Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20210113


Dossier : A-255-19

Référence : 2021 CAF 2

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LA JUGE WOODS

LA JUGE MACTAVISH

 

ENTRE :

6586856 CANADA INC.

exploitée sous la raison sociale TFI TRANSPORT 22 L.P.

(faisant affaire sous le nom de Loomis Express)

appelante

et

WARREN FICK

intimé

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe le 10 novembre 2020.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 13 janvier 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE WOODS

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LA JUGE MACTAVISH

 


Date : 20210113


Dossier : A-255-19

Référence : 2021 CAF 2

CORAM :

LE JUGE WEBB

LA JUGE WOODS

LA JUGE MACTAVISH

 

ENTRE :

6586856 CANADA INC.

exploitée sous la raison sociale TFI TRANSPORT 22 L.P.

(faisant affaire sous le nom de Loomis Express)

appelante

et

WARREN FICK

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE WOODS

[1] La Cour est saisie d’un appel visant une décision de la Cour fédérale (motifs du juge Ahmed) par laquelle était accueillie la demande de contrôle judiciaire de M. Fick (2019 CF 759).

[2] M. Fick a déposé une plainte de congédiement injuste contre 6586856 Canada Inc. (Loomis) en vertu de l’article 240 de la partie III du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2 (le Code). Dans une décision datée du 19 janvier 2018, une arbitre a rejeté la plainte sur le fondement d’une objection préliminaire soulevée par Loomis. Cette dernière a soutenu que l’arbitre n’avait pas compétence pour entendre la plainte parce que M. Fick avait été embauché par Loomis en tant qu’entrepreneur indépendant et non en tant qu’employé. L’arbitre a souscrit aux observations de Loomis et a rejeté la plainte.

[3] M. Fick a demandé le contrôle judiciaire de la décision sur l’objection préliminaire. La Cour fédérale a accueilli la demande de M. Fick et a conclu que l’objection préliminaire devait être réexaminée par un autre décideur.

[4] Loomis fait appel de la décision de la Cour fédérale devant notre Cour. Pour les motifs exposés ci-dessous, j’accueillerais l’appel.

Les faits

[5] L’appelante, Loomis, est l’associée commanditée d’une société en commandite qui se spécialise dans l’expédition transfrontalière de colis et qui exploite son entreprise sous le nom de Loomis Express.

[6] L’intimé, Warren Fick, a livré les marchandises de Loomis à Slave Lake, en Alberta, pendant environ 17 ans. Loomis a d’abord embauché M. Fick comme conducteur dans la catégorie, établie par Loomis, de propriétaire-exploitant. Il s’agissait d’un poste syndiqué donnant lieu, selon Loomis, à une relation d’emploi. En 2005, M. Fick a mis fin à la relation d’emploi. Le contrat a toutefois été renégocié à la fin de 2006, et M. Fick est retourné travailler comme conducteur pour Loomis. Le présent appel porte sur la nature de cette deuxième relation, qui a duré de 2006 à 2016 (la période pertinente).

[7] M. Fick soutient qu’il a travaillé pour Loomis en tant qu’employé au cours de la période pertinente, conformément aux modalités énoncées dans le contrat écrit signé à la fin de 2006. Il a déclaré avoir perdu sa copie du contrat lors de l’incendie de sa maison à Slave Lake, en 2011.

[8] Loomis soutient que, pendant la période pertinente, M. Fick travaillait en tant qu’entrepreneur indépendant et non en tant qu’employé. Les principaux éléments de preuve de Loomis à cet égard ont été produits par Matt Davis, le gestionnaire de Loomis responsable du nord de l’Alberta, y compris Slave Lake. M. Davis a été embauché en 2013 et il était établi à Edmonton, en Alberta. Même si M. Davis n’avait pas de connaissance directe des négociations menées avec M. Fick en 2006, il a fourni au départ un affidavit qui contredisait le témoignage de M. Fick sur l’existence d’un contrat écrit. M. Davis a déclaré qu’il ne s’agissait que d’une entente verbale. M. Davis a modifié subséquemment son témoignage dans un autre affidavit, où il a affirmé seulement que Loomis n’avait pas de contrat écrit en sa possession.

