Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20210305


Dossier : A-259-19

Référence : 2021 CAF 47

[TRADUCTION FRANÇAISE]

En présence d’ORELIE DI MAVINDI, officier taxateur

 

ENTRE :

 

 

DOUBLE DIAMOND DISTRIBUTION LTD.

 

 

appelante

 

 

et

 

 

CROCS CANADA, INC., CROCS INC., CROCS RETAIL, LLC, WESTERN BRANDS HOLDING COMPANY, LLC.

 

 

intimées

 

Taxation des dépens sans comparution des parties.

Certificat de taxation délivré à Toronto (Ontario), le 5 mars 2021.

MOTIFS DE TAXATION :

ORELIE DI MAVINDI, officier taxateur

 


Date : 20210305


Dossier : A-259-19

Référence : 2021 CAF 47

En présence d’ORELIE DI MAVINDI, officier taxateur

 

ENTRE :

 

 

DOUBLE DIAMOND DISTRIBUTION LTD.

 

 

appelante

 

 

et

 

 

CROCS CANADA, INC., CROCS INC., CROCS RETAIL, LLC, WESTERN BRANDS HOLDING COMPANY, LLC.

 

 

intimées

 

MOTIFS DE TAXATION

ORELIE DI MAVINDI, officier taxateur

I. Introduction

[1] Les présents motifs portent sur la taxation des dépens découlant de l’ordonnance rendue le 1er octobre 2019 par la Cour, qui a rejeté la requête en sursis de l’appelante, avec dépens payables aux intimées. La taxation des dépens découle également, en application de la Règle 402 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les RCF), de l’abandon subséquent par l’appelante de l’appel sous-jacent.

II. Exposé des faits

[2] Le 1er octobre 2019, notre Cour a rejeté, avec dépens, la requête présentée par l’appelante en vue de surseoir à l’exécution de l’ordonnance rendue par la Cour fédérale le 27 juin 2019 (2019 CF 868) (la requête en sursis). Le 28 octobre 2019, l’appelante a présenté une lettre que la Cour a acceptée en remplacement de la formule 166, Avis de désistement, aux fins du règlement de l’instance en application de la Règle 166 des RCF. Le 27 novembre 2020, les intimées ont présenté une lettre à la Cour, lui demandant d’établir une directive fixant un calendrier pour la présentation des observations sur les dépens impayés qui avaient été adjugés pour la requête en sursis et le désistement subséquent. En conséquence, le 24 décembre 2019, la Cour a établi une directive fixant le calendrier pour la présentation des observations sur les dépens.

[3] Le 17 janvier 2020, les intimées ont déposé un document intitulé [traduction] « Observations sur les dépens des intimées » par lequel elles demandaient le paiement des dépens adjugés pour la requête en sursis et le désistement. Le 31 janvier 2020, l’appelante a déposé le document [traduction] « Réponse de l’appelante à la requête des intimées concernant le paiement des dépens pour la requête en sursis et l’abandon de l’appel » (documentation sur les frais de l’appelante) par lequel elle demandait que les dépens soient rejetés, réduits ou fixés à un montant d’argent nominal. L’appelante demandait également qu’une ordonnance soit rendue en application de la Règle 402 des RCF en vue de révoquer immédiatement le droit aux dépens des intimées; la Règle 402 autorise la taxation des dépens lors d’un désistement ainsi que la poursuite de leur paiement par exécution forcée, comme s’ils avaient été adjugés par jugement rendu en faveur de la partie. Le 17 février 2020, la Cour a conclu ce qui suit :

[traduction]

ATTENDU QUE l’appelante n’a exposé à la Cour aucune circonstance qui justifierait qu’une ordonnance soit rendue en application de l’article 402 des RCF;

ET ATTENDU QUE la Cour ne voit aucune raison de s’écarter de la taxation des dépens selon les taux correspondant au milieu de la fourchette de la colonne III du tarif B, plus les débours raisonnables;

ET ATTENDU QUE, selon les RCF, les parties doivent s’en remettre à un officier taxateur en cas de différend quant au montant;

LA COUR ORDONNE qu’aucune ordonnance ne soit rendue en application de l’article 402 des RCF et que les dépens soient payables aux intimées.

[4] Le 14 avril 2020, les intimées ont déposé un document contenant une demande de taxation des dépens, réglée par écrit, à laquelle étaient jointes les annexes A à L qui contenaient un projet d’avis de convocation, un mémoire de frais, la déclaration des débours faite sous serment par Jayson Dinelle le 9 avril 2020, les observations écrites et de la jurisprudence (documentation sur les frais des intimées).

