARY (MARGARET) BUCK,

DOROTHY ANNE SAVARD, SYLVIA M. MCGILLIS, FRANCES JUNE MCGILLIS, FLORENCE JOYCE L’HIRONDELLE ET MARILYN MCGILLIS

 

appelantes

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et LA NATION CRIE D’ENOCH

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE MACTAVISH

[1] Les appelantes sont membres de la Nation crie d’Enoch. Elles interjettent appel d’une ordonnance de la Cour fédérale de refus d’accorder une injonction interlocutoire enjoignant au ministre des Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada de ne pas signer une entente de règlement entre la Couronne et la Nation crie d’Enoch. L’entente visait à régler une revendication particulière présentée par la Nation crie d’Enoch relativement à l’utilisation de leurs terres comme secteur de bombardement par le ministère de la Défense nationale.

[2] Les appelantes ont cherché à empêcher la conclusion de l’entente de règlement jusqu’à ce que la Cour fédérale rende son jugement dans une action qu’elles ont intentée (en tant que titulaires de certificats de possession des terres qui y sont visées) contre le procureur général du Canada et la Nation crie d’Enoch.

[3] Dans une décision publiée sous la référence 2020 CF 769, la Cour fédérale a rejeté la requête des appelantes. La Cour a conclu que, même si une injonction interlocutoire peut être accordée contre les offices fédéraux dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, l’article 22 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C-50 empêche la délivrance d’une injonction contre la Couronne fédérale dans une action comme la présente.

[4] La Cour fédérale a également déclaré qu’elle aurait rejeté la requête des appelantes, même si elle avait compétence pour accorder la mesure de redressement demandée. Bien que la Cour ait reconnu que les appelantes avaient satisfait au critère peu élevé nécessaire à établir l’existence d’une question sérieuse en l’espèce, elles n’ont pas réussi à démontrer qu’elles subiraient un préjudice irréparable si l’entente de règlement proposée était conclue avant le règlement final de leur action. La Cour a également conclu que le fait d’empêcher la conclusion du règlement – et le pas vers la conciliation qu’elle représente – n’était pas dans l’intérêt public, et faisait pencher la prépondérance des inconvénients en faveur de la Nation crie d’Enoch et du procureur général.

I. L’appel interjeté par les appelantes

[5] Dans leur avis d’appel, les appelantes affirment que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant qu’elle n’avait pas la compétence requise pour accorder la mesure de redressement demandée. La Cour a également commis une erreur en concluant que, de toute façon, les appelantes n’avaient pas satisfait aux trois volets du critère applicable en matière d’octroi d’une injonction. Enfin, les appelantes soutiennent que la Cour fédérale a mal compris les droits qui leur échoient en tant que titulaires des certificats de possession relativement à certaines des terres qui y sont visées.

II. Les requêtes dont la Cour est saisie

[6] La Cour est maintenant saisie de trois requêtes :

  1. la Nation crie d’Enoch vise à obtenir le rejet de l’appel en raison de son caractère théorique parce que le ministre des Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada a maintenant signé l’entente de règlement, de sorte que l’injonction interlocutoire demandée par les appelantes ne peut plus être accordée;

  2. les appelantes demandent l’autorisation de présenter de nouveaux éléments de preuve en appel;

  3. le procureur général du Canada sollicite une ordonnance pour que certains documents du dossier d’appel soient traités de manière confidentielle.

[7] Comme je l’expliquerai plus loin, je conclus que le présent appel est effectivement théorique, et qu’il ne s’agit pas d’une affaire où la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour le trancher malgré son caractère théorique. Compte tenu de la conclusion que j’ai tirée sur la question du caractère théorique et sous réserve des observations formulées dans la prochaine section des présents motifs, il n’est pas nécessaire d’examiner la requête des appelantes visant la production de nouveaux éléments de preuve. La requête du procureur général visant l’obtention d’une ordonnance de confidentialité fera l’objet d’une ordonnance distincte.

III. Le dossier de requête relative au caractère théorique

[8] Comme je l’ai indiqué précédemment, la Cour est saisie d’une requête présentée par les appelantes visant la production de nouveaux éléments de preuve en appel, y compris un mémoire déposé par le procureur général il y a environ cinq ans dans une autre instance à laquelle était partie une première nation différente ainsi que la Directive du procureur général du Canada sur les litiges civils mettant en cause les peuples autochtones. Les appelantes cherchent à se fonder sur ces éléments de preuve pour reprocher au procureur général ses agissements dans la présente affaire.

[9] Ces documents n’étaient pas inclus dans les documents déposés par les appelantes en réponse à la requête relative au caractère théorique. Leur dossier de requête comprend toutefois des passages substantiels des documents qui sont invoqués par les appelantes à l’appui de leur argument selon lequel le présent appel ne devrait pas être rejeté en raison de son caractère théorique. Les appelantes ont également fait valoir des arguments détaillés au sujet de l’importance qu’elles prêtent à ces documents.

