Date : 20210615
Dossier : A-88-20
Référence : 2021 CAF 120
[TRADUCTION FRANÇAISE]
CORAM :
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LE JUGE WEBB
LE JUGE NEAR
LE JUGE LASKIN
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ENTRE :
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SE-BHARAT SINGH
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demandeur
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et
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L’ASSOCIATION INTERNATIONALE DES MACHINISTES ET DES
TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DE L’AÉROSPATIALE, DISTRICT DES TRANSPORTS 140 et
AIR CANADA
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défenderesses
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Audience tenue par téléconférence organisée par le greffe, le 9 juin 2021.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 15 juin 2021.
MOTIFS DU JUGEMENT :
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LE JUGE WEBB
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Y ONT SOUSCRIT :
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LE JUGE NEAR
LE JUGE LASKIN
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Date : 20210615
Dossier : A-88-20
Référence : 2021 CAF 120
CORAM :
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LE JUGE WEBB
LE JUGE NEAR
LE JUGE LASKIN
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ENTRE :
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SE-BHARAT SINGH
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demandeur
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et
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L’ASSOCIATION INTERNATIONALE DES MACHINISTES ET DES
TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DE L’AÉROSPATIALE, DISTRICT DES TRANSPORTS 140 et
AIR CANADA
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défenderesses
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MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE WEBB
[1] Notre Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) le 26 février 2020 : 2020 CCRI LD 4293 (la décision sur la demande de réexamen). Il est important, en l’espèce, de se concentrer sur la décision précise qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire. Afin de situer cette décision dans son contexte, il paraît nécessaire de décrire brièvement les autres décisions connexes.
[2] En 2018, M. Singh a été congédié par Air Canada. Son syndicat, l’Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale, district des transports 140 (le syndicat), a déposé un grief, et une audience d’arbitrage a eu lieu le 11 juin 2018. Ce grief a été rejeté le 14 juin 2018.
[3] Selon le dossier, l’instance suivante dans cette affaire fut une plainte déposée par M. Singh, dans laquelle ce dernier alléguait que le syndicat avait contrevenu à l’article 37 du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2 (le Code), car il avait manqué à son devoir de juste représentation :
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[4] Le Conseil a rejeté la plainte de M. Singh (la décision Singh, 2019 CCRI LD 4135 [la première décision du Conseil]), le 30 avril 2019. M. Singh a ensuite déposé une demande de réexamen, qu’il a présentée au Conseil le 31 mai 2019. Le Conseil a rejeté sa demande le 26 février 2020, et c’est cette décision sur la demande de réexamen – et uniquement cette décision – qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.
[5] Dans la présente affaire, M. Singh allègue que, puisque Air Canada a été ajoutée à titre de partie à la présente instance, il pourrait également soulever la question visant à déterminer s’il a fait l’objet d’un congédiement abusif de la part d’Air Canada. Cependant, l’ajout d’Air Canada à titre de partie à la présente instance n’a pas modifié la nature de l’instance ni sa portée. La présente instance ne consiste toujours uniquement qu’en un contrôle judiciaire de la décision sur la demande de réexamen.
[6] Dans sa décision sur la demande de réexamen, le Conseil a rejeté la demande pour le motif qu’elle était hors délai. Le paragraphe 45(2) du Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles, DORS/2001-520, (le Règlement), dispose qu’une demande de réexamen d’une décision du Conseil doit être déposée dans les 30 jours suivant la date à laquelle cette décision a été rendue :
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[7] Malheureusement, la demande de M. Singh a été déposée 31 jours après la date à laquelle la première décision du Conseil a été rendue. Le Conseil a conclu que M. Singh n’avait pas demandé de prorogation de délai, ni n’avait fourni de raisons pour expliquer pourquoi il n’avait pas déposé sa demande de réexamen dans le délai prescrit. Le Conseil a donc rejeté sa demande parce qu’elle était hors délai. Le Conseil a ensuite indiqué que, même si sa demande avait été déposée dans le délai prescrit, le Conseil l’aurait quand même rejetée, car M. Singh ne l’avait pas convaincu qu’il existait quelque motif justifiant le réexamen de la première décision du Conseil.