[9] Le contrat, qu’il soit verbal ou écrit, prévoyait que M. Fick serait rémunéré au moyen d’honoraires fixes de 500 $ par jour. Loomis a payé M. Fick sur une base hebdomadaire en fonction des factures produites par ce dernier sous son nom commercial de WB Enterprises, et aucune retenue à la source n’a été prélevée sur ces sommes. Cette rémunération était beaucoup plus élevée que la paie que M. Fick aurait reçue de Loomis s’il avait travaillé, comme auparavant, à titre de propriétaire-exploitant au cours de la période pertinente.

[10] Loomis a résilié le contrat en 2016, quand M. Fick se remettait d’une crise cardiaque et était incapable de travailler. Loomis aurait résilié le contrat parce que M. Fick avait omis de se faire remplacer par un conducteur pendant qu’il était incapable de conduire.

[11] Peu de temps après la résiliation du contrat par Loomis, M. Fick a déposé une plainte de congédiement injuste contre Loomis en vertu de l’article 240 de la partie III du Code. Une arbitre a été nommée pour instruire la plainte.

[12] La décision de l’arbitre et celle de la Cour fédérale sont résumées ci-dessous.

La décision de l’arbitre

[13] Dans une décision détaillée datée du 19 janvier 2018, l’arbitre a accueilli l’objection préliminaire soulevée par Loomis et a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour trancher la plainte de congédiement injuste déposée par M. Fick parce que ce dernier n’était pas un employé de Loomis durant la période pertinente.

[14] La procédure par laquelle l’objection préliminaire a été entendue était rigoureuse. À deux reprises, l’arbitre a demandé aux parties de produire des affidavits, puis elle a tenu une audience téléphonique d’une durée de cinq heures au cours de laquelle M. Fick et M. Davis ont témoigné et ont été contre-interrogés. Les parties ont ensuite présenté des observations finales par écrit. Dans ses motifs, l’arbitre a longuement décrit les éléments de preuve produits par les parties et ses conclusions de fait. Elle a également exposé les arguments des parties et son analyse des faits au regard du droit.

[15] L’arbitre a pris soin de souligner que le témoignage de M. Fick dans son affidavit quant au contrôle exercé par Loomis avait été précisé lors de l’audience téléphonique et que cet élément de preuve était par conséquent nettement différent. L’arbitre s’est fondée sur le témoignage que M. Fick a livré au cours de l’audience téléphonique plutôt que sur son affidavit antérieur. Elle a retenu la presque totalité des éléments de preuve présentés par M. Fick parce qu’elle a estimé que la plupart des principaux éléments étaient corroborés par le témoignage de M. Fick.

[16] L’arbitre a reconnu qu’il n’existait aucun contrat écrit entre les parties qu’elle aurait pu examiner. Par conséquent, pour établir les modalités du contrat, elle a examiné les pratiques des parties entre 2013 et 2016, période pendant laquelle M. Davis travaillait pour Loomis. Elle a également retenu le témoignage de M. Fick selon lequel les modalités du contrat étaient demeurées essentiellement les mêmes de 2006 à 2016.

[17] L’arbitre a commencé son analyse de la question de savoir si M. Fick était un employé ou un entrepreneur indépendant en se fondant sur l’arrêt bien connu de la Cour suprême du Canada 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., 2001 CSC 59, [2001] 2 R.C.S. 983. Après avoir fait observer [traduction] « qu’il n’existe pas de critère unique déterminant » permettant de trancher cette question (par. 115), l’arbitre a examiné les facteurs pertinents énoncés dans l’arrêt Sagaz. Les principales conclusions qu’elle a tirées à l’égard de chaque facteur sont exposées ci-après.

[18] Le degré de contrôle : L’arbitre a rejeté l’argument avancé par M. Fick selon lequel il était prouvé que Loomis exerçait un contrôle parce que, selon son contrat, les marchandises devaient être livrées le jour même de leur arrivée. Elle a conclu que cette condition faisait partie des clauses que les parties avaient négociées. Elle a plutôt conclu que M. Fick était en mesure de contrôler le travail et de gérer son entreprise comme il le voulait, sans intervention de la part de Loomis. Plus précisément, elle a conclu que Loomis ne dictait pas la façon dont les livraisons devaient être effectuées et qu’avant la crise cardiaque subie par M. Fick, les communications entre M. Fick et Loomis étaient limitées. Elle a également relevé plusieurs autres faits indiquant l’absence de contrôle exercé par Loomis sur M. Fick.

