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Date : 20210309


Dossier : A-145-19

Référence : 2021 CAF 49

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LA JUGE WOODS

LA JUGE MACTAVISH

 

ENTRE :

 

 

NARIMAN ZAKI ABDULFATTAH YOUNIS

 

 

appelante

 

 

et

 

 

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

 

 

intimé

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 9 novembre 2020.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 9 mars 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE WOODS

LA JUGE MACTAVISH

 


Date : 20210309


Dossier : A-145-19

Référence : 2021 CAF 49

CORAM :

LE JUGE WEBB

LA JUGE WOODS

LA JUGE MACTAVISH

 

ENTRE :

 

 

NARIMAN ZAKI ABDULFATTAH YOUNIS

 

 

appelante

 

 

et

 

 

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

 

 

intimé

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE WEBB

[1] La question en litige en l’espèce est de savoir si Mme Younis a déposé un avis d’appel valide, bien que le juge de la Cour fédérale, dans son jugement (2019 CF 291), n’ait pas certifié que l’affaire soulève une question grave de portée générale.

[2] Pour les motifs exposés ci-après, j’annulerais le présent appel.

I. Contexte

[3] Mme Younis est devenue résidente permanente du Canada le 15 février 2010. Elle a présenté sa première demande de citoyenneté le 3 mai 2013. Cette demande lui a été retournée, parce que la preuve de ses compétences linguistiques n’avait pas été retenue et qu’elle n’avait joint à sa demande que son passeport le plus récent. Étant donné que Mme Younis a pris un certain temps avant de passer un nouveau test de langue, elle n’a présenté sa nouvelle demande de citoyenneté que le 20 avril 2014.

[4] Le juge de la citoyenneté qui a examiné cette demande a conclu qu’elle ne satisfaisait pas au critère de résidence prévu par la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, dans sa version alors en vigueur, et il a rejeté sa demande. Mme Younis n’avait pas accumulé 1 095 jours de présence effective au Canada au cours de trois des quatre années précédant immédiatement la date de sa demande. Au cours des quatre années précédant immédiatement la date de sa demande, elle a effectué deux séjours de 35 jours aux Émirats arabes unis et un séjour de 19 jours aux États-Unis. En outre, elle avait passé les 293 derniers jours de la période pertinente aux Émirats arabes unis. Son mari travaillait aux Émirats arabes unis et elle avait quitté le Canada pour le rejoindre.

[5] Le juge de la citoyenneté a appliqué le critère en matière de résidence établi dans la décision Koo (Re), [1993] 1 C.F. 286, 1992 CanLII 2417 (C.F. 1re inst.) Le juge de la citoyenneté a conclu [traduction] « que le Canada n’est pas le lieu où la demanderesse “réside normalement, habituellement ou régulièrement” et que cette dernière n’a pas centralisé son mode de vie au Canada » (motifs du juge de la citoyenneté Pash, datés du 31 juillet 2017, dossier no 4615216, par. 24). Sa demande de citoyenneté a été rejetée. Mme Younis a demandé le contrôle judiciaire de cette décision. Sa demande de contrôle judiciaire a été accueillie et cette décision rendue par le juge de la citoyenneté a été annulée (2018 CF 209) parce que ce dernier avait cru à tort qu’elle était citoyenne des Émirats arabes unis. La juge Elliott a conclu que cette erreur en soi suffisait pour que soit accueillie la demande de contrôle judiciaire de Mme Younis (paragraphe 20 de ses motifs).

[6] Un autre juge de la citoyenneté a ensuite examiné sa demande. Dans des motifs datés du 7 juin 2018, la juge de la citoyenneté Brum (dossier no 4615216) a conclu, au paragraphe 22, ce qui suit :

[traduction]

Vu ce qui précède, je conclus que la demanderesse a 395 jours d’absence et 1 065 jours de présence effective, et qu’il lui manque 30 jours.

[7] Étant donné que Mme Younis n’a pas été effectivement présente pendant 1 095 jours au cours de la période pertinente, la juge de la citoyenneté a alors choisi d’appliquer à l’exigence en matière de résidence prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté la méthode d’analyse exposée dans la décision Re Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208, 88 D.L.R. (3rd) 243. En appliquant cette méthode, la juge de la citoyenneté a d’abord conclu que Mme Younis avait établi qu’elle résidait au Canada avant sa première absence. Cependant, elle a ensuite conclu que Mme Younis avait cessé d’être une résidente du Canada lorsqu’elle avait quitté ce pays pour rejoindre son mari aux Émirats arabes unis, 293 jours avant la fin de la période pertinente de quatre ans :

[traduction]

[31] Cependant, on ne peut pas en dire autant de son dernier voyage. La demanderesse a témoigné qu’après le départ de son mari du Canada pour travailler aux Émirats arabes unis, elle avait tenu une journée porte ouverte, avait vendu ses biens, avait mis fin à son bail et, qu’avec ses deux enfants, elle avait rejoint son mari. Elle n’a laissé au Canada qu’un compte bancaire, des amis et les cousins de son mari. À la lumière de ces faits, je conclus que la demanderesse a alors cessé d’être une résidente du Canada et qu’elle n’a donc pas maintenu sa résidence au pays. La demanderesse a témoigné que l’emploi de son mari aux Émirats arabes unis était temporaire et instable, mais j’ai constaté que ce n’était pas le cas. Par exemple, elle n’a pas entreposé ses biens en vue d’un retour au Canada à un moment précis. Je conclus plutôt qu’elle ne s’est pas absentée de façon temporaire, mais plutôt de façon continue et pour une durée indéterminée. Il ne lui reste aucune famille au pays, puisqu’elle est partie avec ses enfants. Aucune fois elle n’est revenue au Canada avant de signer sa demande à l’extérieur du Canada.

[32] Par conséquent, compte tenu de son absence, je conclus que la demanderesse a cessé d’être une résidente du Canada et qu’elle n’a pas quitté le pays à des fins temporaires. Sa famille n’est pas restée au Canada et la demanderesse n’est pas revenue au Canada lorsqu’elle en a eu l’occasion au cours de la période.

[33] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que la demanderesse n’a pas réussi à démontrer qu’elle n’a pas cessé de vivre au Canada et qu’elle a centralisé son mode de vie au Canada.

[8] Par conséquent, la demande de citoyenneté de Mme Younis n’a pas été approuvée. Elle a alors demandé le contrôle judiciaire de cette décision rendue par la juge de la citoyenneté. La Cour fédérale a rejeté sa demande de contrôle judiciaire, sans certifier qu’une question grave de portée générale était soulevée. C’est de cette décision de la Cour fédérale que Mme Younis tente d’interjeter appel.

II. Le cadre législatif

[9] Lorsque Mme Younis a présenté sa demande de citoyenneté le 20 avril 2014 (qui était la demande que les juges de la citoyenneté ont examinée), l’exigence en matière de résidence prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté était la suivante :

5 (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

5 (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

[…]

[…]

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

[10] L’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté a depuis été modifié et il exige désormais, au sous-alinéa (i), que la personne ait « été effectivement présente au Canada pendant au moins mille quatre-vingt-quinze jours au cours des cinq ans qui ont précédé la date de sa demande ».

[11] La demande de contrôle judiciaire que Mme Younis a présentée à la Cour fédérale portait sur la conclusion de la juge de la citoyenneté selon laquelle elle ne satisfaisait pas à l’exigence en matière de résidence énoncée à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté. Ce manquement à cette exigence est dû au fait que Mme Younis a cessé d’être une résidente du Canada lorsqu’elle a quitté le pays pour rejoindre son mari aux Émirats arabes unis.

