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Date : 20210427


Dossier : A-295-20

Référence : 2021 CAF 85

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

MOHAMED HARKAT

appelant

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

intimés

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 27 avril 2021.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 


Date : 20210427


Dossier : A-295-20

Référence : 2021 CAF 85

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

MOHAMED HARKAT

appelant

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

intimés

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE STRATAS

[1] La Cour suprême du Canada a confirmé le certificat de sécurité délivré contre M. Harkat : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Harkat, 2014 CSC 37, [2014] 2 R.C.S. 33.

[2] Quand le certificat de sécurité a été délivré, M. Harkat a été arrêté et détenu dans un établissement correctionnel. Il a été plus tard libéré sous de strictes conditions. Depuis, la Cour fédérale a procédé à de nombreux contrôles des conditions imposées à M. Harkat. À l’occasion, elle les a assouplies.

[3] Récemment, la Cour fédérale a effectué un nouveau contrôle : Harkat (Re), 2020 CF 715. La Cour fédérale a assoupli certaines des conditions. M. Harkat souhaite interjeter appel devant notre Cour.

[4] L’article 82.3 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, lui fait obstacle. Aux termes de cette disposition, il peut interjeter appel uniquement si la Cour fédérale certifie une question grave de portée générale dont sera saisie notre Cour.

[5] M. Harkat a demandé à la Cour fédérale de certifier une question. La Cour fédérale a refusé de le faire : Harkat (Re), 2020 CF 818. Malgré cela, M. Harkat a déposé un avis d’appel devant notre Cour.

[6] En réponse, le ministre a déposé la présente requête. Il demande, en vertu de l’article 74 des Règles des Cours fédérales, le retrait de l’avis d’appel du dossier de la Cour, au motif que notre Cour n’a pas compétence pour entendre l’appel. Le ministre s’appuie sur l’article 82.3 de la Loi et le refus de la Cour fédérale de certifier une question.

[7] M. Harkat s’oppose à la requête du ministre pour deux motifs. Premièrement, il affirme que l’article 82.3 est inconstitutionnel parce qu’il contrevient aux principes de justice fondamentale établis à l’article 7 de la Charte et que cette violation ne se justifie pas au regard de l’article 1 de la Charte. Subsidiairement, il soutient que sa situation est visée par certaines exceptions à l’article 82.3 établies par les tribunaux et qu’il peut donc faire appel.

A. Discussion

1) La thèse fondée sur la Charte

[8] La thèse de M. Harkat fondée sur la Charte à l’égard de l’article 82.3 est vouée à l’échec. Notre Cour a rejeté cette thèse à de nombreuses reprises : Huynh c. Canada, [1996] 2 C.F. 976 (C.A.F.); Huntley c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 273, [2012] 3 R.C.F. 118. De plus, la Constitution ne garantit pas de droit à un appel de plein droit ni de droit à un appel sans restriction : Huynh, par. 12 à 18, renvoyant à R. c. Meltzer, [1989] 1 R.C.S. 1764, aux p. 1773 et 1774, et Kourtessis c. M.R.N., [1993] 2 R.C.S 53, par. 69 et 70; voir également les arrêts Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350, par. 136, et Syndicat canadien de la fonction publique (Transport aérien, composante d’Air Canada, comité de santé et de sécurité au travail de la section locale 4004) c. Air Canada, 2007 CAF 279, par. 11. L’article 82.3 est constitutionnel.

2) La thèse fondée sur des exceptions à l’article 82.3 établies par les tribunaux

[9] La partialité réelle ou apparente constitue une exception à l’exigence de la question certifiée : Canada (Solliciteur général) c. Subhaschandran, 2005 CAF 27, [2005] 3 R.C.F. 255, par. 15; Es-Sayyid c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CAF 59, [2013] 4 R.C.F. 3, par. 28. M. Harkat soutient que la Cour fédérale était partiale.

[10] M. Harkat présente dans l’avis d’appel et ses observations écrites quelques exemples de ce qu’il considère comme étant de la partialité de la Cour fédérale. D’abord, M. Harkat attire l’attention de notre Cour sur la déclaration de la Cour fédérale selon laquelle elle a élargi l’accès de M. Harkat à la technologie pour qu’il puisse occuper un « emploi rémunéré » et « adopter pleinement les valeurs de son pays adoptif ». Il attaque également les critiques de la Cour fédérale voulant qu’il n’ait pas respecté l’esprit de son ordonnance de détention et les conditions de sa mise en liberté. Enfin, il reproche à la Cour fédérale d’avoir omis [traduction] « de reconnaître le rôle joué par les ordonnances sur les problèmes de santé mentale de M. Harkat ou d’en assumer la responsabilité ».

[11] Aucun de ces exemples ne fait état d’une partialité réelle ou apparente. Même si on les interprète généreusement, ils sont loin de satisfaire au critère de la partialité réelle ou apparente énoncé dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, p. 394. L’appel de M. Harkat n’est pas visé par l’exception établie par les tribunaux concernant la partialité réelle ou apparente. Soulever des allégations qui mettent « en cause non seulement l’intégrité personnelle du juge, mais celle de l’administration de la justice tout entière » est « une décision sérieuse qu’on ne doit pas prendre à la légère » : R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, 1997 CanLII 324, par. 113. Dans des affaires d’immigration, il peut en résulter une condamnation aux dépens, parfois même contre l’avocat à titre personnel.

