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Date : 20210702


Dossier : A-319-19

Référence : 2021 CAF 132

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

JOHN WALL

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 10 juin 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 2 juillet 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LE JUGE LASKIN


Date : 20210702


Dossier : A-319-19

Référence : 2021 CAF 132

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

JOHN WALL

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE WEBB

[1] Notre Cour est saisie de l’appel d’un jugement rendu par le juge Visser de la Cour canadienne de l’impôt (2019 CCI 168), qui, à l’exception de certains rajustements découlant des concessions faites par le ministre du Revenu national (le ministre), a rejeté les appels interjetés par M. Wall à l’encontre des nouvelles cotisations établies en application de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la LIR) et des cotisations établies aux termes de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E-15 (la LTA).

[2] Les litiges fiscaux découlent de l’achat, par M. Wall, de trois habitations qu’il a démolies pour en construire de nouvelles qu’il a vendues durant la période allant de 2004 à 2010. De nouvelles cotisations ont été établies à son égard en application de la LIR, pour le motif que les gains résultant de la disposition de ces biens constituaient des gains au titre de revenus. Des cotisations ont aussi été établies à son égard au titre de la LTA pour le motif que les fournitures de ces biens étaient des fournitures taxables.

[3] Pour les motifs exposés ci-après, je rejetterais le présent appel.

I. Exposé des faits

[4] Les éléments de preuve qui ont été présentés par M. Wall et la Couronne sont exposés en détail dans les motifs du juge de la Cour de l’impôt, et il n’y a pas lieu de répéter le résumé qu’en a fait le juge. Seuls quelques faits importants seront soulignés. À moins d’indications contraires dans les présents motifs, tout numéro de paragraphe indiqué renvoie aux paragraphes des motifs du juge de la Cour de l’impôt.

[5] Bien qu’étant agent immobilier agréé à Vancouver, M. Wall n’a déclaré que de modestes revenus (de l’ordre de 15 000 $ à 20 000 $ par année) à titre d’agent immobilier (paragraphe 18) durant les années d’imposition en cause (2006, 2008 et 2010).

[6] Les faits se rapportant aux trois biens qui sont au cœur du présent contentieux sont semblables. Le premier bien (sis au 4007, 21rue Ouest) a été acheté le 29 novembre 2004 au prix de 580 000 $. Après en avoir fait l’acquisition, M. Wall a obtenu un permis de démolir et a démoli la maison qui s’y trouvait. Le 10 mars 2005, il a obtenu un permis pour y construire une nouvelle habitation. Il a pris les dispositions nécessaires en vue de la construction de la nouvelle maison qu’il a mise en vente le 13 janvier 2006, puis de nouveau le 13 février 2006. Le permis d’occuper a été délivré le 4 avril 2006, après la mise en vente du bien. Celui-ci a été vendu deux jours plus tard, le 6 avril 2006, au prix de 1 418 000 $.

[7] Le deuxième bien (sis au 4324, 14e avenue Ouest) a été acheté le 12 juin 2006, soit environ deux mois après la vente du premier bien, le 6 avril 2006. Le prix d’achat était de 890 000 $. Là encore, il semble que M. Wall ait démoli la maison qui se trouvait sur le terrain pour y construire une nouvelle habitation. Il a obtenu le permis de construire pour ce bien le 14 août 2006. Ce bien a été mis en vente le 19 janvier 2008, avant que la ville termine l’inspection finale de la construction, le 22 avril 2008. Il a été vendu le 25 mars 2008 au prix de 1 951 000 $.

[8] Le troisième bien en cause dans le présent appel (sis au 4668, 14e avenue Ouest) a été acheté le 12 août 2009 au prix de 1 127 500 $. Tout comme dans les deux premiers cas, la maison existante a été démolie. Le permis de construire pour ce bien a été délivré le 16 septembre 2009. Le bien a été mis en vente le 7 octobre 2010, avant que soit délivré le permis d’occuper le 23 novembre 2010. Il a été vendu trois jours plus tard, le 26 novembre 2010, au prix de 2 265 000 $.

[9] Durant son témoignage, M. Wall a indiqué qu’il avait fait l’acquisition de chacun des biens en cause à titre de lieu de résidence pour lui et son fils. Il a également déclaré qu’il avait occupé chacune des trois habitations durant un certain temps avant que chacune soit vendue. Dans ses déclarations de revenus, M. Wall n’a déclaré aucun gain provenant de la disposition de ces trois biens, car il a présumé que ces habitations seraient considérées comme sa résidence principale aux fins de la LIR et qu’il n’était donc pas tenu de déclarer les gains provenant de leur vente. De même, comme il ne se considérait pas comme un constructeur aux fins de la LTA, il n’a déclaré aucune dette fiscale nette au titre de cette loi.