[12] L’article 22.2 de la Loi sur la citoyenneté limite les appels de jugements consécutifs à des demandes de contrôle judiciaire pouvant être interjetés auprès de notre Cour. Ces jugements ne sont susceptibles d’appel que si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale :

22.2 Les dispositions ci-après s’appliquent au contrôle judiciaire :

22.2 The following provisions govern the judicial review:

[…]

[…]

d) le jugement consécutif au contrôle judiciaire n’est susceptible d’appel à la Cour d’appel fédérale que si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci.

(d) an appeal to the Federal Court of Appeal may be made only if, in rendering judgment, the judge certifies that a serious question of general importance is involved and states the question.

III. La question en litige et la norme de contrôle

[13] La question en litige en l’espèce est de savoir si Mme Younis a déposé un avis d’appel valide malgré la disposition privative de l’alinéa 22.2d) de la Loi sur la citoyenneté. Étant donné que notre Cour examine cette question en tant que cour de première instance, il n’y a aucune norme de contrôle à appliquer (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Tennant, 2019 CAF 206, par. 31 (Tennant 2019)).

IV. Quand un appel peut-il être interjeté malgré la disposition privative?

[14] La question de savoir quand un appel peut être interjeté malgré la disposition privative a été examinée en détail dans deux affaires concernant M. Tennant. La première affaire était une requête en annulation de l’avis d’appel qui avait été déposé par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Tennant, 2018 CAF 132 (Tennant 2018)). Cette requête avait été rejetée par le juge Stratas siégeant seul. Le juge Stratas a résumé les exceptions que notre Cour prend en considération pour établir si un appel peut être interjeté malgré la disposition privative. Il a ensuite proposé qu’elles soient formulées ainsi :

[14] Au nombre des exceptions admises à l’irrecevabilité prévue par la loi – lesquelles mettent en cause la primauté du droit – figurent le refus par la Cour fédérale d’exercer sa compétence lorsqu’elle est tenue de le faire (Canada (Solliciteur général) c. Subhaschandran, 2005 CAF 27, [2005] 3 R.C.F. 255) ainsi que l’absence de compétence attribuable à un vice de fond dans la procédure influant directement sur la capacité de la Cour fédérale de trancher le litige (Narvey c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 25 (QL), 1999 CanLII 7421 (C.A.F.); Sellathurai c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CAF 1, par. 6; et Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Goodman, 2016 CAF 126, par. 3), comme dans le cas d’une crainte raisonnable de partialité (Zundel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2004 CAF 394, 331 N.R. 180).

[15] Nul ne peut se soustraire à une interdiction d’interjeter appel prévue par la loi du fait d’une présumée erreur de droit au motif que « l’appel serait certainement accueilli s’il était jugé » : Mahjoub c. Canada, 2011 CAF 294, 426 N.R. 49 par. 12; Huntley, par. 8; Goodman, par. 9.

[16] La jurisprudence n’a pas très bien délimité la portée de l’exception applicable en cas de perte de compétence attribuable à un vice de fond dans la procédure influant directement sur la capacité de la Cour fédérale de trancher le litige. Je profite de l’occasion que la présente requête offre à notre Cour pour formuler une explication plus claire qui, je le précise, ne modifie en rien le critère qui s’applique et auquel il demeure très difficile de satisfaire. En effet, dans la plupart des décisions s’y rapportant mentionnées au paragraphe 14, les tribunaux ont refusé d’admettre l’exception à la lumière des circonstances propres à l’espèce.

[17] Les situations suivantes sont visées par cette exception :

La décision de la Cour fédérale serait mal fondée ou comporterait un vice de fond influant directement sur la capacité de cette dernière de trancher le litige; par exemple, la décision révèle a priori qu’elle a manifestement outrepassé les limites de sa compétence, ou encore l’avis d’appel compte des éléments importants étayant un manquement au principe interdisant toute partialité réelle ou apparente.

L’erreur crée une crainte sérieuse liée au respect par la Cour fédérale de la primauté du droit.

Ne peuvent tomber sous le coup de cette exception les débats portant sur des questions d’interprétation des lois, des erreurs de droit, l’exercice par le tribunal de son pouvoir discrétionnaire ou le poids à accorder à un élément de preuve et à son appréciation.

[15] Dans la décision subséquente, rendue par une formation de trois juges (Tennant 2019), le juge Laskin, s’exprimant au nom de notre Cour, a également renvoyé à la jurisprudence concernant des situations où l’appel a été jugé recevable malgré l’absence de question certifiée. Aux paragraphes 49 à 51, le juge Laskin a affirmé ce qui suit au sujet de l’explication, reproduite ci-dessus, qu’avait donnée le juge Stratas :

[49] Je reconnais et respecte les efforts déployés par mon collègue le juge Stratas pour donner une « explication plus claire » des circonstances dans lesquelles il conviendrait d’entendre un appel malgré la disposition privative. Je souscris en grande partie à ses motifs.

[50] Néanmoins, il pourrait y avoir un certain fondement à l’observation de l’ACAADR sur la description des exceptions en termes qualitatifs. L’utilisation, pour la définition d’exceptions, d’expressions comme « vice de fond », « manifestement outrepass[er] les limites de sa compétence », influer « directement » sur le jugement et créer une « crainte sérieuse » liée au respect de la primauté du droit pourrait engendrer son propre lot de difficultés d’interprétation. La primauté du droit est en soi un concept qui est difficile à définir. De plus, il faudrait sans doute examiner plus en détail pourquoi le fait pour le tribunal d’avoir « manifestement » outrepassé sa compétence justifierait que l’appel soit entendu malgré la disposition privative, tandis que le fait de l’outrepasser de manière insidieuse ou subtile n’ouvrirait pas droit à un appel. Une autre difficulté potentielle est le risque de donner une dimension constitutionnelle à la portée de l’interdiction de faire appel, alors que l’appel n’est pas un droit constitutionnel (Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, au paragraphe 136, [2007] 1 R.C.S. 350). Par ailleurs, la catégorie de la « primauté du droit » ne semble pas viser les questions relatives à l’« acte judiciaire distinct et divisible », dont certaines reposent sur le libellé particulier de la disposition privative en cause. Nous n’avons pas reçu d’observations exhaustives, et dans certains cas aucune observation, sur ces difficultés potentielles.

[51] Le ministre a raison lorsqu’il avance dans ses observations que les points de vue exprimés par un membre de notre Cour siégeant seul à titre de juge de la requête, tant qu’ils n’ont pas été adoptés par une formation de la Cour, ne changent pas le droit établi par les jugements rendus par des formations de notre Cour (Sport Maska Inc. c. Bauer Hockey Corp., 2016 CAF 44, aux paragraphes 37 et 38, [2016] 4 R.C.F. 3. Au bout du compte, j’estime qu’il est inutile de décider en l’espèce s’il convient ou non d’adopter la formulation de mon collègue ou une variation de celle-ci. Il en est ainsi parce que, pour les motifs que j’exposerai maintenant, je conclus que les erreurs qu’aurait commises le juge de première instance ne sont pas des erreurs du tout ou sont des erreurs ordinaires d’une nature qui ne justifie pas que soit écartée la disposition privative de l’alinéa 22.2d) de la Loi sur la citoyenneté, quelle que soit la façon dont les exceptions actuellement reconnues à cette disposition sont formulées.

