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Date : 20210326


Dossier : A-255-18

Référence : 2021 CAF 64

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LOCKE

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

EKUE T. KUEVIAKOE

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience par vidéoconférence tenue par le greffe, le 9 mars 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 26 mars 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LOCKE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LEBLANC

 


Date : 20210326


Dossier : A-255-18

Référence : 2021 CAF 64

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LOCKE

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

EKUE T. KUEVIAKOE

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LOCKE

[1] Ekue T. Kueviakoe (l’appelant) interjette appel de la décision rendue par la Cour canadienne de l’impôt dans laquelle elle a maintenu le refus de diverses pertes d’entreprise et de divers dons de bienfaisance (voir le jugement qu’elle a rendu le 14 juin 2018 dans le dossier 2017-914(IT)I)).

[2] La norme de contrôle devant s’appliquer dans le présent appel est celle définie dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 RCS 235 : les questions de droit sont susceptibles de révision selon la norme de la décision correcte (voir le paragraphe 8), et les questions de fait ainsi que les questions mixtes de fait et de droit sans erreur de droit isolable sont susceptibles de révision selon la norme de l’erreur manifeste et dominante (voir les paragraphes 10 et 31). Comme l’a souligné l’intimée, une erreur manifeste est une erreur évidente, et une erreur dominante est une erreur qui touche directement à l’issue de l’affaire. Lorsque l’on invoque une erreur manifeste et dominante, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier : Canada c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165, 431 NR 286, par. 46.

[3] Les pertes d’entreprise en litige se rapportent à deux entreprises : (i) Wenze, décrite comme une entreprise d’importation et de distribution de feuilles de manioc congelées, et (ii) Jireh, décrite comme une entreprise d’exportation et de revente d’équipement lourd et de voitures d’occasion.

[4] La Cour de l’impôt a conclu qu’il n’y avait aucun fondement factuel lui permettant de déterminer les revenus et les pertes de Wenze. Elle a conclu que les factures produites par l’appelant n’étaient pas suffisamment détaillées, et que l’appelant n’avait pas produit de grands livres, de cartes professionnelles, de papier à en-tête, de chèques ou de carnets se rapportant à l’entreprise en question.

[5] La Cour de l’impôt a conclu que les documents produits par l’appelant en lien avec Jireh étaient désorganisés et impossibles à référencer, et qu’ils ne contenaient pas de grand livre, de plan d’amortissement ni de journal des revenus et des dépenses. La Cour de l’impôt a tranché qu’il n’y avait tout simplement aucun élément de preuve ni aucun état des gains ou des pertes qui lui permettrait d’envisager que l’appelant avait subi les pertes réclamées.

[6] Dans ses observations, l’appelant renvoie à divers documents prétendument liés à ses entreprises, mais il ne relève aucune erreur manifeste et dominante commise par la Cour de l’impôt dans l’appréciation des éléments de preuve dont elle était saisie.

[7] L’appelant affirme qu’il n’était pas tenu de conserver ses dossiers au-delà de la période de six ans suivant l’année d’imposition à laquelle ils se rapportent. Cet argument est toutefois sans fondement puisque les pertes d’entreprise demandées par l’appelant pour les années 2007 et 2008 ont été reportées aux années 2009 à 2012.

[8] L’appelant affirme en outre que, si ses dépenses d’entreprise sont refusées, ses revenus d’entreprise ne devraient également pas être pris en compte. À mon avis, ce raisonnement n’est tout simplement pas logique.

[9] En ce qui a trait aux dons de bienfaisance, la Cour de l’impôt s’est appuyée sur les exigences énoncées à l’article 3501 du Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945, concernant les reçus pour dons de bienfaisance. La Cour de l’impôt a relevé de nombreuses lacunes dans l’ensemble des reçus en cause. Une lacune relevée dans l’ensemble des reçus avait trait au fait qu’ils ne satisfaisaient pas à l’exigence énoncée à l’alinéa 1g) de l’article 3501 selon laquelle il faut inclure « le nom et l’adresse du donateur, y compris, dans le cas d’un particulier, son prénom et son initiale [...] ». Parmi les autres lacunes citées de différentes façons par la Cour de l’impôt, notons l’absence :

  1. du nom et de l’adresse de l’organisme de bienfaisance (tel qu’il est exigé à l’alinéa 1a) de l’article 3501);

  2. le numéro d’enregistrement attribué par l’Agence du revenu du Canada (tel qu’il est exigé à l’alinéa 1b));

  3. le numéro de série du reçu (tel qu’il est exigé à l’alinéa 1c));

  4. le lieu ou l’endroit où le reçu a été délivré (tel qu’il est exigé à l’alinéa 1d));

  5. le nom de l’Agence du revenu du Canada et l’adresse de son site Web (tel qu’il est énoncé à l’alinéa 1j)).

[10] L’appelant conteste toutes les lacunes invoquées. En ce qui concerne le nom figurant sur les reçus, l’appelant affirme que son nom complet est Ekue Arthur Thierry Kueviakoe, et qu’il est l’individu prénommé « Thierry Kueviakoe » dont le nom figure sur les reçus.