[12] M. Harkat soutient également que la Cour fédérale a outrepassé sa compétence. Il s’agit d’une autre exception établie par les tribunaux à l’exigence de la question certifiée. Cependant, cette exception n’est pas aussi large que l’affirme M. Harkat.

[13] Le critère auquel il faut satisfaire pour que cette exception s’applique est rigoureux : Tennant, par. 18. Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Tennant, 2018 CAF 132 (Tennant (2018)), un juge siégeant seul a indiqué que seules deux situations très rares faisaient jouer cette exception :

  • 1) Lorsque la Cour fédérale n’exerce pas sa compétence alors qu’elle est tenue de le faire; par exemple si la Cour fédérale devait trancher une question, mais ne l’a pas fait, et que l’issue de l’affaire dépendait de cette question : Tennant (2018), par. 14. Voir, par exemple, l’arrêt Canada (Solliciteur général) c. Subhaschandran, 2005 CAF 27, [2005] 3 R.C.F. 255.

  • 2) Lorsqu’il y a un vice de fond influant directement sur le jugement de la Cour fédérale ou la capacité de cette dernière de trancher le litige; par exemple si la décision révèle a priori que la Cour a manifestement outrepassé les limites de sa compétence, ou encore si l’avis d’appel compte des éléments importants montrant qu’il y a eu manquement au principe interdisant toute partialité réelle ou apparente; et lorsque le vice soulève une crainte sérieuse que la Cour fédérale n’a pas respecté la primauté du droit : Tennant (2018), par. 17.

[14] Dans l’arrêt Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 144, aux paragraphes 19 à 21, une formation de notre Cour a confirmé que, pour se prévaloir de cette exception, il fallait mettre en évidence des « questions très fondamentales » ou des « questions exceptionnelles » qui « touchent directement la primauté du droit ». Seul un vice de fond important touchant directement l’équité fondamentale d’une décision de la Cour fédérale peut faire jouer l’exception. Récemment, notre Cour a refusé de réexaminer la nature et la portée de cette exception : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Tennant, 2019 CAF 206, [2020] 1 R.C.F. 231 (Tennant (2019)).

[15] Maintes fois notre Cour a confirmé que cette exception ne vise pas les « erreurs ordinaires » ou les « erreurs de droit » : Mahjoub, par. 21; Tennant (2019), par. 51; Huntley, par. 8; Katriuk c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 9238 (C.A.F.), par. 8; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Goodman, 2016 CAF 126, par. 3 à 9. Si ces erreurs étaient visées, l’effet de l’article 82.3 serait réduit à néant. Notre Cour doit appliquer l’interdiction prévue par le législateur à l’article 82.3, qui empêche les parties d’interjeter appel lorsqu’aucune question n’a été certifiée. Seule une considération fondamentale touchant le principe constitutionnel de la primauté du droit incitera notre Cour à accepter d’entendre un appel : Tennant (2018), par. 12 à 14.

[16] M. Harkat s’oppose à la décision de la Cour fédérale de laisser certaines conditions en place. Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit ordinaire, non pas d’une question fondamentale touchant directement la primauté du droit.

[17] M. Harkat tente de monter la situation en épingle. Il soutient que la décision de la Cour fédérale de laisser certaines conditions en place est un « traitement cruel et inusité ». Même si cet argument est censé être fondé sur l’article 12 de la Charte – ce que M. Harkat ne fait pas explicitement – le fait que la question soit constitutionnelle ne suffit pas en soi : Wong c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 229, par. 18 et 19; Mahjoub, par. 23 et 24.

[18] Quoi qu’il en soit, les conditions laissées en place par la Cour fédérale ne satisfont pas aux critères rigoureux donnant lieu à une conclusion de traitement cruel et inusité : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Conseil canadien pour les réfugiés, 2021 CAF 72, par. 147. Enfin, comme cette question constitutionnelle n’a pas été soulevée devant la Cour fédérale, il s’agit d’une question soulevée pour la première fois devant notre Cour et elle n’a pas à être examinée : Performance Industries Ltd. c. Sylvan Lake Golf & Tennis Club Ltd., 2002 CSC 19, [2002] 1 R.C.S. 678.

B. Conclusion et dispositif proposé

[19] L’article 82.3 s’applique et interdit le présent appel. Par conséquent, j’ordonnerais le retrait de l’avis d’appel du dossier de la Cour et la fermeture du dossier. Même si des allégations de partialité complètement dénuées de fondement ont été soulevées contre la Cour fédérale, les ministres ne demandent pas les dépens, par conséquent aucuns dépens ne seront adjugés.

« David Stratas »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Richard Boivin, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Yves de Montigny, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-295-20

 

INTITULÉ :

MOHAMED HARKAT c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et al.

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

DATE DES MOTIFS :

Le 27 avril 2021

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Barbara Jackman

 

Pour l’appelant

 

Bernard Assan

 

Pour les intimés

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman & Associates

Toronto (Ontario)

 

Pour l’appelant

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

 

Pour les intimés

 

 

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