[16] Dans une requête subséquente en annulation de l’appel qui avait été déposé par Narinder Kaur et Gurjant Khaira (Kaur c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CAF 136), il est renvoyé, au paragraphe 7, aux exceptions telles qu’elles sont formulées par le juge Stratas dans l’arrêt Tennant 2018 :

[7] Comme il est bien établi, aux termes de l’alinéa 74d) de la Loi, les appels interjetés devant notre Cour au titre de la Loi tombent sous le coup de l’irrecevabilité prévue par la loi; cette disposition touche à la compétence de notre Cour d’entendre ces appels (arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Tennant, 2018 CAF 132, [2018] A.C.F. no 707, par. 14 (arrêt Tennant) et la jurisprudence qui y est citée). Comme le fait valoir l’intimé, la Cour a établi des exceptions à l’irrecevabilité prévue dans des circonstances « bien définies » et « très limitées », « lesquelles mettent en cause la primauté du droit » (ibid., au paragraphe 11; voir aussi l’arrêt Es-Sayyid c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CAF 59, [2013] 4 R.C.F. 3, au paragraphe 28). Ces exceptions s’appliquent lorsqu’un juge refuse d’exercer son pouvoir de statuer sur une affaire lorsqu’il est tenu de le faire, ou en l’absence de compétence attribuable à un vice de fond dans la procédure influant directement sur sa capacité à trancher le litige, comme dans le cas d’une crainte raisonnable de partialité ou lorsqu’il est manifeste, au vu du jugement, que le juge a outrepassé les limites de sa compétence (ibid., aux paragraphes 14 et 17). Aucune de ces exceptions ne s’applique en l’espèce.

[17] Ces observations ont été formulées dans une décision tranchant une requête écrite en annulation d’appel qui a été jugée sur dossier. Il n’y a ni mention ni analyse des questions soulevées au paragraphe 50 de l’arrêt Tennant 2019. Quoi qu’il en soit, l’appel dans l’affaire Kaur a été annulé, car aucune des exceptions ne s’appliquait. Cette affaire portait sur une violation alléguée de droits garantis par la Charte qui aurait été causée par certains actes qu’aurait commis un agent d’immigration sous le régime de la loi applicable. Comme dans l’arrêt Tennant 2019, il faut considérer que la question de savoir s’il convient d’adopter la formulation proposée par le juge Stratas ou une variation de celle-ci demeure sans réponse jusqu’à ce qu’une formation de trois juges l’examine expressément.

V. Les motifs invoqués par Mme Younis

[18] Dans son mémoire, Mme Younis a regroupé ses observations sur les motifs pour lesquels son appel devrait être entendu de la manière suivante :

[traduction]

(1) « vice de fond [...] influant directement sur la capacité de la Cour à trancher le litige »;

(2) « crainte sérieuse liée au respect par la Cour fédérale de la primauté du droit »;

(3) « manquement au principe interdisant toute partialité réelle ou apparente ».

[19] La formulation des deux premiers motifs énoncés par Mme Younis contredit ses propres observations écrites. Au paragraphe 32 de son mémoire, Mme Younis invoque les paragraphes 14 et 17 des motifs du juge Stratas dans l’arrêt Tennant 2018 cités plus haut (qui comprennent les renvois au « vice de fond » et à la « crainte sérieuse »). Au paragraphe 33 de son mémoire, Mme Younis renvoie à la décision Tennant 2019 rendue par la formation de trois juges de notre Cour et cite ce passage : « les points de vue exprimés par un membre de notre Cour siégeant seul à titre de juge de la requête [...] ne changent pas le droit établi par les jugements rendus par des formations de notre Cour ». Elle a aussi fait observer, dans le même paragraphe, que notre Cour [traduction] « a conclu “qu’il est inutile de décider en l’espèce s’il convient ou non d’adopter la formulation de mon collègue ou une variation de celle-ci” » [souligné par Mme Younis].

[20] Au paragraphe 34 de son mémoire, Mme Younis fait valoir ce qui suit :

[traduction]

À cet égard, l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Tennant rendu par le juge Stratas ne change pas l’état du droit ni la jurisprudence établie concernant l’exception limitée à l’exigence qu’une question doive être certifiée pour qu’il y ait appel devant la Cour. L’appelante soutient que la Cour ne devrait pas adopter le critère énoncé par le juge Stratas, car il exige plus qu’une erreur de compétence commise par la Cour fédérale, il limite inutilement le seuil qu’il faudrait atteindre pour que l’exception soit autorisée et il ajoute une formulation qui créera de l’incertitude et un certain flou.

[21] Mme Younis reconnaît donc que le critère énoncé par le juge Stratas dans l’arrêt Tennant 2018 n’a pas été adopté par notre Cour dans l’arrêt Tennant 2019. Mme Younis soutient aussi que ce critère ne devrait pas être adopté en l’espèce. Cependant, malgré ces observations, Mme Younis, en présentant les motifs pour lesquels elle estime qu’elle devrait être autorisée à interjeter appel, invoque la formulation même qui, selon elle, ne devrait pas être adoptée. Plus précisément, ses deux premiers motifs renvoient au « vice de fond » et à la « crainte sérieuse » qui, comme l’a observé notre Cour dans l’arrêt Tennant 2019, pourraient comporter leurs propres difficultés d’interprétation.

[22] Pour les besoins des présents motifs, les deux premières catégories d’observations seront appelées « les observations formulées durant l’audience et le manque de préparation » et « les questions d’interprétation » et remplaceront les rubriques utilisées par Mme Younis dans son mémoire. Comme dans l’arrêt Tennant 2019, il est inutile de décider en l’espèce s’il convient ou non d’adopter la formulation proposée dans l’arrêt Tennant 2018.

[23] Les observations de Mme Younis sur la question de savoir si son appel devrait être entendu portent uniquement sur l’audience qui s’est déroulée devant le juge de la Cour fédérale. L’unique renvoi à la décision du juge figure au paragraphe 57 de son mémoire. Ce renvoi est fait à l’appui d’une observation concernant le fond de l’appel, et non la question de savoir si l’une ou l’autre des exceptions qui rendraient son appel recevable est applicable. Par conséquent, les présents motifs porteront principalement sur ce qui a été dit durant l’audience où a été entendue la demande de contrôle judiciaire.

A. « Les observations formulées durant l’audience et le manque de préparation »

[24] La première question soulevée par Mme Younis dans sa rubrique [traduction] « Vice de fond [...] influant directement sur la capacité de la Cour de trancher le litige » se rapporte aux éléments de preuve que, selon elle, le juge a refusé d’examiner. Au paragraphe 40 de son mémoire, elle avance que [traduction] « la Cour a indiqué que le simple fait que des éléments de preuve soient présentés à la Cour “ne veut pas dire que c’est retenu [...]”. Il a également affirmé que “[l]es éléments de preuve ne comptent pas” » [souligné par Mme Younis].

[25] Cependant, il importe de mettre en contexte ces deux déclarations. Il ne fait aucun doute qu’il arrive souvent que, pendant l’audience, les juges ne formulent pas leur pensée avec autant de précision qu’ils le souhaiteraient. Il est important d’analyser et d’examiner le contexte dans lequel les déclarations ont été faites pour juger si elles étayent la conclusion selon laquelle l’appel interjeté par Mme Younis devrait être entendu.

[26] Le contexte dans lequel ces déclarations ont été faites était le suivant (à partir de la page 84 de la transcription) :

[traduction]

Me GERAMI [avocate de Mme Younis] : « Bien, et aussi que… vous savez, mon ami soutient qu’une analyse contextuelle est… devrait être appliquée en l’espèce. Bien, tout au long de l’audience de ce matin, vous savez, il a été répété que ma cliente a fait ses valises et qu’elle a quitté le Canada. Je pense qu’il est très important de mettre en contexte la situation : il s’agit d’une femme qui a deux enfants très jeunes et qui n’a pas d’indépendance financière.

LE JUGE ANNIS : Nous avons toutefois tiré une conclusion de fait à ce sujet. Il est à présent un peu tard pour la contester.

Me GERAMI : Non, non, je ne la conteste pas.

LE JUGE ANNIS : Très bien.

Me GERAMI : C’est dans son dossier de preuve.

LE JUGE ANNIS : Oui.

Me GERAMI : C’est dans son affidavit.

LE JUGE ANNIS : Oui, mais cela ne signifie pas...