[10] De nouvelles cotisations ont été établies à l’égard de M. Wall en application de la LIR pour ses années d’imposition 2006, 2008 et 2010, afin d’y inclure le revenu d’entreprise net non déclaré lié à la vente de ces trois biens. Des pénalités ont aussi été imposées en application du paragraphe 163(2) de la LIR. De plus, des avis de cotisation ont été délivrés aux termes de la LTA à l’égard de la taxe nette non déclarée relativement à la vente de ces biens, et des pénalités ont été imposées.

II. Décision de la Cour canadienne de l’impôt

[11] Les motifs du juge de la Cour de l’impôt portent essentiellement sur la question de savoir si M. Wall a exploité une entreprise, un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial en construisant et en vendant trois habitations durant la période allant de 2004 à 2010. Le juge de la Cour de l’impôt a examiné les éléments de preuve présentés par M. Wall et la Couronne. Il a essentiellement conclu que M. Wall n’était pas un témoin crédible. Il a notamment fait les observations suivantes au paragraphe 15, au sujet du témoignage de M. Wall :

[15] Je suis d’avis que le témoignage de M. Wall est en grande partie vague, intéressé et peu fiable. Par ailleurs, l’appelant n’a pas pu (ou n’a pas voulu) produire des éléments de preuve documentaires à l’appui de la majeure partie de ses affirmations. En présence d’éléments de preuve contredisant sa position, il s’est montré incrédule et il a produit des explications invraisemblables ou illogiques. En outre, face à ses propres déclarations antérieures incohérentes, il a rejeté du revers de la main ces incohérences, les qualifiant de superficielles. Il a également fait preuve d’une mémoire sélective à l’égard de certains détails concernant les trois habitations et d’autres biens qu’il a aménagés ou dont il a effectué la transaction.

[12] La conclusion du juge de la Cour de l’impôt, quant à savoir si M. Wall a résidé ou non dans l’une des trois habitations, est énoncée au paragraphe 19 :

[19] On ne sait pas avec certitude si M. Wall a résidé dans une des trois habitations. Vu tous les éléments de preuve, je suis d’avis, selon la prépondérance des probabilités, que tel n’a pas été le cas. J’estime que ni l’appelant ni aucun des témoins qu’il a cités n’a pu confirmer de manière fiable les affirmations de l’appelant. Il ressort des éléments de preuve portant sur toute la période concernée par les présents appels que M. Wall a résidé dans un appartement situé dans l’une des habitations de Mme Pillon et qu’il a utilisé cette adresse à titre d’adresse postale. S’il ressort de certains éléments de preuve que M. Wall a utilisé chacune des trois habitations à titre d’adresse postale à certaines fins restreintes (par exemple, la réception de factures de gaz), ils ne suffisent pas à conclure que l’appelant a résidé dans l’une des trois habitations. Dans l’ensemble, je suis d’avis que le témoignage de M. Wall concernant sa résidence dans chacune des trois habitations (et les durées correspondantes) est intéressé et qu’il contredit les éléments de preuve documentaires qui ont été présentés au procès.

[13] Le juge de la Cour de l’impôt a ensuite examiné les éléments de preuve portant sur ces biens et a exposé la jurisprudence pertinente qui doit être appliquée pour déterminer si la disposition d’un bien constitue un capital ou un revenu. Au paragraphe 156, le juge de la Cour de l’impôt a conclu ce qui suit :

[...] Je suis d’avis, cependant, que les éléments de preuve en l’espèce permettent de confirmer sans équivoque que M. Wall a exécuté l’aménagement des trois habitations dans le cadre d’une entreprise d’aménagement immobilier qu’il a exploitée à titre de propriétaire unique, et que les bénéfices tirés de cette entreprise sont, par conséquent, imputables au revenu. Comme je l’explique en détail plus loin, je suis d’avis que M. Wall était tenu d’inclure les bénéfices découlant de la vente des trois habitations dans sa déclaration de revenus pour les années d’imposition 2006, 2008 et 2010.