[19] La propriété des outils et des équipements : La société a fourni un scanneur à M. Fick, mais l’appareil ne servait qu’à faire le suivi des colis. M. Fick était propriétaire des autres outils et équipements nécessaires à l’exécution du travail, y compris le véhicule utilisé pour les livraisons.

[20] Le droit d’embaucher des assistants ou d’autres personnes pour exécuter le travail : M. Fick pouvait embaucher d’autres conducteurs pour l’aider dans son travail et Loomis l’encourageait à le faire.

[21] L’étendue de l’investissement dans l’entreprise : M. Fick a investi dans son véhicule et a déclaré cette dépense comme étant un placement d’entreprise pour le calcul de l’impôt.

[22] La possibilité de profit ou le risque de perte : M. Fick n’avait pas conclu de contrat exclusif avec Loomis et il pouvait embaucher d’autres travailleurs. Il ne pouvait pas modifier les tarifs exigés des clients, mais il pouvait augmenter ses possibilités de profits en maximisant son temps, en gagnant en efficacité, en agrandissant son entreprise de livraison ou en renégociant son contrat avec Loomis.

[23] Après son analyse des facteurs énoncés dans l’arrêt Sagaz, l’arbitre a procédé à ce qu’elle a appelé la [traduction] « mise en balance des intentions et de la conduite des parties à l’égard de leur relation » (par. 139). Au sujet de la nécessité de cet exercice de mise en balance, l’arbitre a souligné que, dans le secteur du transport, les ententes conclues entre les parties sont souvent perçues comme étant organisées par les sociétés, qui cherchent à s’affranchir des obligations qu’imposent les relations d’emploi. Elle a également affirmé [traduction] « [qu’]il incombe à l’arbitre de veiller à ce que les objectifs législatifs [figurant dans le Code] soient respectés et que “les personnes en situation de dépendance économique ne soient pas exploitées par celles qui détiennent le pouvoir économique” » (par. 136 et 137, citant la décision Masters v. Bekins Moving & Storage (Canada) Ltd., [2000] C.L.A.D. no 702).

[24] L’arbitre a conclu que les circonstances en l’espèce différaient de celles dans de nombreuses affaires du secteur du transport où [traduction] « le prétendu employeur a tous les atouts » (par. 140). Elle a affirmé qu’il s’agissait d’un facteur clé dans son analyse et son examen des éléments de preuve.

[25] L’arbitre a conclu que, lors des négociations de 2006, M. Fick a refusé l’offre que lui avait faite Loomis de l’employer à tire de propriétaire-exploitant et que M. Fick était parfaitement au courant des droits, des privilèges et de la rémunération qui venaient avec cette relation d’emploi. L’arbitre a terminé l’exercice de mise en balance de la façon suivante :

[traduction]

[144] Je conclus que M. Fick était tout à fait au courant et qu’il a pris la décision consciente de devenir agent en se fondant sur les différences de rémunération. C’était une décision délibérée à laquelle il s’est conformé pendant environ 10 ans avant les circonstances malheureuses qui l’ont rendu inapte au travail. C’est à ce moment qu’il lui est apparu avantageux d’alléguer qu’il était un employé.

[26] L’arbitre a conclu que Loomis s’était acquittée de l’obligation d’établir que M. Fick n’était pas un employé pour l’application de la partie III du Code et que, par conséquent, elle n’avait pas compétence pour trancher sa plainte de congédiement injuste. La plainte a donc été rejetée.

La décision de la Cour fédérale

[27] M. Fick a demandé à la Cour fédérale le contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre. Dans une décision datée du 30 mai 2019, la Cour fédérale a accueilli la demande de M. Fick.

[28] La Cour a d’abord établi que la décision de l’arbitre devait être examinée selon la norme de la décision raisonnable. La Cour a examiné si l’arbitre avait apprécié les éléments de preuve de façon raisonnable.