Me GERAMI : ...qu’elle...

LE JUGE ANNIS : Ça ne veut pas dire que c’est retenu. Les éléments de preuve...

Me GERAMI : Mais son affidavit a été...

LE JUGE ANNIS : Vous savez, 50 miles à l’heure, 40 miles à l’heure. Le juge conclut, et c’est une conclusion de fait, que c’est 50 miles à l’heure. C’est le fait établi. Les éléments de preuve ne comptent pas.

Me GERAMI : Mais non, je veux dire, ça n’a pas été… elle n’a jamais été contre-interrogée. Et elle n’a jamais... même… la juge de la citoyenneté n’a jamais affirmé qu’elle n’était pas crédible. La juge de la citoyenneté a retenu son témoignage, même au sujet de ses absences, estimant qu’elle était crédible. Et elle n’a pas... il n’y a aucun motif de remettre en question son témoignage. Elle a eu ses deux enfants au Canada. Il existe une preuve à cet égard. Ces enfants...

LE JUGE ANNIS : Eh bien, si elle ne le mentionne pas, alors ce n’est pas pertinent.

Me GERAMI : Mais ils sont nés au Canada. Et elle avait dit...

LE JUGE ANNIS : Bien. D’accord. Je ne fais que vous le dire. Bon. De toute façon, je me pencherai sur ce point. Oui.

[Non souligné dans l’original.]

[27] Les paroles [traduction] « [ç]a ne veut pas dire que c’est retenu » et [traduction] « les éléments de preuve ne comptent pas » semblent être un exemple d’une situation où, avec le recul, le juge aurait choisi d’autres mots. Il ne fait aucun doute qu’il y a de nombreuses situations au tribunal où, dans le vif d’une discussion, des juges se sont mal exprimés et auraient, avec le recul, choisi d’autres mots. À mon avis, le contexte dans lequel ces paroles ont été prononcées indique simplement que le juge avait voulu dire qu’un juge des faits donné tirerait des conclusions de fait à la lumière des éléments de preuve qui sont produits. Il revient au juge des faits de déterminer si des éléments de preuve donnés présentés seront retenus comme prouvant un fait donné. Quoi qu’il en soit, à la fin de cette discussion, le juge a affirmé qu’il se pencherait sur cette question. Ces déclarations ne peuvent pas étayer la conclusion selon laquelle l’appel de Mme Younis devrait être entendu.

[28] Au paragraphe 41 de son mémoire, Mme Younis renvoie aussi aux paroles du juge, qui a dit [traduction] « [d’] oubli[er] le législateur ». Comme il est indiqué plus haut, il est important d’examiner les paroles en cause en tenant compte de leur contexte, et non en les étudiant isolément. En ce qui concerne ce passage, il faut noter que, dans la décision visée par le contrôle, la juge de la citoyenneté avait conclu que Mme Younis ne satisfaisait pas à l’exigence en matière de résidence parce qu’elle avait cessé d’être une résidente du Canada avant la fin de la période de quatre ans prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté. Ce contexte étant établi, la discussion qui a donné lieu à l’observation selon laquelle il fallait oublier le législateur portait sur la question de savoir si la personne qui quitte le Canada après avoir satisfait à l’exigence des trois ans de résidence demeure admissible à la citoyenneté canadienne :

[traduction]

LE JUGE ANNIS : C’est ce qui est débattu. Donc vous êtes au Canada depuis trois ans. Vous y vivez et, en fait, vous coupez tous vos liens avec le Canada. ‘Eh bien, j’ai ma citoyenneté. C’est pour la vie’, vous savez, et tout le reste. Et nous partons.

Me GERAMI : Je ne pense pas que cela représente bien, vous savez, essentiellement...

LE JUGE ANNIS : Non, mais je dis, imaginons, c’est hypothétique.

Me GERAMI : Mais quand même...

[…]

Me GERAMI : ...si le législateur voulait...

[…]

Me GERAMI : ...que la personne réside au Canada pendant les quatre années totales, il l’aurait certainement précisé.

LE JUGE ANNIS : Non, vous ne répondez pas à ma question.

Me GERAMI : Oui?

LE JUGE ANNIS : Ma question est la suivante : vous résidez au Canada pendant trois ans.

Me GERAMI : Oui.

LE JUGE ANNIS : Vous avez coupé tous les liens; vous avez quitté le Canada. Je veux dire, vous savez qu’au fond vous allez... c’est au fond un endroit où vous pouvez retourner, vous savez, si ça commence à tirer, comme ça s’est passé… comme ils l’ont fait au Liban. Donc on doit envoyer des navires et vous ramener au Canada en toute sécurité. Parce qu’au fond, vous savez, vous vous assurez d’être sain et sauf.

Donc je veux dire que vous restez ici pendant trois ans et tout montre... Non, c’est hypothétique, d’accord?

Me GERAMI : D’accord.

LE JUGE ANNIS : Parce que c’est ce qu’il essaie de dire. On imagine que vous êtes partie, d’accord? Vous n’avez plus de liens avec le Canada. Vous n’avez plus à payer d’impôts. Je ne sais pas ce que vous faites.

Me GERAMI : Oui. Mais...

LE JUGE ANNIS : Quoi qu’il en soit...

Me GERAMI : …le législateur a en fait modifié l’exigence en matière d’intention...

LE JUGE ANNIS : Oublions le législateur pour l’instant. C’est ce qui... oui...

[Transcription : pages 32 et 33]

[29] L’extrait ci-dessus n’est qu’une partie de la discussion entre le juge et Me Gerami concernant l’exigence en matière de résidence. Cependant, il en ressort que les paroles où le juge disait d’oublier le législateur ont été prononcées immédiatement après que Me Gerami a mentionné que le législateur avait modifié les conditions de la Loi sur la citoyenneté. Même si l’observation aurait pu être exprimée plus clairement, il semble qu’elle a simplement été formulée en réponse à la déclaration selon laquelle les exigences avaient changé. Le juge voulait probablement dire qu’en l’espèce, ces changements n’étaient pas pertinents.

[30] Aux paragraphes 41, 43 et 44 de son mémoire, Mme Younis a également mentionné le manque de préparation du juge avant l’audience. Plus précisément, Mme Younis affirme, au paragraphe 43, que [traduction] « [l]a capacité de la Cour à tenir une audience, à poser des questions pertinentes, à rendre une décision juste conformément aux principes de la primauté du droit et sur le fondement de tous les éléments de preuve qui lui sont présentés est entièrement compromise si la Cour n’a pas examiné tous les documents pertinents avant l’audience prévue » [souligné par Mme Younis]. Cependant, il ne fait aucun doute qu’il y a des situations où le juge n’a pas le temps d’examiner tous les documents avant l’audition d’une requête ou d’une demande de contrôle judiciaire. Cette situation peut découler de la charge de travail de ce juge en particulier (comme le juge l’a affirmé en l’espèce). Il n’y a aucun motif permettant de conclure qu’un appel doit être entendu malgré l’absence de question certifiée simplement parce que le juge n’a pas tout examiné préalablement à l’audience. Comme l’a fait observer Mme Younis, le juge, en l’espèce, a eu l’occasion d’examiner les documents après l’audience.

[31] Que l’on tienne compte de ces questions individuellement ou collectivement, il n’y a aucun motif permettant que l’on conclue que l’appel de Mme Younis devrait être entendu.

