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Date : 20210409


Dossier : A-451-19

Référence : 2021 CAF 68

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

LE JUGE RENNIE

 

ENTRE :

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

appelante

 

 

et

 

 

CHR INVESTMENT CORPORATION

 

 

intimée

 

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 4 février 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 9 avril 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LE JUGE RENNIE

 


Date : 20210409


Dossier : A-451-19

Référence : 2021 CAF 68

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

LE JUGE RENNIE

 

ENTRE :

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

appelante

 

 

et

 

 

CHR INVESTMENT CORPORATION

 

 

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE WEBB

[1] La question en litige dans le présent appel est de savoir si la Couronne devrait être tenue de répondre à six demandes d’engagement présentées lors de l’interrogatoire préalable du représentant de la Couronne. La Cour canadienne de l’impôt a conclu que la Couronne doit produire les documents demandés (s’ils existent) (2020 CCI 17). La Couronne appelle de cette ordonnance.

[2] Pour les motifs suivants, j’accueillerais l’appel.

I. Le contexte

[3] À la suite d’une réorganisation effectuée en 2008, CHR Investment Corporation (CHR) a acquis certaines sommes pour report (pertes autres qu’en capital et dépenses de recherche scientifique et de développement expérimental (RS&DE)) qui avaient été déboursées par une autre société. CHR a déclaré ces sommes reportées pour ses années d’imposition 2009 à 2013. Le ministre du Revenu national (le ministre) a établi une nouvelle cotisation à l’égard de CHR pour ces années et a refusé la déduction des sommes déclarées au motif que la règle générale anti-évitement (RGAÉ) énoncée à l’article 245 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (la Loi), s’appliquait.

[4] CHR a porté ces nouvelles cotisations en appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt. CHR a concédé qu’elle avait reçu un avantage fiscal et qu’il y avait eu une opération d’évitement. Par conséquent, la seule question qui sera en litige dans l’appel devant la Cour canadienne de l’impôt sera de savoir si l’opération d’évitement constituait un abus des dispositions de la Loi.

[5] La question à trancher dans le présent appel découle de certaines demandes formulées par CHR au cours de l’interrogatoire préalable du représentant de la Couronne. CHR a demandé les engagements suivants, qui sont énoncés au paragraphe 5 des motifs du juge de la Cour canadienne de l’impôt :

1. Fournir une copie de la lettre que la Direction de la politique législative de l’Agence du revenu du Canada (ARC) a envoyée au ministère des Finances le 1er février 2001.

2. Indiquer si la Direction de la politique législative de l’ARC a reçu une réponse du ministère des Finances à la lettre envoyée le 1er février, et dans l’affirmative, fournir une copie de cette réponse.

3. Fournir une copie de la lettre que la Direction de la politique législative de l’ARC a envoyée le 8 mars 2004 au ministère des Finances.

4. Demander à la Direction de la politique législative de l’ARC si le ministère des Finances a répondu à la lettre du 8 mars 2004.

5. Fournir une copie de la lettre écrite par la Direction de la politique législative de l’ARC en 2007 pour demander au ministère des Finances de recommander des modifications législatives.

6. Demander à la Direction de la politique législative de l’ARC si le ministère des Finances a répondu à l’engagement demandé ci-dessus (soit l’engagement no 5 ci-dessus) et dans l’affirmative, fournir une copie de cette réponse.

[6] La Couronne a pris ces demandes en délibéré et a par la suite informé CHR qu’elle ne fournirait pas les documents demandés au motif qu’ils n’étaient pas pertinents. La Couronne a également soutenu que les demandes constituaient une recherche à l’aveuglette, mais elle n’invoque pas cet argument dans le présent appel.

[7] CHR a demandé ces documents à la suite du rapport de l’automne 2009 de la vérificatrice générale, qui faisait référence à une lettre envoyée par l’Agence du revenu du Canada (ARC) au ministère des Finances décrivant certaines réorganisations de sociétés que l’ARC jugeait inappropriées. Les opérations visées dans cette lettre sont des opérations effectuées pour contourner les règles limitant l’utilisation des pertes autres qu’en capital d’une société par une société non affiliée. Rien n’indique que les opérations visées dans la lettre sont celles qui ont été effectuées par CHR.

[8] Interrogé sur le rapport de la vérificatrice générale, le représentant de la Couronne (qui était le vérificateur de l’ARC) a répondu qu’il n’avait pas vu ce rapport et qu’il n’en avait pas tenu compte dans son analyse des opérations effectuées par CHR, pas plus qu’il n’avait tenu compte de la lettre mentionnée dans ce rapport.

II. La décision de la Cour canadienne de l’impôt

[9] Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a reconnu que les décisions sur la politique sous-tendant les règles restreignant, dans certaines situations, la capacité d’une société à utiliser les pertes et les dépenses de RS&DE d’une autre société sont des questions de droit. Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a également noté ce qui suit, au paragraphe 14 de ses motifs :

[...] la jurisprudence reconnaît déjà que les documents sont admissibles en lien avec cette question à l’étape de l’interrogatoire préalable, y compris les documents qui se trouvaient dans le dossier de l’Agence en lien avec les étapes de la vérification du contribuable ou de l’opposition, et les documents examinés par un agent de l’Agence lors des étapes de la vérification du contribuable ou de l’opposition.

