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Date : 20210419


Dossier : A-50-20

Référence : 2021 CAF 78

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE RENNIE

LA JUGE WOODS

 

ENTRE :

JAMES KRUMM

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 15 avril 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 19 avril 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE WOODS

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE RENNIE

 


Date : 20210419


Dossier : A-50-20

Référence : 2021 CAF 78

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE RENNIE

LA JUGE WOODS

 

ENTRE :

JAMES KRUMM

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE WOODS

[1] Le présent appel porte sur les dispositions relatives aux abris fiscaux contenues dans la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (la Loi). L’appelant James Krumm a fait l’objet d’une nouvelle cotisation à l’égard de ses années d’imposition 1997 et 1998, dans laquelle les déductions relatives à l’acquisition d’une participation dans un logiciel ont été refusées au motif que ce dernier constituait un abri fiscal. Le juge Visser, de la Cour canadienne de l’impôt, a rejeté l’appel de M. Krumm (2020 CCI 7) et ce dernier a interjeté appel de cette décision devant notre Cour.

[2] Notre Cour est appelée à décider si la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur en concluant que le logiciel constituait un « abri fiscal » au sens du paragraphe 237.1(1) de la Loi. Si le logiciel constituait un abri fiscal, M. Krumm ne pourrait pas se prévaloir des déductions relatives au bien parce qu’il n’a pas déposé le formulaire prescrit contenant, entre autres, le numéro d’inscription attribué à l’abri fiscal (par. 237.1(6) de la Loi).

Exposé des faits

[3] Nous ne présentons qu’un simple résumé des faits, puisqu’ils sont décrits en détail dans les motifs de la Cour canadienne de l’impôt.

[4] En 1997, M. Krumm a fait l’acquisition d’une participation de 50 % dans le logiciel d’une application informatique appartenant à Intersports Acceleration Corp. (IAC). Un vendeur d’assurance, M. Vladimir Morgun, qui était également actionnaire d’IAC, lui a présenté IAC.

[5] Les négociations relatives à l’achat ont été menées par l’avocat de M. Krumm, Me Dennis Nerland.

[6] Dans l’accord d’acquisition, on prévoyait un prix d’achat de 2,8 millions de dollars. Le prix d’achat devait être versé en espèces, soit 700 000 $, et le reste était payable au moyen d’un billet à ordre de 2,1 millions de dollars portant intérêt. Aux termes de l’accord d’acquisition, M. Krumm n’était pas en fait exposé à un risque relativement à son obligation de payer les intérêts ou le capital sur le billet, et aucun de ces paiements n’a été effectué.

[7] Au cours des années d’imposition 1997 et 1998, M. Krumm a demandé une déduction pour amortissement équivalente au prix d’achat de 2,8 millions de dollars. Il a également demandé des déductions pour les intérêts courus sur le billet, mais seule la déduction pour amortissement est contestée dans le présent appel.

[8] Avant la clôture de l’acquisition, IAC a remis à M. Krumm un rapport d’évaluation du logiciel qu’IAC avait demandé à un cabinet d’évaluateurs, Emc Partners. Les auteurs du rapport étaient d’avis que la juste valeur marchande du logiciel était d’au moins 11,2 millions de dollars.

[9] Il est frappant de constater que très peu d’éléments de preuve ont été présentés à la Cour canadienne de l’impôt au sujet de la commercialisation initiale du logiciel, sauf en ce qui concerne la vente à M. Krumm.

Norme de contrôle

[10] La norme de contrôle applicable en appel s’applique au présent appel. Les questions de droit doivent être examinées selon la norme de la décision correcte et les questions de fait ainsi que les questions mixtes de droit et de fait (à l’exclusion des questions de droit isolables) doivent être examinées selon la norme de l’erreur manifeste et dominante : voir l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235).

Analyse

[11] Il ressort clairement du contexte factuel qu’il était prévu que M. Krumm débourse une somme en espèces de 700 000 $ et qu’il percevrait des avantages fiscaux supérieurs à cette somme d’argent. Il s’agissait d’un investissement sans aucun risque, dans la mesure où les déductions fiscales résistaient à un examen approfondi.

[12] La seule question en litige dans le présent appel est de savoir si la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur en concluant qu’il était impossible de se prévaloir des déductions fiscales au motif que le logiciel constituait un abri fiscal, tel qu’il est défini. Devant la Cour canadienne de l’impôt, la Couronne a soulevé un argument subsidiaire selon lequel la demande de déductions fiscales était déraisonnable au sens de l’article 67 de la Loi. La Cour canadienne de l’impôt a rejeté cet argument et la Couronne n’a pas interjeté appel de cette conclusion.