B. « Les questions d’interprétation »

[32] Les observations que Mme Younis a regroupées dans la catégorie [traduction] « Crainte sérieuse liée au respect par la Cour fédérale de la primauté du droit » se rapportent à la méthode d’interprétation utilisée par le juge et à son interprétation des dispositions pertinentes de la Loi sur la citoyenneté. Cependant, dans l’arrêt Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 144 (Mahjoub), notre Cour a fait observer ce qui suit relativement à la disposition correspondante interdisant les appels dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 :

[21] Cela est conforme à de nombreuses affaires tranchées par cette Cour. Les erreurs de droit alléguées — même celles qui sont importantes — ne permettent pas de contourner les interdictions d’interjeter appel en vertu de la Loi, comme celle en litige, article 82.3 de la Loi : arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Goodman, 2016 CAF 126, aux paragraphes 5 à 9; arrêt Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 294, au paragraphe 12. Essentiellement, dans ses appels, M. Mahjoub soutient que la Cour fédérale a commis une erreur de droit, rien de plus. L’interdiction à l’article 82.3 de la Loi s’applique.

[33] Les allégations selon lesquelles le juge a commis une erreur dans sa méthode d’interprétation des lois ou dans son interprétation de la loi applicable ne permettent pas de conclure que Mme Younis devrait être autorisée à interjeter appel devant notre Cour sans qu’il y ait de question certifiée.

C. « Le manquement au principe interdisant toute partialité réelle ou apparente »

[34] La transcription de l’audience devant la Cour fédérale révèle un dialogue presque ininterrompu entre le juge et l’avocate de Mme Younis et aussi entre le juge et l’avocat de la Couronne. Il ressort de la transcription que le juge s’est parfois impatienté et que certaines de ses paroles étaient inappropriées. Cependant, l’unique question à se poser est de savoir si ces paroles établissent que le juge a fait preuve de partialité ou qu’il y a une crainte raisonnable de partialité.

[35] Dans l’arrêt Miglin c. Miglin, 2003 CSC 24, la Cour suprême du Canada a confirmé le critère en matière de partialité :

[26] Le critère applicable à la crainte raisonnable de partialité est bien établi. Comme en fait état la juge Abella, il s’agit de savoir si une personne raisonnable et bien renseignée, qui serait au courant de l’ensemble des circonstances pertinentes et qui étudierait la question de façon réaliste et pratique, conclurait que la conduite du juge fait naître une crainte raisonnable de partialité : R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, par. 111, le juge Cory; Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, p. 394-395, le juge de Grandpré. Une allégation ne suffit pas pour conclure à une partialité réelle ou perçue. La personne qui allègue la partialité doit en établir l’existence (S. (R.D.), par. 114). Comme le souligne la juge Abella, la question est difficile à évaluer et nécessite un examen méticuleux et complet de l’instance. Il faut considérer l’ensemble du dossier afin de déterminer l’effet cumulatif des transgressions ou irrégularités. […]

[36] Dans l’arrêt Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c. Yukon (Procureure générale), 2015 CSC 25 (Yukon), la Cour suprême du Canada a fait les observations suivantes :

[26] Par conséquent, l’analyse de la question de savoir si le comportement du décideur suscite une crainte raisonnable de partialité est intrinsèquement contextuelle et fonction des faits, et le fardeau d’établir la partialité qui incombe à la partie qui en allègue l’existence est donc élevé : voir Wewaykum, par. 77; S. (R.D.), par. 114, le juge Cory. Comme le juge Cory l’a fait observer dans l’arrêt S. (R.D.) :

... les allégations de crainte de partialité ne seront généralement pas admises à moins que la conduite reprochée, interprétée selon son contexte, ne crée véritablement l’impression qu’une décision a été prise sur la foi d’un préjugé ou de généralisations. Voici le principe primordial qui se dégage de cette jurisprudence : les commentaires ou la conduite reprochés ne doivent pas être examinés isolément, mais bien selon le contexte des circonstances et [eu égard] à l’ensemble de la procédure. [Souligné par la Cour suprême; par. 141.]

[37] Comme l’a noté notre Cour dans l’arrêt ABB Inc. c. Hyundai Heavy Industries Co., Ltd., 2015 CAF 157, par. 55 : « [l]e fardeau d’établir une crainte raisonnable de partialité incombe à la personne qui l’allègue, et le seuil relatif à la partialité apparente est élevé » (voir aussi les arrêts R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, par. 114, 1997 CanLII 324, et Miglin, par. 26). En l’espèce, le fardeau d’établir une crainte raisonnable de partialité ou de démontrer que le juge a fait preuve de partialité incombe à Mme Younis.

[38] Comme le fardeau d’établir une crainte raisonnable de partialité incombe à Mme Younis, les présents motifs porteront sur la conduite que Mme Younis, dans ses allégations, reproche au juge et qui établirait qu’il a fait preuve de partialité. La seule conduite que Mme Younis reproche au juge est exposée aux paragraphes 51 à 54 de son mémoire. Bien que plus loin dans son mémoire, au paragraphe 64 (après des observations sur la question de savoir s’il serait satisfait en l’espèce au critère concernant le moment où aurait pu être soulevée une question certifiée), Mme Younis mentionne encore une fois une certaine conduite en faisant valoir qu’elle démontre de la partialité, il s’agit de la même conduite que celle qu’elle décrit au paragraphe 54 de son mémoire. Aucune note de bas de page au paragraphe 64 ne renvoie à une partie de la transcription, ce qui confirme qu’elle renvoie uniquement à la conduite dont elle avait parlé plus haut dans son mémoire.

[39] Après avoir exposé cette conduite qui, selon ce qu’allègue Mme Younis, permettrait d’établir une crainte raisonnable de partialité, aux paragraphes 51 à 54 de son mémoire, Mme Younis résume ses observations sur la partialité au paragraphe 55 de son mémoire :

[traduction]

55. Compte tenu de tout ce qui précède, une personne sensée et raisonnable qui étudierait la question de façon réaliste et pratique, après y avoir réfléchi, en viendrait à la conclusion que, selon toute vraisemblance, le juge (consciemment ou inconsciemment) n’a pas statué sur l’affaire d’une manière équitable. Si la Cour ne s’est pas préparée en vue de l’audience, formule des observations inappropriées sur l’appelante et la façon dont elle utilise son intellect, minimise arbitrairement l’importance d’éléments de preuve présentés par les parties et ne tient aucun compte du rôle du législateur, la personne raisonnable perdra certainement confiance en la « bonne administration de la justice » et ne voudra pas conclure qu’il y a une « forte présomption » que le juge « s’acquittera de ses fonctions adéquatement et avec intégrité ».

[40] Il ressort clairement du paragraphe 55 de son mémoire que la conduite qui, selon ce qu’allègue Mme Younis, établirait la partialité est celle mentionnée dans les paragraphes précédents de son mémoire. Mme Younis n’a pas mentionné l’allégation du manque de préparation avant l’audience dans la section de son mémoire intitulée [traduction] « Manquement au principe interdisant toute partialité réelle ou apparente ». Elle a soulevé cette question dans la première partie de son mémoire, sous la rubrique [traduction] « Vice de fond [...] influant directement sur la capacité de la Cour de trancher le litige ». Cette allégation a été examinée plus haut dans les présents motifs. Le manque de préparation avant l’audience ne permettrait pas d’établir une crainte raisonnable de partialité. L’autre conduite qu’elle reproche au juge est examinée dans les paragraphes suivants.

[41] Au paragraphe 51 de son mémoire, Mme Younis fait référence à la déclaration suivante du juge : [traduction] « vous [devriez avoir] l’intelligence de rester au Canada ». Dans ce paragraphe, Mme Younis a soutenu que cette remarque était [traduction] « très inappropriée et condescendante » et qu’elle suggérait que [traduction] « Mme Younis était en quelque sorte inférieure et manquait d’intelligence parce qu’elle n’était pas restée quatre ans au Canada, alors que les dispositions législatives ne l’exigent pas ». Elle a conclu le paragraphe 51 en affirmant que [traduction] « c’est une remarque très inappropriée et partiale de la part du juge de la Cour fédérale ».