[10] Au paragraphe 15, il a affirmé ce qui suit :

[15] De plus, il est justifié de considérer qu’il convient de faire preuve de retenue judiciaire, même modeste, à l’égard de la version de l’intimée, quant à la politique appropriée, comme le prévoit le paragraphe 245(4). Il est bien établi qu’un certain degré de retenue judiciaire, même modeste encore une fois, peut être accordé aux déclarations du ministre quant à l’interprétation des lois fiscales qui sont publiées dans les bulletins d’interprétation en matière d’impôt et les circulaires d’information.

[11] Il a conclu, au paragraphe 16, qu’un champ d’enquête autorisé à l’étape de la communication préalable comprendrait des questions et des documents demandés pour déterminer si « la politique invoquée par le ministre aux fins de l’application du paragraphe 245(4) n’est pas entièrement conforme à d’autres énoncés financiers et administratifs sur le même sujet ». En conséquence, il a accueilli la requête de CHR et a ordonné à la Couronne de répondre aux six engagements demandés mentionnés ci-dessus.

III. La question en litige et les normes de contrôle

[12] La question est de savoir si le juge de la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur en ordonnant au ministre de répondre aux demandes d’engagement. Dans l’examen de cette question, l’accent sera mis sur la portée des questions auxquelles le représentant de la Couronne est tenu de répondre dans un interrogatoire préalable et qui se rapportent à des questions de droit, et sur la portée des documents que la Couronne est tenue de produire en rapport avec des questions de droit.

[13] Les normes de contrôle applicables sont celles énoncées dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33. Les questions de fait ou les questions mixtes de fait et de droit sont examinées selon la norme de l’erreur manifeste et dominante, tandis que les questions de droit sont examinées selon la norme de la décision correcte.

IV. Analyse

A. La question qui sera tranchée dans l’appel interjeté par CHR devant la Cour canadienne de l’impôt

[14] La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, au para. 66 (Hypothèques Trustco) (confirmé dans l’arrêt Copthorne Holdings Ltd. c. Canada, 2011 CSC 63, au para. 33) (Copthorne), a énoncé les trois conditions devant être remplies pour que la RGAÉ s’applique :

  1. il doit exister un avantage fiscal découlant d’une opération donnée;

  2. l’opération doit être une opération d’évitement;

  3. l’opération d’évitement doit être abusive en ce sens que l’avantage fiscal n’est pas conforme à l’objet ou à l’esprit des dispositions invoquées par le contribuable.

[15] En l’espèce, la question qui sera à trancher lorsque l’appel de CHR sera entendu par la Cour canadienne de l’impôt concerne la troisième condition : y a-t-il eu évitement fiscal abusif? Les engagements demandés en litige dans le présent appel doivent être examinés à la lumière de la question qui sera en fin de compte tranchée en l’espèce. La portée des questions de l’interrogatoire préalable et, par conséquent, des engagements à remplir est encadrée par les questions énoncées dans les actes de procédure, lesquelles en l’espèce se limitent à la question de savoir si les opérations effectuées par CHR ont entraîné un abus des dispositions pertinentes de la Loi.

[16] Pour déterminer s’il y a évitement fiscal abusif, la première étape consiste à définir l’objet ou l’esprit des dispositions pertinentes de la Loi. Cette étape s’effectue par une analyse textuelle, contextuelle et téléologique des dispositions pertinentes afin qu’en soit déterminée la raison d’être (Copthorne, au para. 70). Pour faciliter la lecture des présents motifs, l’objet et l’esprit des dispositions pertinentes seront appelés la raison d’être de ces dispositions.

[17] La détermination de la raison d’être des dispositions pertinentes est une question de droit (Canada c. Oxford Properties Group Inc., 2018 CAF 30, au para. 39).

[18] Les engagements demandés concernent la position du ministre sur la raison d’être des dispositions pertinentes telle qu’elle est exposée au paragraphe 45 de la réponse déposée auprès de la Cour canadienne de l’impôt :

[traduction]

45. En établissant une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelante, le ministre a posé les hypothèses suivantes :

a) le régime général établi par la Loi est d’interdire le transfert d’attributs fiscaux entre parties sans lien de dépendance, sous réserve de certaines exceptions expresses et facultatives;

b) les paragraphes 37(6.1), 111(5) et 127(9.1) et l’alinéa 256(7)b) de la Loi font partie de ce régime législatif;

c) l’objet et l’esprit des paragraphes 37(6.1), 111(5) et 127(9.1) de la Loi sont d’empêcher le transfert d’attributs fiscaux entre parties sans lien de dépendance dans le but d’exempter d’impôt le revenu de la personne obtenant accès aux attributs fiscaux, sous réserve d’une exception autorisant l’usage courant d’attributs fiscaux s’ils sont utilisés au sein de la même entreprise ou d’une entreprise semblable;

d) le paragraphe 256(7) fait partie des dispositions de la Loi visant à empêcher l’échange de pertes entre parties sans lien de dépendance.

