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Date : 20210409


Dossier : A-193-20

Référence : 2021 CAF 69

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE NEAR

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

COMPAGNIE DE CHEMIN DE FER CANADIEN PACIFIQUE

appelante

et

OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

intimé

Audience tenue par vidéoconférence en ligne organisée par le greffe, le 16 mars 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 9 avril 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LA JUGE GLEASON

 


Date : 20210409


Dossier : A-193-20

Référence : 2021 CAF 69

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE NEAR

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

COMPAGNIE DE CHEMIN DE FER CANADIEN PACIFIQUE

appelante

et

OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

I. Introduction

[1] La Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (le CP) interjette appel devant notre Cour à l’encontre de la lettre-décision no LET-R-29-2020 (la décision) dans laquelle l’Office des transports du Canada (l’Office) a modifié la base sur laquelle le coût du capital (CC) du CP est déterminé. Le CC est une composante dans la détermination de l’indice des prix composite afférent au volume (IPCAV) du CP, qui, à son tour, influe sur les revenus maximaux que le CP peut gagner pour le mouvement du grain de l’Ouest au cours d’une campagne agricole (le revenu admissible maximal ou RAM). Plus précisément, le CP conteste la thèse de l’Office selon laquelle les capitaux empruntés pour usage général, notamment la dette contractée dans le but de racheter des actions, doivent être pris en considération dans la détermination du CC. De plus, le CP interjette appel de la détermination no R-2020-81 qui détermine l’IPCAV du CP en utilisant le CC obtenu après avoir inclus dans le calcul les capitaux empruntés pour usage général. Étant donné que le sort de la détermination no R-2020-81 dépend de l’issue de l’appel de la décision, les présents motifs porteront sur cette dernière.

[2] Le CP a soulevé trois motifs d’appel. Premièrement, le CP soutient que l’Office a manqué à son devoir d’équité procédurale en refusant de la consulter, comme il l’avait fait avec son concurrent la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (le CN), quant à l’inclusion des capitaux empruntés pour usage général, y compris la méthode d’attribution de ces capitaux entre les activités réglementées et non réglementées. Deuxièmement, le CP allègue que l’Office a commis une erreur de droit en lui appliquant la détermination du CC du CN. Enfin, le CP fait valoir que l’Office a commis une erreur de droit en incluant la dette non ferroviaire dans la détermination de son CC.

[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus que le processus suivi par l’Office ne respectait pas les principes d’équité procédurale et, par conséquent, la décision devrait être annulée, sauf pour les parties qui ne sont pas portées en appel. Compte tenu de la présente conclusion, il ne sera pas nécessaire de traiter la question de l’inclusion de la dette non ferroviaire dans la détermination du CC du CP.

II. Exposé des faits

[4] Le coût du mouvement du grain de l’Ouest jusqu’au port est un problème depuis de nombreuses décennies pour les producteurs. À l’origine, le taux était fixé par la loi, le tarif de la Passe du Nid-de-Corbeau, et plus récemment le RAM, qui est énoncé à l’article 150 de la Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10 (la Loi), et déterminé selon la formule énoncée à l’article 151 de la Loi.

[5] Bien que l’application de cette formule ne soit pas en cause dans le présent appel, elle est néanmoins utile pour comprendre les enjeux et, pour cette raison, l’article 151 est reproduit ci-dessous :

151 (1) Le revenu admissible maximal d’une compagnie de chemin de fer régie pour le mouvement du grain au cours d’une campagne agricole est calculé par l’Office selon la formule suivante :

151 (1) A prescribed railway company’s maximum revenue entitlement for the movement of grain in a crop year is the amount determined by the Agency in accordance with the formula

[A/B + ((C - D) × 0,022 $)] × E × F

[A/B + ((C - D) × $0.022)] × E × F

where

A représente le revenu de la compagnie pour le mouvement du grain au cours de l’année de référence;

A is the company’s revenues for the movement of grain in the base year;

B le nombre de tonnes métriques correspondant aux mouvements de grain effectués par la compagnie au cours de l’année de référence;

B is the number of tonnes of grain involved in the company’s movement of grain in the base year;

C le nombre de milles correspondant à la longueur moyenne des mouvements de grain effectués par la compagnie au cours de la campagne agricole, tel qu’il est déterminé par l’Agence;

C is the number of miles of the company’s average length of haul for the movement of grain in that crop year as determined by the Agency;

D le nombre de milles correspondant à la longueur moyenne des mouvements de grain effectués par la compagnie au cours de l’année de référence;

D is the number of miles of the company’s average length of haul for the movement of grain in the base year;

E le nombre de tonnes métriques correspondant aux mouvements de grain effectués par la compagnie au cours de la campagne agricole, tel qu’il est déterminé par l’Office;

E is the number of tonnes of grain involved in the company’s movement of grain in the crop year as determined by the Agency; and

F l’indice des prix composite afférent au volume applicable à la compagnie, tel qu’il est déterminé par l’Office.

F is the volume-related composite price index that applies to the company, as determined by the Agency.

[6] Un bref examen de la formule montre comment elle est censée fonctionner. La formule calcule le revenu par tonne métrique correspondant aux mouvements de grain effectués au cours de l’année de référence (A/B). Elle ajuste ce montant d’argent pour tenir compte de la différence de la longueur moyenne des mouvements entre l’année en question et l’année de référence (C – D) et applique un taux réglementaire au total pour obtenir un taux ajusté par tonne par milles pour l’année de référence. Ce chiffre est ensuite multiplié par les tonnes métriques correspondant aux mouvements de grain au cours de l’année en question et multiplié par l’IPCAV pour obtenir le RAM de la compagnie de chemin de fer. Puisque A, B et D sont fixés aux paragraphes 151(2) et (3) de la Loi et que le taux réglementaire est fixé dans la formule elle-même, le plafond de revenu ou le RAM ne changera que si la longueur moyenne des mouvements, les tonnes métriques correspondant aux mouvements de grain effectués en un an et l’IPCAV changent. La longueur des mouvements et les tonnes métriques correspondant aux mouvements de grain effectués sont des facteurs sur lesquels les compagnies de chemin de fer ont peu de contrôle, étant donné leurs obligations liées au niveau de services : voir le paragraphe 113(1) de la Loi. Bien que l’IPCAV ne soit pas le seul facteur influant sur le RAM d’une compagnie de chemin de fer, il s’agit d’un facteur important.

[7] L’IPCAV pour la campagne agricole de 2016-2017 pour le CN et le CP est fixé à 1,3275 au paragraphe 151(4) de la Loi. Par la suite, l’Office est tenu de déterminer séparément l’IPCAV pour chacune des compagnies avant le 30 avril de la campagne agricole suivante.

[8] L’un des éléments du calcul de l’IPCAV est le CC qui tient compte du coût des capitaux empruntés d’une compagnie de chemin de fer ainsi que du coût du capital-actions ordinaire. Le présent appel concerne la nature des capitaux empruntés utilisés dans le calcul. Pour comprendre ce qui suit, il est nécessaire de comprendre à quoi les parties se réfèrent. Dans les communications entre les parties et dans les décisions de l’Office, il est question de dette à long terme, de capitaux empruntés pour usage général et de dette non ferroviaire. Un bref examen des décisions rendues par l’Office montre la distinction qui est faite entre ces types de dettes.