[5] Le 23 juillet 2020, la directive suivante fixant le calendrier pour la présentation des observations sur la taxation des dépens a été donnée aux parties :

Après examen du mémoire de frais des intimées, déposé le 14 avril 2020, la taxation des dépens se fera par écrit.

La Cour ordonne ce qui suit :

[traduction]

1. L’appelante peut signifier et déposer ses documents de réponse au plus tard le vendredi 28 août 2020.

2. Les intimées peuvent signifier et déposer leurs documents de réponse au plus tard le vendredi 11 septembre 2020.

[6] Aucun document de réponse n’a été reçu de l’appelante avant l’échéance du 28 août 2020. Le 2 septembre 2020, l’appelante a envoyé une lettre dans laquelle elle disait avoir l’intention de se fonder sur la documentation sur les frais déposée le 31 janvier 2020, soit avant le mémoire de frais déposé par les intimées, sans fournir quelque explication pour justifier son retard. Le 8 septembre 2020, les intimées ont déposé une lettre au greffe et à l’avocat de la partie adverse, dans laquelle elles s’opposaient à l’utilisation par l’appelante de sa documentation sur les frais du 31 janvier 2020. Aucune autre correspondance n’a été reçue de l’une ou l’autre partie.

III. Question préliminaire

[7] Les intimées s’opposaient à ce que l’appelante se fonde sur sa documentation sur les frais, car celle-ci était antérieure au mémoire de frais en litige, et qu’elle avait été produite en réponse à la directive établie par la Cour le 24 décembre 2019. À la page trois de la lettre reçue des intimées le 8 septembre 2020, sous la rubrique « B », il était indiqué que les pièces jointes à la lettre du 1er septembre 2020 de l’appelante étaient, à ce stade, sans rapport avec la question de la taxation des dépens payables à Crocs :

[traduction]

Ainsi qu’il a été mentionné précédemment, la Cour d’appel fédérale a déjà statué sur le droit de Crocs aux dépens et sur la pertinence de la taxation des dépens en conformité avec les taux correspondant au milieu de la fourchette de la colonne III du tarif B, plus les débours raisonnables, ce qui a donné lieu à l’ordonnance rendue le 17 février 2020. À la lecture de la documentation sur les frais du 17 janvier 2020 de Crocs et de celle du 31 janvier 2020 de l’appelante (sur laquelle l’appelante souhaite de nouveau se fonder), le juge Stratas de la Cour d’appel fédérale a conclu que l’appelante n’avait présenté à la Cour aucun élément qui justifierait qu’une ordonnance soit rendue en application de l’article 402 des RCF. Le juge Stratas n’a vu non plus aucune raison de s’écarter d’une taxation des dépens établie d’après le milieu de la fourchette de la colonne III du tarif B, plus les débours raisonnables (annexe E de la lettre du 9 avril 2020).

La seule question en litige dans la présente taxation des dépens concerne donc le montant des dépens payables à Crocs. La taxation des dépens, et la méthode à utiliser à cette fin, ont été déterminées. Non seulement est-il mal à propos de présenter, à ce stade, quelque argument : (1) relativement au droit aux dépens de Crocs aux termes de l’article 402 des RCF ou à la requête de l’appelante qui a été rejetée; ou (2) visant à s’écarter d’une taxation en conformité avec le milieu de la fourchette de la colonne III du tarif B, mais cela relève également de la chose jugée.

[8] Ultimement, il incombait à l’avocat de l’appelante de veiller à ce que les observations devant servir à la taxation des dépens soient suffisantes pour répondre aux éléments contenus dans la documentation sur les frais des intimées. Quoi qu’il en soit, je conclus que des éléments de la documentation sur les frais de l’appelante, bien que celle-ci soit antérieure au mémoire de frais, portent sur des questions en litige pertinentes, notamment le caractère raisonnable et la nécessité des frais de déplacement et les facteurs de référence qui peuvent être pris en compte par un officier taxateur aux termes des Règles 400(3) et 409 des RCF. En revanche, toute question découlant de la documentation sur les frais de l’appelante qui a déjà été examinée dans l’ordonnance rendue par la Cour le 17 février 2020, notamment le droit aux dépens, ne relève pas des paramètres de la présente taxation des dépens et est considérée comme une chose jugée (Marshall c. Canada, 2006 CF 1017 [Marshall]; Pelletier c. Canada (Procureur général), 2006 CAF 418). Enfin, tout élément du mémoire de frais des intimées qui ne se heurte essentiellement à aucune opposition sera tranché en tenant compte des commentaires formulés par l’officier taxateur au paragraphe 2 de la décision Dahl c. Canada, 2007 CF 192 [Dahl] (O.T.) :