[19] CHR reconnaît que les questions visées aux alinéas 45a) à d) de la réponse sont des questions de droit. Le seul fait énoncé dans ce paragraphe figure dans le passage introductif (avant l’alinéa a)) et il s’agit du fait que le ministre, en établissant la nouvelle cotisation à l’égard de CHR, s’est fondé sur l’hypothèse que le droit est tel qu’il est énoncé aux alinéas a) à d).

B. L’objectif général des interrogatoires préalables oraux

[20] Dans l’arrêt Canada c. Lehigh Cement Limited, 2011 CAF 120 (Lehigh), notre Cour a adopté la description de l’objet général de l’interrogatoire préalable oral formulée par la Cour fédérale dans l’arrêt Bande de Montana c. Canada, [2000] 1 C.F. 267, [1999] A.C.F. no 1088 (C.F. 1re inst.) (Bande de Montana) :

[30] D’abord, je crois que l’objectif général de l’interrogatoire préalable n’a pas changé. Dans l’arrêt Bande de Montana c. Canada, [2000] 1 C.F. 267 (Section de 1re inst.), au paragraphe 5, le juge Hugessen a décrit cet objectif comme suit :

L’interrogatoire préalable a pour objectif général de favoriser l’équité et l’efficacité de l’instruction en permettant à chacune des parties de se renseigner pleinement, avant l’instruction, sur la nature exacte des positions de toutes les autres parties, de façon à pouvoir définir avec précision les questions qui se posent. Il est dans l’intérêt de la justice que chaque partie soit le mieux informée au sujet des positions des autres parties afin de ne pas être défavorisée en étant surprise à l’instruction. Il est tout à fait approprié pour la Cour d’adopter une démarche libérale face à l’étendue des questions pouvant être posées au cours de l’interrogatoire préalable puisqu’une erreur qui serait commise en autorisant des questions non appropriées peut toujours être corrigée par le juge présidant l’instruction qui décide ultimement de toutes les questions ayant trait à l’admissibilité de la preuve; par ailleurs, toute erreur qui restreindrait indûment l’étendue de l’interrogatoire préalable peut mener à de graves problèmes ou même à des injustices au cours de l’instruction.

[Soulignement ajouté par notre Cour dans l’arrêt Lehigh.]

[21] Il convient de noter que les observations générales sur les interrogatoires préalables formulées par la Cour fédérale dans la décision Bande de Montana étaient fondées sur une affaire dont était saisie la Cour fédérale, et non la Cour canadienne de l’impôt. Les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, limitent les questions pouvant être posées en interrogatoire préalable aux questions de fait :

Étendue de l’interrogatoire

Scope of examination

240 La personne soumise à un interrogatoire préalable répond, au mieux de sa connaissance et de sa croyance, à toute question qui :

240 A person being examined for discovery shall answer, to the best of the person’s knowledge, information and belief, any question that

a) soit se rapporte à un fait allégué et non admis dans un acte de procédure déposé par la partie soumise à l’interrogatoire préalable ou par la partie qui interroge;

(a) is relevant to any unadmitted allegation of fact in a pleading filed by the party being examined or by the examining party; or

b) soit concerne le nom ou l’adresse d’une personne, autre qu’un témoin expert, dont il est raisonnable de croire qu’elle a une connaissance d’une question en litige dans l’action.

(b) concerns the name or address of any person, other than an expert witness, who might reasonably be expected to have knowledge relating to a matter in question in the action.

[Non souligné dans l’original.]

[emphasis added]

[22] Ceci a été confirmé dans la décision Bande de Montana :

[23] Bien entendu, il ne fait aucun doute que l’interrogatoire préalable ne peut porter que sur des questions de fait. Les questions de droit « pur » ne doivent évidemment pas être posées au déposant à cette étape. […]

[23] Par conséquent, les observations dans la décision Bande de Montana, citées dans l’arrêt Lehigh, doivent être interprétées à la lumière des Règles des Cours fédérales applicables qui limitaient les questions posées en interrogatoire préalable aux questions de fait.

C. La portée des interrogatoires préalables dans les instances devant la Cour canadienne de l’impôt

[24] Les Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), DORS/90-688a (Règles de la Cour canadienne de l’impôt), prévoient toutefois une portée plus large pour les questions pouvant être posées en interrogatoire préalable :

Portée de l’interrogatoire

Scope of Examination

95 (1) La personne interrogée au préalable répond, soit au mieux de sa connaissance directe, soit des renseignements qu’elle tient pour véridiques, aux questions pertinentes à une question en litige ou aux questions qui peuvent, aux termes du paragraphe (3), faire l’objet de l’interrogatoire préalable. Elle ne peut refuser de répondre pour les motifs suivants :

95 (1) A person examined for discovery shall answer, to the best of that person’s knowledge, information and belief, any proper question relevant to any matter in issue in the proceeding or to any matter made discoverable by subsection (3) and no question may be objected to on the ground that

a) le renseignement demandé est un élément de preuve ou du ouï-dire;

(a) the information sought is evidence or hearsay,

b) la question constitue un contre-interrogatoire, à moins qu’elle ne vise uniquement la crédibilité du témoin;

(b) the question constitutes cross-examination, unless the question is directed solely to the credibility of the witness, or

c) la question constitue un contre-interrogatoire sur la déclaration sous serment de documents déposée par la partie interrogée.

(c) the question constitutes cross-examination on the affidavit of documents of the party being examined.