[13] M. Krumm allègue que la Cour canadienne de l’impôt a commis deux erreurs susceptibles de révision en appliquant les dispositions relatives aux abris fiscaux à l’espèce.

· La Cour n’a pas conclu que les dispositions relatives aux abris fiscaux se limitaient aux abris fiscaux commercialisés publiquement et à la promotion des transactions.

· La Cour a commis une erreur en concluant qu’il est possible d’inférer un statut d’abri fiscal à partir de déclarations équivoques et mitigées quant aux déductions admissibles.

[14] L’expression « abri fiscal », telle qu’elle est définie au paragraphe 237.1(1) de la Loi, désigne généralement un bien commercialisé en tenant pour acquis que les acquéreurs éventuels pourraient s’attendre à un résultat après impôt s’ils acquièrent une part dans ce bien. Le passage pertinent de la définition applicable aux années d’imposition en cause est ainsi libellé : « […] il est raisonnable de considérer, compte tenu de déclarations ou d’annonces faites ou envisagées relativement au bien, que, [...] dans les quatre ans [...] le total des montants représentant chacun un montant [...] qui est annoncé comme étant déductible [...] serait égal ou supérieur [...] au coût du bien, tel que rajusté. »

Application restreinte aux transactions commercialisées publiquement

[15] M. Krumm affirme que l’arrangement conclu avec IAC était une opération privée et non le type d’arrangement visé par les dispositions relatives aux abris fiscaux destinées à s’appliquer uniquement aux transactions commercialisées publiquement. Il soutient que la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur en ne tenant pas compte de cet objectif législatif.

[16] La Cour canadienne de l’impôt a conclu (au paragraphe 32 des motifs) que le rapport d’évaluation satisfaisait aux exigences de la loi applicable parce qu’il « contenait des déclarations qui visaient à recruter des investisseurs potentiels, dont M. Krumm, afin qu’ils achètent le logiciel en raison de ses caractéristiques fiscales ».

[17] Je souscris à la conclusion de la Cour canadienne de l’impôt sur cette question. D’après le rapport d’évaluation, IAC a demandé une évaluation en prévision de la vente d’une participation dans le logiciel à des investisseurs. Les auteurs du rapport indiquent également que les modalités du projet d’accord d’acquisition ont été prises en considération quant à certains aspects de l’évaluation. Selon ces déclarations, le rapport visait à influencer les investisseurs potentiels et les conditions de la vente proposées avaient été établies à l’avance à cette fin.

[18] L’argument de M. Krumm n’est pas étayé par les faits ni fondé sur une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique de la définition de l’expression « abri fiscal ». En ce qui concerne les faits, les auteurs du rapport d’évaluation indiquent clairement que le rapport visait à influencer les acquéreurs éventuels. Quant à l’interprétation de la définition de l’expression « abri fiscal », aucun élément du libellé ou du contexte n’indique que les dispositions doivent se limiter aux transactions commercialisées publiquement. Concernant son objet, le ministère des Finances s’est dit préoccupé par la promotion agressive « d’abris fiscaux abusifs » (Canada, ministre des Finances, Annonce de mesures limitant le recours aux abris fiscaux, communiqué de presse 94-112 (Ottawa : ministère des Finances, 1er décembre 1994)). Le fait de n’appliquer la loi qu’à certains types de promotions irait à l’encontre des préoccupations exprimées par le gouvernement.

Contenu obligatoire des déclarations ou des annonces

[19] M. Krumm soutient que les dispositions relatives aux abris fiscaux ne s’appliquent pas parce que les auteurs du rapport d’évaluation n’indiquent pas explicitement qu’un montant sera déductible aux fins du calcul de l’impôt. Deux arguments sont soulevés. D’abord, M. Krumm fait valoir que les déclarations contenues dans le rapport ne sont pas suffisantes parce qu’elles ne renvoient pas à un montant précis déductible. M. Krumm fait également référence à une réserve émise dans le rapport, et indique que, dans le rapport, on ne mentionne pas de façon non équivoque que les déductions seront admissibles.

[20] La Cour canadienne de l’impôt a rejeté ces arguments et a conclu que les déclarations et annonces contenues dans le rapport satisfaisaient aux exigences de la loi. Au paragraphe 30 des motifs, la Cour s’est exprimée ainsi :

[30] [...] Je suis d’avis que les avis et annonces de nature fiscale figurant dans le rapport d’évaluation étaient destinés à informer l’acquéreur éventuel quant au traitement fiscal auquel il pouvait s’attendre s’il achetait un logiciel. Je suis aussi d’avis que les annonces étaient suffisamment détaillées pour raisonnablement considérer que l’acquéreur éventuel pouvait déduire la totalité du coût d’achat du logiciel sur une période de deux ans.