[8] La norme de contrôle qui s’applique à l’examen du bien-fondé de la décision sur la demande de réexamen est celle de la décision raisonnable (Langevin c. Air Canada, 2020 CAF 48, para. 12). La question en litige est de déterminer si le Conseil a rendu une décision raisonnable en concluant que la demande de réexamen de la première décision du Conseil a été rejetée parce qu’elle n’a pas été présentée dans le délai prescrit.
[9] Dans sa demande de contrôle judiciaire de la décision sur la demande de réexamen, M. Singh a mentionné que M. Jean-Daniel Tardif (le directeur régional) lui avait accordé une prorogation pour dépôt. La demande ne précise toutefois pas à quelle organisation appartenait M. Tardif. Le seul renvoi à cette déclaration de M. Tardif est la brève mention en ce sens qui figure dans l’avis de demande de M. Singh. M. Singh a indiqué qu’il n’avait reçu qu’une approbation verbale à cette demande de prorogation. Il semble par ailleurs que M. Singh n’ait pas informé le Conseil des discussions qu’il a eues avec M. Tardif.
[10] L’article 46 du Règlement prévoit que le Conseil peut modifier toute règle de procédure ou dispenser une personne de s’y conformer, notamment à l’égard d’un délai :
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[11] Par conséquent, c’est au Conseil qu’appartient le pouvoir d’accorder toute prorogation de délai. Il n’y a rien dans le dossier qui indique que M. Tardif agissait au nom du Conseil ou qu’il était habilité à accorder une prorogation de délai à M. Singh. Rien n’indique non plus qu’une confirmation de ce que M. Tardif a dit à M. Singh a été obtenue de M. Tardif, ou que M. Singh a informé le Conseil de ses discussions avec M. Tardif lors de l’audition de sa demande de réexamen. Par conséquent, la décision du Conseil, selon laquelle la demande de réexamen de M. Singh n’a pas été déposée dans le délai prescrit, est raisonnable, et je rejetterais la présente demande pour ce motif.
[12] Rien non plus ne permettrait de conclure que le Conseil a commis une erreur en mentionnant que, subsidiairement, il aurait rejeté la plainte de M. Singh. Notre Cour dans l’arrêt Langevin c. Air Canada a mentionné que le Conseil joue un rôle limité lors du réexamen d’une décision antérieure :
[3] La jurisprudence du Conseil, comme l’a confirmé la Cour, est constante : le réexamen ne constitue ni un appel ni un nouvel examen de la décision initiale (Williams c. Section locale 938 de la Fraternité Internationale des Teamsters, 2005 CAF 302). Les comités de réexamen ne réévaluent pas la décision initiale, ne substituent pas leur propre appréciation de la preuve à celle du décideur initial et n’interviennent pas non plus simplement parce qu’ils auraient pu exercer leur pouvoir discrétionnaire différemment (Association des réalisateurs c. Société Radio-Canada, 2015 CCRI 763; Syndicat des communications de Radio-Canada (FNC-CSN) c. Mme Z, 2015 CCRI 752).
[4] Ces principes soutiennent les critères d’irrévocabilité et de certitude, qui sont des valeurs importantes dans le milieu de travail. Par conséquent, la jurisprudence du Conseil limite le pouvoir de réexamen à des cas exceptionnels, notamment :
1) lorsqu’il existe des faits qui n’auraient pas pu être portés à l’attention du comité initial et qui auraient pu persuader le Conseil de tirer une conclusion différente;
2) les erreurs de droit ou de politique générale qui remettent en cause l’interprétation du Code; et
3) le non-respect d’un principe de justice naturelle.
[13] Dans ses observations à l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire de la décision sur la demande de réexamen, M. Singh a énoncé plusieurs faits. Il n’apparaît toutefois pas clairement si le Conseil, au moment de rendre sa décision sur la demande de réexamen, avait été saisi de tous les faits mentionnés par M. Singh. La règle générale veut que le seul dossier de la preuve qui soit admissible lors d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par un conseil ou un tribunal particulier est le dossier de la preuve qui a été présenté à ce conseil ou tribunal.