[9] En 2018, le CN a demandé à l’Office de modifier la base sur laquelle sa dette était affectée au bilan réglementaire. Dans sa décision en réponse à cette demande, l’Office a décrit la méthode d’affection en place à l’époque :

Dans cette décision [la décision no 125-R-1997], l’Office concluait « qu’aux fins du coût du capital, le fait de se fonder sur la dette à long terme de l’ensemble du CN, réduite en fonction des activités non ferroviaires identifiables, était un bon moyen de déterminer la dette à long terme du CN ». On considère que la dette fait partie du bilan réglementaire de CN, sauf si CN peut prouver qu’elle a été contractée pour des besoins précis autres que pour des activités ferroviaires, ou encore pour financer des activités du côté américain. Chaque titre de créance est affecté en totalité, en partie ou pas du tout aux activités ferroviaires du côté canadien.

Lettre-décision no LET-R-33-2019 (la décision relative au nombre de TMP [tonnes-milles payantes] de 2019)

[10] Ce passage montre les types de dettes qui n’ont pas été prises en compte dans la détermination du CC du CN au moment où il a fait sa demande : la dette contractée pour des besoins non ferroviaires précis et la dette contractée pour financer les activités du CN aux États-Unis. Chaque titre de créance a été affecté en tout ou en partie aux activités canadiennes ou américaines. L’Office était d’accord avec le CN pour dire que cette méthode d’imputation faussait le rôle de la dette dans la détermination de son CC. L’Office a décidé de lancer un examen de la question, mais, dans l’intervalle, il a mis en œuvre une approche provisoire, la méthodologie fondée sur le nombre de TMP, pour répartir la dette :

Selon cette méthode, les capitaux empruntés pour usage général seraient imputés au bilan réglementaire de CN selon la proportion du nombre total de TMP de CN effectué en sol canadien. Grâce à cette méthode, on s’assure que l’imputation de la dette à long terme de CN à son bilan réglementaire soit étroitement liée à la proportion de ses activités au Canada. L’approche vient modifier comme suit la pratique courante d’imputation des titres de créance précis :

1. une dette à long terme qui peut être précisément répartie entre deux pays continuerait d’être imputée de la même façon;

2. tous les capitaux empruntés pour usage général seraient imputés au bilan réglementaire en fonction de la proportion de TMP de CN en sol canadien de l’année au cours de laquelle le titre de créance a été émis.

Décision relative au nombre de TMP de 2019

[11] Le changement de méthode signifie que, à l’exception de la dette qui peut être directement liée aux activités américaines du CN, toute la dette à long terme, tant ferroviaire que non ferroviaire, sera prise en compte et répartie entre des fins réglementaires et non réglementaires à l’aide de la méthode fondée sur le nombre de TMP. C’est là le sens de la référence à un usage général au point 2 du passage cité ci-dessus. Ainsi, en ce qui concerne l’Office, les capitaux empruntés pour usage général constituent toute la dette à long terme (ferroviaire et non ferroviaire), à l’exception de la dette qui peut être directement liée aux activités du CN aux États-Unis.

[12] Par ailleurs, bien que le CP utilise l’expression capitaux empruntés pour usage général dans certaines de ses observations à l’Office, il a tendance à la placer entre guillemets, « capitaux empruntés pour usage général », ce qui me semble être une expression subtile de désaccord avec le concept des capitaux empruntés pour usage général que l’Office utilise. La préoccupation du CP est l’inclusion de la dette non ferroviaire dans la détermination de son CC.

[13] Par conséquent, j’utiliserai les capitaux empruntés pour usage général de la même manière que l’Office et je parlerai de la dette non ferroviaire lorsque je ferai référence à la thèse du CP.

[14] Une autre expression qui revient dans les documents au dossier est « bilan réglementaire ». Les entités réglementées sont tenues de rendre des comptes à l’Office de façon déterminée afin d’assurer l’exactitude et la cohérence des rapports. Ces rapports donnent lieu à un bilan qui est utilisé à des fins réglementaires, y compris, sans toutefois s’y limiter, la détermination du CC de l’entité. Pour les besoins des présents motifs, les références à l’inclusion dans le bilan réglementaire du CN ou du CP devraient être considérées comme une référence à l’inclusion d’un élément dans la détermination du CC de la compagnie de chemin de fer.

[15] Avec ce lexique à l’esprit, je reviens au récit historique. En 2009, l’Office a rejeté l’argument du CN selon lequel la dette contractée dans le but de racheter des actions devrait être exclue du calcul du CC parce qu’il s’agissait d’une activité non ferroviaire identifiable. L’Office a estimé que le secteur d’activité principal, sinon exclusif, du CN étant l’activité ferroviaire, il ne considérait pas cette dette comme une dette non ferroviaire : voir la lettre-décision no LET-R-49-2009 (décision relative au rachat de 2009).

[16] Le CP allègue que la décision relative au rachat de 2009 était une décision confidentielle dont il n’était pas au courant jusqu’à ce qu’il en ait exigé sa production en 2019. L’Office convient que le CP n’avait pas reçu de copie de la décision en temps opportun, mais affirme que l’omission de la communiquer était une erreur administrative.

[17] Comme nous l’avons vu, l’une des questions du CN concernant la détermination du CC était l’inclusion de la dette associée à ses activités ferroviaires aux États-Unis. Dans son mémoire des faits et du droit, au paragraphe 25, l’Office a décrit les préoccupations du CN comme suit :

[traduction]

En août 2017 et le 24 mai 2018, le CN a soulevé auprès de l’Office la question de savoir comment il devrait affecter les capitaux empruntés pour usage général dans le cadre de ses déterminations du CC, dans le contexte de la révision de l’IPCAV du CN [sic] et du CP pour la campagne agricole 2018-2019. Cette révision a été effectuée à la suite des modifications législatives de la partie III, section IV de la Loi sur les transports au Canada, qui demandaient une révision de l’IPCAV des compagnies de chemin de fer cette année-là. Plus précisément, le CN a demandé à l’Office d’envisager d’adopter une approche nord-américaine pour déterminer sa structure du capital ou, à titre subsidiaire, de réexaminer comment le CN pourrait répartir sa dette déclarée entre ses activités canadiennes et américaines.

[18] L’Office a répondu en indiquant que cette question devrait être traitée dans le processus de détermination du CC. Dans sa décision ultérieure relative au nombre de TMP de 2019, que nous avons évoquée plus tôt pour clarifier les termes utilisés par les parties, l’Office a indiqué qu’il proposait d’adopter une approche provisoire de la répartition, c’est-à-dire la méthode fondée sur le nombre de TMP. Une TMP est le transport d’une tonne de marchandises sur un mille. La méthode fondée sur le nombre de TMP répartit les capitaux empruntés pour usage général entre l’usage réglementé de la compagnie de chemin de fer et d’autres utilisations dans la proportion de TMP réglementaire par rapport au total des TMP de la compagnie de chemin de fer.

[19] L’Office a donné au CN jusqu’au 1er mai 2019 pour répondre à sa thèse sur la répartition de la dette à long terme (délai qui a ensuite été prolongé jusqu’au 15 juillet 2019) et jusqu’au 1er avril 2019 en ce qui concerne la méthode fondée sur le nombre de TMP. L’importance de la date d’avril est que l’Office est tenu d’établir l’IPCAV d’une compagnie de chemin de fer au plus tard le 30 avril de la campagne agricole suivante (voir le paragraphe 151(5) de la Loi) qui commence le 1er août de cette année (voir l’article 147 de la Loi).

[20] Dans l’intervalle, le CP a reçu une copie de la décision relative au nombre de TMP de 2019 en avril 2019, ce qui l’a incité à demander s’il ferait partie du processus de consultation. L’Office a répondu que la consultation aurait lieu exclusivement avec le CN.

[21] Conformément à la date limite prévue par la loi, dans la lettre-décision no LET-R-41-2019 (la décision relative au CC du CN de 2019), l’Office a appliqué la décision de 2019 relative au nombre de TMP à la détermination du CC du CN pour la campagne agricole 2019-2020.

