Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20210331


Dossier : A-109-20

Référence : 2021 CAF 67

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE WOODS

 

 

ENTRE :

COMPOSANTE AIR CANADA DU SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE

appelante

et

AIR CANADA

intimée

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 11 mars 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 31 mars 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE STRATAS

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE WOODS

 


Date : 20210331


Dossier : A-109-20

Référence : 2021 CAF 67

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE WOODS

 

 

ENTRE :

COMPOSANTE AIR CANADA DU SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE

appelante

et

AIR CANADA

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE STRATAS

[1] Il s’agit d’un appel d’une décision de la Cour fédérale : 2020 CF 420. La Cour fédérale a accueilli une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un agent d’appel auprès du Tribunal de santé et sécurité au travail du Canada : 2019 TSSTC 3. La Cour fédérale a renvoyé l’affaire au Tribunal pour un nouvel examen.

[2] Comme il est expliqué ci-dessous, la Cour fédérale a conclu que la présente affaire était désormais théorique. Notre Cour juge également qu’elle est théorique et que nous ne devrions pas la trancher sur le fond : Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342.

[3] La présente affaire est née de certains refus de travailler exercés par des agents de bord d’Air Canada en 2011 et 2012. Ces derniers avaient remarqué une odeur étrange dans l’avion à bord duquel ils se trouvaient. Le personnel d’entretien d’Air Canada a enquêté sur cette odeur, mais n’a pas pu résoudre le problème avant le décollage. Les agents de bord ont refusé de travailler aux termes du paragraphe 128(1) du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2 (le Code).

[4] Des agents de santé et de sécurité ont enquêté sur les refus de travailler et ont conclu qu’il n’y avait aucun danger. Plus tard, un agent d’appel du Tribunal a exprimé son désaccord. Il a conclu que les agents de bord étaient justifiés d’affirmer qu’il y avait un danger. Toutefois, il a exercé son pouvoir discrétionnaire de ne pas donner d’instruction de contravention – une mesure de redressement ayant des conséquences pratiques – ou toute autre conclusion ayant des conséquences pratiques : 2019 TSSTC 3, par. 111 à 115. Personne n’a contesté cet exercice particulier du pouvoir discrétionnaire.

[5] Une question est théorique s’il n’existe plus de différend tangible et concret entre les parties, rendant la question théorique : arrêt Borowski, p. 353. Au cours de l’audience devant notre Cour, nous avons soulevé la question du caractère théorique auprès des parties. Toutes deux ont concédé que cette question n’avait plus de conséquences pratiques. Elles ont également reconnu qu’il en était de même devant la Cour fédérale.

[6] La concession des parties était bien fondée :

  • La décision du Tribunal en l’espèce n’impose aucune obligation à Air Canada et ne l’expose à aucune responsabilité. L’agent d’appel a conclu qu’Air Canada « n’est pas parvenue à remplir correctement ses obligations en vertu de l’alinéa 125.1f) du Code » (par. 113). Toutefois, cela n’expose pas Air Canada à une quelconque responsabilité, car le délai de prescription pour des infractions à la Loi est expiré : par. 149(4).

  • Cela ne porte aucune atteinte au droit des agents de bord d’être indemnisés. Le Code dispose que les conclusions relatives aux refus de travailler n’ont pas pour effet de porter atteinte au droit de l’employé de se faire indemniser aux termes d’autres lois : article 131 du Code.

  • Une décision complémentaire du Tribunal de santé et de sécurité au travail a imposé à Air Canada l’obligation d’enquêter sur les causes sous-jacentes des refus de travailler en question en l’espèce : 2015 TSSTC 14. Dans la mesure où il existe des conséquences pratiques, ces causes ont été examinées dans cette décision.

[7] Le seul intérêt possible des parties à poursuivre de la présente affaire est d’ordre jurisprudentiel. Un intérêt purement jurisprudentiel n’est pas suffisant pour répondre au critère du différend concret et tangible : arrêt Borowski, p. 353. Même l’intérêt jurisprudentiel en l’espèce peut être théorique : comme nous l’expliquerons, la loi en question dans la présente affaire a été modifiée.

[8] Bien que nous ayons le pouvoir discrétionnaire de trancher une affaire théorique, nous ne devrions pas le faire en l’espèce.

[9] Trois facteurs guident l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire :

  • l’absence ou l’existence d’un contexte contradictoire;

  • la question de savoir s’il y a une utilité pratique à trancher la question ou s’il s’agit d’un gaspillage des ressources judiciaires;

  • la question de savoir si le tribunal outrepasserait son rôle en édictant le droit dans l’abstrait, une tâche réservée au législateur.