[29] La Cour a conclu que rien dans la décision ne démontrait que l’arbitre s’était penchée de manière raisonnable sur les aspects des éléments de preuve pouvant avoir une incidence sur la valeur et le caractère suffisant des éléments de preuve présentés par les parties. Bien que cette conclusion ait été tirée relativement aux éléments de preuve des deux parties, la Cour a uniquement mis en évidence des erreurs dans l’appréciation de certains aspects des éléments de preuve produits par Loomis, dont l’omission d’indiquer que certaines déclarations contenues dans les affidavits des principaux témoins de Loomis avaient été faites sur la foi de renseignements tenus pour véridiques, d’indiquer la source de ces renseignements tenus pour véridiques et de mentionner la nature intéressée des éléments de preuve. La Cour a conclu que, si l’arbitre avait tenu compte de ces aspects des éléments de preuve et avait expliqué la façon dont elle les avait soupesés, elle aurait pu tirer une conclusion différente sur la situation d’emploi de M. Fick.

[30] La Cour a également conclu que l’arbitre n’avait pas bien expliqué pourquoi elle avait retenu le témoignage d’une partie plutôt que celui de l’autre sur la question de savoir si M. Fick était tenu d’apposer le logo de Loomis sur son véhicule. La Cour a aussi conclu que l’arbitre avait exposé un raisonnement inintelligible lorsqu’elle a conclu que Loomis avait peut-être payé pour le logo, mais que par ailleurs elle n’avait pas connaissance de son existence.

[31] La Cour a conclu ce qui suit : « En somme, l’évaluation de la preuve ne satisfait pas aux exigences de justification, de transparence et d’intelligibilité de l’arrêt Dunsmuir » (par. 55, renvoyant à l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 47).

La question en litige et la norme de contrôle

[32] La principale question à trancher est de savoir si la Cour fédérale a commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que la décision de l’arbitre était déraisonnable.

[33] Le cadre d’analyse à utiliser pour répondre à cette question consiste à déterminer si la Cour fédérale a choisi la norme de contrôle appropriée et, dans l’affirmative, si elle l’a appliquée correctement (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, par. 45 à 47). Par conséquent, notre Cour doit se mettre à la place de la Cour fédérale et se concentrer sur la décision de l’arbitre (Agraira, par. 46).

[34] Quant à la norme de contrôle, la Cour fédérale a déterminé que la décision de l’arbitre devait être examinée selon la norme commandant de la retenue qu’est la décision raisonnable. Cette conclusion est manifestement la bonne.

[35] Pour déterminer si la décision de l’arbitre satisfait à la norme de la décision raisonnable, notre Cour est tenue d’appliquer certains principes que la Cour suprême du Canada a récemment réaffirmés dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] A.C.S. no 65 (QL). L’arrêt Vavilov n’avait pas été rendu au moment où la Cour fédérale a rendu sa décision dans la présente affaire. Je conclus que la décision de l’arbitre est raisonnable au regard tant du cadre de l’arrêt Vavilov et que de celui appliqué par la Cour fédérale. En d’autres mots, la reformulation des principes dans l’arrêt Vavilov n’a pas d’incidence sur mon analyse ni la conclusion que je tire dans le présent appel.

[36] Pour que la décision administrative soit raisonnable, elle doit être fondée sur un raisonnement logique et être justifiée « au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85).

[37] Il incombe à la partie qui conteste la décision administrative d’en démontrer le caractère déraisonnable. Notre Cour doit être convaincue « que la lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable ». « Il ne conviendrait pas que [notre Cour] infirme une décision administrative pour la simple raison que son raisonnement est entaché d’une erreur mineure. » (Vavilov, par. 100.)

Analyse

[38] Lorsqu’elle applique le cadre de l’examen en appel qui a été énoncé dans l’arrêt Agraira, notre Cour doit en fait déterminer si la décision de l’arbitre est déraisonnable. M. Fick a cherché à le démontrer en se fondant en partie sur les motifs de la Cour fédérale et également sur des observations dont la Cour fédérale n’a pas fait mention dans ses motifs. Loomis a tenté de démontrer que la décision de l’arbitre était raisonnable en se fondant sur les motifs de l’arbitre et des observations contestant les conclusions de la Cour fédérale.

[39] Les principales observations avancées par M. Fick sont examinées ci-après.

[40] Loomis a fait preuve d’inconduite en catégorisant erronément leur relation : M. Fick soutient vigoureusement que Loomis a fait preuve d’inconduite en considérant erronément que M. Fick est lié à elle à titre d’entrepreneur indépendant. M. Fick souligne que le fait que Loomis ne se soit pas conformée à diverses obligations que la loi lui imposait à titre d’employeur et qu’elle l’ait traité comme un entrepreneur indépendant prouve l’inconduite qu’il lui reproche.