2. Effectivement, l’absence d’observations utiles présentées au nom du demandeur, observations qui auraient pu m’aider à définir les points litigieux et à rendre une décision, fait que le mémoire de dépens ne se heurte à aucune opposition. Mon opinion, souvent exprimée dans des cas semblables, c’est que les Règles des Cours fédérales ne prévoient pas qu’un plaideur puisse compter sur le fait qu’un officier taxateur abandonne sa position de neutralité pour devenir le défenseur du plaideur dans la contestation de certains postes d’un mémoire de dépens. Cependant, l’officier taxateur ne peut certifier d’éléments illicites, c’est-à-dire des postes qui dépassent ce qu’autorisent le jugement et le tarif.

IV. Taxation

[9] Les intimées ont demandé un montant de 2 966,25 $ au titre des services à taxer, TVH (13 %) comprise. Le mémoire de frais est basé sur des taux se situant au milieu de la fourchette de la colonne III du tarif B des RCF, conformément à l’ordonnance de la Cour rendue le 17 février 2020.

A. Article 17 : Préparation, dépôt et signification de l’avis d’appel.

[10] Les intimées ont fait deux demandes de remboursement au titre de l’article 17, soit une unité pour [traduction] « l’étude, l’examen et la présentation de l’avis d’appel » et une unité pour « la préparation, la signification et le dépôt de l’avis de comparution ». Bien que l’appelante ne traite pas de cette question dans ses observations, eu égard à la décision Dahl et au tarif B, je ne suis pas d’avis que le service « étude, examen et présentation de l’appel d’appel » relève des paramètres techniques de l’article 17 qui porte sur la préparation, le dépôt et la signification de l’avis d’appel. Ainsi qu’il est indiqué au paragraphe 16 de la décision Coca-Cola Ltd. v. Pardhan (c.o.b. as Universal Exporters), 2006 FC 45 (O.T.) :

[traduction]

16. Dans leurs mémoires de frais respectifs, les défendeurs Pardhan ont demandé une unité au titre de l’article 17 (Services pour la réception de l’avis d’appel) pour chacune de ces instances. Or, selon le tarif B des Règles des Cours fédérales, ce service à taxer est en fait libellé : « 17. Préparation, dépôt et signification de l’avis d’appel ». Je suis d’avis que les demandeurs Coca-Cola auraient peut-être pu demander ces services à taxer s’ils avaient eu gain de cause en appel, car ils ont préparé, déposé et signifié les avis d’appel. Cependant, je ne crois pas qu’il y ait lieu, pour les défendeurs Pardhan, de demander deux unités, simplement pour la réception des avis d’appel à leurs bureaux respectifs. Par conséquent, les services à taxer au titre de l’article 17 dans chacune des instances d’appel sont refusés.

[11] En conséquence, la demande au titre de l’article 17 pour « l’étude, l’examen et la présentation de l’avis d’appel » est refusée.

[12] La deuxième demande des intimées au titre de l’article 17 pour « la préparation, la signification et le dépôt de l’avis de comparution » sera examinée en tenant compte des observations de mon collègue dans l’arrêt Williams (IT Essentials) c. Cisco Systems, Inc., 2020 CAF 173 (O.T.) [Williams], aux paragraphes 30 et 31 :

30. L’intimée a réclamé une unité au titre de l’article 17 pour la préparation, le dépôt et la signification de l’avis de comparution. Or, l’article 17 du tarif B des Règles prévoit la « préparation, dépôt et signification de l’avis d’appel ». [Non souligné dans l’original.] Dans l’arrêt Mitchell c. Canada, 2003 CAF 386, notre Cour déclare ce qui suit :

12. Je conviens avec les appelants que, d’une manière générale, le libellé de l’article 27 ne restreint pas le pouvoir discrétionnaire conféré à l’officier taxateur. En revanche, comme c’est le cas pour d’autres articles des mémoires des dépens, ce pouvoir est entravé par l’existence de motifs relevant de la nécessité raisonnable et des limites afférentes à l’adjudication des dépens. Conformément à l’article 3 des Règles et à l’opinion que j’ai exprimée dans la décision Feherguard Products Ltd. c. Rocky’s of B.C. Leisure Ltd., [1995] 2 C.F. 20, [1994] A.C.F. no 2012 (O.T.), au paragraphe 10, selon laquelle « la meilleure manière de déterminer le montant des dépens consiste à adopter dans l’application des dispositions un point de vue positif et non étroit et négatif », l’exercice du pouvoir discrétionnaire devrait faire partie d’un processus raisonné qui permet de régler la question de la taxation de façon équitable pour les deux parties. L’article 27 intéresse les services professionnels qui sont rendus par des avocats et qui ne sont pas déjà prévus aux articles 1 à 26. Les termes « autres services » qui se trouvent dans cette disposition sont manifestement employés au pluriel. J’en déduis qu’ils permettent de taxer, au titre d’une seule réclamation fondée sur l’article 27, des services distincts qui ne sont pas déjà prévus par les articles 1 à 26, et non qu’ils restreignent le regroupement de plusieurs services. En d’autres termes, l’article 27 peut être invoqué plus d’une fois.