(voir l’arrêt Amgen Canada Inc. c. Apotex Inc., 2016 CAF 196, 487 N.R. 202, par. 16, renvoyant à l’arrêt Borowski).

[10] Le premier facteur milite en faveur de la décision de trancher la question théorique. Le contexte est effectivement contradictoire : les deux parties, représentées par des avocats, adoptent des thèses opposées.

[11] Le deuxième facteur milite fortement en faveur de la décision de ne pas trancher la question théorique. Trancher cette question entraînerait un gaspillage des ressources judiciaires. La décision de l’agent d’appel n’impose aucune obligation à l’une ou à l’autre des parties et n’a aucune conséquence pratique.

[12] De plus, les questions jurisprudentielles n’échappent pas à l’examen judiciaire : Air Canada affirme que des instances similaires sont en cours entre les parties. De plus, le législateur a modifié la définition de « danger » dans la loi depuis le début des présentes instances : Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, L.C. 2013, ch. 40, art. 176. Cette nouvelle définition s’appliquera dans les instances à venir.

[13] Quant au troisième facteur, interpréter l’ancien libellé de la disposition en question sans motif valable, dans une affaire sans conséquence pratique, uniquement pour créer un précédent juridique, reviendrait à dire le droit simplement pour dire le droit. Ce n’est pas notre tâche.

[14] La question du caractère théorique revêt une plus grande importance depuis l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 C.S.C. 65. Dans cet arrêt, la Cour suprême a souligné que les tribunaux doivent tenir compte de la rapidité et de l’efficacité lorsqu’ils examinent les demandes de contrôle judiciaire et ne devraient pas accorder de mesures de redressement lorsque celles-ci ne servent à rien : par. 140, renvoyant à l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, par. 55.

[15] Le contexte législatif met en évidence ces préoccupations. Le Code dispose que ces types d’instances doivent être réglées rapidement, avec une surveillance judiciaire minimale : par. 129(1) (l’agent de santé et de sécurité effectue « sans délai » une enquête), par. 146.1(1) (l’agent d’appel mène « sans délai une enquête sommaire ») et voir également les articles 146.3 et 146.4. Il serait indéfendable de prolonger la présente, qui date maintenant de près de dix ans, sans raison valable.

[16] Air Canada a soulevé une autre question que nous devons examiner. Elle a fait remarquer que la présente affaire a un long historique procédural, y compris une décision du Tribunal de santé et sécurité au travail d’août 2015 (2015 TSSTC 15) qui a conclu que les refus de travailler n’étaient pas justifiés, un jugement de la Cour fédérale de juin 2017 (2017 CF 554) qui a renvoyé l’affaire, et la décision de l’agent d’appel en l’espèce. Air Canada affirme que, si l’affaire est maintenant théorique, elle l’était devant la Cour fédérale lorsque celle-ci a renvoyé l’affaire en juin 2017. Air Canada nous demande d’infirmer le jugement de la Cour fédérale de juin 2017.

[17] Nous ne pouvons pas infirmer ce jugement. Ce jugement n’a jamais été porté en appel. Il est donc devenu définitif : Canada c. MacDonald, 2021 CAF 6, par. 14 et 15.

[18] Selon le jugement de la Cour fédérale en l’espèce, le Tribunal devait réexaminer l’affaire. Étant donné que la présente affaire est théorique, une nouvelle décision serait inutile. De plus, l’affaire était théorique devant la Cour fédérale et cette dernière a commis une erreur en ordonnant un redressement sans effet pratique. Par conséquent, je propose que notre Cour accueille l’appel et annule le jugement de la Cour fédérale.

[19] Étant donné que les deux parties ont fait avancer la présente affaire théorique longtemps après qu’elle aurait dû être abandonnée, je n’accorderais pas de dépens devant notre Cour ou devant les instances inférieures.

[20] La décision de notre Cour ne devrait pas être considérée comme un commentaire, dans un sens ou dans l’autre, sur le raisonnement ou les conclusions de la Cour fédérale ou de l’agent d’appel en l’espèce.

« David Stratas »

j.c.a.

« Je souscris à ces motifs.

Richard Boivin, j.c.a. »

« Je souscris à ces motifs.

Judith Woods, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme.

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-109-20

APPEL D’UN JUGEMENT RENDU PAR LE JUGE FOTHERGILL LE 25 MARS 2020, DOSSIER NO T-436-19

INTITULÉ :

COMPOSANTE AIR CANADA DU SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE c. AIR CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 mars 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE STRATAS

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE WOODS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 31 mars 2021

 

COMPARUTIONS :

James L. Robbins

 

Pour l’appelante

 

Rosalind H. Cooper

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cavalluzzo, s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

Pour l’appelante

 

Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

Pour l’intimée

 

 

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