[21] Ces sujets soulèvent des questions mixtes de fait et de droit auxquelles s’applique la norme de l’erreur manifeste et dominante.

[22] Le rapport d’évaluation est au cœur de ces questions. Il faut se demander si le rapport, dans son ensemble, satisfait à l’exigence de la loi selon laquelle un acquéreur éventuel conclurait raisonnablement qu’il pourrait déduire la totalité du coût d’achat sur une période de deux ans.

[23] Je ferais remarquer que le rapport d’évaluation est inhabituel en ce qu’il renferme des avis fiscaux ainsi qu’une évaluation, comme les auteurs le démontrent dans leurs conclusions :

[TRADUCTION]

51. Nous sommes d’avis que chacun des modules de ce programme informatique est un logiciel d’application et que chacun d’entre eux est considéré comme un bien de la catégorie 12 en application de la Loi de l’impôt sur le revenu et de son règlement. Les investissements futurs dans le programme informatique en utilisant les dispositions de cet article de la Loi pourraient être quelque peu compromis par les modalités et conditions de cette vente/acquisition.

52. Nous sommes d’avis que chacun des modules de ce programme informatique est accessible sur le marché pour une utilisation en application de la Loi de l’impôt sur le revenu et de son règlement.

53. Nous sommes d’avis, d’après les restrictions et hypothèses mentionnées dans les présentes, que la juste valeur marchande des flux de rentrées et du programme informatique, au 25 juin 1997, est d’au moins 11,2 millions de dollars.

[24] Le rapport comprend également une hypothèse selon laquelle ces lois fiscales ne seront pas modifiées dans un avenir prévisible :

[TRADUCTION]

49. Pour conclure notre avis quant à la valeur, nous avons présumé, en plus des hypothèses mentionnées ailleurs dans les présentes, ce qui suit :

[…]

g) les lois fédérales et provinciales de l’impôt sur le revenu qui étaient en vigueur à la date d’évaluation continueront de l’être dans un avenir proche (y compris les modifications proposées à la Loi de l’impôt sur le revenu qui ont été annoncées par le ministre des Finances le 1er décembre 1994);

[25] La norme de contrôle de l’erreur manifeste et dominante est très rigoureuse et n’est pas satisfaite en l’espèce. Pour être manifeste, l’erreur doit être évidente. La Cour canadienne de l’impôt n’a pas commis d’erreur en concluant que les acquéreurs éventuels pourraient raisonnablement considérer que, selon le rapport, ils pourraient déduire le coût d’achat sur la période permise pour un bien de la catégorie 12, prêt à être utilisé.

[26] M. Krumm soutient également que l’avis fiscal contenu dans le rapport est assorti d’une réserve et qu’il ne constitue donc pas une annonce suffisante au sens de la loi pertinente. Cet argument a trait à la réserve exprimée dans l’avis fiscal, au paragraphe 51 du rapport : [TRADUCTION] « […] Les investissements futurs dans le programme informatique en utilisant les dispositions de cet article de la Loi pourraient être quelque peu compromis par les modalités et conditions de cette vente/acquisition ».

[27] Cet argument tient au fait qu’au paragraphe 51 du rapport, les auteurs préviennent les acquéreurs éventuels que les modalités de l’accord pourraient avoir des répercussions négatives en terme de conséquences fiscales sur les modalités de l’accord. Je remarque que cette réserve ne s’applique qu’aux « investissements futurs » plutôt qu’à « cette vente/acquisition ». La Cour n’a commis aucune erreur en concluant que cette réserve ne s’applique aucunement aux acquéreurs éventuels dans « cette vente/acquisition ».

Conclusion

[28] J’ai donc conclu qu’il n’existait aucune erreur susceptible de révision dans les motifs de la Cour canadienne de l’impôt qui justifie l’intervention de notre Cour. Je rejetterais l’appel, avec dépens.

« Judith Woods »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Richard Boivin, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Donald J. Rennie, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme.

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-50-20

INTITULÉ :

JAMES KRUMM c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 AVRIL 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE WOODS

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 19 AVRIL 2021

 

COMPARUTIONS :

Matthew Clark

 

POUR L’APPELANT

 

Wendy Bridges

 

POUR L’INTIMÉE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Matthew Clark Professional Corporation

Calgary (Alberta)

 

POUR L’APPELANT

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 

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