31. En me fondant sur l’arrêt Mitchell, je juge que la taxation des dépens pour la la préparation d’un avis de comparution au titre de l’article 27 – au lieu de l’article 17 – constitue une solution acceptable, et j’autoriserai une application positive des dispositions relatives aux dépens, plutôt qu’une application étroite. Après avoir examiné le dossier de la cour, j’ai confirmé que l’intimée avait bien rendu le service réclamé et que celui-ci était nécessaire. Par conséquent, j’allouerai une unité au titre de l’article 27 pour la demande de l’intimée concernant l’avis de comparution, plutôt qu’au titre de l’article 17 comme l’intimée l’avait initialement demandé.

[Souligné dans l’original.]

[13] Selon l’arrêt Williams, il aurait été préférable que la demande des intimées au titre de l’article 17 pour « la préparation, le dépôt et la signification de l’avis de comparution » soit présentée au titre de l’article 27 (Autres services acceptés aux fins de la taxation par l’officier taxateur ou ordonnés par la Cour), car l’article 27 porte sur les services non mentionnés aux articles 1 à 26. L’examen du dossier de la Cour montre que les intimées ont déposé et signifié leur avis de comparution, le cas échéant, le 15 juillet 2019, conformément à la Règle 341(1) des RCF. Par conséquent, je juge qu’il est raisonnable d’accorder une unité au titre de l’article 27 pour la demande des intimées pour « la préparation, le dépôt et la signification de l’avis de comparution ».

B. Article 18 : Préparation du dossier d’appel.

[14] Les intimées ont présenté deux demandes au titre de l’article 18, soit une unité pour la [traduction] « négociation de l’entente relative au dossier d’appel, notamment la prorogation du délai de dépôt » et une unité pour [traduction] « l’étude, l’examen et la présentation du dossier d’appel ». Selon l’examen du dossier de la Cour, le dossier d’appel a été préparé et déposé par l’appelante le 18 septembre 2019. Bien que le dossier d’appel ait été préparé par l’appelante, le service visé à l’article 18 est habituellement taxé en faveur des intimés qui ont gain de cause, « parce que les deux parties sont tenues de veiller à ce que le dossier d’appel soit préparé en bonne et due forme » (Milliken & Co c. Interface Flooring Systems (Canada) Inc., 2003 CF 1258; Société Fraternelle Actra c. Canada, [2000] A.C.F. no 1214). En tenant compte de la décision Dahl et du tarif B, je suis d’avis que la négociation de l’entente relative au dossier d’appel, notamment la prorogation du délai de dépôt, ainsi que l’étude, l’examen et la présentation du dossier d’appel, peuvent tous être regroupés sous les services à taxer en lien avec la préparation du dossier d’appel. Par conséquent, j’accorde une unité au titre de l’article 18 pour les services exécutés par les intimées relativement au dossier d’appel (Nada Elroumi c. Shenzhen Top China Imp & Exp Co., 2020 CAF 215 (O.T.)).

C. Article 21 : Honoraires d’avocat : a) requête, y compris la préparation, la signification et les prétentions écrites ou le mémoire des faits et du droit et b) lors de l’audition de la requête, pour chaque heure.

[15] Les intimées ont demandé 2,5 unités au titre de l’article 21a) ainsi qu’une heure à raison de trois unités par heure pour l’audition de la requête en sursis le 26 septembre 2019, à Saskatoon. Après examen du dossier de la Cour, des RCF, des observations des parties ainsi que du jugement rendu par notre Cour le 17 février 2020 indiquant qu’elle ne voyait [traduction] « aucune raison de s’écarter de la taxation des dépens en conformité avec le milieu de la fourchette de la colonne III du tarif B, plus les débours raisonnables », je conclus que les demandes faites au titre de l’article 21a) sont raisonnables, nécessaires et suffisamment justifiées. Au sujet de la demande faite au titre de l’article 21b), l’examen du dossier montre que l’audition a duré 45 minutes. Je conclus qu’il est raisonnable d’ajouter quinze minutes au titre de l’article 21b) pour tenir compte du temps nécessaire aux avocats pour s’installer dans la salle d’audience. Les paragraphes 15 et 16 de la décision Estensen Estate v. Canada (Attorney General), 2009 FC 152, permettent d’éclairer ce point; la demande des intimées au titre de l’article 21b) est donc accueillie telle qu’elle a été présentée.