[41] Comme on le verra plus loin, je conclus qu’il était raisonnable pour l’arbitre de juger que M. Fick avait été embauché par Loomis à titre d’entrepreneur indépendant pour l’application de la partie III du Code. Cela suffit à écarter les arguments de M. Fick selon lesquels Loomis a catégorisé de façon erronée leur relation et a fait preuve d’inconduite.

[42] Pour étayer davantage son observation voulant qu’il y ait eu catégorisation erronée et inconduite, M. Fick a renvoyé à la définition du terme « employé » dans la Loi de 2000 sur les normes d’emploi, L.O. 2000, ch. 41. M. Fick soutient que l’arbitre aurait dû tenir compte de cette définition. Je ne souscris pas à cette observation. La définition du terme « employé » à laquelle M. Fick renvoie ne s’applique pas aux dispositions de la partie III du Code. Par conséquent, la loi ontarienne n’est pas pertinente.

[43] L’arbitre aurait dû retenir le témoignage de M. Fick sur les modalités du contrat de 2006 : M. Fick soutient que l’arbitre a commis une erreur en ne retenant pas son témoignage relativement aux modalités du contrat conclu en 2006 avec Loomis. Il soutient également que son témoignage aurait dû être retenu parce qu’il constituait le seul élément de preuve provenant d’une personne ayant eu connaissance directe des négociations ayant mené à la signature du contrat.

[44] L’arbitre a conclu que le témoignage de M. Fick concernant les modalités du contrat de 2006 était intéressé. Au lieu de retenir ce témoignage intéressé et non corroboré, l’arbitre a établi quelles étaient les modalités du contrat de 2006 au moyen d’éléments de preuve sur lesquels M. Fick et M. Davis s’entendaient, soit les pratiques des parties relativement aux services fournis par M. Fick. Dans son analyse, l’arbitre s’est concentrée sur le témoignage portant sur la période de 2013 à 2016, lorsque M. Fick et M. Davis avaient tous deux une connaissance directe de la relation. L’arbitre a conclu que cette période était représentative des pratiques des parties tout au long de la période pertinente : [traduction] « [i]l ressort clairement du témoignage de M. Fick qu’il n’y a eu aucun changement important dans les modalités du contrat entre 2006 et 2016 » (par. 59 et 60). Il était raisonnable que l’arbitre favorise cette façon d’établir quelles étaient les modalités plutôt que de retenir uniquement le témoignage de M. Fick.

[45] L’arbitre aurait dû rejeter le témoignage de M. Davis : M. Fick soutient que l’arbitre n’aurait pas dû retenir le témoignage de M. Davis. Il fait valoir que ce témoignage, en ce qui concerne la période au cours de laquelle M. Davis ne travaillait pas pour Loomis, n’était pas fiable et était intéressé.

[46] La Cour fédérale a exprimé des réserves semblables à l’égard du témoignage de M. Davis. En accueillant la demande de contrôle judiciaire, la Cour a souligné les faiblesses des affidavits des témoins de Loomis et a reproché à l’arbitre de n’en avoir fait aucune mention.

[47] La Cour fédérale a bien cerné les faiblesses dans les affidavits de Loomis. Toutefois, je ne souscris pas à la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle l’arbitre a commis une erreur en n’en faisant pas mention dans ses motifs. Tout d’abord, comme je l’ai affirmé plus haut dans les présents motifs, les faiblesses ont été en partie corrigées dans un affidavit subséquent de M. Davis. De plus, l’approche suivie par l’arbitre, qui s’est fondée sur les éléments de preuve sur lesquels M. Fick et M. Davis s’entendaient, a rendu ces faiblesses sans effet. À cet égard, l’arbitre a conclu que M. Fick avait corroboré [traduction] « la plupart des éléments clés » des éléments de preuve de Loomis lors de l’audience téléphonique (par. 113). Le fait que l’arbitre ait retenu le témoignage de M. Davis était raisonnable compte tenu de l’approche qu’elle a suivie.

[48] L’arbitre a mal interprété le témoignage de M. Fick : M. Fick soutient que l’arbitre a mal interprété le témoignage qu’il a livré lors de l’audience téléphonique.