[14] Au paragraphe 184, le juge de la Cour de l’impôt a réitéré ses conclusions selon lesquelles « le témoignage de M. Wall n’est pas crédible » et « M. Wall n’a pas normalement habité l’une des trois habitations à quelque période que ce soit ». Le juge de la Cour de l’impôt a donc conclu que M. Wall ne pouvait pas demander la réduction des gains en capital qui s’appliquerait s’il avait vendu ses résidences principales.

[15] Il convient de mentionner que la réduction des gains prévue à l’alinéa 40(2)b) de la LIR, à l’égard des gains provenant de la disposition d’une résidence principale, ne s’applique que si le bien était une immobilisation. Si le bien n’était pas une immobilisation, il importe peu de savoir s’il pourrait répondre à la définition de résidence principale prévue à l’article 54 de la LIR. La LIR ne prévoit aucune [traduction] « exemption pour résidence principale » pour les particuliers qui vendent des habitations dans le cadre d’une entreprise, d’un projet comportant un risque ou d’une affaire de caractère commercial.

[16] Le juge de la Cour de l’impôt a également conclu que le ministre avait établi les faits justifiant l’imposition de pénalités en application du paragraphe 163(2) de la LIR, ainsi que l’établissement de nouvelles cotisations à l’égard de M. Wall après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation aux termes du sous-alinéa 152(4)a)(i) de la LIR.

[17] Durant l’audience devant la Cour de l’impôt, M. Wall a fait valoir qu’il n’était pas un constructeur au sens de la LTA. Le juge de la Cour de l’impôt a toutefois conclu que M. Wall était le constructeur des immeubles d’habitation aux fins de la LTA. Et puisqu’il était le constructeur des immeubles d’habitation, les fournitures de ces biens ne pouvaient constituer des fournitures exonérées au titre de l’article 2 de la partie I de l’annexe V de la LTA.

[18] Le juge de la Cour de l’impôt a également mentionné que, même si M. Wall n’a pas fait valoir le fait que l’article 3 de la partie I de l’annexe V de la LTA vise à exonérer les ventes des habitations de l’application de la taxe sur les produits et services (TPS), cet article ne s’appliquait pas de toute façon. L’une des exigences clés à respecter pour que cet article s’applique est que les maisons doivent avoir servi principalement de lieu de résidence pour M. Wall, une personne qui lui est liée, ou encore une ancienne épouse ou conjointe de fait de M. Wall. Comme le juge de la Cour de l’impôt a conclu que M. Wall et son fils n’ont pas occupé ces habitations à titre résidentiel, et puisque M. Wall n’a désigné aucune autre personne à titre de résident de ces habitations, le juge a également conclu que M. Wall ne pouvait pas demander l’exonération de TPS prévue à l’article 3 de la partie I de l’annexe V de la LTA. Pour satisfaire à cette exigence de l’article 3, l’habitation doit servir de lieu de résidence. L’observation faite par M. Wall durant son témoignage, selon laquelle il avait aménagé une pièce pour un chat dans l’une des habitations en pensant aux enfants de Mme Pillon, ne permet pas d’établir que cette habitation a servi de lieu de résidence de Mme Pillon.

[19] Les pénalités imposées en application de l’article 280.1 de la LTA ont aussi été maintenues. M. Wall n’a soulevé aucune question au sujet du calcul de la pénalité imposée par le ministre en application de l’alinéa 280(1)a) de la LTA à l’égard du premier bien. Le juge de la Cour de l’impôt n’a donc pas examiné l’imposition de cette pénalité.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[20] Dans son mémoire des faits et du droit, M. Wall a énoncé en ces termes les questions soulevées dans le présent appel :

[traduction]

36. Voici les questions soulevées dans le présent appel :

a) Le juge de première instance a-t-il commis une erreur manifeste et dominante de fait et de droit en concluant que l’appelant exploitait une entreprise à titre de « constructeur » des trois habitations et que l’article 2 de l’annexe V de la partie IX de la LTA ne s’appliquait pas, et que l’appelant n’était donc pas admissible à une exonération de la TPS pour la vente des trois habitations?

b) Le juge de première instance a-t-il commis des erreurs de fait et de droit en tirant des inférences défavorables alors que rien ne justifiait de le faire, en fait ou en droit?