[22] Cette décision n’a pas été communiquée au CP à l’époque.

[23] En décembre 2019, l’Office a informé le CP qu’il avait l’intention d’appliquer la méthode fondée sur le nombre de TMP aux capitaux empruntés pour usage général du CP pour la détermination de son CC. Le CP s’est opposé et a demandé à l’Office de lancer un processus de consultation avant de lui imposer cette méthode, mais l’Office a refusé de le faire.

[24] Peu de temps après, le 14 janvier 2020, l’Office a écrit au CP (la lettre d’appel) pour lui demander des renseignements nécessaires pour déterminer son CC pour la campagne agricole de2020-2021. Plus précisément, la lettre d’appel demandait que le CP soumette des données sur les tonnes-milles payantes pour toutes les années au cours desquelles le CP avait contracté une dette pour un usage général, indiquant que, à l’exception de la dette directement liée aux activités du CP aux États-Unis, [traduction] « tous les autres capitaux empruntés pour usage général [seraient] affectés au bilan réglementaire du [CP] selon la proportion du nombre total de tonnes-milles payantes sur l’ensemble du réseau au Canada durant l’année au cours de laquelle l’emprunt est contracté jusqu’à ce qu’une autre méthodologie soit approuvée par l’Office » : cahier d’appel, p. 31 (lettre d’appel). Ces renseignements ont été fournis le 14 février 2020.

[25] Le CP a répondu à la lettre d’appel le 3 février 2020 (réponse du CP). Le CP a remis en question l’utilisation de l’expression capitaux empruntés pour usage général en la mettant entre guillemets (« capitaux empruntés pour usage général ») dans ses observations préliminaires. La thèse du CP sur la caractérisation de la dette figure plus loin dans sa lettre lorsqu’il indique : [traduction] « Le CP a recours aux dettes pour deux raisons principales. La première est de financer l’acquisition et l’entretien des actifs ferroviaires. La seconde est à des fins non réglementées d’ordre général, dont le rachat d’actions », en d’autres termes, la dette non liée à l’exploitation ferroviaire : dossier d’appel, p. 40. Selon le CP, la dette contractée pour financer les rachats d’actions est une dette non ferroviaire, mais la dette à long terme peut servir à d’autres fins qui ne sont pas liées à l’exploitation ferroviaire. Ainsi, bien que les observations du CP portent principalement sur les rachats d’actions, elles visent à inclure toutes les dettes non ferroviaires :

[traduction]

La proposition de l’Office d’imputer les capitaux empruntés non réglementaires à l’exploitation ferroviaire réglementée n’est pas conforme à la Classification uniforme des comptes (CUC) [décrite ci-dessous], elle n’est pas conforme à la pratique antérieure, et l’Office n’a pas le mandat de mettre en œuvre cette proposition.

Réponse du CP, dossier d’appel, p. 40

[26] La thèse du CP sur la dette non ferroviaire était qu’elle ne pouvait pas être correctement imputée à son bilan réglementaire en raison de l’orientation donnée dans la Classification uniforme des comptes et documents ferroviaires connexes (2014), (la CUC, accessible en ligne à l’adresse https://otc-cta.gc.ca/fra/publication/classification-uniforme-des-comptes-et-documents-ferroviaires-connexes-2014). La CUC « spécifie les instructions comptables et le cadre de classification des comptes pour l’exploitation ferroviaire de ces transporteurs ». « La CUC explique également comment consigner les statistiques d’exploitation et définit les catégories pour de telles données » : CUC, section 1000.

[27] Le CP a repéré plusieurs dispositions de la CUC qui, à son avis, empêchaient de traiter les « capitaux empruntés pour usage général » (faisant référence à la partie non ferroviaire de ces capitaux empruntés) de la manière proposée par l’Office, notamment :

1202.07 L’Office n’accepte aucune présentation concernant les activités non ferroviaires des transporteurs, et il ne prescrit non plus aucun principe ou aucune méthode comptable à ce sujet.

[...]

1203.01 Tous les comptes prévus dans la présente CUC doivent comprendre uniquement des opérations et des soldes résultant de l’exploitation ferroviaire canadienne, selon la définition suivante :

1203.02 L’exploitation ferroviaire comprend le transport ferroviaire de marchandises et de passagers (interurbain et banlieue), ainsi que le transport intermodal où la compagnie de chemin de fer exploite des modes autres que le transport ferroviaire pour compléter le mouvement par chemin de fer.

[...]

1203.06 Lorsque des éléments comme l’encaisse, les débiteurs et les créditeurs relèvent d’une fonction de trésorerie distincte et non pas de la division du transport ferroviaire, on n’utilisera pas les comptes prescrits de la CUC pour de tels éléments.

[28] Pour résumer, le CP allègue que, dans la mesure où la dette est utilisée pour des rachats d’actions, une activité entreprise par sa société mère (le CPL), cette dette est liée à des activités non ferroviaires de sorte que son intégration dans les comptes réglementaires est exclue par les dispositions mentionnées ci-dessus. Selon le CP, [traduction] « [...] l’Office n’a pas pour mandat de réglementer l’émission de titres de créance pour financer des programmes de rachat d’actions » : réponse du CP, dossier d’appel, p. 40.

[29] De plus, le CP a fait valoir que le changement proposé par l’Office a eu des conséquences importantes sur ses rapports financiers et sur ceux du CPL, lesquels ont été préparés en fonction [traduction] « des règlements existants, des normes comptables prévues par la CUC et des pratiques établies de longue date de l’Office dans l’application de ces règles et normes » : dossier d’appel, p. 41.

[30] Le CP a conclu en demandant d’être placé sur un pied d’égalité avec son concurrent commercial (le CN) et qu’il lui soit accordé un délai raisonnable pour évaluer les questions liées aux nouvelles règles proposées pour le calcul du CC et y répondre.

[31] La réponse de l’Office a pris la forme de la lettre-décision no LET-R-29-2020, objet du présent appel.

III. La décision faisant l’objet de l’appel

[32] La décision porte sur trois questions : l’inclusion des capitaux empruntés pour usage général dans la détermination de la structure du capital du CP, l’inclusion du papier commercial dans le calcul du fonds de roulement, et la détermination du CC du CP à utiliser dans le calcul de l’IPCAV du CP pour la campagne agricole de 2020-2021. Étant donné qu’aucun appel n’a été interjeté à l’encontre de la décision relative à l’inclusion du papier commercial dans le calcul du fonds de roulement, cette conclusion restera inchangée, quelle que soit l’issue du présent appel. De toute évidence, la détermination du CC est visée par le présent appel.

[33] L’Office a commencé son analyse en examinant les arguments du CP fondés sur la CUC. Il a souligné que le CP n’avait fourni aucune information quant à la portion de ses titres de créance émis « consacrée » au rachat d’actions tout en soulignant que le CP avait indiqué que les « capitaux empruntés pour usage général » n’étaient pas utilisés exclusivement pour les rachats d’actions.

[34] L’Office a rejeté l’argument du CP selon lequel les rachats d’actions ne relèvent pas de la fonction de trésorerie de la division ferroviaire, mais plutôt de la fonction de trésorerie du CPL et, par conséquent, ils ne devraient pas être inclus dans sa détermination du CC conformément à la section 1203.06 de la CUC. L’Office a répondu à cet argument en se référant à la section 1203.05 de la CUC, ainsi libellé :

1203.05 La division du transport ferroviaire participera de temps à autre à des activités non ferroviaires qui entraîneront des opérations qui influeront sur l’actif et le passif à court terme, et, dans certains cas, de façon provisoire, sur d’autres éléments d’actif et de passif. On utilisera les comptes de bilan de la CUC pour inscrire ces éléments d’actif et de passif.