D. Article 24 : Déplacement de l’avocat pour assister à l’instruction, une audience, une requête, un interrogatoire ou une procédure analogue, à la discrétion de la Cour.

[16] Les intimées ont demandé trois unités au titre de l’article 24 pour les déplacements de l’avocat afin d’assister à l’audition de la requête en sursis à Saskatoon, le 26 septembre 2019. Le tarif B précise que l’application de l’article 24 est laissée à la discrétion de la Cour. En l’espèce, il n’a pas été question des dépens pour les déplacements de l’avocat dans l’ordonnance rendue le 1er octobre 2019 qui rejetait la requête en sursis de l’appelante et accordait les dépens aux intimées. Le pouvoir discrétionnaire mentionné à l’article 24 ne s’étend pas à l’officier taxateur; en l’absence de directive claire de la Cour, je n’ai pas compétence pour autoriser la demande telle qu’elle a été présentée (voir : Fournier Pharma Inc. c. Canada (Santé), 2013 CF 859 [Fournier] (O.T.); Marshall; Mugford c. Nunatsiavut (Premier ministre), 2012 CF 821 (O.T.); Gagné c. Canada, 2014 CAF 44 (O.T.)).

E. Article 25 : Services rendus après le jugement et non mentionnés ailleurs et article 26 : Taxation des frais.

[17] Les intimées ont demandé une unité au titre de l’article 25, pour la [traduction] « préparation du mémoire de frais ». L’article 25 est habituellement accordé malgré l’absence d’observations détaillées sur ce point, afin que l’avocat puisse « examin[er] le jugement et expliqu[er] ses répercussions à son client » (Halford c. Seed Hawk inc., 2006 CF 422; Beima c. Ministre du Revenu national, 2019 CAF 221). Cependant, pour que l’article 25 puisse s’appliquer, il ne peut être revendiqué à l’égard d’autres services rendus après le jugement, déjà mentionnés dans le tarif B (AstraZeneca AB c. Novopharm Ltd., 2004 CAF 258 (O.T.)). La préparation du mémoire de frais est prise en compte à l’article 26 (taxation des frais) et, ainsi qu’il est indiqué dans l’arrêt Bujnowski v. The Queen, 2010 CAF 49 [Bujnowski] (O.T.), aux paragraphes 24 à 26, des dépens au titre de l’article 25 ne peuvent pas être approuvés lorsque la demande est liée à l’article 26 :

[TRADUCTION]

24. L’intimée a demandé une unité au titre de l’article 25 (services rendus après le jugement). En réponse, l’appelant a fait valoir qu’aucune explication ni aucun élément à l’appui n’avaient été fournis pour étayer cette taxation des dépens.

25. Dans sa réfutation, l’intimée prétend ceci :

L’avocat de l’intimée a eu à rendre des services après le jugement. Ces services comprenaient des demandes visant à obtenir les dépens de l’appelant et des tentatives de parvenir à un règlement quant au montant des dépens. Il est raisonnable de s’attendre à ce que les procédures qui échouent au cours d’un appel occasionnent des coûts.

26. Bien que je convienne avec l’avocat de l’intimée qu’il est raisonnable de s’attendre à ce que des frais soient engagés après le jugement, les services rendus après le jugement demandés par l’intimée concernent des dépens à l’égard desquels une demande a été présentée au titre de l’article 26. Même si je suis certain que les services rendus par l’avocat de l’intimée étaient justifiables, aucune demande à leur égard n’a été faite. Pour les motifs énoncés ci-dessus, l’article 25 est refusé.

[18] À la lumière de la décision Dahl et en respectant les lignes directrices de l’arrêt Bujnowski et du tarif B, la demande au titre de l’article 25 pour la préparation du mémoire de frais est refusée, car le remboursement de ces frais n’a pas été demandé en lien avec des services non mentionnés ailleurs dans le tarif B (Williams aux para. 39 à 41). De plus, comme la présente taxation des dépens était relativement simple, les quatre unités demandées par les intimées au titre de l’article 26 (taxation des frais) suffisent pour couvrir la préparation du mémoire de frais. Après examen du dossier de la Cour, des documents présentés par les parties et de la décision rendue par la Cour le 17 février 2020, selon laquelle la taxation des dépens doit se faire en conformité avec le milieu de la fourchette de la colonne III du tarif B, la demande des intimées au titre de l’article 26 est accueillie telle qu’elle a été présentée.

