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Date : 20210421


Dossiers : A-279-19

A-414-19

Référence : 2021 CAF 81

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

 

Dossier : A-279-19

ENTRE :

CHAO YUAN LIN, XIANG ZHOU et HUA REN

appelants

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

intimé

Dossier : A-414-19

ET ENTRE :

YONG CHENG

appelant

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

intimé

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 21 avril 2021.

Jugement rendu à l’audience à Ottawa (Ontario), le 21 avril 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE STRATAS

 


Date : 20210421


Dossiers : A-279-19

A-414-19

Référence : 2021 CAF 81

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

 

Dossier : A-279-19

ENTRE :

CHAO YUAN LIN, XIANG ZHOU et HUA REN

appelants

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

intimé

Dossier : A-414-19

ET ENTRE :

YONG CHENG

appelant

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Ottawa (Ontario), le 21 avril 2021.)

LE JUGE STRATAS

[1] Les appelants interjettent appel de jugements rendus par la Cour fédérale (les juges Barnes et Heneghan) : 2019 CF 862 et 2019 CF 1318, respectivement. Dans chacune de ces décisions, la Cour fédérale a rejeté les demandes de contrôle judiciaire des appelants quant aux décisions des délégués du ministre. Les délégués ont renvoyé les appelants à des audiences d’interdiction de territoire devant la Section de l’immigration aux termes de l’article 44 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

[2] Le ministre prétend que les demandes de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale et, par conséquent, les appels devant notre Cour, sont prématurés. Pour ce motif, il prétend que notre Cour devrait rejeter les appels.

[3] Nous sommes du même avis. Les présentes demandes d’appel sont rejetées. Les présents motifs de jugement seront versés dans le dossier A-279-19 et une copie sera versée au dossier A‑414-19.

[4] En l’espèce, les délégués du ministre, agissant conformément à l’article 44, ont dit estimer, sur la foi des éléments de preuve, que les circonstances sont suffisantes pour justifier une enquête plus formelle et une décision sur l’interdiction de territoire par la Section de l’immigration et, au besoin, la Section d’appel de l’immigration. Le processus s’apparente à un exercice d’évaluation préalable en ce sens qu’il n’y a pas de conclusion d’interdiction de territoire ni de modification de statut. Les appelants auront pleinement l’occasion de présenter des éléments de preuve et de faire valoir leurs arguments factuels et juridiques ainsi que leurs préoccupations concernant les questions pertinentes devant la Section de l’immigration et la Section d’appel de l’immigration. Ils pourront soulever, entre autres, toute question d’équité procédurale ou question de fond concernant le processus d’évaluation préalable fondé sur l’article 44 qui mine la capacité de la Section de l’immigration à procéder. Par la même occasion, les questions concernant les fausses déclarations donnant lieu à l’octroi de la résidence permanente, la connaissance pertinente des appelants et les motifs d’ordre humanitaire seront examinées. Ainsi, en l’espèce, les instances devant la Section de l’immigration et la Section d’appel de l’immigration peuvent être instruites et sont efficaces : Strickland c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 37, [2015] 2 R.C.S. 713, par. 42.

[5] Selon la règle générale, aucun contrôle judiciaire ne devrait être demandé avant que tous les recours administratifs ouverts et adéquats aient été exercés : Canada (Agence des services frontaliers) c. C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61, [2011] 2 R.C.F. 332; Canada (Revenu national) c. JP Morgan Asset Management (Canada) Inc., 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557, par. 84; Dugré c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 8; et dans le contexte de l’immigration, voir Sidhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 260, 19 Imm. L.R. (3d) 113, citée avec approbation dans Somodi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 288, [2010] 4 R.C.F. 26, par. 19. Pour renforcer ce point, il convient de souligner l’alinéa 72(2)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui interdit de demander le contrôle judiciaire tant que tous les appels administratifs n’ont pas été épuisés.

[6] La règle générale ne s’applique pas lorsqu’il existe des circonstances exceptionnelles. Il s’agit d’une exception « très rare » et le seuil à atteindre pour qualifier d’exceptionnelles les circonstances est élevé, comme c’est le cas pour les brefs de prohibition : arrêt C.B. Powell, par. 33; arrêt Dugré, par. 35 et 36; Wilson c. Énergie atomique du Canada Limitée, 2015 CAF 17, [2015] 4 R.C.F. 467, par. 33, infirmé sur un autre point, 2016 CSC 29, [2016] 1 R.C.S. 770. Ce seuil est le plus près possible de l’absolu de sorte que les contrôles judiciaires ne perturbent pas le déroulement ordonné et efficace des instances administratives : arrêt C.B. Powell, par. 32; arrêt Dugré, par. 37. Il faut aussi se rappeler que les instances législatives ont confié la prise de décisions sur le fond aux décideurs administratifs, et non aux tribunaux judiciaires, et donc, à défaut de circonstances exceptionnelles ou d’une loi prévoyant le contraire, les tribunaux de révision ne devraient pas intervenir avant que les décideurs administrateurs aient terminé leur tâche : arrêt C.B. Powell, par. 32. En l’espèce, les appelants ne soutiennent pas qu’ils atteignent ce seuil élevé et, compte tenu du présent dossier, ils ne pourraient pas le faire. Les appelants dans le dossier A-279-19 soulignent l’importance des questions qu’ils soulèvent ainsi que des questions de compétence et d’équité procédurale; toutefois, comme l’arrêt C.B. Powell nous l’enseigne, ces éléments ne constituent pas à eux seuls des circonstances exceptionnelles.