[35] L’Office a estimé que le fait que la gestion des rachats d’actions relève de la trésorerie du CPL ne signifie pas que ces transactions n’ont pas d’incidence sur le CP ni ne le dispense de l’obligation de tenir compte de cette incidence.

[36] L’Office a poursuivi en concluant que l’émission de titres de créance pour le rachat d’actions est liée à l’exploitation ferroviaire parce que le rachat d’actions émises présente un avantage général pour l’entreprise. Selon l’Office, l’émission de titres de créance, plutôt que l’augmentation du nombre d’actions, pour financer les investissements dans le transport ferroviaire abaisse le coût du capital de l’entreprise, étant donné que le coût du capital pour les titres de créance émis est inférieur au coût du capital-actions ordinaire. Cela veut dire que le coût réduit pour réunir des capitaux « pourrait permettre [au CP] d’augmenter ses investissements dans d’autres projets ferroviaires, ou de réduire les tarifs de fret que payent ses clients » : décision, par. 16.

[37] L’Office a également fait remarquer que le rachat des actions réduira le nombre d’actions en circulation sur le marché, augmentant ainsi la participation relative à la propriété de l’entreprise des actionnaires restants, y compris les employés du CP qui reçoivent des actions comme forme de rémunération incitative. L’Office a estimé que la possibilité d’une augmentation de la participation au capital peut conduire à une hausse du rendement des employés, ce qui est en lien avec l’exploitation ferroviaire.

[38] Enfin, l’Office s’est référé à sa décision relative au rachat de 2009 dans laquelle il concluait que la dette contractée dans le but de racheter des actions « dans une entreprise dont le secteur d’activité repose principalement, sinon exclusivement, sur des activités ferroviaires », ne peut être déterminée comme étant une dette non ferroviaire identifiable. Il a conclu que, conformément à cette décision, les capitaux empruntés pour usage général, y compris lorsqu’ils sont utilisés aux fins de rachat d’actions, sont liés à l’exploitation ferroviaire et doivent être inclus dans la détermination de la structure du capital du CP.

[39] L’Office a conclu en déclarant qu’il consulterait le CN et le CP au cours de la prochaine année « afin de convenir d’une méthode d’allocation des capitaux empruntés pour usage général aux activités ferroviaires qui soit cohérente pour CN et CP » pour déterminer le taux du CC de chaque compagnie ferroviaire. Dans l’intervalle, l’Office appliquera la méthode fondée sur le nombre de TMP aux capitaux empruntés pour usage général du CP.

[40] La décision de l’Office signifie qu’il affectera la dette à long terme, y compris la partie non ferroviaire de cette dette, au bilan réglementaire du CP de manière proportionnelle en utilisant la méthode fondée sur le nombre de TMP. La consultation qui suivra ne portera que sur la méthode selon laquelle cette attribution sera effectuée.

IV. Norme de contrôle

[41] Puisqu’il s’agit d’un appel prévu par la loi en application du paragraphe 41 (1) de la Loi, la norme de contrôle est la norme en matière d’appel, c’est-à-dire celle de la décision correcte pour les questions de droit : voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, 441 D.L.R. (4th) 1, par. 18, 36, 37 et 50 [arrêt Vavilov]. Puisqu’il n’y a pas de droit d’appel à l’encontre des décisions de l’Office sur des questions de fait et des questions de droit et de fait, cela suffit pour trancher la question de la norme de contrôle à l’égard des questions de fond.

[42] Reste la question de la nature des questions d’équité procédurale, qui est soulevée par l’exclusion prévue par la loi d’un droit d’appel sur des questions de fait et de droit. Le paragraphe 41(1) limite le droit d’appel devant notre Cour aux questions de droit et de compétence. La question de savoir si une obligation d’équité était due à une personne est une question de droit, tandis que la question de savoir si cette obligation a été violée est une question de fait et de droit. Ainsi, à première vue, notre Cour pourrait déterminer si une obligation d’équité était due, mais non si elle avait été violée. Cela scinderait les questions d’équité procédurale, notre Cour traitant de la question juridique et le gouverneur en conseil se penchant sur la question de savoir si l’obligation d’équité établie par notre Cour avait été violée : voir l’article 40 de la Loi. Un tel résultat est contraire à toute notion d’un système de justice pratique et efficace.

[43] Comme l’a fait remarquer la Cour suprême au paragraphe 19 de l’arrêt Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc., 2010 CSC 62, [2010] 3 R.C.S. 585 : « L’accès à la justice exige que le demandeur puisse exercer directement le recours qu’il a choisi et, autant que possible, sans détours procéduraux ».

[44] Cependant, une lecture attentive des articles 40 à 43 de la Loi révèle que le législateur a voulu que notre Cour traite les questions d’équité procédurale de manière exhaustive. Le juge Stratas de notre Cour a effectué cette lecture attentive dans l’arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Emerson Milling Inc., 2017 CAF 79, [2018] 2 R.C.F. 573, par. 6 à 57 [arrêt Emerson].

[45] La Cour a estimé que, puisque la Cour suprême enseigne que les questions de compétence sont essentiellement des questions d’interprétation législative et donc des questions de droit, l’expression « une question de droit ou de compétence » est redondante. Conformément au concept selon lequel le législateur n’est pas censé être redondant, la Cour a examiné la portée d’« une question de compétence » et a conclu que, historiquement, la compétence inclut les questions d’équité procédurale, citant l’arrêt Toronto Newspaper Guild, [1953] 2 R.C.S. 18, [1953] 3 D.L.R. 561. Telle était la situation lorsque les versions antérieures du paragraphe 41(1) ont été incluses dans la version précédente de la Loi, la Loi sur les transports nationaux, L.R.C., (1985), ch. N-20. Puisque l’expression « une question de droit ou de compétence » est maintenue dans la Loi depuis lors, il est raisonnable de conclure que le législateur avait l’intention de continuer à traiter l’équité procédurale comme un aspect de compétence, ce qui signifie que les questions d’équité procédurale, même si elles sont liées aux faits comme je l’ai souligné ci-dessus, peuvent faire l’objet d’un appel devant notre Cour, qui peut ensuite les traiter de manière exhaustive : voir l’arrêt Emerson, par. 19.

[46] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême n’a pas abordé la norme de contrôle pour les questions d’équité procédurale, une question sur laquelle les tribunaux ont affirmé à plusieurs reprises qu’il n’y a pas de norme de contrôle ou que la norme est celle de la décision correcte. Dans l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 R.C.F. 121, par. 33 à 56 [arrêt CFCP c. Canada], le juge Rennie de notre Cour, a examiné cette question et a formulé la conclusion suivante :

La cour qui apprécie un argument relatif à l’équité procédurale doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances, y compris à l’égard des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker. Une cour de révision fait ce que les cours de révision ont fait depuis l’arrêt Nicholson; elle demande, en mettant nettement l’accent sur la nature des droits substantiels concernés et les conséquences pour la personne, si un processus juste et équitable a été suivi. Je souscris à l’observation du juge Caldwell dans Eagle’s Nest (para. 21) selon laquelle, même s’il y a une certaine maladresse dans l’utilisation de la terminologie, cet exercice de révision est [traduction] « particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte », même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée.

Arrêt CFCP c. Canada, par. 54

[47] Dans cet esprit, je propose de trancher les questions d’équité procédurale en demandant si une procédure juste et équitable a été suivie, ce qui, comme il a été signalé dans le passage cité ci-dessus, saisit ce qui a été retenu, quoique maladroitement, par l’utilisation de la « norme de la décision correcte » dans le contexte de l’équité procédurale.