[42] Comme l’a noté la Cour suprême dans les arrêts Miglin et Yukon, le contexte dans lequel la déclaration est faite est important. Ces paroles ont été prononcées pendant la discussion sur la question de savoir si les personnes devaient maintenir leur statut de résident jusqu’à la fin de la période de quatre ans en cause :

[traduction]

LE JUGE ANNIS : Ces jours d’absence auraient donc dû compter?

Me GERAMI : Ils auraient dû compter. Je veux dire, d’après les paragraphes 18...

LE JUGE ANNIS : Oui.

Me GERAMI : ... 29 et 30, il faut conclure précisément qu’elle était... qu’elle a établi sa résidence au Canada et qu’elle n’a pas cessé de résider au Canada pendant ces absences.

LE JUGE ANNIS : D’accord, je comprends. Je comprends dans ce cas, oui.

Me GERAMI : D’accord? Donc d’après ça... Je veux dire que ça n’est pas contesté, elle a cessé d’être au Canada pendant les 293 derniers jours. Mais elle ne devait que démontrer qu’elle y était restée pendant trois ans. Je veux dire que rien n’exigeait qu’elle reste plus que les trois ans prévus à l’alinéa 5(1)c).

LE JUGE ANNIS : Vous ne pensez pas qu’il y a un concept qui veut que vous ayez l’intelligence de rester au Canada jusqu’à la fin de la période de quatre ans?

Me GERAMI : Eh bien, si...

LE JUGE ANNIS : N’est-ce pas en quelque sorte le cœur du débat?

Me GERAMI : Eh bien, ils sont...

LE JUGE ANNIS : Vous savez que si vous avez abandonné le pays avant d’avoir atteint les quatre ans ou sans y être resté pendant les quatre années, cela vous pénalisera, quoi qu’il arrive. N’est-ce pas?

Me GERAMI : Elle n’a pas abandonné...

LE JUGE ANNIS : Je suis désolé, mais c’est… Je précise que c’est mon interprétation; eh bien, elle a tout vendu, a mis fin à leur bail et tout ça...

Me GERAMI : D’accord. Sa famille, votre Honneur, son mari et ses enfants sont des citoyens canadiens.

LE JUGE ANNIS : Oui.

Me GERAMI : D’accord? Donc tant qu’elle y réside avec son mari, elle demeure une résidente permanente. Et elle n’a pas perdu son statut.

LE JUGE ANNIS : Oui.

Me GERAMI : Et elle a satisfait au...

LE JUGE ANNIS : Bon. D’accord, oublions ça. Passons alors à votre deuxième. Nous allons l’examiner. Je pense qu’il y a...

Me GERAMI : D’accord.

LE JUGE ANNIS : Cela dépend vraiment du troisième, comment le fait de quitter en quelque sorte le pays, comment cela s’applique. À première vue, il s’agit réellement de la question en litige. Comme vous le dites : « Si nous l’avons, vous ne pouvez pas nous l’enlever. » Je crois que c’est ce que vous affirmez.

Et je suis à peu près sûr que Me Johnston dira : « Oh, oui, vous devez avoir cet état d’esprit, jusqu’à la fin de la période de quatre ans. » Et si ce n’est pas votre cas...

Me GERAMI : Eh bien, je veux dire...

LE JUGE ANNIS : Peu importe.

Me GERAMI : Eh bien, je demande...

LE JUGE ANNIS : De toute façon, je dis simplement...

Me GERAMI : Il s’agit aussi de savoir ce que le législateur a dit. S’il avait voulu exiger quatre années de résidence, il n’aurait pas indiqué trois années de résidence sur une période de quatre ans.

LE JUGE ANNIS : Oui. De toute façon, je dis simplement... Je comprends. Je veux dire que c’est un bon argument et j’aimerais entendre ce que Me Johnston a à dire à ce sujet; et je comprends cet argument.

Me GERAMI : Bien, si l’on tient compte des conclusions de fait manifestes selon lesquelles elle avait satisfait à l’exigence relative aux trois années de résidence sur une période de quatre ans, cela n’est pas conforme au principe de la primauté du droit. C’est ça qui est l’exigence.

LE JUGE ANNIS : D’accord.

Me GERAMI : Aucune conclusion n’a été tirée pour dire qu’elle s’est établie aux Émirats arabes unis et non... qu’elle a un statut de résidence permanente là-bas.

LE JUGE ANNIS : Oui.

Me GERAMI : Elle n’a qu’un statut temporaire.

LE JUGE ANNIS : Je comprends ce que vous dites. Mais j’ai l’impression que le cœur du problème est aussi que l’intention est que vous devez faire l’effort de rester au Canada pendant au moins quatre ans. C’est le cœur du problème, que vous le vouliez ou non.

Me GERAMI : Mais ce n’est pas ce que le critère indique.

LE JUGE ANNIS : Eh bien, je crois que nous allons devoir l’examiner, parce que je dois manifestement...

Me GERAMI : N’est-ce pas ce que le critère indique? Selon le critère, les absences temporaires comptent.

LE JUGE ANNIS : Je comprends cela.

Me GERAMI : D’accord.

LE JUGE ANNIS : Mais il y a...

Me GERAMI : Donc...

LE JUGE ANNIS : Je ne sais pas; je dois interpréter la loi. Je dois l’examiner.

[Transcription aux pages 18 à 21, non souligné dans l’original.]

[43] La déclaration selon laquelle [traduction] « vous [devriez avoir] l’intelligence de rester au Canada » semble, encore une fois, simplement traduire un mauvais choix de mots. Peu après avoir fait la déclaration en cause, le juge fait référence à l’état d’esprit de la personne, puis à l’intention de la personne. Cela indique qu’il ne cherchait pas à faire allusion à l’intelligence de la personne en particulier, mais qu’il parlait plutôt de son intention. D’après le contexte, il semble qu’il demandait simplement si la personne qui présentait une demande de citoyenneté devait avoir l’intention de rester au Canada pendant toute la période de quatre ans. Il s’agit vraiment d’une question d’interprétation de la disposition et non d’un signe de partialité. Compte tenu des conclusions de la juge de la citoyenneté qui étaient en litige devant la Cour fédérale (paragraphes 31 et 32 de la décision de la juge de la citoyenneté cités au paragraphe 7 ci-dessus), il semblerait évident que l’intention de Mme Younis lorsqu’elle a quitté le Canada pour rejoindre son mari aux Émirats arabes unis constituait un facteur pertinent pour la juge de la citoyenneté. Par conséquent, la pertinence de l’intention de Mme Younis était une question pouvant être discutée et examinée à l’audience devant la Cour fédérale.

[44] Après avoir fait la déclaration en cause, le juge a également affirmé qu’il devait examiner la disposition. Lorsqu’on l’examine dans le contexte de la discussion entre le juge et Me Gerami, la déclaration n’étaye pas la conclusion voulant que le juge ait fait preuve de partialité ou qu’il y ait une crainte raisonnable de partialité.

[45] La deuxième conduite que Mme Younis reproche au juge est exposée au paragraphe 52 de son mémoire. Mme Younis y affirme que, [traduction] « tout au long de l’audience, la Cour a présumé que la demanderesse avait “abandonné le Canada”. Dans l’esprit du juge, même si une personne satisfait à l’exigence en matière de résidence, elle ne devrait pas encore être autorisée à quitter le Canada » [souligné par Mme Younis].