[21] M. Wall ne fait aucun renvoi à la LIR dans sa présentation des questions en litige et ne soulève aucune question relativement à l’imposition de pénalités aux termes de la LIR ou de la LTA ou relativement au calcul de la taxe nette imposée aux termes de la LTA. Comme l’a reconnu M. Wall au paragraphe 36a) de son mémoire, pour savoir si les dispositions de la LTA s’appliquent, il faut essentiellement déterminer si M. Wall répondait à la définition de constructeur. Pour ce faire, il faut se fonder sur les conclusions de fait ou de fait et de droit formulées par le juge de la Cour de l’impôt quant à savoir si M. Wall exploitait une entreprise, un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial.

[22] La norme de contrôle qui s’applique à une question de droit est celle de la décision correcte et, pour ce qui est de toute question de fait ou question de fait et de droit (sans question de droit isolable), la norme applicable est celle de l’erreur manifeste et dominante (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33). Comme l’a mentionné notre Cour dans l’arrêt Banque canadienne impériale de commerce c. Canada, 2021 CAF 10 :

[55] Une erreur est manifeste lorsqu’elle relève de l’évidence, et elle est dominante lorsqu’elle a influencé la décision (Hydro-Québec c. Matta, 2020 CSC 37, par. 33). […]

IV. Discussion

[23] En l’espèce, personne ne conteste le fait que M. Wall a embauché divers entrepreneurs pour construire les habitations en cause. Si M. Wall a embauché ces entrepreneurs pour construire les habitations en cause dans le cadre d’une entreprise, d’un projet à risques ou d’une affaire de caractère commercial, cela fait de lui un constructeur au sens de l’article 123 de la LTA :

constructeur Est constructeur d’un immeuble d’habitation […] la personne qui, selon le cas :

“builder” of a residential complex […] means a person who

a) réalise, […] par un intermédiaire, à un moment où elle a un droit sur l’immeuble sur lequel l’immeuble d’habitation est situé :

(a) at a time when the person has an interest in the real property on which the complex is situated, […] engages another person to carry on for the person

[…]

[…]

iii) […] la construction [...] de l’immeuble d’habitation;

(iii) […] the construction […] of the complex,

[…]

[…]

N’est pas un constructeur :

but does not include

f) le particulier visé aux alinéas a) […] qui, en dehors du cadre d’une entreprise, d’un projet à risques ou d’une affaire de caractère commercial:

(f) an individual described by paragraph (a) […] who

[…],

(i) […] fait construire l’immeuble d’habitation […]

(ii) engages another person to carry on the construction […] for the individual

[…]

[…]

otherwise than in the course of a business or an adventure or concern in the nature of trade,

[…]

[24] La question cruciale que pose le présent appel est donc de déterminer si M. Wall exploitait une entreprise, un projet à risques ou une affaire de caractère commercial lorsqu’il a fait construire les trois habitations. Aucune des parties n’a contesté les critères énoncés dans la décision Happy Valley Farms Limited c. Sa Majesté la Reine, dossier T-6632-82, 16 juillet 1986, [1986] 2 C.T.C. 259, 86 D.T.C. 6421 (C.F. 1re inst.), pour déterminer si un gain provenant de la disposition d’un bien constitue un revenu ou un gain en capital : :

la nature du bien qui est vendu;

la durée de la possession;

la fréquence ou le nombre d’opérations semblables;

les améliorations faites sur le bien ou se rapportant à pareil bien;

les circonstances qui ont entraîné la vente du bien;

les motifs.

[25] Ces critères sont tous fondés sur les faits propres à l’affaire et ils renvoient, directement ou indirectement, à l’intention du contribuable. Dans l’arrêt Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103, 127 D.L.R. (4th) 193, la Cour suprême du Canada a souligné en ces termes l’importance des motifs ou de l’intention du contribuable :

XVI La première condition de l’existence d’un projet comportant un risque de caractère commercial est qu’il comporte un «plan visant la réalisation d’un bénéfice». Le contribuable doit avoir l’intention légitime de tirer un bénéfice de l’opération. Les autres conditions sont énoncées utilement dans le bulletin d’interprétation IT‑459, intitulé «Projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial» (8 septembre 1980), qui fait mention du bulletin d’interprétation IT‑218, intitulé «Profits sur la vente de biens immeubles» (26 mai 1975), comme document où sont résumés les facteurs pertinents dans le cas de biens immeubles.