[Non souligné dans l’original.]

[emphasis added]

[25] La limite imposée par les Règles de la Cour canadienne de l’impôt est celle-ci : les « questions pertinentes à une question en litige ». Cette limite plus large a été interprétée comme incluant les « questions pour déterminer la position juridique de la partie adverse » (Cherevaty c. Canada, 2016 CAF 71, au para. 18).

[26] La jurisprudence citée à l’appui de l’affirmation selon laquelle les « questions pertinentes à une question en litige » incluent les questions liées à la position juridique d’une partie est la décision Six Nations of the Grand River Band c. Canada [2000] O.J. no 1431, 48 O.R. (3d) 377 (décision Six Nations), une décision de la Cour divisionnaire de la Cour supérieure de justice de l’Ontario. La Cour divisionnaire a examiné la portée du paragraphe 31.06(1) des Règles de procédure civile, R.R.O. 1990, Règ. 194 (les Règles de l’Ontario), lequel, lorsque la décision a été rendue, disposait que les questions posées en interrogatoire préalable pouvaient se rapporter à toute question en litige :

31.06 (1) La personne interrogée au préalable répond au mieux de sa connaissance directe et des renseignements qu’elle tient pour véridiques, aux questions légitimes qui se rapportent à une question en litige ou aux questions qui peuvent, aux termes des paragraphes (2) à (4), faire l’objet de l’interrogatoire préalable. Elle ne peut refuser de répondre pour les motifs suivants :

31.06 (1) A person examined for discovery shall answer, to the best of his or her knowledge, information and belief, any proper question relating to any matter in issue in the action or to any matter made discoverable by subrules (2) to (4) and no question may be objected to on the ground that,

a) le renseignement demandé est un élément de preuve;

(a) the information sought is evidence;

b) la question constitue un contre-interrogatoire, à moins qu’elle ne vise uniquement la crédibilité du témoin;

(b) the question constitutes cross-examination, unless the question is directed solely to the credibility of the witness; or

c) la question constitue un contre-interrogatoire sur l’affidavit de documents déposé par la partie interrogée.

(c) the question constitutes cross-examination on the affidavit of documents of the party being examined.

[Non souligné dans l’original.]

[emphasis added]

[27] Au paragraphe 9 de la décision Six Nations, la Cour divisionnaire a formulé des observations sur le libellé général de ce paragraphe des Règles de l’Ontario :

[traduction]

[9] En ce qui concerne l’interrogatoire préalable, le paragraphe 31.06(1) des Règles de l’Ontario exige de la partie interrogée qu’elle réponde aux questions légitimes se rapportant à « une question en litige ». Il ressort d’une simple lecture de ce paragraphe que le sens du mot « question » est assez large pour englober autant une question de fait que la position prise par une partie à l’égard d’une question juridique. [...] Bien que les affaires auxquelles renvoie le juge Lane donnent du droit à l’interrogatoire préalable une interprétation beaucoup plus restrictive, l’expérience récente démontre qu’il existe un besoin réel, particulièrement dans les affaires complexes, de circonscrire les questions juridiques bien avant l’instruction. Pour les motifs donnés par le juge Kent, nous convenons que le paragraphe 31.06(2) des Règles de l’Ontario devrait recevoir l’interprétation large et téléologique que celui‑ci a appliquée afin de circonscrire les questions en litige.

[28] Avant 2008, les Règles de l’Ontario et les Règles de la Cour canadienne de l’impôt disposaient que la personne interrogée était tenue de répondre aux questions légitimes « qui se rapportent à » une question en litige. Dans les deux ensembles de règles, l’expression « qui se rapportent » a été remplacée par le mot « pertinentes » en 2008. Dans l’arrêt Lehigh (aux paras. 27 à 37), notre Cour a noté que la modification apportée à l’article 95 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt, par laquelle l’expression « qui se rapportent » à une question en litige a été remplacée par le mot « pertinentes » à l’égard d’une question en litige, ne constituait pas une modification importante de cette disposition.

[29] En se penchant sur la question d’un témoin profane répondant à des questions de droit et la portée de ces questions, la Cour divisionnaire, dans la décision Six Nations, a conclu ce qui suit :

[traduction]

[14] La thèse du Canada, selon laquelle le profane choisi par le défendeur pour répondre à l’interrogatoire préalable n’a pas la capacité de répondre aux questions qui exigent des conclusions de droit, est dénuée de fondement. Les Règles disposent que la personne interrogée au préalable doit se renseigner sur les questions soulevées (paragraphes 31.06(1) et 35.02(1) des Règles) et on ne s’attend pas à ce qu’elle ait personnellement connaissance de chaque question. Il existe également une disposition précise qui s’applique aux questions auxquelles il est répondu par un avocat (article 31.08 des Règles). De même, le fait que la personne interrogée au préalable ait prêté serment ne crée pas de problème. Cette personne n’est pas tenue de faire des déclarations sous serment quant à l’état du droit; elle doit simplement dire quelle est la position juridique actuelle du défendeur. Si cette position change, cette personne sera tenue d’en informer le demandeur, comme ce serait le cas pour toute autre personne dans un interrogatoire préalable.