[10] Même si j’ai conclu qu’il n’était pas nécessaire de déterminer si les nouveaux éléments de preuve des appelantes devraient être admis relativement au fond de l’appel, j’ai examiné les passages des documents sur lesquels se fondent les appelantes à l’appui de leur argument sur la question du caractère théorique. J’ai également tenu compte de leurs arguments quant à l’importance de cet élément de preuve en tranchant la question du caractère théorique.

IV. L’appel est-il théorique?

[11] La doctrine relative au caractère théorique entre en jeu dans des cas où des faits subséquents amènent les tribunaux à conclure qu’une décision judiciaire n’aura plus pour effet de résoudre une controverse qui touche, ou peut toucher, aux droits des parties. Si une décision n’a aucune conséquence concrète sur de tels droits, les tribunaux peuvent refuser de juger l’affaire en raison de son caractère théorique : Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, 57 D.L.R. (4th) 231, par. 15.

[12] Les appelantes ont soulevé plusieurs questions qui, selon elles, constituent des questions en litige aux fins du présent appel, y compris la question de savoir si la Nation crie d’Enoch s’enrichirait injustement si elle recevait de l’argent de la Couronne relativement à l’utilisation des terres détenues par les appelantes au titre de leurs certificats de possession. Elles soutiennent qu’il y a également une question litigieuse quant à savoir si le procureur général a abusé du processus judiciaire en prenant des positions contradictoires dans différentes affaires portant sur les droits des personnes titulaires de certificats de possession. Parmi les autres questions soulevées par les appelantes, mentionnons celle de savoir si le procureur général a commis le délit de détournement ou a agi de mauvaise fois à l’égard des appelantes.

[13] Bien que l’action sous-jacente puisse faire l’objet de litiges actuels entre les parties quant à la nature et à l’étendue des droits des appelantes en tant que titulaires de certificats de possession à l’égard des terres cries d’Enoch, ces droits ne sont pas au cœur du présent appel. L’objet principal du présent appel est le refus de la Cour fédérale d’enjoindre au ministre des Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada de ne pas signer une entente de règlement.

[14] Devant la Cour fédérale, la mesure de redressement demandée par les appelantes était une injonction interlocutoire visant à empêcher le ministre de signer l’entente de règlement proposée entre la Couronne et la Nation crie d’Enoch. La requête en injonction présentée par les appelantes a été rejetée par la Cour fédérale le 17 juillet 2020, et le ministre a signé l’entente de règlement le 6 novembre 2020. Par conséquent, il n’y a plus de litige actuel entre les parties sur la question de savoir si l’entente de règlement devrait être conclue, et l’injonction interlocutoire demandée par les appelantes ne peut plus être accordée. L’appel est donc théorique.

V. La Cour devrait-elle exercer son pouvoir discrétionnaire d’entendre l’appel malgré son caractère théorique?

[15] Le fait que le présent appel soit devenu théorique ne met toutefois pas la fin à l’examen. Comme la Cour suprême l’a fait remarquer dans l’arrêt Borowski, les tribunaux ont le pouvoir discrétionnaire de statuer sur des cas qui ne satisfont pas au critère du [traduction] « litige actuel » si les circonstances le justifient : précité, par. 16. À mon avis, ce n’est pas le cas en l’espèce.

[16] Il existe toujours un contentieux entre les parties, puisque les appelantes ont une action en instance à la Cour fédérale. Cela dit, les questions qui ont maintenant été soulevées par les appelantes dans le contexte du présent appel n’ont pas été soulevées devant la Cour fédérale dans leur requête en injonction; ces questions n’ont pas été tranchées par la Cour fédérale dans sa décision rejetant la requête, et elles n’ont pas été soulevées dans l’avis d’appel des appelantes. Elles ne sont donc pas des « litiges actuels » dont il serait approprié que notre Cour soit saisie dans le contexte du présent appel. Bien que, pour les appelantes, ces questions puissent revêtir une grande importance, à supposer qu’elles soient adéquatement formulées, l’instance idoine pour les soulever est la Cour fédérale dans le cadre de l’action des appelantes, où ces questions peuvent être tranchées sur le fondement d’un dossier de preuve complet.

VI. Conclusion

[17] Par conséquent, j’accueillerais la requête de la Nation crie d’Enoch et je rejetterais l’appel en raison de son caractère théorique, et j’adjugerais les dépens afférents à la requête en rejet et à l’appel à la Nation crie d’Enoch et au procureur général du Canada.

« Anne L. Mactavish »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

David Stratas, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

J.B. Laskin, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme.

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-186-20

 

INTITULÉ :

MARGUERITE MARY (MARGARET) BUCK ET AL. c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et LA NATION CRIE D’ENOCH

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

[EN BLANC]

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MACTAVISH

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE LASKIN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 13 janvier 2021

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Karim Ramji

Pour les appelantes

 

Robert Drummond

Matthew MacPherson

Pour l’intimé

(LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA)

Edward H. Molstad, c.r.

Evan C. Duffy

Pour l’intimée

(LA NATION CRIE D’ENOCH)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Karim Ramji Law Corporation

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour les appelantes

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimé

(LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA)

Parlee McLaws LLP

Edmonton (Alberta)

Pour l’intimée

(LA NATION CRIE D’ENOCH)

 

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