XVII Le bulletin IT‑218R, qui a remplacé le bulletin IT‑218 en 1986, énumère un certain nombre de facteurs dont les tribunaux se sont servis pour déterminer si une opération immobilière constitue un projet comportant un risque de caractère commercial qui génère un revenu d’entreprise ou une opération portant sur une immobilisation, impliquant la vente d’un placement. Une attention particulière est accordée à:

(i) L’intention du contribuable relativement au bien immeuble au moment de l’achat, ses possibilités de réalisation et la mesure dans laquelle cette intention est réalisée. L’intention de revendre la propriété avec bénéfice la rendra plus susceptible d’être qualifiée de projet comportant un risque de caractère commercial.

(ii) La nature de l’entreprise, de la profession, du métier ou de l’occupation du contribuable et des associés. Plus l’entreprise ou la profession d’un contribuable est liée aux transactions immobilières, plus il est probable que le revenu réalisé sera considéré comme un revenu tiré d’une entreprise plutôt que comme un gain en capital.

(iii) La nature du bien et l’usage qu’en fait le contribuable.

(iv) La mesure dans laquelle l’argent emprunté a servi à financer l’acquisition du bien immeuble et la période pendant laquelle le bien immeuble a été détenu par le contribuable. Les opérations impliquant emprunt et revente rapide sont plus susceptibles d’être des projets comportant un risque de caractère commercial.

[26] Dans l’arrêt Cardella c. Sa Majesté la Reine, 2001 CAF 39 (CAF), notre Cour a déclaré que l’intention du contribuable est un « facteur d’une extrême importance » :

[26] Les tribunaux ont toujours insisté sur le fait que, lorsqu’il s’agit de déterminer si une opération constitue une affaire de nature commerciale, il faut tenir compte des circonstances entourant cette opération : Happy Valley Farms Ltd. v. The Queen, 86 D.T.C. 6421 (C.F. 1re inst.), page 6424. La Cour suprême du Canada a souligné dans l’arrêt Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103 que l’intention du contribuable est un facteur d’une extrême importance.

[27] Les faits propres à l’espèce détermineront si les gains réalisés en l’espèce par M. Wall, à la suite de la disposition des trois biens en cause, constituaient des revenus (c.-à-d. que M. Wall exploitait une entreprise, un projet à risques ou une affaire de nature commerciale) ou des gains en capital. Il s’agit plus précisément de savoir quelle était son intention en faisant l’acquisition des biens, en démolissant les habitations existantes, en construisant de nouvelles habitations, puis en les revendant.

[28] M. Wall fait généralement valoir que les éléments de preuve, lorsqu’ils sont examinés dans leur intégralité, appuient sa thèse selon laquelle il n’exploitait pas une entreprise, un projet à risques ou une affaire de nature commerciale. Dans les faits, toutefois, cela équivaut à demander à notre Cour de réexaminer les éléments de preuve pour arriver à une conclusion différente de celle du juge de la Cour de l’impôt. Cependant, il n’appartient pas à notre Cour de réexaminer les éléments de preuve (Barnwell c. Canada, 2016 CAF 150, paragraphe 12).

[29] Durant son témoignage, M. Wall a indiqué qu’il avait fait l’acquisition des biens dans le but de construire des maisons que lui et son fils occuperaient à titre résidentiel. Ainsi qu’il a été indiqué précédemment, le juge de la Cour de l’impôt a eu de la difficulté à accepter les éléments de preuve présentés par M. Wall pour corroborer cette intention déclarée. Le juge de la Cour de l’impôt a également noté le manque de documentation étayant les thèses de M. Wall.

[30] Dans l’arrêt MacDonald c. Canada, 2020 CSC 6, les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada ont écrit ce qui suit à l’égard des intentions déclarées d’un contribuable :

[43] Le témoignage ex-post facto de M. MacDonald quant à ses intentions ne saurait supplanter les manifestations d’un objet différent qui ressort objectivement du dossier.

[31] En l’espèce, M. Wall a insisté sur les déclarations qu’il a faites relativement à ses intentions en faisant l’acquisition des divers biens, notamment sur des courriels qu’il a envoyés et des observations qu’il a présentées à l’Agence du revenu du Canada. Cependant, conformément à l’orientation donnée par la Cour suprême du Canada, « le témoignage ex-post facto de [M. Wall] quant à ses intentions ne saurait supplanter les manifestations d’un objet différent qui ressort objectivement du dossier ». Par conséquent, les intentions déclarées de M. Wall doivent être examinées en regard des autres éléments de preuve qui ont été présentés durant l’audience.