V. Débours

[19] Les intimées ont demandé des débours de 2 624,27 $. Le remboursement des frais de photocopie de 462,75 $ et de reliure de 41,25 $ a été demandé. En ce qui concerne les déplacements pour assister à l’audition de la requête en sursis à Saskatoon, le 26 septembre 2019, les intimées ont demandé le remboursement des frais suivants : taxis : 42,07 $, repas : 22,60 $, hôtel : 223,60 $ et billets d’avion en classe économique : 1 832 $. La justification des débours demandés est présentée au paragraphe 20 des observations écrites, ainsi qu’aux paragraphes 4 à 8 de la déclaration sous serment de Jayson Dinelle, jointe à la documentation sur les frais des intimées.

A. Frais de photocopie et de reliure.

[20] Au paragraphe 4 de la déclaration sous serment de Jayson Dinelle, il est indiqué, [traduction] « [j]’ai déterminé les frais de photocopie et de reliure à partir des montants d’argent facturés au client ». La documentation sur les frais des intimées ne contenait aucun renseignement précis sur la nature des documents en question, le nombre de copies ou le tarif appliqué pour la facturation des clients. Comme les montants d’argent demandés ne font essentiellement l’objet d’aucune opposition dans la documentation sur les frais de l’appelante, j’établirai la taxation de ces débours en me fondant sur les commentaires que l’officier taxateur a formulés au paragraphe 71 de la décision Abbott Laboratories c. Canada (Santé), 2008 CF 693 (décision Abbott) dans le contexte d’éléments de preuve qui sont loin d’être exhaustifs :

71. [...] Je ne veux cependant pas dire que les plaideurs peuvent s’en tirer sans produire aucun élément de preuve, en se fiant à l’appréciation et à l’expérience de l’officier taxateur. La preuve dans la présente espèce n’a rien d’absolu, mais je pense que les dossiers respectifs de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale contiennent suffisamment d’éléments pour me permettre d’évaluer les efforts et les frais qu’il fallait pour plaider raisonnablement et suffisamment la cause d’Apotex. Le manque de renseignements détaillés rend difficile d’établir avec certitude si l’approche la plus efficiente a en fait été suivie ou s’il n’a pas été donné d’instructions erronées exigeant un travail correctif, comme c’était par exemple le cas dans Halford. L’insuffisance de la preuve des faits relatifs à chacun des éléments de dépenses rend difficile pour le défendeur à la taxation et l’officier taxateur de se convaincre de la nécessité raisonnable de chacun de ces éléments. Moins il y a de preuve, plus la partie qui demande la taxation doit s’en remettre au pouvoir discrétionnaire de l’officier taxateur, lequel doit l’exercer de manière prudente, en ne perdant pas de vue le principe d’austérité qui doit présider à la taxation, afin de ne pas porter préjudice à la partie condamnée aux dépens. Cependant, la conduite d’un litige exige de réelles dépenses : la taxation des dépens à zéro dollar serait absurde.

[21] Pour évaluer le caractère raisonnable du montant d’argent demandé au titre des frais de photocopie et de reliure, j’ai examiné le dossier de la Cour et les documents déposés par les intimées pour faire avancer l’instance (Apotex inc. c. Merck & Co. Inc., 2008 CAF 371). Si l’on exclut diverses lettres, mais que l’on inclut les copies destinées à la Cour et aux parties, les intimées ont produit plus de 1 875 pages pour l’avis de comparution déposé le 15 juillet 2019; le dossier relatif à la requête en sursis et le recueil de jurisprudence qui l’accompagnait, déposés le 23 septembre 2019; la documentation subséquente sur les frais déposée conformément aux directives établies par la Cour le 17 janvier 2020, ainsi que la documentation sur les frais aux fins de la taxation des dépens qui a été déposée le 14 avril 2020. Dans ces circonstances, en l’absence d’objections précises de la part de l’appelante, et eu égard à la décision Abbott et aux documents préparés par les intimées pour faire avancer l’instance, je juge que les montants d’argent demandés par les intimées au titre des frais de photocopie et de reliure sont raisonnables et nécessaires; les débours sont donc autorisés tels qu’ils ont été présentés.

B. Frais de déplacement (avion, hôtel, taxi et repas).

[22] Pour faire suite aux commentaires que j’ai formulés précédemment, un officier taxateur ne peut taxer des dépens liés à des déplacements au titre de l’article 24, en l’absence de directives précises de la Cour l’autorisant à taxer ces dépens. Une telle directive n’est toutefois pas nécessaire pour autoriser un officier taxateur à taxer des débours de déplacement essentiels et connexes (Marshall; Fournier; Simpson Strong-Tie Company, Inc. c. Peak Innovations Inc., 2010 CAF 78 (O.T.)).