[11] À mon avis, la Cour de l’impôt n’a pas commis d’erreur en concluant que l’omission à elle seule du prénom et de l’initiale de l’appelant suffirait à rendre les reçus pour dons de bienfaisance non conformes à l’article 3501, et donc insuffisants pour étayer le droit à un crédit d’impôt. En outre, je ne vois aucune erreur manifeste et dominante qui aurait été commise par la Cour de l’impôt dans (i) son analyse du nom de l’appelant auprès de l’Agence du revenu du Canada, de même que sur ses chèques personnels, ses virements télégraphiques et ses documents relatifs aux taux de change, et (ii) sa conclusion selon laquelle ce nom est différent de celui qui figure sur les reçus.

[12] À une exception près, laquelle est analysée au prochain paragraphe, tous les reçus en cause indiquent « Thierry Kueviakoe » en tant que donateur. À mon avis, la Cour de l’impôt n’a pas commis d’erreur en concluant que les reçus ne comportaient pas « [le] prénom et [l’]initiale » du donateur. Ces reçus ont été rejetés à juste titre pour ce motif, et il n’est donc pas nécessaire d’examiner les autres motifs cités par la Cour de l’impôt pour expliquer la raison de ce rejet.

[13] Dans un cas en particulier, un reçu délivré pour un don de 100 $ à l’organisme Les Térébinthes de la Justice daté du 19 février 2010 (le reçu des Térébinthes, à l’onglet 21 du dossier d’appel), le nom du donateur est différent, étant plutôt « Ekue A Thierry Kueviakoe ». Dans ce cas, je ne sais pas exactement sur quel fondement s’est appuyée la Cour de l’impôt pour conclure que le prénom et l’initiale du donateur ne figuraient pas sur ce reçu. Il est possible que la Cour de l’impôt n’ait tout simplement pas remarqué la différence sur ce reçu. Il semblerait qu’une erreur manifeste ait été commise par la Cour de l’impôt.

[14] Je dois maintenant déterminer si cette erreur manifeste est également dominante, à savoir si elle touche directement à l’issue de l’affaire. La Cour de l’impôt a déterminé que le reçu des Térébinthes ne comportait également pas « le lieu ou l’endroit où le reçu a été délivré », conformément à l’alinéa 1(d) de l’article 3501. Si tel était le cas, le reçu des Térébinthes serait non valide pour cette raison, et l’erreur concernant le nom de l’appelant ne serait pas dominante.

[15] Le reçu des Térébinthes indique clairement une adresse pour l’organisme de charité, tel qu’il est exigé à l’alinéa 1a) de l’article 3501, mais il ne précise pas de façon distincte le lieu où le reçu a été délivré. Bien que le rejet d’un reçu pour cette raison puisse sembler strict, le droit exige que le lieu ou l’endroit où le reçu a été délivré soit indiqué de façon distincte : Sowah c. La Reine, 2013 CCI 297, 235 A.C.W.S. (3d) 1127, par. 19, conf. par 2015 CAF 103; Bope c. La Reine, 2015 CCI 120, 252 A.C.W.S. (3d) 872, par. 17 et 18; Okafor c. La Reine, 2018 CCI 31, A.C.W.S. (3d) 796, par. 20 à 22 [Okafor]. Tel qu’il est indiqué au paragraphe 20 de la décision Okafor, citant Plante c. R., [2018] A.C.I. no 20, [1999] 2 C.T.C. 2631 :

[46] Il ne s’agit pas là d’exigences futiles et sans importance; bien au contraire, ce sont là des renseignements tout à fait fondamentaux et absolument nécessaires pour permettre la vérification d’une part de la justesse de la valeur indiquée et d’autre part, de la réalité même du don.

[47] De telles exigences visent à éviter les abus de toute nature et constituent un minimum pour qualifier la qualité d’un don pouvant générer un crédit d’impôt à l’avantage du contribuable donateur.

[48] À défaut de rencontrer les exigences prévues quant au contenu des renseignements que doit contenir un reçu, il devra être écarté faisant ainsi perdre les bénéfices fiscaux à son détenteur. [...]

[16] Par conséquent la Cour de l’impôt n’a pas commis d’erreur en concluant que le reçu des Térébinthes ne satisfait pas aux exigences énoncées à l’article 3501 pour le motif qu’il ne précise pas le lieu ou l’endroit où le reçu a été délivré. Il s’ensuit donc que l’erreur concernant le nom de l’appelant n’a eu aucune incidence sur l’issue de l’affaire et n’était donc pas dominante. La décision de la Cour de l’impôt à l’égard du rejet du reçu des Térébinthes ne devrait pas être modifiée.

[17] L’appelant affirme également qu’il devrait appartenir aux organismes de bienfaisance de s’assurer qu’il ne manque aucune information sur les reçus qu’ils délivrent et que les donateurs ne devraient pas se voir refuser des crédits d’impôt en raison de telles lacunes. Cet argument ne peut être retenu. Il incombe à un donateur qui souhaite demander un crédit d’impôt pour un don qu’il a fait à un organisme de bienfaisance de s’assurer qu’il satisfait à toutes les exigences pour ce faire, même s’il doit faire appel à des documents obtenus auprès d’une tierce partie.

[18] Pour les motifs qui précèdent, je rejetterais l’appel avec dépens.

« George R. Locke »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Richard Boivin, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

René LeBlanc, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-255-18

 

INTITULÉ :

EKUE T. KUEVIAKOE c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 mars 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LOCKE

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 MARS 2021

 

COMPARUTIONS :

Ekue T. Kueviakoe

 

Pour l’appelant

(pour son propre compte)

 

Dominique Gallant

 

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimée

 

 

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