V. Analyse

[48] Dans son mémoire des faits et du droit, le CP soulève deux questions d’équité procédurale. Premièrement, l’omission de l’Office de mener des consultations sur la question de l’inclusion de la dette non ferroviaire dans la détermination du CC du CP. Deuxièmement, l’omission de l’Office d’informer le CP de son intention de se fonder sur la décision relative au rachat de 2009 portant (à l’égard du CN) que la dette contractée dans le but de racheter des actions est liée à l’exploitation ferroviaire et est donc incluse dans la détermination du CC de la compagnie de chemin de fer.

[49] L’Office a comparu et a été entendu dans le présent appel, comme en dispose le paragraphe 41(4) de la Loi. La jurisprudence a établi que, lorsqu’un tribunal donne son point de vue, il n’a pas le droit de plaider le bien-fondé de l’appel ou d’adopter une thèse opposée à celle d’une partie qui continuera à comparaître à l’avenir : voir Canada (Procureur général) c. Quadrini, 2010 CAF 246, [2012] 2 R.C.F. 3, par. 16; Ontario (Commission de l’énergie) c. Ontario Power Generation Inc., 2015 CSC 44, [2015] 3 R.C.S. 147, par. 72.

[50] L’Office a répondu aux arguments du CP quant à l’équité procédurale en mettant l’accent sur la question relative au nombre de TMP et en soulignant que sa décision sur ce point n’était qu’une décision provisoire, destinée à assurer l’équité et la cohérence des rapports. Quant à la question des dettes contractées pour les rachats d’actions, l’Office fait remarquer que la décision est simplement conforme à sa décision relative au rachat de 2009. Il fait valoir que le règlement de la question du rachat d’actions dans la décision n’est pas une simple application de la décision relative au rachat de 2009, mais une nouvelle décision qu’il a prise après avoir pris en considération les arguments présentés par le CP dans sa réponse à la lettre d’appel.

[51] À mon avis, deux questions doivent être tranchées dans le présent appel. La première question est de savoir si l’Office avait l’obligation de consulter le CP au sujet de l’inclusion de la dette non ferroviaire dans la détermination de son CC.

[52] La deuxième question est de savoir si l’Office s’est acquitté de son obligation lorsqu’il a examiné et rejeté les arguments présentés par le CP dans sa réponse à la lettre d’appel. J’examinerai chacune de ces questions.

A. L’Office avait-il l’obligation de consulter le CP au sujet de l’inclusion de la dette non ferroviaire dans la détermination de son CC?

[53] Depuis l’arrêt Nicholson c. Haldimand‐Norfolk Regional Police Commissioners, [1979] 1 R.C.S. 311, 88 D.L.R. (3d) 671, il est reconnu que les décideurs administratifs ont l’obligation d’agir équitablement. Même si les affaires dans lesquelles se pose la question concernaient souvent des tribunaux administratifs, le principe ne découle pas de la nature du tribunal, mais de l’effet de la décision sur la partie concernée. La Cour l’a reconnu, mais pas pour la première fois, dans l’arrêt Cardinal c. Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, 24 D.L.R. (4th) 44, p. 653 lorsqu’elle a écrit :

[...] Cette Cour a confirmé que, à titre de principe général de common law, une obligation de respecter l’équité dans la procédure incombe à tout organisme public qui rend des décisions administratives qui ne sont pas de nature législative et qui touchent les droits, privilèges ou biens d’une personne : Nicholson c. Haldimand‐Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; Martineau c. Comité de discipline de l’Institution de Matsqui (No 2), [1980] 1 R.C.S. 602; Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada, [1980] 2 R.C.S. 735. [...]

[54] En l’espèce, le CP allègue que la décision a des conséquences financières très importantes. Bien qu’il n’y ait aucun élément de preuve directe à ce sujet, il est incontestable que le RAM du CP et du CN se chiffre à des centaines de millions de dollars, comme en témoignent les niveaux de référence énoncés aux paragraphes 151(2) et (3) de la Loi. Ces dispositions montrent que tant le CN que le CP ont tiré des revenus des mouvements de grain de l’Ouest de plus de 300 millions de dollars au cours de la campagne agricole de 2000-2001, l’année de référence. Au cours de la discussion, nous avons été informés que les revenus actuels du CP provenant des mouvements de grain de l’Ouest sont de l’ordre d’un milliard de dollars. Dans ces circonstances, il est évident que la décision de l’Office touche les droits et intérêts du CP et impose une obligation d’équité.

[55] L’équité est une notion large qui varie selon les circonstances. Comme la Cour suprême l’a affirmé dans l’arrêt Knight c. Indian Head School Division No 19, [1990] 1 R.C.S. 653, 69 D.L.R. (4th) 489, p. 682 et confirmé dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, 174 D.L.R. (4th) 193, par. 21 [arrêt Baker], « la notion d’équité procédurale est éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas ».

[56] L’arrêt Baker énonce plusieurs facteurs à prendre en considération pour définir la nature de l’obligation d’équité. L’un de ces facteurs se rapporte à l’attente légitime de la personne concernée. En l’espèce, le CP soutient qu’il avait des attentes légitimes d’être consulté avant que la manière de déterminer son CC ne soit modifiée, attentes fondées sur la pratique passée de l’Office et sur son propre engagement à agir de manière transparente.

[57] Les attentes légitimes ne peuvent découler que de la conduite du tribunal administratif ou de ses déclarations :

[...] Si un organisme public a fait des déclarations au sujet des procédures qu’il suivrait pour rendre une décision en particulier, ou s’il a constamment suivi dans le passé, en prenant des décisions du même genre, certaines pratiques procédurales, la portée de l’obligation d’équité procédurale envers la personne touchée sera plus étendue qu’elle ne l’aurait été autrement. [...]

Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 RCS 559, par. 94.

[58] Notre Cour a expliqué les droits qui sous-tendent la théorie de l’expectative légitime comme suit :

Les droits sous-tendant la théorie de l’expectative légitime se rapportent à l’application non discriminatoire, au sein de l’administration publique, des normes procédurales établies par la pratique passée ou par des lignes directrices publiées, et à la protection de l’individu contre l’abus de pouvoir résultant de la violation d’un engagement. Telles sont les préoccupations traditionnelles fondamentales qui existent en droit public.

Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [2000] 4 CF 264, 188 D.L.R. (4th) 145, par. 123.

[59] L’Office a le mérite d’avoir un long historique en ce qui concerne la consultation des intervenants en matière de CC.

[60] En 1996-1997, à la suite de l’adoption de la Loi, l’Office a entrepris un examen de sa décision de 1985 établissant la méthode de détermination du CC pour les exploitations ferroviaires. L’Office a demandé des commentaires par écrit aux parties intéressées et a reçu des réponses du CP, du CN et des provinces de l’Alberta, du Manitoba et de la Saskatchewan et des coopératives du blé des Prairies. À la suite de cet examen, l’Office a publié la décision no 125-R-1997 qui a modifié la méthode de 1985.

[61] En 1998, l’Office a examiné les documents déposés par le CP, le CN et les gouvernements de l’Alberta et du Manitoba et a conclu que le CP aurait recours à un taux distinctif du coût du capital aux fins de la réglementation des taux « autres que ceux liés au transport du grain et à l’interconnexion » : voir la décision no 601-R-1998.