[23] Les parties ne s’entendent pas quant à savoir si le choix de l’appelante de présenter la requête en sursis en personne, à Saskatoon, donne droit à la demande de frais de déplacement par les intimées, en lien avec les frais nécessaires pour contester avec succès la requête. Au paragraphe 16 des observations écrites jointes à la documentation sur les frais des intimées, celles-ci mentionnent ce qui suit :

[traduction]

16. [...] Double Diamond, l’appelante et la partie ayant présenté la requête en sursis, : (a) a décidé de demander l’audition de la requête en sursis en attendant l’issue de l’appel, plutôt que de s’en tenir à la pratique habituelle de la Cour d’appel fédérale (c.-à-d. se baser sur des observations écrites); et (b) a unilatéralement (c.-à-d. sans consulter les avocats de Crocs) inscrit la requête visant à obtenir une suspension en attendant l’issue de l’appel au rôle en demandant que l’audition se fasse en Saskatchewan, alors que les avocats de Crocs sont à Ottawa. Crocs devrait être autorisée à demander le remboursement de ses dépenses, y compris les frais et les débours, associées à la contestation avec succès de la requête de Double Diamond qui a été rejetée, ainsi que de l’appel qui se poursuit.

[24] Aux paragraphes 10 et 11 de sa documentation sur les frais, l’appelante rétorque que les intimées n’ont pas droit aux débours demandés en raison du lieu choisi :

[traduction]

10. De plus, le seul fait que Double Diamond a choisi que l’audition se déroule ailleurs qu’à un lieu situé près du cabinet des avocats de Crocs à Ottawa (les avocats de Double Diamond se trouvent à Calgary), comme l’a autorisé la Cour d’appel fédérale, ne donne pas droit aux dépens à Crocs. Après tout, la présente action a été présentée à la Cour fédérale en Saskatchewan. Si la Cour d’appel voulait que toutes les audiences se déroulent à Ottawa, elle pourrait bien sûr annuler les « dates cibles de la CAF » indiquées sur son site Web pour les autres villes du Canada.

11. En outre, contrairement à ce que prétend Crocs, il n’y a rien dans les RCF qui dispose que [traduction] « la pratique habituelle de notre Cour » consiste à uniquement procéder par voie de requêtes présentées par écrit plutôt qu’oralement. De plus, conformément à la Règle 32 des Règles des Cours fédérales, intitulé « Communication électronique », les audiences peuvent se tenir par voie de conférence téléphonique. Voir, par exemple, Pepper King Ltd. c. Sunfresh Ltd., 2000 CanLII 15466 (CF), [1] (requête en vue d’obtenir un cautionnement pour dépens rejetée au terme d’une conférence téléphonique). Double Diamond ne s’y serait pas opposée. Par conséquent, Crocs n’a pas droit aux frais totalisant 2 120,27 $, qui sont indiqués dans les pièces I, J, K, L et M relativement aux frais liés aux billets d’avion et aux frais d’hébergement, de taxi et de repas, et qui découlent de sa décision discrétionnaire personnelle d’assister à l’audience en personne plutôt que par voie de conférence téléphonique. De tels frais discrétionnaires ne sont ni habituels ni raisonnables.

[25] Finalement, je ne vois rien dans les RCF qui obligeait l’appelante à consulter les intimées quant au mode d’audience ou au choix du lieu pour l’audition de la requête en sursis en litige. De même, je ne vois rien dans les RCF qui oblige la partie intimée à soulever des objections au sujet du lieu choisi pour l’audition d’une requête devant être présentée. Bien que la Règle 369(2) des RCF dispose que, si la partie intimée s’oppose au règlement de la requête sur la base d’observations écrites, elle peut indiquer dans ses observations écrites ou dans son mémoire des faits et du droit les raisons qui justifient son opposition, je ne vois aucune disposition ou exigence analogues qui oblige la partie intimée à faire valoir son opposition au lieu choisi pour l’audition de la requête en proposant d’autres modes, par exemple la téléconférence, afin de limiter les frais de déplacement.