[46] Cependant, cette discussion concerne la conclusion de la juge de la citoyenneté qui était en litige en l’espèce. La conclusion était que Mme Younis n’était pas admissible à la citoyenneté, étant donné qu’elle avait cessé d’être une résidente du Canada. Comme l’a fait observer Mme Younis lors de l’audience à la Cour fédérale, la juge de la citoyenneté a conclu qu’elle avait été absente 395 jours pendant la période pertinente de quatre ans. Il n’est pas contesté que cela comprenait les 293 derniers jours (après qu’elle a quitté le Canada pour rejoindre son mari aux Émirats arabes unis). Par conséquent, elle a accumulé 102 jours d’absence avant la date à laquelle, selon la conclusion de la juge de la citoyenneté, elle a cessé d’être une résidente du Canada. Si 30 de ces 102 jours avaient été comptés comme les jours durant lesquels elle avait résidé au Canada (dans le cas où les jours d’absence temporaire seraient considérés comme des jours de résidence), elle aurait accumulé 1 095 jours de résidence, indépendamment des 293 derniers jours de la période de quatre ans.

[47] Sans trancher la question de savoir quelle partie de ces 102 jours d’absence pouvait être considérée comme étant des jours d’absence temporaire, la juge de la citoyenneté a rejeté la demande de citoyenneté de Mme Younis parce qu’elle avait cessé d’être une résidente du Canada avant la fin de la période de quatre ans. Les observations du juge sur la situation où une personne cesse d’être résidente du Canada après avoir satisfait à l’exigence de trois ans (1 095 jours) de résidence, mais avant l’expiration de la période pertinente de quatre ans, étaient simplement le reflet de ce que la juge de la citoyenneté avait conclu. Ils portent sur l’interprétation de l’exigence en matière de résidence prévue par la Loi sur la citoyenneté. Il n’existe pas de droit d’appel devant notre Cour en cas de désaccord ou d’erreur quant à l’interprétation de la Loi sur la citoyenneté s’il n’y a pas de question certifiée (Mahjoub, par. 21). En outre, on ne peut pas considérer que le juge a fait preuve de partialité simplement parce qu’en somme, il a demandé à l’avocate pourquoi la juge de la citoyenneté avait commis une erreur en interprétant l’exigence en matière de résidence de la Loi sur la citoyenneté ou en appliquant le droit aux faits.

[48] La dernière observation de Mme Younis sur sa thèse au sujet de la partialité figure au paragraphe 54 de son mémoire :

[traduction]

Troisièmement, la Cour n’a pas voulu entendre les arguments fondés sur le sexe présentés par l’appelante dans sa réponse au ministre. Le juge s’est « fâché » et a demandé à l’avocate de « passer à la question suivante », puis il a déclaré que l’appelante fractionnait sa preuve. En fait, l’appelante répondait en bonne et due forme aux arguments répétés du ministre selon lesquels il était nécessaire d’adopter une approche contextuelle dans l’application du critère énoncé dans la décision Papadogiorgakis. L’appelante expliquait que Mme Younis n’était pas indépendante financièrement, ce qu’elle a également déclaré dans sa demande de citoyenneté. La Cour a aussi indiqué qu’elle disposait de l’affidavit de Mme Younis, mais que « ça ne veut pas dire que c’est retenu » et, finalement, ses éléments de preuve « ne comptent pas » et qu’il fallait simplement « oubli[er] le législateur pour l’instant [...] ».

[Souligné par Mme Younis.]

[49] Au paragraphe 64 de son mémoire, Mme Younis affirme ce qui suit :

[traduction]

Le juge n’a pas non plus voulu entendre les éléments de preuve établissant qu’elle n’avait pas l’intention de quitter définitivement le Canada, mais plutôt qu’elle n’avait pas le choix, compte tenu de sa situation de personne financièrement dépendante et de mère de deux jeunes enfants. Tout cela révèle que l’appelante ne fractionnait pas sa preuve, contrairement à ce qu’a dit la Cour, mais qu’elle a au contraire dû faire face à une manifestation flagrante de partialité dans une cour de justice.

[50] La conduite que Mme Younis reproche au juge dans la première partie du paragraphe 54 et au paragraphe 64 se rapporte à certaines paroles que le juge a prononcées lorsqu’elle a présenté ses observations en réponse à celles du ministre. Les notes de bas de page au paragraphe 54 de son mémoire à l’appui de son observation selon laquelle le juge [traduction] « s’est fâché », renvoient aux pages 88 et 89 de la transcription, où le juge dit à deux reprises qu’il [traduction] « commence à se fâcher ». Les notes de bas de page à l’appui de son observation selon laquelle le juge lui a dit de passer à la question suivante renvoient aux pages 87 et 88 de la transcription, où le juge lui demande à trois reprises de [traduction] « passer à la question suivante ».

[51] Il ressort de la transcription que des tensions se sont manifestées lorsque le juge a indiqué que Mme Younis fractionnait sa preuve. Il y a deux possibilités : soit Mme Younis fractionnait sa preuve, soit elle ne la fractionnait pas. Si Mme Younis fractionnait sa preuve, il était approprié que le juge soulève cette question. Si Mme Younis ne la fractionnait pas, cela voudrait simplement dire que le juge a commis une erreur en déclarant qu’elle fractionnait sa preuve. Cependant, le fait que le juge ait simplement commis une erreur ne signifie pas qu’il a fait montre de partialité.

[52] Ce n’est pas parce qu’il y a eu des échanges tendus entre un juge et un avocat, y compris lorsque les déclarations du juge dénotent un manque de courtoisie, qu’il faut conclure que le juge fait montre de partialité. Comme l’a affirmé la Cour suprême dans l’arrêt Miglin :

[26] [...] Nous ne voyons aucune raison de modifier l’évaluation du dossier par la Cour d’appel, ou sa conclusion que les commentaires du juge de première instance, bien que regrettables, et ses interventions, trahissant parfois l’impatience, n’ont pas atteint le niveau requis pour établir une crainte raisonnable de partialité.

[53] De même, la Cour d’appel de l’Ontario, dans l’arrêt Stuart Budd & Sons Limited v. IFS Vehicle Distributors ULC, 2016 ONCA 60 (Stuart Budd), a noté ce qui suit :

[traduction]

[72] Il est important de reconnaître, dès le début, qu’il faut beaucoup plus qu’une manifestation d’impatience à l’égard d’un avocat ou même qu’un manque de courtoisie injustifié pour réfuter la forte présomption d’impartialité : Kelly v. Palazzo, 2008 ONCA 82, 89 O.R. (3d) 111, par. 21).

[73] Cependant, les cours auront raison de s’inquiéter lorsque le juge des requêtes manque de courtoisie à répétition, sans raison apparente, à l’égard d’un avocat. Les moqueries seront donc pertinentes en ce qui concerne la question de partialité : voir l’arrêt Yukon, par. 52.

[54] La Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a aussi fait observer qu’une [traduction] « friction momentanée n’est pas de la partialité » (2446339 Nova Scotia Ltd. v. AMJ Campbell Inc., 2008 NSCA 9, par. 105).

[55] La conduite que Mme Younis reproche au juge et qui, selon ce qu’elle soutient aux paragraphes 54 et 64 de son mémoire, étayerait une conclusion de partialité renvoie au passage de la transcription où le juge a indiqué qu’il [traduction] « commen[çait] à se fâcher », lui a demandé de [traduction] « passer à la question suivante » et lui a dit qu’il ne voulait pas qu’elle mentionne certains éléments de preuve. Ces paroles ont été prononcées parce que le juge était convaincu que l’appelante fractionnait sa preuve. Ainsi, si le juge a affirmé que Mme Younis devait [traduction] « passer à la question suivante » et qu’il était préférable qu’elle ne mentionne pas certains éléments de preuve, c’est parce qu’il avait conclu qu’elle fractionnait sa preuve et qu’il était donc préférable que Mme Younis ne soulève pas la question des éléments de preuve liés à son départ pour les Émirats arabes unis dans ses observations en réponse. Ces paroles et celles où le juge a dit qu’il commençait à se fâcher ont été dites lorsque Mme Younis a tenté de mentionner ces éléments de preuve, et non parce qu’il s’agissait [traduction] d’« arguments fondés sur le sexe ».