[32] Dans le présent appel, M. Wall a insisté plus précisément sur l’inférence défavorable que le juge de la Cour de l’impôt a tirée et qui était fondée sur l’absence d’éléments de preuve provenant d’une personne en particulier. Cette inférence défavorable reposait sur le défaut de M. Wall d’appeler Mme Pillon à témoigner. Le juge de la Cour de l’impôt a mentionné, au paragraphe 110, que M. Wall l’avait « qualifiée parfois d’amie, parfois de compagne et parfois d’épouse ». Il a ensuite noté, au paragraphe 111, que « [a]u deuxième jour du procès, [M. Wall] a déclaré qu’il ne citerait pas Mme Pillon à témoigner ». Le procès a repris après un ajournement de six mois. Le quatrième jour du procès (après l’ajournement), Mme Pillon était présente dans la salle d’audience et M. Wall a indiqué qu’il souhaitait l’appeler à témoigner. La Couronne a alors demandé un ajournement pour préparer le contre-interrogatoire de Mme Pillon. À la suite de cette demande d’ajournement, M. Wall a retiré sa demande d’appeler Mme Pillon à témoigner. Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a ensuite noté ce qui suit, au paragraphe 111 :

Il ressort des éléments de preuve que Mme Pillon connaissait les faits relatifs aux trois habitations en raison de sa relation avec M. Wall. J’ai tiré une conclusion défavorable du fait que M. Wall n’a pas cité Mme Pillon à témoigner.

[33] Je suis d’avis qu’il n’est pas nécessaire de décider s’il était indiqué, pour le juge de la Cour de l’impôt, de tirer une conclusion défavorable du fait que M. Wall n’a pas appelé Mme Pillon à témoigner. Même sans inférence défavorable, le juge de la Cour de l’impôt disposait de suffisamment d’éléments pour tirer, selon la prépondérance des probabilités, la conclusion qu’il a formulée. M. Wall n’a pas pu établir que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur quelconque, à plus forte raison une erreur manifeste et dominante, relativement à quelque autre conclusion de fait qu’il a formulée à la lumière des éléments de preuve qui ont été présentés durant l’audience.

[34] M. Wall allègue également qu’il était mal à propos pour le juge de la Cour de l’impôt de tirer les inférences qu’il a faites quant aux intentions de M. Wall, à partir des bribes de preuve qui ont été présentées. Dans l’arrêt Loving Home Care Services Ltd. c. Canada (Revenu national), 2015 CAF 68, notre Cour a mentionné ce qui suit relativement aux inférences que le juge de première instance peut tirer :

[10] Dans l’arrêt H.L. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 25, [2005] 1 R.C.S. 401, le juge Fish, au nom des juges majoritaires de la Cour suprême du Canada, a précisé ce qui suit :

74 Je m’explique. Il n’est pas rare que des inférences différentes puissent raisonnablement être tirées des faits que le juge de première instance a tenus pour directement établis. L’examen en appel consiste à déterminer si les inférences du juge sont « raisonnablement étayées par la preuve ». Si elles le sont, le tribunal de révision ne peut soupeser la preuve à nouveau en substituant à l’inférence raisonnable retenue par le juge sa propre inférence tout aussi convaincante, sinon plus. Là encore, cette règle fondamentale est parfaitement compatible avec les motifs majoritaires et ceux de la minorité dans Housen.

[11] En l’espèce, il incombait à Loving Home Care d’établir, selon la prépondérance des probabilités, quelles étaient les modalités applicables à chacune des travailleuses. Ce n’est pas parce qu’elle n’a pas produit suffisamment d’éléments de preuve pour s’acquitter de ce fardeau que Loving Home Care devrait avoir gain de cause. Le juge de la Cour de l’impôt a tiré l’inférence susmentionnée parce que la preuve portant sur les contrats et les modalités figurant dans chacun d’eux était sommaire et incohérente. Comme cette inférence est raisonnablement étayée par la preuve, je ne peux conclure que, ce faisant, le juge a commis une erreur. Il n’appartient pas à notre Cour d’apprécier à nouveau la preuve et de substituer une inférence à celle que le juge de la Cour de l’impôt a tirée.

(Soulignement ajouté par le juge de la Cour suprême du Canada au paragraphe 74 de l’arrêt H.L. c. Canada.)