[30] De même, les Règles de la Cour canadienne de l’impôt prévoient que la personne interrogée doit se renseigner sur les questions en cause (paragraphe 95(2) des Règles) et que l’avocat peut répondre aux questions (article 97 des Règles) s’il n’y a pas d’objection.

[31] Dans son examen du paragraphe 31.06(1) des Règles de l’Ontario (qui a essentiellement le même libellé que l’article 95 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt), la Cour divisionnaire a affirmé que l’obligation de la personne interrogée était d’énoncer la position juridique alors défendue par cette partie. Si on appliquait ce même principe en l’espèce, il s’ensuivrait que le représentant de la Couronne serait tenu de répondre aux questions pertinentes à l’égard de la position actuellement défendue par la Couronne sur la raison d’être des dispositions de la Loi qui sont en cause. Comme l’a fait observer la Cour suprême dans l’arrêt Hypothèques Trustco, au paragraphe 65, lorsque la RGAÉ est invoquée, le ministre a l’obligation de présenter la raison d’être des dispositions pertinentes. Par conséquent, il serait approprié que l’on pose, à l’interrogatoire préalable, des questions visant à clarifier la position défendue par le ministre sur la raison d’être applicable.

[32] Dans d’autres affaires concernant l’application de la RGAÉ dans le contexte des dispositions de la Loi sur la répartition de pertes, notre Cour a confirmé la conclusion de la Cour canadienne de l’impôt selon laquelle certains documents préparés par l’ARC devaient être divulgués. Plus précisément, notre Cour a fait observer ce qui suit dans l’arrêt Canada c. Superior Plus Corp., 2015 CAF 241 (Superior Plus) :

[8] Comme l’a conclu la Cour dans l’arrêt R. c. Lehigh Cement Limited, 2011 CAF 120 (Lehigh), dans des circonstances analogues, les renseignements relatifs à la politique de la Loi, même s’ils ne portent pas sur un contribuable donné, peuvent être pertinents lors de l’interrogatoire préalable. Nous admettons qu’une considération importante dans cet arrêt était que la Couronne avait elle‑même établi la pertinence des documents dont la communication était demandée en produisant une note de service interne sur le sujet (arrêt Lehigh, au paragraphe 41). Cependant, la pertinence en l’espèce est établie par la conclusion du juge de la Cour de l’impôt que les documents en cause ont été soit préparés lors de la vérification de Superior Plus, soit examinés par des fonctionnaires qui participaient à la vérification (motifs, au paragraphe 19). Nous ne voyons aucune raison de faire une distinction avec l’arrêt Lehigh. Comme toujours, le juge de première instance sera l’arbitre ultime des renseignements recueillis lors de la communication préalable.

[33] Contrairement aux arrêts Lehigh et Superior Plus, cependant, en l’espèce, la Couronne n’a pas établi la pertinence des documents demandés, et les documents en cause n’ont pas été préparés lors de la vérification de CHR ni examinés par des fonctionnaires qui participaient à la vérification. Il y a lieu d’établir une distinction avec les arrêts Lehigh et Superior Plus sur ce fondement.

D. Les erreurs commises par le juge de la Cour canadienne de l’impôt

[34] Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur manifeste et dominante en appliquant le droit aux faits de l’espèce. Bien qu’il ait reconnu que la jurisprudence permettait la divulgation de documents sur des questions de droit à l’étape de l’interrogatoire préalable lorsque ces documents ont été pris en considération lors de la vérification du contribuable ou se trouvent dans le dossier du contribuable, les faits en l’espèce sont clairs : les documents demandés n’ont pas été pris en considération lors de la vérification de CHR et ne se trouvaient pas dans le dossier de CHR.

[35] Le simple fait que, dans d’autres affaires relatives à la RGAÉ, on ait permis que soient posées des questions qui exigeaient la divulgation de documents ne signifie pas automatiquement que les documents demandés devraient être divulgués en l’espèce. Le juge de la Cour canadienne de l’impôt aurait dû tenir compte des faits applicables dans les autres affaires dans lesquelles la pertinence des documents avait été établie par la Couronne ou les documents avaient été examinés au cours de la vérification. En tranchant la présente affaire, le juge de la Cour canadienne de l’impôt aurait dû tenir compte des faits propres à l’espèce que la pertinence des documents n’avait pas été établie par la Couronne et que les documents en question n’avaient pas été examinés au cours de la vérification.

[36] La nature des documents dont la divulgation est demandée est également pertinente. Les documents demandés sont de la correspondance entre des fonctionnaires de l’ARC et du ministère des Finances. CHR cherche à obtenir cette correspondance pour déterminer si ces fonctionnaires ont exprimé une opinion sur la raison d’être des dispositions applicables qui irait à l’encontre de la position actuellement défendue par la Couronne ou serait incompatible avec celle-ci.