[7] Les appelants soutiennent que le ministre ne s’est pas opposé à leurs demandes de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale et qu’il est donc maintenant trop tard pour qu’il le fasse. Nous ne sommes pas d’accord. Pour les raisons exprimées au paragraphe précédent et conformément à la jurisprudence de notre Cour, la règle interdisant le caractère prématuré des contrôles judiciaires peut être invoquée pour la première fois en appel : arrêt Dugré, par. 19 à 25; Budlakoti c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 139, 473 N.R. 283. En effet, tous les tribunaux judiciaires, y compris les cours d’appel, peuvent examiner la question de leur propre chef, de préférence le plus tôt possible en invoquant l’article 74 des Règles ou en exerçant leurs pouvoirs pléniers, et recevoir les observations des parties sur la question : arrêt Dugré, par. 29 à 32, 38; Forest Ethics Advocacy Association c. Canada (Office national de l’énergie), 2014 CAF 245, [2015] 4 R.C.F. 75, par. 22; Alexion Pharmaceuticals Inc. c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 241, 154 C.P.R. (4th) 165, par. 47 à 56. Un contrôle judiciaire ou un appel subséquent qui est voué à l’échec entraîne un gaspillage des ressources et devrait être étouffé dans l’œuf : arrêt Wilson, par. 32; Hébert c. Wenham, 2020 CAF 186, par. 8; Lee c. Canada (Service correctionnel), 2017 CAF 228, par. 15.

[8] Durant leurs plaidoiries, les appelants dans le dossier A-279-19 ont prétendu que le caractère prématuré ne peut maintenant être soulevé puisqu’ils ont reçu l’autorisation de demander le contrôle judiciaire. Nous rejetons cette prétention. Malgré l’octroi de cette autorisation, toute objection bien fondée à l’audition ou à l’octroi d’une mesure de redressement dans le cadre d’un contrôle judiciaire peut être soulevée ultérieurement.

[9] En l’espèce, si le ministre avait soulevé la question devant la Cour fédérale ou si celle-ci l’avait examinée de son propre chef le plus tôt possible, beaucoup de temps, de dépenses et de ressources judiciaires auraient été économisés.

[10] Plusieurs des appelants initialement nommés dans l’intitulé de cause se sont désistés de leur appel. Le ministre nous demande de les retirer de l’intitulé. Nous en ordonnerons ainsi.

[11] Par conséquent, nous rejetterons les appels. Ce rejet ne portera pas atteinte au droit de présenter ultérieurement et de manière appropriée toute demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale au moment opportun et d’invoquer tout motif valable remettant en question le processus administratif et la prise de décision administrative. Il ne sera pas répondu aux questions certifiées.

« David Stratas »

j.c.a.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossiers :

A-279-19 et A-414-19

APPEL D’UN JUGEMENT DE LA JUGE HENEGHAN DATÉ DU 21 OCTOBRE 2019, DOSSIER NO IMM-1915-19

APPEL D’UN JUGEMENT DU JUGE BARNES DATÉ DU 26 JUIN 2019, DOSSIER NOS IMM-1061-18, IMM-2023-18, IMM-3358-18 ET IMM-3629-18

DOSSIER :

A-279-19

 

 

INTITULÉ :

CHAO YUAN LIN ET AL. c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

ET DOSSIER :

A-414-19

 

 

INTITULÉ :

YONG CHENG c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ORGANISÉE PAR LE GREFFE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 avril 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :

LE JUGE STRATAS

COMPARUTIONS :

Lawrence Wong

Wennie Lee

 

POUR LES APPELANTS DANS LE DOSSIER NO A‑279-19, CHAO YUAN LIN, XIANG ZHOU ET HUA REN

 

Robert Leong

POUR L’APPELANT DANS LE DOSSIER NO A‑414-19

 

Kristina Dragaitis

David Joseph

POUR L’INTIMÉ DANS LE DOSSIER NO A‑279-19

 

Helen Park

Daniel Nunez

POUR L’INTIMÉ DANS LE DOSSIER NO A‑414-19

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lawrence Wong & Associates

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LES APPELANTS DANS LE DOSSIER NO A‑279-19, CHAO YUAN LIN, XIANG ZHOU ET HUA REN

 

Lowe and Company

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR L’APPELANT DANS LE DOSSIER NO A‑414-19

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

POUR L’INTIMÉ DANS LES DOSSIERS NOS A‑414-19 ET A‑279-19

 

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