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Date : 20210309


Dossier : A-91-20

Référence : 2021 CAF 51

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LOCKE

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

SPECTRUM BRANDS, INC.

appelante

et

SCHNEIDER ELECTRIC INDUSTRIES SAS

intimée

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 9 mars 2021.

Jugement rendu à l’audience à Ottawa (Ontario), le 9 mars 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE LEBLANC

 


Date : 20210309


Dossier : A-91-20

Référence : 2021 CAF 51

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LOCKE

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

SPECTRUM BRANDS, INC.

appelante

et

SCHNEIDER ELECTRIC INDUSTRIES SAS

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Ottawa (Ontario), le 9 mars 2021.)

LE JUGE LEBLANC

[1] La Cour est saisie d’un appel d’une ordonnance du juge Ahmed de la Cour fédérale (le juge saisi de la requête), datée du 16 mars 2020 (2020 CF 386), rejetant la requête de Spectrum Brands, Inc. (Spectrum) en vue d’obtenir une prorogation de délai pour déposer un avis de demande contre une décision du registraire des marques de commerce (le registraire) qui a accueilli, en partie, l’opposition de Spectrum à la demande d’enregistrement de la marque de commerce WISER par l’intimée.

[2] La décision partagée du registraire a été rendue le 11 septembre 2019. Selon l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (la Loi), chaque partie pouvait, en cas d’insatisfaction, interjeter appel de la décision du registraire « dans les deux mois qui suivent la date où le registraire a expédié l’avis de la décision ». Ce délai de deux mois a expiré le 25 novembre 2019. En vertu de l’article 300 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), les appels interjetés aux termes de l’article 56 de la Loi sont régis par la partie 5 des Règles, qui s’applique aux demandes de contrôle judiciaire.

[3] L’intimée a interjeté appel de la partie de la décision du registraire qui lui est défavorable en déposant un avis de requête le 25 novembre 2019. Spectrum cherche à faire de même en ce qui concerne la partie de la décision du registraire qui ne lui est pas favorable. Toutefois, ce n’est que le 21 février 2020 que Spectrum a présenté sa requête en vue d’obtenir une prorogation du délai pour déposer la demande requise.

[4] Le juge saisi de la requête a conclu que Spectrum n’avait pas réussi à établir deux des quatre critères qui doivent être pris en compte dans le cadre d’une requête en prorogation de délai (Canada (Procureur général) c. Hennelly, 244 N.R. 399, [1999] A.C.F. no 846 (C.A.F.) (QL/Lexis) [arrêt Hennelly]), c’est-à-dire : manifester une intention constante de poursuivre l’appel et une explication raisonnable du retard à présenter l’appel proposé devant la Cour fédérale.

[5] Spectrum soutient que le juge saisi de la requête a commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que son appel proposé était, par sa nature, un appel incident de la décision du registraire et que, par conséquent, le point de départ pour déterminer si elle avait toujours l’intention d’interjeter l’appel proposé était le dépôt de l’avis de demande de l’intimée du 25 novembre 2019, et non la date de la décision du registraire. Elle allègue également que le juge saisi de la requête n’a pas tenu compte de la considération prépondérante voulant que justice soit rendue aux parties, même dans les cas où l’un des quatre critères énoncés dans l’arrêt Hennelly n’est pas satisfait.

[6] À moins qu’une question distincte de droit puisse être cernée dans un tel contexte, auquel cas la demande doit être examinée selon la norme de la décision correcte, les ordonnances discrétionnaires rendues par les juges de la Cour fédérale sont examinées selon la norme de l’erreur manifeste et dominante (voir Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 26 à 37; Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, [2017] 1 R.C.F. 331, par. 79; Western Oilfield Equipment Rentals Ltd. v. M-I L.L.C., 2021 FCA 24, [2021] F.C.J. No. 105 (QL/Lexis), par. 11 [arrêt Western Oilfield]).

[7] Le juge saisi de la requête ayant déterminé le bon critère juridique, nous devons être convaincus qu’il a commis une erreur manifeste et dominante en appliquant ce critère aux faits qui lui étaient soumis pour intervenir dans cette affaire. Il est bien établi en droit que la norme de contrôle de l’erreur manifeste et dominante [traduction] « commande un degré élevé de retenue » et n’est [traduction] « pas facile à satisfaire ». Pour reprendre une métaphore souvent citée, il ne suffit pas, lorsqu’on invoque une erreur manifeste et dominante, de « de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout[,] [o]n doit faire tomber l’arbre tout entier ». (Voir l’arrêt Western Oilfield, par. 11, citant l’arrêt Canada c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF, 165, 4 B.L.R. (5th) 31, par. 46, cité avec approbation dans l’arrêt Benhaim c. St-Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 R.C.S 352, par. 38).