[37] Dans d’autres affaires, les demandes visant la divulgation d’opinions exprimées par des personnes du ministère des Finances ou de l’ARC n’ont pas été accueillies. Dans une décision subséquente portant sur le refus de répondre à des questions dans l’affaire Superior Plus Corp. (2016 CCI 217), la Cour canadienne de l’impôt a refusé d’obliger la Couronne à répondre à des questions relatives à des opinions exprimées par des fonctionnaires travaillant au ministère des Finances :

[79] Le problème est que, comme l’indique l’intimée, les opinions du ministère sur la question ne sont pas pertinentes pour déterminer si une telle politique existe réellement. L’existence de la prétendue politique est une question de droit, l’intimée ayant le fardeau de cerner clairement la politique sous-jacente à la législation pertinente qui serait contournée. C’est en se référant à l’intention du législateur, et non à l’intention d’un représentant du ministère, que l’analyse de la RGAÉ est faite. Les représentants du ministère estiment qu’une telle politique n’a pas d’incidence sur l’objet, l’esprit ou le but des dispositions pertinentes édictées par le législateur.

[38] De même, dans l’arrêt Madison Pacific Properties Inc. c. Canada, 2019 CAF 19, notre Cour a confirmé la décision de la Cour canadienne de l’impôt selon laquelle la Couronne n’était pas tenue de divulguer des lettres échangées entre l’ARC et le ministère des Finances dans une affaire où la RGAÉ était invoquée. Les lettres en question n’avaient pas été prises en considération lors de la vérification du contribuable. Notre Cour a également fait observer de qui suit, au paragraphe 28 :

[...] Il peut fort bien incomber au ministre, par souci d’équité, d’indiquer la politique contestée dans sa plaidoirie, comme le dit la décision Birchcliff Energy Ltd. v. Canada, [2012] T.C.J. no 354 (le juge C. Miller), citée avec approbation dans la décision Superior Plus Corp. c. La Reine, 2015 CCI 132, aux paragraphes 20 et 21, mais il ne s’ensuit pas que les éléments de preuve relatifs à la politique en cause sont recevables dans un procès, puisque les questions de droit doivent être tranchées par un tribunal.

[39] Notre Cour a également noté, au paragraphe 11, que, si une partie a le droit de connaître la position juridique de la partie opposée, cela n’inclut pas les questions concernant les recherches juridiques ou le raisonnement ayant mené à cette position.

[40] Le juge de la Cour canadienne de l’impôt en l’espèce a commis une erreur en élargissant la divulgation des documents liés à une question de droit pour exiger la divulgation de lettres qui n’ont pas été prises en compte lors de la vérification de CHR et dont par ailleurs la pertinence n’a pas été établie par la Couronne. Les documents ne sont pas des documents publiés par le ministère des Finances ou l’ARC. Les documents ne sont pas non plus demandés pour éclairer la position juridique de la Couronne, mais seulement pour déterminer si l’ARC ou le ministère des Finances, dans des lettres échangées entre fonctionnaires, a exprimé une opinion concernant la raison d’être des dispositions applicables qui contredit la raison d’être énoncée au paragraphe 45 de la réponse ou qui est incompatible avec celle-ci.

[41] Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a également commis une erreur en faisant allusion à une certaine retenue judiciaire, même modeste, qui pourrait être exercée à l’égard de la position du ministre sur la raison d’être des dispositions applicables qui serait énoncée dans la correspondance demandée. Comme l’a noté notre Cour dans l’arrêt Prescient Foundation c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 120 :

[13] [...] dans le cadre normal d’un contentieux portant sur la Loi, ni la Cour canadienne de l’impôt ni notre Cour n’est tenue de faire preuve de déférence à l’égard de l’interprétation de la Loi faite par l’ARC ou le ministre [...]

[42] Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur en indiquant que les opinions exprimées quant à la raison d’être des dispositions applicables de la Loi pouvant figurer dans les lettres demandées par CHR dans la présente affaire pouvaient faire l’objet d’une quelconque retenue judiciaire.

E. L’allégation de CHR selon laquelle elle a le droit de connaître la raison d’être qui a été adoptée lors de l’établissement de sa nouvelle cotisation

[43] À l’audience pour le présent appel, CHR a insisté sur le fait qu’elle avait le droit de savoir si le ministre avait adopté la même interprétation de la raison d’être des dispositions applicables lorsque CHR a fait l’objet de la nouvelle cotisation. CHR a fait valoir qu’elle avait par conséquent droit à la correspondance demandée pour savoir si celle-ci révélait une interprétation différente de celle exprimée dans la réponse. La position de CHR implique qu’il y aurait une quelconque conséquence inconnue si le ministre avait adopté une interprétation différente de la raison d’être des dispositions applicables lors de l’établissement de la nouvelle cotisation de CHR.

[44] Bien que CHR n’ait pas invoqué de jurisprudence à l’appui de cette observation, il semble que celle-ci puisse être fondée sur l’arrêt de notre Cour Canada c. Loewen, 2004 CAF 146 (Loewen), ou sur la décision de la Cour canadienne de l’impôt Birchcliff Energy Ltd v. The Queen, [2012] T.C.J. no 354, [2013] 3 C.T.C. 2169 (Birchcliff).

[45] Notre Cour a fait observer ce qui suit dans l’arrêt Loewen :

[11] Les contraintes imposées au ministre lorsqu’il invoque des hypothèses n’empêchent cependant pas Sa Majesté de soulever, ailleurs dans la réponse, des allégations de fait et des moyens de droit qui sont étrangers au fondement de la cotisation. Si Sa Majesté allègue un fait qui ne fait pas partie des faits présumés par le ministre, la charge de la preuve repose sur elle. Ce principe est bien expliqué dans la décision Schultz c. Canada, [1996] 1 C.F. 423, [1996] 2 C.T.C. 127, 95 D.T.C. 5657 (C.A.F.) (autorisation d’appel refusée [1996] A.C.S.C. no 4).