[49] M. Fick n’a fourni aucune précision quant à la partie de son témoignage qui aurait été mal interprétée. Ses observations à cet égard ne sont que de simples allégations qui ne suffisent pas à démontrer que son témoignage a été mal interprété.

[50] J’ajouterais que le dossier dont notre Cour est saisie n’étaye pas l’argument de M. Fick. Il n’y a pas de transcription de l’audience téléphonique dans le dossier. Toutefois, celui-ci comporte les observations écrites finales que M. Fick a présentées à l’arbitre et qui exposent en détail sa thèse sur les pratiques des parties. Les faits constatés par l’arbitre sont conformes aux observations de M. Fick relativement aux pratiques des parties durant la période retenue par l’arbitre, soit de 2013 à 2016. Cela indique clairement que l’arbitre n’a pas mal interprété le témoignage de M. Fick.

[51] Par conséquent, l’arbitre n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle dans son interprétation du témoignage de M. Fick.

[52] D’autres éléments de preuve ont été mis de côté ou ont été mal appréciés : M. Fick soutient également que l’arbitre n’a pas examiné correctement certains éléments de preuve en sa faveur. Il fait référence à un relevé bancaire indiquant un dépôt de salaire, à un élément de preuve relatif au logo de Loomis apposé sur le véhicule de M. Fick que Loomis pourrait avoir payé, ainsi qu’à un élément de preuve relatif à une formation sur les matières dangereuses suivie par M. Fick à l’égard de laquelle a été délivré un certificat sur lequel Loomis était désignée à titre d’employeur.

[53] J’examinerai d’abord la question du logo. Je suis d’avis que l’arbitre n’a pas mis de côté ni mal apprécié la preuve à ce sujet. L’arbitre a examiné les éléments de preuve au regard de la question litige, soit la mesure dans laquelle Loomis exerçait un contrôle sur la façon dont M. Fick devait exécuter ses tâches. L’arbitre a conclu que [traduction] « rien n’indique que [le logo] devait » être apposé sur le véhicule. À ce sujet, M. Fick a uniquement déclaré [traduction] « que [Loomis] savait que le logo était apposé et ne lui a pas demandé de l’enlever » (par. 63). Il n’a pas été démontré que l’arbitre avait mis de côté ou mal apprécié la preuve à cet égard.

[54] Dans ses motifs, la Cour fédérale a également estimé qu’il y avait des lacunes dans l’analyse de l’arbitre concernant le logo. La Cour a conclu que les motifs de l’arbitre étaient inintelligibles parce que, selon l’arbitre, même si Loomis avait possiblement payé pour le logo, elle n’était pas au courant de son existence. Avec tout le respect dû, la Cour fédérale a commis une erreur en tirant cette conclusion. Dans ses motifs, l’arbitre n’a tiré aucune conclusion sur la question de savoir si Loomis savait ou non que le logo était apposé sur le véhicule.

[55] Quant au relevé bancaire indiquant un dépôt de salaire, M. Fick soutient que cet élément étaye sa thèse et que l’arbitre n’en a pas tenu compte. Dans une lettre adressée à la Cour après l’audience, M. Fick a soutenu que l’élément de preuve pertinent avait été présenté à l’arbitre sous la forme d’un affidavit dans lequel il était indiqué [traduction] « DÉPÔT DE SALAIRE-LOOMIS EXPRESS, un relevé de compte bancaire peut être remis, au besoin ».

[56] Il est fautif de parler d’affidavit dans le cas du document visé ci-dessus. Il ne s’agit pas d’un affidavit, mais des observations écrites que M. Fick a présentées à l’arbitre. Il ressort de la lettre présentée après l’audience et d’autres documents du dossier que M. Fick a mal compris la différence entre un affidavit et des observations. Quoi qu’il en soit, ces relevés de compte bancaire n’ont pas été présentés à l’arbitre, et je ne suis pas convaincue qu’ils devraient être produits maintenant.

[57] Même si le dossier avait comporté les relevés bancaires et que l’arbitre n’en avait pas fait mention, la décision de l’arbitre ne serait toujours pas déraisonnable. Toute lacune dans les motifs se rapportant à cette question ne serait pas assez importante pour avoir une incidence sur le caractère raisonnable de la décision. Comme je l’ai mentionné plus haut, les erreurs mineures dans les motifs, qui ne touchent pas au cœur des questions en litige, ne rendront pas la décision déraisonnable.

