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Date : 20210422


Dossier : A-144-20

Référence : 2021 CAF 79

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LOCKE

 

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

DANY DUVAL

défendeur

Audience tenue par vidéoconférence en ligne organisée par le greffe, le 14 avril 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 22 avril 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE LOCKE

 


Date : 20210422


Dossier : A-144-20

Référence : 2021 CAF 79

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LOCKE

 

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

DANY DUVAL

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GLEASON

[1] Le demandeur sollicite l’annulation de la décision rendue le 15 mai 2020 par une arbitre de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral dans l’affaire Duval c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2020 CRTESPF 53, 2020 CarswellNat 2249 [Duval CRTESPF 2020]. Dans cette décision, l’arbitre a déterminé que le fonctionnaire s’estimant lésé avait été victime de discrimination fondée sur son invalidité puisque l’employeur n’avait pas satisfait à son devoir d’accommodement raisonnable envers le fonctionnaire lorsque ce dernier a tenté de retourner au travail après une absence due à son invalidité. Par conséquent, l’arbitre a accordé au fonctionnaire une indemnité de 5 000 $ pour préjudice moral aux termes de l’alinéa 53(2)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, c. H-6.

[2] L’arbitre a rendu la décision en question après que notre Cour eut annulé, dans Canada (Procureur général) c. Duval, 2019 CAF 290, 2019 CarswellNat 6806 (Duval CAF 2019), la décision antérieure de l’arbitre dans Duval c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2018 CRTESPF 52, 2018 CarswellNat 4040. En annulant cette décision initiale, notre Cour a renvoyé le grief à la Commission pour réexamen conformément aux motifs de la Cour. Dans ses motifs, notre Cour a indiqué qu’il n’était pas loisible à la Commission, lors du réexamen, de remettre en question les conclusions tirées dans sa décision initiale quant au caractère raisonnable de certains aspects de la recherche d’affectation menée par l’employeur. Notre Cour a déclaré :

[38] Le demandeur nous invite, au lieu de renvoyer le grief à la CRTESPF aux fins de réexamen, à prendre plutôt la mesure assez inhabituelle d’instruire le grief et de le rejeter. Bien qu’il puisse exister des cas où il est approprié qu’une cour retienne cette solution (voir, par exemple, Canada (Citizenship and Immigration) c. Tennant, 2019 FCA 206, 436 D.L.R. (4th) 155 (C.A.F.)), tel n’est pas le cas en l'espèce, car il n’est pas acquis que le grief doit être rejeté.

[39] La CRTESPF a entendu plusieurs jours de témoignage en l’espèce et, conformément à la procédure habituelle dans les affaires relatives au droit du travail, il n’en existe aucune transcription. La décision est également assez brève en ce qui concerne ses observations concernant la preuve. Compte tenu de l’importance des conclusions de fait dans les affaires d’accommodement, notre Cour n’est pas en mesure de se mettre à la place de la Commission et de rendre une décision sur le grief. La meilleure solution consiste à renvoyer le grief à la CRTESPF aux fins de réexamen, de préférence par la même arbitre si elle peut instruire l’affaire.

[40] Il n’est pas loisible à la Commission, lors du réexamen, de remettre en question les conclusions tirées dans la décision initiale quant au caractère raisonnable de la décision du SCC de concentrer sa recherche d’emploi uniquement sur les affectations permanentes, ni quant au caractère raisonnable des préoccupations du SCC concernant le bilinguisme, la présence de l’ex-épouse du défendeur à Cowansville et la présence du détenu qui avait agressé le défendeur à Donnacona. Ces questions ont été tranchées de façon définitive et rien ne permet de conclure que ces décisions sont déraisonnables. Le principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée exclut par conséquent leur remise en cause.

[41] Lors du réexamen, la CRTESPF ne doit pas oublier que la jurisprudence reconnaît que l’accommodement en milieu de travail appelle la coopération de toutes les parties du lieu de travail – l’employeur, l’employé et, s’il y en a un, l’agent de négociation – qui doivent dialoguer raisonnablement en vue de trouver un travail que l’employé atteint d’une invalidité est capable de faire : Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, 1992 CanLII 81 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 970, aux pages 989 à 991, 141 N.R. 185 (C.S.C.) [Renaud]. Ainsi, comme le défendeur l’a admis devant nous, il était tout à fait convenable pour le SCC de demander au défendeur d’indiquer ses préférences de lieu de travail et d’essayer de lui trouver un poste dans l’un des établissements qu’il avait désignés.

[42] En outre, la CRTESPF ne doit pas oublier que ce qui est exigé de la part d’un employeur est un accommodement raisonnable, mais pas nécessairement parfait, comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans les arrêts Renaud, aux pages 994 et 995, et Elk Valley Coal, au paragraphe 56.

[3] Dans la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur soutient que l’arbitre n’a pas respecté ces consignes et qu’à la lumière de ces consignes, la conclusion de l’arbitre selon laquelle l’employeur a manqué à son obligation d’accommodement est déraisonnable.