[62] En 2003, l’Office a entamé un dialogue avec le CP, le CN et d’autres parties intéressées au sujet de questions récurrentes ayant trait à la détermination par l’Office du coût du capital-actions ordinaire. Cela a abouti à la décision no 52-R-2004 dans laquelle l’Office a examiné de nombreux éléments dans la détermination du coût du capital-actions ordinaire.

[63] Puis, à partir de 2009, l’Office a effectué un autre examen qui a conduit à la décision n°425-R-2011 (la décision de 2011) dans laquelle l’Office a jeté un nouveau regard sur les nombreuses composantes entrant dans la détermination du CC.

[64] Dans le cadre de cet examen, l’Office a lancé des consultations et tenu des audiences :

L’examen s’est déroulé en deux phases : une phase d’étude et une phase d’audiences. Dans la phase d’étude, après des consultations menées auprès d’une grande diversité d’intervenants en vue de définir le cadre de référence de l’étude, un consultant indépendant a examiné les méthodes et les principes existants en matière d’établissement du coût du capital, la méthode d’établissement du coût du capital utilisée par l’Office et celles utilisées par d’autres organismes de réglementation économique.

[...]

Dans la décision no LET-R-185-2010, l’Office a lancé la phase d’audiences de l’examen et la tenue de consultations auprès d’une grande diversité d’intervenants, y compris des compagnies de chemin de fer, des expéditeurs, des producteurs et d’autres parties, sur certaines questions récurrentes que l’Office avait relevées aux fins de discussion. Les parties intéressées ont eu l’occasion d’exprimer leurs points de vue sur ces questions et sur d’autres qu’elles jugeaient pertinentes au regard de cet examen de l’Office, et de commenter le rapport Brattle.

Décision de 2011, par. 3 et 5

[65] Le CN et le CP ont présenté des observations au cours de cette consultation ainsi que des témoignages des experts qu’ils avaient choisis.

[66] La conclusion dans la décision de 2011 est libellée comme suit :

[388] La méthode exposée à l’annexe A sera appliquée par l’Office au moins jusqu’en 2018. L’Office pourra, à sa discrétion et de manière transparente, modifier la méthode si une situation exceptionnelle le justifie.

[67] Plus tard, dans le but d’établir une méthode de détermination aux fins de la réglementation de la structure du capital de toutes les compagnies de chemin de fer réglementées, l’Office a entrepris des consultations auprès de l’industrie, soit d’août à novembre 2016 et d’avril à mai 2017, afin de recueillir les points de vue et les commentaires de l’industrie sur des questions liées à la détermination de la structure du capital : voir la détermination no R-2017-198, par 12.

[68] Il ressort clairement de cet examen que l’Office a un historique de consultation des compagnies de chemins de fer avant d’apporter des modifications à la méthode de détermination du CC et d’autres questions. Outre cet historique, le CP insiste sur l’engagement que l’Office a pris dans la décision de 2011 à apporter des modifications, de manière transparente, si une « situation exceptionnelle » le justifie. Le CP interprète cela comme un engagement à consulter les compagnies de chemins de fer si des modifications à la méthode devaient être apportées. Même si le fait d’apporter des modifications « de manière transparente » n’est pas synonyme de consultation, il est raisonnable, compte tenu de l’historique des consultations de l’Office avant et après 2011, d’interpréter l’engagement de l’Office à agir de manière transparente comme incluant un processus de consultation.

[69] En conséquence, je conclus que le CP pouvait légitimement s’attendre – principalement en raison de la pratique antérieure de l’Office et, dans une moindre mesure, de l’engagement de l’Office à le faire – à ce que l’Office le consulte avant de modifier la base sur laquelle son CC est déterminé.

B. L’Office a-t-il respecté son obligation d’équité procédurale lorsqu’il a examiné et rejeté les arguments présentés par le CP dans sa réponse à la lettre d’appel?

[70] Avant de trancher la question de la lettre d’appel, il convient de souligner qu’après avoir reçu la décision relative au nombre de TMP de 2019, le CP a demandé à l’Office si l’examen inclurait une consultation sur la structure du capital et, dans la négative, s’il participerait de quelque manière que ce soit à l’examen. L’Office lui a indiqué que l’examen « concernerait uniquement le CN », mais a souligné qu’il l’informerait de la consultation sur la méthode des taux d’interconnexion qui devait être lancée sous peu et qui comprendrait des questions sur le CC : dossier d’appel, p. 27.

[71] Lorsque l’Office a publié la décision relative au CC du CN de 2019 à la suite de l’examen décrit ci-dessus, il a décidé qu’à l’exception de la dette qui peut être directement liée aux activités que le CN mène aux États-Unis, « tous les autres capitaux empruntés pour usage général seront affectés au bilan réglementaire selon la proportion du nombre total de TMP sur l’ensemble du réseau au Canada durant l’année au cours de laquelle l’emprunt est contracté ».

[72] Je souligne que cette décision portant sur la question du traitement de la dette non ferroviaire a été rendue sans que le CP ne soit entendu.

[73] Lorsque l’Office a envoyé sa lettre d’appel au CP, il a évoqué le traitement des capitaux empruntés pour usage général figurant dans la décision relative au CC du CN de 2019. L’Office a demandé au CP des renseignements sur le nombre de TMP, expliquant que, à l’exception de la dette directement liée aux activités que le CP mène aux États-Unis, [traduction] « tous les autres capitaux empruntés pour usage général seront affectés au bilan réglementaire » selon la méthode fondée sur le nombre de TMP. L’Office a indiqué que cette méthode sera utilisée [traduction] « jusqu’à ce qu’une autre méthode soit approuvée par l’Office » : dossier d’appel, p. 31. Le CP, qui n’avait pas encore reçu de copie de la décision relative au CC du CN de 2019, en a demandé une, qui lui a été dûment fournie.

[74] La lettre d’appel n’accueillait pas la présentation d’observations sur la décision de l’Office de soumettre toutes les dettes non américaines à la méthode fondée sur le nombre de TMP.

[75] Dans sa réponse à la lettre d’appel, le CP a informé l’Office que la décision d’affecter toute la dette non américaine au bilan réglementaire en utilisant la méthode fondée sur le nombre de TMP [traduction] « représenterait un changement important dans [s]es états financiers réglementaires et pourrait avoir une incidence importante sur [son] coût du capital réglementaire ». Comme je l’ai souligné précédemment dans les présents motifs, le CP a ensuite expliqué pourquoi une partie de sa dette n’était pas liée à des activités ferroviaires et ne devrait pas être incluse dans la détermination de son CC.

[76] L’Office a rejeté les observations du CP dans la décision, ce qui a donné lieu au présent appel.

[77] Cela étant dit, peut-on dire que l’Office s’est acquitté de son obligation de consulter le CP au cours du processus qui a commencé par la décision relative au nombre de TMP de 2019 et pris fin avec la décision?

[78] Le CP affirme que l’Office ne s’est pas acquitté de cette obligation parce qu’il n’a pas été consulté, et n’a pas été informé de la preuve qu’il devrait réfuter et, en particulier, que l’Office lui avait appliqué une règle concernant l’inclusion de toutes les dettes non américaines, y compris les capitaux empruntés pour les rachats d’actions, règle dont le CP n’avait pas connaissance. L’Office a répondu en indiquant que le CP avait reçu des copies des décisions dans lesquelles ces questions avaient été soulevées et que celui-ci avait répondu aux questions soulevées par le CP dans sa réponse à la lettre d’appel dans la décision.

[79] Le CP fait deux autres remarques. La première est que même les dettes contractées par le CP lui-même (par opposition au CPL) ne peuvent être incluses dans le bilan réglementaire que si elles sont liées aux activités ferroviaires, argument fondé sur les dispositions précises de la CUC telles que 1202.07 et 1203.01. Le deuxième point que le CP fait valoir est que la dette contractée par le CPL, qui n’est pas une entité réglementée, ne peut être incluse dans le bilan réglementaire parce que le CPL n’est pas l’entité réglementée.