[46] Les observations dans l’arrêt Loewen se rapportent à des allégations de faits qui ne faisaient pas partie des hypothèses de fait ayant servi à l’établissement de la nouvelle cotisation du contribuable. Si, dans sa réponse, le ministre renvoie à des faits qui ne faisaient pas partie des hypothèses de fait sur lesquelles il s’était fondé lors de l’établissement de la nouvelle cotisation, il lui incombe de prouver ces faits. Ce principe selon lequel il incombe au ministre de prouver certains faits ne s’applique pas en l’espèce puisque la raison d’être des dispositions pour l’application de la RGAÉ est une question de droit et non une question de fait.

[47] Les premiers mots du paragraphe 45 de la réponse ([traduction] « [e]n établissant une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelante, le ministre a supposé ») n’ont pas la même importance que des hypothèses de fait invoquées par le ministre. Comme le reconnaît CHR, les alinéas 45a) à d) exposent la position juridique du ministre quant à la raison d’être des dispositions applicables. Aucun fait n’est énoncé au paragraphe 45 de la réponse, sauf le fait que le ministre, lorsqu’il a établi la nouvelle cotisation à l’égard de CHR, a supposé que le droit était tel qu’il est décrit aux alinéas a) à d).

[48] Si la Couronne avait l’intention d’inclure le paragraphe 45 comme faisant partie des hypothèses de fait formulées par le ministre, ce serait inapproprié. Comme l’a noté le juge Rothstein, s’exprimant au nom de notre Cour, dans l’arrêt Canada c. Anchor Pointe Energy Ltée, 2003 CAF 294 :

[25] J’estime également que les déclarations ou conclusions juridiques n’ont pas leur place dans l’énoncé des hypothèses de fait du ministre. Il en découlerait pour le contribuable le fardeau de réfuter une déclaration ou conclusion juridique et, bien sûr, cela ne doit pas être. Le critère juridique à appliquer n’a pas à être prouvé par les parties comme s’il s’agissait d’un fait. Les parties doivent présenter leurs arguments relativement au critère juridique, mais c’est à la Cour qu’il incombe en bout de ligne de trancher les questions de droit.

[49] Cette déclaration selon laquelle le critère juridique à appliquer doit être fondé sur les observations présentées à l’audience est pertinente par rapport aux observations de la Cour canadienne de l’impôt dans la décision Birchcliff. Dans la décision Birchcliff, la Cour canadienne de l’impôt a conclu que le contribuable avait le droit de connaître [traduction] « le fait réel qui consiste à savoir sur quelle politique la Couronne s’est effectivement fondée » (paragraphe 18). Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a également reconnu que le point de vue de la Couronne sur la politique applicable pouvait changer :

[traduction]

[23] [...] Même si la politique peut être défendue différemment au procès, l’appelant a le droit de connaître le point de départ. Une fois que la politique invoquée est divulguée, la nature de l’abus est une question que chaque partie peut définir ou contredire à partir des faits liés aux opérations. L’intimée a certainement donné quelques indications que l’abus est lié à l’acquisition du contrôle, bien que cela pourrait être énoncé plus clairement dans les actes de procédure, mais pas dans la section des faits.

[50] Cependant, il est loin d’être clair qu’il est pertinent de savoir sur quelle politique en particulier le ministre ou la Couronne a pu se fonder dans le passé. L’interprétation de la raison d’être par le ministre ou la Couronne peut changer avec le temps et peut avoir changé entre le moment où le contribuable a fait l’objet d’une nouvelle cotisation et le moment où la réponse est rédigée. La position exposée dans la réponse sera par contre celle qui sera défendue à l’audience devant la Cour canadienne de l’impôt, à moins qu’une raison d’être différente ne soit proposée avant. La question que la Cour devra trancher sera celle de savoir quelle était la raison d’être des dispositions en cause selon le législateur, et non celle de savoir qu’elle était la raison d’être de ces dispositions selon le ministre ou la Couronne à un moment donné.

[51] Je conviens que la Couronne, dans un appel fondé sur la RGAÉ devant la Cour canadienne de l’impôt, est tenue d’énoncer sa position sur la raison d’être des dispositions pertinentes de la Loi et que son représentant, lors de l’interrogatoire préalable, est tenu de répondre aux questions visant à clarifier la position de la Couronne. Il s’agit alors de la position que la Couronne défendra à l’audience devant la Cour canadienne de l’impôt, qui pourrait différer d’une position antérieurement adoptée par le ministre. L’obligation de répondre aux questions à l’interrogatoire préalable n’inclurait toutefois pas l’obligation de répondre à des questions concernant des opinions antérieures qui auraient pu être exprimées dans des lettres entre l’ARC et le ministère des Finances, à moins que ces opinions n’aient été prises en compte au cours de la vérification ou que la Couronne n’en ait admis la pertinence.