[14] Dans l’arrêt Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, notre Cour a déclaré ce qui suit :
[41] Dans les régimes administratifs comme celui qui nous occupe, le législateur a confié au décideur administratif, et non au juge réformateur, la mission de dégager les faits. En raison de cette répartition des rôles, le juge réformateur ne peut s’autoriser à devenir une tribune de recherche des faits qui intéresse[nt] le fond de l’affaire. Voir, de manière générale, Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, 428 N.R. 297, au paragraphe 17.
[42] Par conséquent, en règle générale, les preuves produites devant la Cour fédérale lors d’une procédure en contrôle judiciaire se limite[nt] aux éléments qui ont été présentés au décideur administratif. Autrement dit, en règle générale, les preuves qui n’ont pas été produites au décideur administratif et qui intéresse[nt] le fond de l’affaire dont a été saisie la Commission [ne sont] pas recevable[s] lors d’une procédure de contrôle judiciaire. C’est pourquoi, à raison, la plupart des affidavits déposés dans une procédure de contrôle judiciaire ne portent que sur le dossier qui a été présenté au décideur administratif, sans plus. […]
[15] M. Singh n’a indiqué aucune exception à cette règle générale qui serait applicable. Par conséquent, seul le dossier de la preuve dont le Conseil a été saisi au moment de rendre sa décision sur la demande de réexamen peut être pris en compte. M. Singh n’a pu établir que la conclusion du Conseil, selon laquelle il n’a pas [traduction] « soulevé de faits nouveaux qui n’auraient pas pu être portés à l’attention du comité initial et qui vraisemblablement l’auraient amené à tirer une conclusion différente »
, était déraisonnable.
[16] Le Conseil a également conclu que [traduction] « M. Singh ne soulève, ni explicitement ni implicitement, aucune erreur de droit ou de politique générale, ni aucun non-respect par la formation initiale d’un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale »
. M. Singh ne conteste pas cette conclusion du Conseil.
[17] Dans sa demande, M. Singh a tenté de faire valoir de nouveau les raisons pour lesquelles son congédiement par Air Canada était, à son avis, abusif. Il ne s’agit toutefois pas de la question sur laquelle nous devons statuer dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire de la décision sur la demande de réexamen.
[18] Par conséquent, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Singh à l’encontre de la décision sur la demande de réexamen, sans dépens.
« Wyman W. Webb »
j.c.a.
« Je suis d’accord.
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D.G. Near, j.c.a. »
|
« Je suis d’accord.
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J.B. Laskin, j.c.a. »
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Traduction certifiée conforme.
Mario Lagacé, jurilinguiste
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COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE DE LA DÉCISION RENDUE PAR LE CONSEIL CANADIEN DES RELATIONS INDUSTRIELLES LE 26 FÉVRIER 2020, NO DE RÉFÉRENCE 2020 CCRI LD 4293
DOSSIER :
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A-88-20
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INTITULÉ :
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SE-BHARAT SINGH c. L’ASSOCIATION INTERNATIONALE DES MACHINISTES ET DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DE L’AÉROSPATIALE, DISTRICT DES TRANSPORTS 140 ET AIR CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Audience tenue par téléconférence organisée par le greffe
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 9 juin 2021
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MOTIFS DU JUGEMENT :
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LE JUGE WEBB
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Y ONT SOUSCRIT :
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LE JUGE NEAR
LE JUGE LASKIN
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DATE DES MOTIFS :
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Le 15 juin 2021
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COMPARUTIONS :
Se-Bharat Singh
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Pour son propre compte
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Elichai Shaffir
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Pour la défenderesse,
L’ASSOCIATION INTERNATIONALE DES MACHINISTES ET DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DE L’AÉROSPATIALE, DISTRICT DES TRANSPORTS 140
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Alexandra Meunier
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Pour la défenderesse,
AIR CANADA
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Cavalluzzo, s.r.l.
Toronto (Ontario)
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POUR LA DÉFENDERESSE,
L’ASSOCIATION INTERNATIONALE DES MACHINISTES ET DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DE L’AÉROSPATIALE, DISTRICT DES TRANSPORTS 140
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Avocat, Droit du travail et de l’emploi, Air Canada
Dorval (Québec)
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Pour la défenderesse,
AIR CANADA
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