[4] En tout respect, je ne suis pas d’accord. Tel que notre Cour l’a indiqué au paragraphe 38 de ses motifs dans Duval CAF 2019, il n’était pas acquis que le grief devait être rejeté ; autrement dit, il était loisible à l’arbitre d’accueillir le grief.

[5] De plus, dans la décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire, l’arbitre n’a pas cherché à revenir sur ses conclusions antérieures qu’elle ne devait pas, en fonction des consignes de notre Cour, remettre en question. L’arbitre a plutôt fondé sa nouvelle décision sur les faits suivants : (1) le fait que l’employeur avait, pendant trois mois, limité sa recherche d’affectation aux seuls trois établissements identifiés par le fonctionnaire dans sa demande de mutation (aux paragraphes 39 et 44) et (2) le fait que l’employeur était plus préoccupé par des considérations d’ordre organisationnel que par son obligation de respecter les limitations du fonctionnaire pour faciliter sa réintégration (aux paragraphes 42 et 46). De plus, elle a noté que le fonctionnaire avait dû s’enquérir à maintes reprises de la démarche de l’employeur dans sa recherche d’affectation (paragraphe 45).

[6] À partir de ces conclusions de faits, l’arbitre a tiré les conclusions suivantes aux paragraphes 45 à 47 :

[…] Je n’ai reçu aucune preuve que la situation du fonctionnaire devait être considérée comme une recherche de mesure d’accommodement, avec l’urgence que cela implique. La mutation était une procédure acceptable en soi, mais il aurait fallu reconnaître qu’elle ne tirait pas son origine d’un simple vœu du fonctionnaire (comme quelqu’un qui souhaite déménager), mais bien d’une lésion professionnelle.

Je suis convaincue que, si la recherche d’affectation avait été perçue sous l’angle de l’accommodement médical, le fonctionnaire aurait été traité différemment. Je continue donc de penser que l’accommodement était déficient, dans le traitement qu’on a infligé au fonctionnaire pendant cette période, et que le fonctionnaire a par conséquent été victime de discrimination. Ce n’est pas qu’une mutation n’était pas une solution raisonnable, mais plutôt qu’à aucun moment on n’ait rassuré le fonctionnaire qu’on cherchait un accommodement raisonnable, compte tenu de sa situation médicale. Bien au contraire. On opposait à ses demandes d’information non seulement des obstacles d’ordre personnel (bilinguisme, présence de l’ex-conjointe et du détenu), mais aussi des obstacles systémiques (par exemple le budget et le nombre de postes en région).

La Cour me demande de tenir compte des principes de l’arrêt Renaud. Il me semble que, d’après cet arrêt, la collaboration de tous est essentielle. Cette collaboration aurait été concrétisée si l’employeur avait convoqué le fonctionnaire et l’agent négociateur dès le 13 mars 2012 pour faire état de la situation et parler de solutions pour réaffecter le fonctionnaire. Il ne l’a pas fait. Dans les circonstances, c’est la collaboration limitée de l’employeur qui pose problème.

[7] À mon avis, il était loisible à l’arbitre de tirer ces conclusions compte tenu des faits pertinents et ces conclusions ne contredisent pas les consignes que notre Cour a formulées en renvoyant le grief à la Commission pour réexamen. En fin de compte, les conclusions tirées par l’arbitre sont de nature hautement factuelle. Il n’appartient pas à la Cour, lors d’un contrôle judiciaire, de réévaluer elle-même les faits et de substituer son opinion à celle de l’arbitre.

[8] Je suis d’accord avec le demandeur qu’il semblerait que l’arbitre s’est trompée en indiquant que le formulaire de mutation de l’employeur ne permettait d’indiquer que trois établissements ; or, cela importe peu puisque cette erreur n’était pas pertinente au raisonnement de l’arbitre. L’arbitre n’a pas conclu que l’accommodement était insuffisant parce que le fonctionnaire était contraint à choisir un nombre fixe d’établissements potentiels, mais plutôt que l’employeur avait manqué à son obligation d’accommodement raisonnable en partie parce que ce dernier avait limité sa recherche d’affectation, pendant trois mois, aux seuls postes suggérés par le fonctionnaire sans considérer d’autres options. Il revient non pas à notre Cour, mais bien à l’arbitre, bénéficiant d’avoir entendu la preuve et observé les témoins, de déterminer si le fait de limiter ainsi la recherche d’affectation a contribué à un manquement à l’obligation d’accommoder le fonctionnaire.

[9] Ainsi, je suis d’avis que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée, avec dépens.

« Mary J.L. Gleason »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

J.D. Denis Pelletier j.c.a. »

« Je suis d’accord.

George R. Locke j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-144-20

 

INTITULÉ :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. DANY DUVAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

par vidéoconférence en ligne

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 avril 2021

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

 

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE LOCKE

 

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 avril 2021

 

 

COMPARUTIONS :

Karl Chemsi

Andréanne Laurin

 

Pour lE DEMANDEUR

 

Yanick Vézina

 

Pour lE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureur général du Canada

 

Pour lE DEMANDEUR

 

Laroche Martin

Service Juridique de la CSN

Montréal (Québec)

Pour lE DÉFENDEUR

 

 

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