[26] Bien que la Règle 28 des RCF dispose que « [l]a Cour peut siéger aux dates, heures et lieux qu’elle fixe », la jurisprudence établit que l’audition de la requête doit se faire au lieu qui convient le mieux aux avocats. Lorsque la prépondérance des inconvénients est égale pour les deux parties, le demandeur peut choisir le lieu (L’Herbier de Provence Ltd. c. Amarsy, [1994] A.C.F. no 1986) [L’Herbier de Provence Ltd.]. Aux paragraphes 22 et 23 de la décision Glaxo Group Ltd c. Novopharm Ltd, [1996] A.C.F. n1423, la Cour a indiqué :

22 Les Règles de la Cour fédérale ne prévoient rien quant au lieu de l'audition des requêtes. Les demanderesses soutiennent que ce silence permet de choisir ce lieu parmi les villes où sont entendues des requêtes. S'il fallait accepter cet argument littéralement, et l'avocat des demanderesses ne l'a pas préconisé, une partie se trouvant à Toronto pourrait présenter une requête à Québec ou à Halifax sans raison apparente liée au litige. L'avocate de la défenderesse a invoqué la "règle des lacunes" (la règle 5 de la Cour fédérale) et a affirmé que les requêtes sont présentées dans la ville où l'avocat de la partie intimée a son bureau, en application de l'article 37.03 des Règles de procédure civile de l'Ontario.

23 Dans quatres affaires antérieures, le protonotaire adjoint a jugé que les requêtes devaient être présentées au lieu le plus commode. Il a rendu cette décision sans faire appel aux règles de procédure provinciales mais en raisonnant par analogie avec la règle 483 de la Cour fédérale concernant le lieu d'instruction des procès. Dans la décision Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Landmark Cinemas of Canada Ltd., le juge Noël a résolu une question similaire :

[...] ils ne doivent pas abuser de la capacité d'une partie au litige devant cette Cour de déposer une requête au greffe de son choix. Les avocats doivent en arriver à un juste compromis en ce qui concerne le lieu de présentation. Il n'existe aucune règle de cette Cour qui permette à une partie de présenter ses requêtes interlocutoires dans la ville de son choix sans tenir compte des inconvénients causés à l'autre partie. Dans les dossiers où des requêtes prolongées sont entendues avant l'instruction, les parties doivent partager les inconvénients indépendamment de la partie qui intente la requête, et les avocats son[t] présumés garantir ce résultat.

[27] Sans égard à la question de la commodité, comme la partie qui a présenté la requête a choisi une audience en personne pour laquelle l’avocat de la partie adverse devait se déplacer, l’appelante doit s’attendre à devoir indemniser la partie adverse pour les frais associés à ce déplacement si elle n’a pas gain de cause. Dans la décision Sanmammas Compania Maritima S.A. c. Netuno (Le) Action in rem contre le navire « Netuno », [1995] A.C.F. no 1442 [Sanmammas Compania Maritima SA], la Cour a déclaré ceci au paragraphe 36 :

36 Dans United Terminals Ltd. c. M.R.N., l'officier taxateur a rappelé que la pratique du droit dans le système national représenté par la Cour fédérale nécessitant des déplacements, les parties au litige doivent s'attendre à assumer les frais y afférents, mais n'ont pas à financer un style de vie somptueux. Je partage cette façon de voir.

[28] Après avoir tenu compte des dispositions applicables des RCF, des décisions L’Herbier de Provence Ltd. et Sanmammas Compania Maritima S.A. et des éléments présentés pour justifier les débours de déplacement demandés au titre de la pièce B pour les billets d’avion, de la pièce C pour les frais d’hébergement à l’hôtel, de la pièce D pour les frais de taxi et de la pièce E pour les frais de repas, dans la déclaration sous serment de Jayson Dinelle jointe au mémoire de frais des intimées, je conclus que les débours demandés au titre des déplacements étaient raisonnables et nécessaires pour faire avancer l’audition de la requête en sursis présentée à Saskatoon le 26 septembre 2019.

VI. Conclusion

[29] Pour les motifs précités, le mémoire de frais des intimées est taxé et un montant de 4 573,52 $ est adjugé, TVH comprise. Un certificat de taxation sera délivré.

« Orelie Di Mavindi »

Officier taxateur


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-259-19

INTITULÉ :

DOUBLE DIAMOND DISTRIBUTION LTD. c.

CROCS CANADA, INC., CROCS INC., CROCS RETAIL, LLC, WESTERN BRANDS HOLDING COMPANY, LLC.

AFFAIRE EXAMINÉE À TORONTO (ONTARIO) SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE TAXATION :

ORELIE DI MAVINDI, officier taxateur

DATE DES MOTIFS :

Le 5 mars 2021

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Tom Stepper

Pour l’appelante

Anthony G. Creber

Alexander Gloor

Pour les intimées

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Tom Stepper Professional Corporation

Calgary (Alberta)

Pour l’appelante

Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Ottawa (Ontario)

Pour les intimées

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.