[56] Mme Younis n’a pas établi que la conduite qu’elle a exposée dans la première partie du paragraphe 54 (et qu’elle a rappelée, en partie, au paragraphe 64) mènerait à la conclusion que le juge a [traduction] « manqu[é] de courtoisie à répétition, sans raison apparente, à l’égard d’un avocat » (Stuart Budd, par. 73). À mon avis, la conduite dont il est fait reproche n’est pas telle qu’il faille conclure à la partialité ou à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité.

[57] Au paragraphe 54 de son mémoire, Mme Younis a de nouveau renvoyé aux commentaires du juge selon lesquels, même si elle avait présenté son affidavit à la Cour, ça [traduction] « ne veut pas dire que c’est retenu » et selon lesquels ses éléments de preuve [traduction] « ne comptent pas ». Elle a aussi rappelé la déclaration du juge selon laquelle il faut [traduction] « oubli[er] le législateur pour l’instant ». Il a été question de ces paroles plus haut dans les présents motifs et, lorsqu’elles sont interprétées selon leur contexte, elles n’étayent pas une conclusion de partialité. Ces paroles traduisent simplement un mauvais choix de mots.

[58] À mon avis, lorsqu’on examine l’ensemble du dossier, l’effet cumulatif de la conduite que Mme Younis reproche au juge ne permet pas d’établir une crainte raisonnable de partialité.

[59] L’audience a aussi été ponctuée d’affirmations révélant que le juge a fait preuve d’ouverture d’esprit. Plus précisément, à la page 20 de la transcription, le juge qualifie de bonne l’observation de Me Gerami. Lorsque la Couronne a présenté ses observations, le juge a souligné ce qui suit, à la page 55 de la transcription : [traduction] « À mon avis, les deux parties font valoir de bons arguments. » À la page 75 de la transcription, il a demandé à la Couronne s’il était juste que le deuxième juge de la citoyenneté [traduction] « choisisse tout sauf le critère Koo ». Il a également indiqué que ce changement de critère effectué par le deuxième juge de la citoyenneté donnait un [traduction] « argument assez solide » à Mme Younis.

[60] Il convient aussi de mentionner qu’à la fin de l’audience (à la page 102 de la transcription), le juge a dit que deux questions pouvaient être certifiées, ce qui aurait permis à Mme Younis d’interjeter appel auprès de notre Cour. Si le juge avait été partial, il n’aurait vraisemblablement pas proposé de certifier une question qui aurait permis à la partie déboutée d’interjeter appel. Cependant, lors de l’audience (à la page 103 de la transcription), Mme Younis s’est opposée à ce qu’une question soit certifiée au motif qu’elle ne disposait pas des ressources nécessaires pour se défendre devant la Cour d’appel. Dans son mémoire, Mme Younis affirme qu’il ne s’agissait pas d’une affaire où il convenait de certifier une question. Cependant, ses observations actuelles selon lesquelles il n’aurait pas convenu en l’espèce qu’une question soit certifiée ne sert pas sa thèse voulant que son appel doive être entendu malgré l’absence de question certifiée.

[61] À mon avis, Mme Younis n’a pas réussi à établir que la conduite qu’elle reproche au juge mène à une conclusion de partialité ou de crainte raisonnable de partialité « selon le contexte des circonstances et [eu égard] à l’ensemble de la procédure » (Yukon, par. 26).

VI. Autres commentaires formulés lors de l’audience

[62] Au paragraphe 65 de son mémoire, Mme Younis a renvoyé à d’autres commentaires que le juge a formulés pendant l’audience :

[traduction]

65. Pour répondre aux observations en réponse et aux oppositions répétées de l’appelante, le juge a déclaré à plusieurs reprises « [n]e jouez pas au plus fin avec moi ». L’avocate de l’appelante a protesté que toutes ses observations étaient respectueuses. En réponse, le juge a finalement déclaré : « J’admets que vous êtes respectueuse. Je me suis juste un peu emporté. »

[63] La partie de la transcription qui comprend les déclarations mentionnées dans la première partie du paragraphe 65 de son mémoire se trouve à la page 91 de la transcription.

[traduction]

LE JUGE ANNIS : Examinons donc la décision, car je ne peux pas examiner la présente affaire sans me pencher sur cette décision, n’est-ce pas?

Me GERAMI : Il s’agit de la principale décision, la décision Papadogiorgakis.

LE JUGE ANNIS : D’accord. Eh bien, montrez-moi le passage en question. Vous devez me guider...

Me GERAMI : Il se trouve à l’onglet 15.

LE JUGE ANNIS : Très bien.

Me GERAMI : Nous l’avons examiné de nombreuses fois aujourd’hui, au paragraphe 9.

LE JUGE ANNIS : Ne jouez pas au plus fin avec moi.

Me GERAMI : Votre Honneur...

LE JUGE ANNIS : Ne jouez pas au plus fin avec moi, d’accord?

Me GERAMI : Votre Honneur, c’est vous qui êtes fâché en ce moment.

LE JUGE ANNIS : Ne jouez pas au plus fin avec moi, d’accord? Ne jouez pas au plus fin. Vous comprenez ça?

[64] À la page 93 de la transcription, la discussion suivante a lieu :

[traduction]

Me GERAMI : Toutes mes observations sont formulées de manière respectueuse.

LE JUGE ANNIS : Je sais, mais...

Me GERAMI : Elles sont toutes formulées de manière respectueuse.

LE JUGE ANNIS : Je comprends cela, d’accord?

Me GERAMI : D’accord.

LE JUGE ANNIS : D’accord, vous êtes respectueuse. Je me suis juste un peu emporté.

[65] À la fin de l’audience, après la discussion générale sur les dépens, le juge a déclaré ceci : [traduction] « Désolé, je me suis un peu perdu (ph), mais... »

[66] Il semble que le juge se soit excusé ou ait tenté de s’excuser de sa conduite. Bien que les paroles citées au paragraphe 63 ci-dessus aient été regrettables et inappropriées (comme l’a reconnu implicitement le juge en présentant ce qui semble être des excuses), elles n’ont pas été prises en considération plus haut dans les présents motifs relativement à la thèse de la partialité, car Mme Younis n’y a pas renvoyé dans ses observations relatives à la conduite qui, selon ses allégations, mènerait à une conclusion de partialité. Comme cela a été indiqué, l’unique renvoi à ces paroles se trouve au paragraphe 65 de son mémoire et, au paragraphe 55 de son mémoire, elle soutient que la conduite qui doit être prise en considération relativement à sa thèse de partialité est [traduction] « tout ce qui précède » (ce qui exclurait les paroles auxquelles elle renvoie au paragraphe 65 de son mémoire). Quoi qu’il en soit, même si on incluait ces commentaires dans l’examen de l’allégation de partialité, cela ne mènerait pas à la conclusion que Mme Younis a établi l’existence d’une crainte raisonnable de partialité.

VII. Conclusion

[67] Par conséquent, j’annulerais l’appel. Étant donné que la Couronne n’a pas demandé les dépens, ils ne seront adjugés.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Judith Woods j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Anne L. Mactavish j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UN JUGEMENT DE LA COUR FÉDÉRALE

DATÉ DU 11 MARS 2019, RÉFÉRENCE NO 2019 CF 291 (DOSSIER NO T-1419-18)

DOSSIER :

A-145-19

 

INTITULÉ :

NARIMAN ZAKI ABDULFATTAH YOUNIS c.

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 novembre 2020

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE WOODS

LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :

Le 9 mars 2021

COMPARUTIONS :

Arghavan Gerami

Pour l’appelante

Sarah-Dawn Norris

Pour l’intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gerami Law Professional Corporation

Ottawa (Ontario)

Pour l’appelante

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimé

 

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