[35] Tout comme dans l’arrêt Loving Home Care Services Limited, les éléments de preuve sur l’intention de M. Wall au moment de l’acquisition de ces biens et sur l’utilisation qu’il en a faite après la construction des nouvelles habitations sont peu nombreux et incohérents. En alléguant que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en tirant les inférences qu’il a faites à partir des bribes de preuve qui ont été présentées, M. Wall a choisi de ne faire aucun renvoi aux éléments de preuve qui contredisaient son allégation selon laquelle il n’exploitait pas une entreprise, un projet à risques ou une affaire de nature commerciale. Malheureusement pour M. Wall, les éléments de preuve qui contredisaient son allégation l’ont emporté sur ceux qui l’appuyaient.

[36] Les faits propres à chaque habitation sont en grande partie semblables. Dans chaque cas, il y avait une habitation existante sur le bien-fonds qui a été démolie et remplacée par une maison neuve. Dans chaque cas, l’habitation a été mise en vente avant la délivrance du permis d’occuper. La mise en vente de chaque habitation avant l’obtention du permis d’occuper ne corrobore pas la conclusion voulant que M. Wall ait construit chacune de ces habitations dans le but de les occuper à titre résidentiel.

[37] L’explication que M. Wall a donnée pour justifier la vente de chaque habitation nous offre un autre exemple d’un élément de preuve qui vient contredire l’intention qu’il a déclarée. M. Wall a soutenu avoir vendu chaque habitation parce qu’il estimait que sa dette était trop élevée et qu’il voulait payer ses dettes (paragraphes 38, 58 et 74). Pourtant, peu après la vente de chaque habitation, il a contracté des dettes encore plus élevées qu’avant la vente. Pour la première habitation, le montant de l’hypothèque était de 812 500 $ (paragraphe 31). Pour la deuxième habitation, le montant s’élevait à 1 150 000 $ (paragraphe 49). Enfin, pour la troisième habitation, il était de 2 100 000 $ (paragraphe 63). Une personne qui veut réduire ses dettes ne contracterait pas plus de dettes peu après avoir vendu une maison et avoir remboursé sa dette antérieure.

[38] Durant l’audition du présent appel, M. Wall a insisté sur le fait qu’il devrait avoir gain de cause en appel, puisque les faits en l’espèce différaient de ceux de l’arrêt Lacina c. Canada, [1997] A.C.F. no 998 (Q.L.), 216 N.R. 373, [1997] G.S.T.C. 69 (DCAF). Dans l’arrêt Lacina, il a été conclu que le contribuable était le constructeur des biens en cause aux fins de la LTA. Dans cette affaire, le requérant avait pris des mesures afin de construire, puis de vendre, trois maisons haut de gamme en moins de deux ans. Comme la période en cause dans l’affaire Lacina était plus courte que celle en l’espèce, M. Wall a soutenu qu’il ne devrait pas être considéré comme un constructeur.

[39] Il convient toutefois de mentionner que, dans la décision Moss c. Canada, [1999] 4 CTC 2813, 99 D.T.C. 1229 (CCI), trois maisons (sises au 2, promenade Hopwood, au 2, place Dumfries, et au 51, boulevard Dumbarton, à Winnipeg) ont été vendues en quatre ans. Dans cette affaire, le requérant avait été propriétaire des biens en cause durant une période variant de sept à vingt-huit mois. La Cour de l’impôt a conclu que les gains résultant de la disposition de ces biens constituaient des gains au titre de revenus.

[40] Quoi qu’il en soit, la durée de possession d’un bien n’est qu’un des facteurs qui doit être pris en compte et qui doit être examiné en regard des faits propres à chaque affaire. En l’espèce, comme l’intention déclarée de M. Wall était d’occuper chaque habitation à titre résidentiel, il est important de déterminer la période d’occupation potentielle de chacune d’entre elles.

[41] En l’espèce, il y avait déjà des habitations sur les biens achetés et celles-ci ont dû être démolies avant que les nouvelles habitations puissent être construites. Comme l’a indiqué M. Wall durant l’audience, il fallait compter environ six mois de construction avant qu’une personne puisse habiter la maison (paragraphe 33). M. Wall a été propriétaire des trois biens en question durant une période variant de 16 à 21 mois. Si l’on tient compte du temps qu’il a fallu pour démolir les maisons existantes et en construire de nouvelles, il ne reste pas beaucoup de temps pendant lequel M. Wall a pu occuper les habitations à titre résidentiel.