[58] Le même raisonnement s’applique à la question de la formation sur les matières dangereuses. M. Fick a indiqué que cet élément étaye sa thèse parce que Loomis a délivré un certificat aux personnes ayant suivi la formation, sur lequel Loomis était désignée à titre d’employeur. Cette question n’est tout simplement pas assez importante pour avoir une incidence sur le caractère raisonnable de la décision.

[59] En résumé, je conclus que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que la décision de l’arbitre était déraisonnable. Je suis d’avis que la décision était raisonnable. Je me pencherai maintenant brièvement sur une question concernant l’équité procédurale.

[60] L’arbitre a injustement limité le témoignage de M. Fick : Selon M. Fick, l’arbitre a refusé d’entendre certaines parties de son témoignage lors de l’audience téléphonique. Cette observation soulève une question d’équité procédurale. La norme de contrôle de la décision correcte s’appliquera à cette question (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 R.C.F. 121, par. 54).

[61] La question se pose dans le contexte de l’audience téléphonique qui a eu lieu après que les parties ont eu fourni, par affidavit, des réponses aux questions posées par l’arbitre. L’arbitre a tenu l’audience téléphonique dans le but d’obtenir davantage d’éléments de preuve de vive voix sur certaines de ces questions, et l’arbitre a donc expressément limité la portée de cette audience. Comme je l’ai mentionné plus haut, l’audience téléphonique a duré cinq heures.

[62] Devant notre Cour, M. Fick a expliqué que l’arbitre ne l’avait pas autorisé à témoigner sur des questions qui débordaient le cadre qu’elle avait établi pour l’audience téléphonique et qu’elle l’avait interrompu quand il avait tenté de le faire.

[63] Pour trancher cette question, les dispositions du Code sont pertinentes. L’alinéa 242(2)b) du Code (tel qu’il était libellé au moment pertinent) portait sur la procédure à suivre par l’arbitre. Il disposait que l’arbitre devait fixer la procédure, sous réserve de donner aux parties toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations.

[64] Le contexte dans lequel M. Fick a témoigné est important dans l’examen de cette observation. Avant l’audience téléphonique, les parties avaient présenté deux séries d’éléments de preuve, et l’arbitre a jugé qu’il serait souhaitable de recueillir des éléments de preuve supplémentaires sur certaines questions en litige, par des observations orales et des contre-interrogatoires. La décision de l’arbitre de limiter ainsi la portée de l’audience téléphonique ne constituait pas un manquement à l’équité procédurale.

Conclusion

[65] À l’audience, M. Fick a insisté sur les conséquences néfastes pour lui et sa conjointe, Bonnie Kruger, qu’avait causées la résiliation de son contrat avec Loomis. Il s’agit de circonstances très regrettables. Néanmoins, ces facteurs ne justifient pas qu’il soit conclu que la décision de l’arbitre était déraisonnable. Dans la procédure d’arbitrage, M. Fick avait le droit de voir les questions soulevées dans l’objection préliminaire examinées attentivement par l’arbitre. Les motifs de l’arbitre montrent clairement que ce droit a été respecté en l’espèce.

[66] Par conséquent, je conclus que la décision de l’arbitre était raisonnable. J’accueillerais l’appel visant la décision de la Cour fédérale, j’annulerais le jugement et je rejetterais la demande de contrôle judiciaire.

[67] Loomis demande les dépens, mais je suis d’avis qu’il n’y a pas lieu en l’espèce d’en adjuger.

« Judith Woods »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Wyman W. Webb, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Anne L. Mactavish, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-255-19

INTITULÉ :

6586856 CANADA INC., exploitée sous la raison sociale TFI TRANSPORT 22 L.P. (faisant affaire sous le nom de Loomis Express) c. WARREN FICK

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 novembre 2020

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE WOODS

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 13 janvier 2021

 

COMPARUTIONS :

Patrick-James Blaine

Mariam Guarguis

 

POUR L’APPELANTE

 

Warren Fick

Bonnie Kruger

 

POUR L’INTIMÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Patrick-James Blaine

Saint-Laurent (Québec)

POUR L’APPELANTE

 

 

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