[8] En l’espèce, nous ne voyons aucun motif d’infirmer les conclusions du juge saisi de la requête.

[9] En ce qui a trait au critère de l’intention continue, même si nous devions accepter l’argument de Spectrum selon lequel le délai pour introduire son appel proposé pourrait être calculé à partir du 25 novembre 2019, Spectrum reconnaît qu’il lui a fallu [traduction] « un certain temps » pour prendre une décision sur l’opportunité d’un [traduction] « appel incident » de la décision contestée. Comme le souligne l’intimée, rien dans les éléments de preuve de Spectrum n’indique à quel moment cette décision a été prise entre le 25 novembre 2019 et la date à laquelle la requête en prorogation de délai a été déposée. Cela ne prouve guère la prétendue intention continue de Spectrum de faire appel de la décision du registraire, même pendant toute la durée du délai invoqué par Spectrum.

[10] Spectrum a également fait valoir devant le juge saisi de la requête que le dépôt de son avis de comparution dans l’appel de l’intimée au début de janvier 2020 était une preuve de son intention continue de contester la décision du registraire. Cette affirmation a été rejetée, car elle n’était pas pertinente pour déterminer si Spectrum avait une intention continue de poursuivre son propre appel. Nous ne voyons aucune erreur manifeste et dominante dans la conclusion du juge saisi de la requête sur ce point.

[11] Enfin, l’allégation de Spectrum selon laquelle le juge saisi de la requête n’a pas tenu compte de la considération prépondérante voulant que justice soit rendue aux parties est également sans fondement dans les circonstances de cette affaire. Il est bien établi que « tout laxisme ou toute omission de présenter une demande avec autant de diligence que ce à quoi on pourrait logiquement s’attendre militera fortement contre l’octroi d’une prorogation » (voir la décision Lesly c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 272, 59 Imm. L.R. (4th) 270, par. 21, faisant référence à l’arrêt Westinghouse Canada Inc. v. Canada (International Trade Tribunal), 104 N.R. 191, 1989 CarswellNat 722 (WL) (C.A.F.), par. 6).

[12] En l’espèce, comme susmentionné, le juge saisi de la requête a également conclu que Spectrum n’avait pas fourni d’explication raisonnable pour son retard. Il a fait remarquer que le temps écoulé entre la date qui, selon Spectrum, devrait constituer le point de départ du délai dans lequel elle avait le droit de déposer un avis de demande, soit le 25 novembre 2019, et la date à laquelle elle a effectivement déposé sa requête en prorogation de délai, soit le 21 février 2020, était même plus long que le délai de deux mois prévu à l’article 56 de la Loi.

[13] Plus important encore, le juge saisi de la requête n’a pas été convaincu par l’explication de Spectrum selon laquelle le temps qu’il a fallu pour réexaminer la décision du registraire à la lumière de l’appel de l’intimée résulte du fait que ledit appel a été déposé juste avant le congé de l’Action de grâces aux États-Unis et que Spectrum a reçu la signification de l’avis de demande le 10 décembre 2019, soit juste avant les vacances de Noël. Il a convenu avec l’intimée qu’il n’y a rien d’intrinsèquement imprévisible dans la période entourant les jours fériés, les parties à un litige étant censées en être conscientes et planifier et travailler dans des délais qui incluent ces jours fériés. Il a également souligné que Spectrum n’avait fourni aucune explication pour son inaction pendant la période de plus de six semaines entre la fin de la période des Fêtes et la date à laquelle elle a demandé une prorogation de délai.

[14] Nous sommes tous d’avis que le juge saisi de la requête, en se fondant sur le droit et les éléments dont il disposait, était en droit de conclure que Spectrum n’avait pas fourni d’explication raisonnable pour son retard à présenter la requête en prorogation de délai. Le tout, ajouté à sa conclusion que Spectrum n’avait pas réussi à établir une intention continue d’interjeter appel de la décision du registraire, permettait amplement au juge saisi de la requête de rejeter la requête sans commettre d’injustice à l’égard des parties. Spectrum n’a pas réussi à établir que le juge saisi de la requête a commis une erreur manifeste et dominante en rendant cette décision.

[15] Pour tous les motifs qui précèdent, l’appel sera rejeté avec dépens.

« René LeBlanc »

j.c.a.

 

Traduction certifiée conforme.

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-91-20

INTITULÉ :

SPECTRUM BRANDS, INC. c. SCHNEIDER ELECTRIC INDUSTRIES SAS

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ORGANISÉE PAR LE GREFFE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 mars 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LOCKE

LE JUGE LEBLANC

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :

LE JUGE LEBLANC

COMPARUTIONS :

Monique Couture

 

Pour l’appelante

 

Barry Gamache

 

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

Pour l’appelante

 

ROBIC, S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

 

Pour l’intimée

 

 

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