[80] La réponse à la question de savoir si l’Office a respecté le droit de consultation du CP peut être abordée de deux manières. La première consiste à se demander si l’Office a sollicité l’avis du CP avant de prendre la décision. La deuxième consiste à voir si, malgré son incapacité d’établir un dialogue avec le CP, l’Office a tenu compte de l’objection du CP à l’inclusion de la dette non ferroviaire dans le bilan réglementaire.

[81] Il ressort des communications entre le CP et l’Office, à partir de la décision relative au nombre de TMP de 2009, que l’Office n’a pas consulté le CP. Comme je l’ai mentionné précédemment dans les présents motifs, lorsque le CP a écrit pour demander s’il pouvait participer à l’examen annoncé dans cette décision, l’Office l’a exclu. Lorsque l’Office a publié la lettre d’appel, il n’a pas sollicité les observations du CP sur l’inclusion de la dette non ferroviaire dans le bilan réglementaire. Il exigeait simplement que le CP fournisse des renseignements sur la dette à long terme, en excluant uniquement la dette directement liée à ses activités aux États-Unis. Bref, non seulement l’Office a-t-il négligé de consulter le CP, mais il a refusé de le faire.

[82] Par conséquent, on ne saurait dire que l’Office a consulté le CP avant de prendre la décision.

[83] La réponse de l’Office est que, néanmoins, le CP était au courant des questions qui se posaient en litige et que ses observations ont été traitées dans la décision de sorte qu’en substance, le CP a été entendu. Cette approche met l’accent sur la question de savoir si la voix du CP a été entendue, malgré l’absence de processus de consultation. Il cherche à se pencher sur la réalité de fond plutôt que sur les formalités procédurales. Ce qu’il importe de souligner, c’est que le CP avait le droit d’être entendu, et non pas qu’il avait le droit d’être entendu d’une manière particulière ou dans le cadre d’un forum particulier.

[84] Par ailleurs, il est évident que l’Office avait pris une décision sur l’inclusion de la dette non ferroviaire avant la publication de la lettre d’appel. Dans ces circonstances, le CP se trouva devant un fait accompli. Il est toujours plus difficile de persuader quelqu’un qui a déjà tranché une question que quelqu’un qui y réfléchit. Toutefois, même cela pouvait être résolu si l’Office était prêt à examiner les observations du CP avec un esprit ouvert, en d’autres termes, avec la volonté de changer sa thèse après avoir examiné les observations du CP. La seule façon de le savoir est d’étudier la décision.

[85] Le CP a commencé la présentation de ses observations à l’Office en soulignant les dispositions de la CUC qui indiquent clairement que seules les sommes liées au transport ferroviaire dépensées par l’entité réglementée peuvent être incluses dans le bilan réglementaire. En l’espèce, il s’agissait de la dette contractée pour financer des rachats d’actions, une utilisation non ferroviaire du capital, faite par le CPL, qui n’est pas une entité réglementée.

[86] L’Office a répondu à cette observation en se référant à la section 1203.05 de la CUC qui est libellée ainsi :

1203.05 La division du transport ferroviaire participera de temps à autre à des activités non ferroviaires qui entraîneront des opérations qui influeront sur l’actif et le passif à court terme, et, dans certains cas, de façon provisoire, sur d’autres éléments d’actif et de passif. On utilisera les comptes de bilan de la CUC pour inscrire ces éléments d’actif et de passif.

[87] L’Office a poursuivi en affirmant que, même si la gestion des transactions relève d’une fonction de trésorerie (distincte), elles peuvent néanmoins avoir une incidence sur l’entité ferroviaire et doivent être correctement comptabilisées. Il s’agit d’une référence à la section 1203.06 de la CUC citée au paragraphe 27 des présents motifs.

[88] Le problème, c’est que la section 1203.05 traite des activités non ferroviaires de l’entité ferroviaire qui auront une incidence sur ses éléments d’actif et de passif. L’argument du CP était que les rachats d’actions étaient des activités de sa société mère, le CPL, qui n’est pas une entité ferroviaire (c.-à-d. une division ferroviaire au sens de la section 1000 de la CUC). En conséquence, la réponse de l’Office ne répond pas à l’argument présenté par le CP.

[89] Dans sa réponse à la lettre d’appel, le CP a évoqué l’effet des rachats d’actions sur ses activités. Le CP a commencé par souligner qu’il présente de façon consolidée ses rapports portant sur ses avoirs financiers et ses résultats de toutes les filiales du CPL qui participent à l’exploitation ferroviaire au Canada. Il a fait remarquer que les rachats d’actions relèvent de la fonction de trésorerie du CPL qui n’ont aucune incidence sur les activités ferroviaires. Le CP a conclu ses observations par un élan littéraire, en soulignant que les trains ne roulent ni plus vite ni plus lentement après un rachat d’actions.

[90] En réponse, l’Office a soutenu que l’émission de titres de créance pour le rachat d’actions est liée à l’exploitation ferroviaire, car le rachat d’actions émises présente un avantage général pour l’entreprise. Il a présenté deux arguments à l’appui de cette thèse. Il a exprimé le premier argument comme suit :

[...] L’émission de titres de créance, plutôt que l’augmentation du nombre d’actions, pour financer les investissements dans le transport ferroviaire abaisse le coût du capital de l’entreprise, étant donné que le taux du coût du capital pour les titres de créance émis est inférieur au taux du coût du capital-actions ordinaire attendu des investisseurs. Le paiement de taux du coût réduits par la compagnie de chemin de fer pour ses investissements pourrait lui permettre d’augmenter ses investissements dans d’autres projets ferroviaires, ou de réduire les tarifs de fret que payent ses clients.

(Décision, par. 16)

[91] L’affirmation de l’Office selon laquelle l’émission de titres de créance plutôt que l’émission d’actions abaisse le CC de l’entreprise est peut-être vraie, mais elle ne répond pas à l’argument du CP. Le fait que la dette coûte moins cher que les capitaux propres n’est pas une raison pour inclure la dette non ferroviaire dans le calcul du CC. Le rachat d’actions en utilisant de l’argent emprunté n’est pas un moyen de lever des capitaux puisque les sommes utilisées pour acheter des actions en circulation ne sont plus disponibles pour l’entreprise pour investir dans des éléments d’actif liés aux activités ferroviaires.

[92] La question n’est pas de savoir si l’Office avait raison, mais si sa décision est le résultat d’une évaluation objective et lucide des observations du CP. À mon avis, ce n’est pas le cas. La réponse de l’Office n’a pas réglé l’argument présenté par le CP concernant les entités non réglementées et les dépenses non ferroviaires.

[93] Le deuxième argument de l’Office concernant les avantages pour l’entreprise reposait sur le rapport annuel de 2019 du CP qui indiquait qu’il avait distribué 58 millions de dollars en rémunération à base d’actions, qui (d’après la présentation sur l’IPCAV déposée par le CP) a été distribuée à environ 12 % de ses employés. L’Office soutient que la réduction du nombre d’actions en circulation à la suite d’un rachat d’actions accroît la participation relative de ces employés, ce qui pourrait conduire à une hausse du rendement des employés.