F. L’admissibilité d’une opinion contraire ou incompatible à l’audience devant la Cour canadienne de l’impôt

[52] Il est également loin d’être clair qu’il existe un fondement qui rendrait une déclaration antérieure faite par des fonctionnaires de l’ARC ou du ministère des Finances concernant la raison d’être des dispositions applicables admissible dans l’appel devant la Cour canadienne de l’impôt. Dans l’arrêt Syrek c. Canada, 2009 CAF 53, le juge Nadon, s’exprimant au nom de notre Cour, s’est penché sur la question de l’admissibilité d’un avis juridique sur une question de droit interne qui devait être tranchée par la Cour :

[28] Les questions posées à Me Ashenbrenner et les réponses qu’elle a fournies en retour concernaient nettement, à mon humble avis, une question de droit à être tranchée par le juge. Il est bien établi en droit que les questions de droit ne sont pas des questions à l’égard desquelles les tribunaux vont admettre des témoignages d’opinion. Dans The Law of Evidence in Canada, John Sopinka & Sidney N. Lederman & Alan M. Bryant, 2e éd. (Toronto et Vancouver : Butterworths) p. 640, par. 12.83, voici ce que disent les auteurs :

[traduction] Les questions de droit interne, contrairement au droit étranger, ne sont pas des questions pour lesquelles un tribunal admettra des témoignages d’opinion.

[29] Afin d’étayer la proposition qui précède, les auteurs se reportent à l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario, R. c. Century 21 Ramos Realty Inc. (1987), 58 O.R. (2d) 737, p. 752, dans lequel la Cour a énoncé le principe comme suit :

[traduction] Le juge était saisi d’une question de droit, à savoir ce que constitue une appropriation. Il appartenait au juge de déterminer, conformément à la définition légale, s’il y avait eu appropriation et quand cette appropriation avait eu lieu. Il ne s’agissait pas d’une question sur laquelle un témoin expert pouvait témoigner.

[30] Conséquemment, le juge a eu tort de s’appuyer, ne serait-ce qu’en partie, sur l’opinion de Me Ashenbrenner quant à savoir si l’accord était exécutoire ou si l’appelant était lié par ses conditions.

[53] Par conséquent, toute opinion exprimée sur la raison d’être des dispositions applicables ne serait pas admissible, car il s’agirait d’opinions exprimées sur le droit interne, qui relève de la compétence de la Cour.

V. Conclusion

[54] Les tribunaux ont reconnu que la Couronne peut être tenue de répondre à certaines questions ou de divulguer certains documents liés à des questions de droit lors de l’interrogatoire préalable du représentant de la Couronne dans une instance devant la Cour canadienne de l’impôt dans l’un ou l’autre des cas suivants :

  • a) ces documents ont été examinés lors de la vérification du contribuable;

  • b) la Couronne a établi ou admis que ces documents sont pertinents;

  • c) les questions visent à clarifier la position juridique de la Couronne.

[55] Comme l’a noté la Cour divisionnaire dans la décision Six Nations, lorsqu’une personne répond à des questions concernant le droit, elle ne témoigne pas de la véracité de cette opinion, mais elle énonce simplement la position alors défendue par cette partie quant à l’interprétation du droit. Étant donné que les témoins, à l’audience devant la Cour canadienne de l’impôt, ne seraient pas autorisés à donner leur opinion sur des questions de droit interne, il n’y a aucune raison de tenter de mettre en doute la crédibilité d’un témoin en lui opposant des déclarations antérieures contradictoires sur le droit interne.

[56] En l’espèce, aucun des documents demandés n’a été pris en considération par le ministre pour invoquer la RGAÉ. La pertinence de ces documents n’a pas été établie ni admise par la Couronne. Les documents ne sont pas demandés pour clarifier la position juridique de la Couronne, mais seulement pour déterminer si quelqu’un à l’ARC ou au ministère des Finances, dans les lettres demandées, a exprimé une opinion concernant la raison d’être des dispositions applicables qui contredirait la justification énoncée au paragraphe 45 de la réponse ou qui serait incompatible avec celle-ci. Même si une telle opinion contraire existait, il s’agirait d’une opinion sur une question de droit interne et elle ne serait pas admissible dans l’appel devant la Cour canadienne de l’impôt. Par conséquent, rien ne justifie qu’on oblige la Couronne à répondre aux engagements demandés.

[57] Par conséquent, j’accueillerais l’appel, avec dépens, et j’annulerais la décision de la Cour canadienne de l’impôt. Rendant la décision que la Cour canadienne de l’impôt aurait dû rendre, je rejetterais la requête déposée par CHR en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant à la Couronne de répondre aux six engagements demandés, avec dépens en faveur de la Couronne.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

D.G. Near j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Donald J. Rennie j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UNE ORDONNANCE DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT DATÉE DU 29 NOVEMBRE 2019 (MODIFIÉE LE 17 JANVIER 2020), RÉFÉRENCE NO 2020 CCI 17, DOSSIER NO 2017-4745(IT)G

DOSSIER :

A-451-19

 

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LA REINE c. CHR INVESTMENT CORPORATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 février 2021

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LE JUGE RENNIE

DATE DES MOTIFS :

Le 9 avril 2021

COMPARUTIONS :

Carla Lamash

Pour l’appelante

Jehad Haymour

Sophie Virji

Pour l’intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’appelante

Bennett Jones LLP

Calgary (Alberta)

Pour l’intimée

 

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