[42] Le permis de construire de la première habitation a été obtenu le 10 mars 2005. Si l’on prévoit six mois pour la construction, cela ne laisserait que quatre mois pendant lesquels la maison aurait pu être occupée avant d’être mise en vente, le 13 janvier 2006. Cela signifierait également que la maison a été occupée avant que soit délivré le permis d’occuper, le 4 avril 2006.

[43] Le permis de construire la nouvelle habitation sur le deuxième bien a été délivré le 14 août 2006. Ce bien a été mis en vente le 19 janvier 2008. Si l’on prévoit six mois pour la construction à partir de la date de délivrance du permis de construire, il resterait 11 mois pendant lesquels la maison aurait pu être occupée avant d’être mise en vente. Là encore, il fallait que la maison soit occupée avant la délivrance du permis d’occuper.

[44] Le permis de construire pour la troisième habitation a été délivré le 16 septembre 2009. En prévoyant là encore six mois pour la construction, il resterait moins de sept mois pour l’occupation de cette habitation avant sa mise en vente, le 7 octobre 2010. Et, comme pour les deux autres habitations, il aurait fallu que celle-ci soit occupée avant la délivrance du permis d’occuper.

[45] La période relativement courte d’occupation potentielle qui, dans chaque cas, aurait également eu lieu avant la délivrance du permis d’occuper appuie raisonnablement l’inférence voulant que M. Wall ait eu l’intention de construire et de vendre les habitations en vue de réaliser des bénéfices.

[46] Je ne vois aucune raison d’infirmer la conclusion du juge de la Cour de l’impôt selon laquelle M. Wall a exploité une entreprise en faisant l’acquisition des biens, en démolissant les habitations existantes, puis en construisant de nouvelles habitations et en les revendant. M. Wall était donc un constructeur au sens de la LTA.

[47] Une personne qui est le constructeur d’un immeuble d’habitation peut se soustraire à l’application des règles sur la fourniture à soi-même prévues au paragraphe 191(1) de la LTA et également obtenir que la vente du bien soit considérée comme une fourniture exonérée aux termes du paragraphe 3 de la partie I de l’annexe V de la LTA.

[48] L’une des conditions pour que s’appliquent les règles sur la fourniture à soi-même prévues au paragraphe 191(1) de la LTA est que le constructeur (qui est un particulier) doit occuper lui-même l’immeuble à titre résidentiel (sous-alinéa 191(1)b)(iii) de la LTA).

[49] Cependant, les règles sur la fourniture à soi-même ne s’appliquent pas si les conditions énoncées au paragraphe 191(5) de la LTA sont réunies. L’une de ces conditions est que l’immeuble d’habitation doit être « utilis[é] principalement à titre résidentiel par le particulier, son ex-époux ou ancien conjoint de fait ou un particulier lié à ce particulier ».

[50] Si les conditions énoncées à l’article 3 de la partie I de l’annexe V de la LTA sont satisfaites, la fourniture de l’immeuble d’habitation sera considérée comme une fourniture exonérée. L’une des conditions prévues à l’article 3 est la même que celle énoncée au paragraphe 191(5) de la LTA, à savoir que l’immeuble d’habitation doit être « utilis[é] principalement à titre résidentiel par le particulier, son ex-époux ou ancien conjoint de fait ou un particulier lié au particulier ».

[51] Comme M. Wall n’a pas établi que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur quelconque, à plus forte raison une erreur manifeste et dominante, en concluant que les biens n’avaient pas été « utilis[és] principalement à titre résidentiel par le particulier, son ex-époux ou ancien conjoint de fait ou un particulier lié à ce particulier », il ne peut établir que les fournitures des habitations en cause étaient des fournitures exonérées au titre de l’article 3 de la partie I de l’annexe V de la LTA.

[52] Pour ces motifs, je rejetterais l’appel, avec dépens fixés à 3 000 $.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

D.G. Near, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

J.B. Laskin, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme.

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UN JUGEMENT DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT

DATÉ DU 14 AOÛT 2019, RÉFÉRENCE NO 2019 CCI 168

DOSSIER :

A-319-19

 

INTITULÉ :

JOHN WALL c.

SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 juin 2021

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LE JUGE LASKIN

DATE DES MOTIFS :

Le 2 juillet 2021

 

COMPARUTIONS :

George Douvelos

Pour l’appelant

Selena Sit

Geraldine Chen

Alexander Wind

Pour l’intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

George Douvelos Law Corporation

a/s DG Barristers

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour l’appelant

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimée

 

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