[94] Dans ce raisonnement, l’Office attribue un facteur de motivation à la participation relative d’un actionnaire dans la compagnie de chemin de fer, au-delà de la valeur de motivation de l’actionnariat lui-même. Ce point sur la participation relative est douteux, car les actionnaires ne détiennent pas des éléments d’actif de l’entreprise, mais là n’est pas la question dont il faut traiter ici. La question est de savoir si ce raisonnement témoigne d’une tentative sérieuse de traiter les arguments présentés par le CP s’opposant à l’inclusion de la dette non ferroviaire dans le bilan réglementaire. À mon avis, ce n’est pas le cas.

[95] Si l’on compare l’analyse financière approfondie de l’Office lorsque celui-ci a rendu d’autres décisions, comme la décision de 2011, à ce raisonnement, force est de constater son caractère superficiel. Les rachats d’actions peuvent augmenter la part des bénéfices de la société et la part potentielle des biens lors de la liquidation en lien avec chaque action en circulation, mais les nouvelles émissions d’actions diminuent la valeur de cette action nominale et la dette diminue le montant nominal disponible pour distribution lors de la liquidation. Toutefois, la faiblesse la plus évidente de cet argument est qu’il n’a été présenté que comme une possibilité. Il s’agit simplement d’une spéculation qui n’indique pas une tentative sérieuse d’examiner la proposition du CP.

[96] L’Office a ensuite invoqué la décision relative au rachat de 2009, dans laquelle il a conclu que la dette contractée aux fins d’un rachat d’actions était liée au transport ferroviaire. L’Office a soutenu que cela démontre une cohérence dans la prise de décisions, mais encore une fois, ce n’est pas la question en litige ici. La juxtaposition de la décision relative au rachat de 2009 et de la décision faisant l’objet du présent appel démontre la cohérence du résultat, mais non du raisonnement. Le seul raisonnement que l’Office a présenté dans la décision de 2009 était qu’il n’a pas tenu compte du fait que « la dette contractée dans le but de racheter des actions dans une entreprise dont le secteur d’activité repose principalement, sinon exclusivement, sur des activités ferroviaires, ne peut être déterminée comme étant une dette non ferroviaire identifiable ». La décision portait sur la question de savoir si les rachats d’actions pouvaient être identifiés comme une dette non ferroviaire. Le CP a présenté les raisons pour lesquelles de tels rachats pouvaient être identifiés comme une dette non ferroviaire, arguments qui n’ont pas été abordés par l’Office.

[97] En outre, l’Office a fait valoir que la décision relative au nombre de TMP concernant l’affectation de la dette est une décision provisoire jusqu’à ce que l’Office puisse achever ses consultations sur la méthode d’affectation. En toute déférence, cet argument va dans la mauvaise direction. La question que soulève le CP n’est pas la méthode d’affectation; il s’agit de savoir si la dette non ferroviaire doit être affectée.

[98] Tous ces éléments me convainquent que l’Office n’a pas sérieusement examiné les arguments du CP selon lesquels la dette non ferroviaire ne devrait pas être incluse dans la détermination du CC du CP. Dans sa décision, l’Office n’a pas abordé de manière efficace les observations du CP et il est clair qu’elle a été écrite pour justifier une conclusion à laquelle l’Office était déjà arrivé. Par conséquent, je conclus que l’Office a manqué à son obligation d’équité procédurale en omettant de consulter le CP ou, en d’autres termes, en omettant d’examiner les observations du CP de façon objective.

C. Mesures de redressement

[99] Dans son mémoire des faits et du droit, le CP demande que les deux décisions en cause soient annulées et que l’on ordonne à l’Office de réexaminer son CC au motif que la dette non ferroviaire ne doit pas être prise en compte dans la détermination de son CC.

[100] Comme je l’ai souligné précédemment, le présent appel ne conteste pas les conclusions relatives au papier commercial et au fonds de roulement figurant dans la décision. Pour cette raison, la décision en l’espèce et la décision relative à l’IPCAV ne peuvent être annulées que dans la mesure où elles concernent l’inclusion de la dette non ferroviaire dans la détermination du CC du CP et la détermination du CC du CP au moyen d’une méthode qui inclut la dette non ferroviaire. Le CP demande également une déclaration selon laquelle les titres de créance émis pour les rachats d’actions ne sont pas liés aux activités ferroviaires et ne doivent pas être inclus dans le calcul du CC du CP et de l’IPCAV. Il n’appartient pas à la Cour de déterminer ce qui doit ou ne doit pas être inclus dans le CC d’une compagnie de chemin de fer lorsque cette question fera vraisemblablement l’objet de consultations entre le CP et l’Office. Tout ce que notre Cour peut faire, c’est d’annuler les décisions rendues en violation de l’obligation d’équité. Si l’Office souhaite procéder à la modification de la détermination du CC du CP, il doit donner au CP la possibilité d’être entendu avant de rendre sa décision.

[101] J’annulerais donc la détermination du CC du CP faite par l’Office pour la campagne agricole de 2020-2021 et je renverrais la question à l’Office en lui donnant la directive de déterminer le CC du CP pour la campagne agricole de 2020-2021 de la même manière que la campagne agricole de 2019-2020. Cette directive est motivée par le délai prévu par la loi pour déterminer le CC qui, étant donné le point dans le temps où nous nous trouvons, ne laisse pas le temps à l’Office de procéder à une consultation adéquate. Je maintiendrais donc le statu quo, laissant à l’Office le soin de décider de la manière dont il souhaite procéder. J’annulerais également la décision de l’Office concernant l’IPCAV du CP pour la campagne agricole de 2020-2021 dans la décision R-2020-81 et je renverrais l’affaire à l’Office en lui donnant la directive de déterminer l’IPCAV du CP pour la campagne agricole de 2020-2021 en utilisant le CC déterminé conformément aux directives de notre Cour.

[102] L’Office n’a pas demandé de dépens et demande que les dépens ne soient pas adjugés à son encontre. Par contre, le CP a demandé des dépens. Lorsqu’un tribunal tel que l’Office comparaît et fournit un contexte quant à ses règles de procédure et à sa compétence, il éclaire la Cour et ne devrait pas être condamné à payer les dépens. Dans une telle situation, le tribunal ne sort ni gagnant ni perdant et ne devrait pas être traité comme l’un ou l’autre. La situation n’est pas la même lorsqu’un tribunal comparaît et s’inscrit dans un débat contradictoire contre une partie qui a comparu devant lui et qui peut se présenter de nouveau devant lui. Dans ce cas, le tribunal peut fort bien apparaître comme un gagnant ou un perdant et s’exposer à des dépens. Cela est particulièrement vrai lorsque le tribunal est le seul intimé.

[103] Le CP a allégué que certaines des observations de l’Office ont dépassé les bornes et revenaient à défendre sa décision. Bien que je ne sois pas nécessairement d’accord, je peux comprendre pourquoi le CP a fait cette allégation. L’Office est venu près de dépasser les bornes en présentant certaines thèses. Toutefois, il n’a pas dépassé les bornes et, par conséquent, je ne rendrais pas d’ordonnance quant aux dépens.

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

« Je suis d’accord

D.G. Near, j.c.a. »

« Je suis d’accord

Mary J.L. Gleason, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-193-20

 

INTITULÉ :

COMPAGNIE DE CHEMIN DE FER CANADIEN PACIFIQUE c. OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE en ligne ORGANISÉE PAR LE GREFFE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 mars 2021

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LA JUGE GLEASON

DATE DES MOTIFS :

Le 9 avril 2021

COMPARUTIONS :

Nicole Henderson

Theodore Milosevic

 

Pour l’appelante

 

Barbara Cuber

Anna Hutchinson-Cox

 

Pour l’intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Blake, Cassels & Graydon S.E.N.C.R.L./s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

Pour l’appelante

 

Office des transports du Canada

Gatineau (Québec)

 

Pour l’intimé

 

 

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