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Date : 20210212


Dossier : A-152-19

Référence : 2021 CAF 27

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

HABITATIONS ÎLOT ST-JACQUES

appelante

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe le 11 février 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 12 février 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LA COUR

 


Date : 20210212


Dossier : A-152-19

Référence : 2021 CAF 27

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

HABITATIONS ÎLOT ST-JACQUES

appelante

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

[1] Habitations Îlot St-Jacques Inc. en appelle de la décision de la Cour fédérale (2019 CF 315) rejetant sa demande de contrôle judiciaire de la décision du Gouverneur général en Conseil d’émettre le Décret d’urgence visant la protection de la rainette faux-grillon de l’Ouest (population des Grands Lacs / Saint-Laurent et du Bouclier canadien), DORS/2016-211 (le Décret) en vertu de la Loi sur les espèces en péril, L.C. 2002, ch. 29 (la Loi).

[2] Ce n’est pas la première fois que notre Cour est amenée à se pencher sur la légalité du Décret : Groupe Maison Candiac Inc. c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 88, aut. d’appel à la CSC rejetée, 39272 (10 décembre 2020) (Candiac). Notre décision dans Candiac a été rendue après le dépôt des mémoires dans le présent appel, et la Cour a demandé aux parties d’être prêtes à discuter de son impact sur les questions en litiges devant nous.

[3] Dans l’affaire Candiac, notre Cour a confirmé que la validité du Décret implique une question d’interprétation législative, puisqu’il s’apparente à un règlement et jouit d’une présomption de validité. La légalité du Décret doit être examinée à la lumière des critères établis par la Cour Suprême du Canada dans Katz Group Canada Inc. c. Ontario (Santé et Soins de longue durée), 2013 CSC 64, [2013] 3 R.C.S. 810 aux paragraphes 24 et 28 (Candiac au para. 29, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 au para. 111). C’est cette démarche que notre Cour a appliquée pour trancher la question de savoir si la mise en place d’un programme d’indemnisation (voir article 64 de la Loi) était une condition préalable à l’adoption du Décret. Notre Cour a conclu par la négative.

[4] L’appelante a tenté de nous convaincre que le Décret en cause ici relève davantage de la nature d’une décision particularisée qui ne s’applique qu’à certains propriétaires fonciers, plutôt que d’un instrument législatif de portée générale, et que cette question n’avait pas vraiment été débattue dans l’affaire Candiac. Nous ne pouvons nous ranger à cet argument. Il est clair que nous ne sommes pas en présence d’une décision de nature juridictionnelle dans le cadre de laquelle on applique une norme générale à une situation particulière; le Décret doit plutôt être assimilé à un règlement qui énonce une norme de portée générale, tel que nous l’avons décidé dans l’affaire Candiac. L’appelante ne nous a pas convaincus qu’il y avait en l’espèce des circonstances exceptionnelles qui justifierait de renverser la décision de notre Cour dans Candiac (Miller c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 370). Les principes applicables pour déterminer si un décret est de nature législative sont bien établis depuis plus de 15 ans (Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1992] 1 R.C.S. 212, p 224-225). Leur application en l’espèce laisse peu de doute. Le Décret fixe une règle de conduite, il a force de loi et s’applique à un nombre indéterminé de personnes. Candiac ne nous paraît pas manifestement erronée, du fait que notre Cour n’aurait pas tenu compte de la législation applicable ou d’un précédent qu’elle aurait dû respecter.

[5] Ceci signifie qu’il ne reste que la question à savoir si la Cour doit annuler ou déclarer inopposable la portion du Décret à l’égard du lot 53 appartenant à l’appelante (Mémoire de l’appelante p 31).

[6] Pour invalider le Décret, l’appelante devait convaincre cette Cour qu’il déborde le cadre du mandat prévu par la Loi (Katz au para. 24) . Selon l’appelante, le mandat du Gouverneur général en Conseil se limite à agir dans le seul but de neutraliser une menace imminente, et qu’il n’y avait pas de telle menace sur son lot. Cependant, rien dans la Loi ne supporte cette interprétation restrictive du mandat du Gouverneur général en Conseil.

[7] Le mandat du ministre au paragraphe 80(2) de la Loi est de déterminer si l’espèce est exposée à « des menaces imminentes pour sa survie ou son rétablissement »; c’est l’élément déclencheur. Mais le mandat du Gouverneur général en Conseil est plus large. Un décret en vertu des dispositions 84(4)(c)(ii)(a) et (b) de la Loi, peut « désigner l’habitat qui est nécessaire à la survie ou au rétablissement de l’espèce dans l’aire visée par le décret » et « imposer des mesures de protection de l’espèce et de cet habitat, et comporter des dispositions interdisant les activités susceptibles de leur nuire ». La Loi ne restreint d’aucune façon ces mesures à celles qui sont uniquement nécessaires pour contrer la menace imminente.

[8] En l’espèce, la Loi n’exigeait pas que ce texte de nature législative soit motivé (Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 SCC 2, [2012]1 R.C.S. 5 aux para. 29-30). Bien que les deux résumés de l’étude d’impact de la règlementation du décret initial et du Décret (D.A. volume 5 page 2394) ne mentionnent pas expressément le lot de l’appelante, ils expliquent que l’habitat nécessaire au rétablissement de l’espèce est désigné dans le programme de rétablissement (D.A. volume 1, pages 133-134).

[9] L’habitat nécessaire au rétablissement de l’espèce comprend son habitat convenable (voir le Programme de rétablissement de la rainette faux-grillon de l’ouest, 2015, section 7). Pour déterminer l’habitat convenable de l’espèce, la Ministre a pris en compte la connectivité entre les populations restantes de la métapopulation de la Prairie et le soutien de cette métapopulation. La majorité du lot de l’appelante fait partie de l’aire géographique prévue au Décret, parce qu’il est à l’intérieur de l’habitat convenable établi dans les études scientifiques publiées. La méthode scientifique utilisée pour cette détermination y est décrite. Clairement, le Décret ne repose pas sur des considérations « sans importance », n’est pas « non pertinent », ni « complètement étranger » à l’objet de la loi (Katz au para. 28).

[10] Malgré l’argumentation habile et passionnée du procureur de l’appelante et même si la Cour est sensible à la frustration qu’a exprimée l’appelante, elle se doit d’appliquer les principes bien établis qui s’appliquent en l’espèce.

[11] L’appel doit donc être rejeté avec dépens.

« Johanne Gauthier »

j.c.a.

« Yves de Montigny »

j.c.a.

« Marianne Rivoalen »

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UN JUGEMENT DE L’HONORABLE JUGE LOCKE DU 14 MARS 2019, NO. DU DOSSIER T-1190-16

DOSSIER :

A-152-19

 

 

INTITULÉ :

HABITATIONS ÎLOT ST-JACQUES c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 février 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE RIVOALEN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 février 2021

 

COMPARUTIONS :

Me Alain Brophy

 

Pour l'appelante

Me Andréane Jeanette-Laflamme

Pour l'intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Alain Brophy

Montréal, Québec H2Y 1T3

 

Pour l'appelante

Nathalie G. Drouin

Sous-procureur général du Canada

 

Pour l'intimé

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

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