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Date : 20210709


Dossier : A-112-19

Référence : 2021 CAF 135

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE LASKIN

LE JUGE LOCKE

LE JUGE LEBLANC

 

ENTRE :

PREMIÈRE NATION D’AHOUSAHT

demanderesse

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD

défenderesse

et

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

intervenant

Audience tenue par vidéoconférence en ligne organisée par le greffe, les 10 et 11 mars 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 9 juillet 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LOCKE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LASKIN

LE JUGE LEBLANC

 


Date : 20210709


Dossier : A-112-19

Référence : 2021 CAF 135

CORAM :

LE JUGE LASKIN

LE JUGE LOCKE

LE JUGE LEBLANC

 

ENTRE :

PREMIÈRE NATION D’AHOUSAHT

demanderesse

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD

défenderesse

et

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

intervenant

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LOCKE

I. Exposé des faits

[1] En juin 1889, le commissaire Peter O’Reilly (M. O’Reilly) de la Commission mixte des réserves indiennes (la Commission) a quitté le port de San Juan, sur la côte ouest de l’île de Vancouver, à bord d’une embarcation, en direction nord-ouest vers la baie Clayoquot, pour une excursion d’une semaine au cours de laquelle, avec l’aide de l’arpenteur-géomètre de la Commission, M. Ashdown Green (M. Green), il a défini les limites de 29 réserves indiennes. Certaines de ces réserves concernaient la demanderesse, la Première Nation d’Ahousaht (les Ahousaht). L’une d’entre elles, désignée réserve indienne (RI) Marktosis no 15, était située sur la rive sud-est de l’île Flores. Cette réserve est désignée ci-après RI 15.

[2] La RI 15 a été délimitée le 22 juin 1889, une journée au cours de laquelle MM. O’Reilly et Green ont défini les limites de plusieurs réserves malgré des pluies abondantes en matinée. M. O’Reilly a rédigé son rapport de décision deux jours plus tard, le 24 juin 1889, dans lequel il a défini la RI 15 en ces termes :

[traduction]

Mark to sis, une réserve de deux cent trente (230) acres, située sur la côte sud-est de l’île Flores, dans la baie Clayoquot, et à la tête de la crique Matilda.

Commençant à une épinette portant la mention Réserve indienne, et suivant une ligne vers l’ouest sur soixante (60) chaînes, de là vers le nord suivant une ligne sur quatre‐vingts (80) chaînes, de là vers l’est jusqu’à la côte, et de là, le long du rivage en direction sud jusqu’au point de départ.

[3] Un croquis sommaire de la réserve, effectué à l’époque par M. Green, ressemblait à ceci :

[4] Le mot en caractères gras « spruce » (épinette) indique le point de départ duquel ont été mesurées les limites de la réserve. Cette épinette, qui a été marquée « réserve indienne », est aussi qualifiée d’arbre du commissaire. Les deux « x » près de l’arbre du commissaire marquent la présence de tombes, comme l’indique le mot qui y est juxtaposé. Le mot « Matilda », à la gauche du croquis, désigne la crique qui traverse la réserve. La série de points sur la mince parcelle de terre représente le village, et le mot adjacent « church » désigne l’emplacement de l’église qui se trouvait au point « x » dans le village.

[5] Sur une carte plus précise, qui a été préparée quatre ans plus tard dans le cadre du levé d’arpentage officiel de la RI 15 (voir ci-dessous), la zone de la réserve est ombragée en rose. Les marques brunes indiquent les changements de niveau.

[6] Le présent appel concerne une zone située au sud de la RI 15, qui fut désignée à l’origine sous le nom de aauuknuk, puis de lot 363. Il s’agit d’une zone d’environ 140 acres qui se trouve au sud de la limite sud de la RI 15, qui y est contiguë et qui comprend le lac illustré sur la carte ci-dessus. Bien que personne ne conteste aujourd’hui le fait que le lot 363 faisait partie de la terre des Ahousaht lorsque les limites de la réserve ont été définies, des incertitudes à ce sujet ont persisté pendant de nombreuses années. Le lot 363 n’a pas été inclus dans la RI 15. Ce lot a fait partie des terres de la Couronne provinciale jusqu’en 1904, date à laquelle il a été acheté par le conseil d’administration de l’Église presbytérienne du Canada pour y établir une mission et y construire une école. En 1953, le titre du lot 363 a été transféré à l’Église Unie, qui en a ensuite vendu des portions à divers propriétaires privés. En 1995, MacMillan Bloedel, qui a par la suite été acquise par la Weyerhaeuser Company Limited (Weyerhaeuser), possédait une partie du lot 363. Cette société a fait l’acquisition du reste du lot en 2000. En 2009, le lot 363 a été mis de côté en vue d’être ajouté à la RI 15, apparemment avec le consentement de Weyerhaeuser.

[7] En 2002, les Ahousaht ont présenté une revendication particulière au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (le ministre), dans laquelle ils alléguaient que le Canada, du fait des actions de M. O’Reilly, avait manqué à ses obligations de fiduciaire et de diligence à l’égard des Ahousaht lors de la création de la RI 15. Le ministre a rejeté cette revendication en 2009 même si, comme il est indiqué précédemment, le lot 363 avait été ajouté à la RI 15.

[8] Ce rejet du ministre a incité les Ahousaht à déposer une déclaration de revendication auprès du Tribunal des revendications particulières (le TRP) en 2012. Cette revendication reposait essentiellement sur l’alinéa 14(1)c) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, L.C. 2008, ch. 22, qui prévoit l’indemnisation d’une Première Nation en cas de « violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la fourniture ou de la non-fourniture de terres d’une réserve ». Les Ahousaht ont fait valoir que la Couronne avait manqué à son obligation légale envers eux en omettant d’inclure le lot 363 dans la RI 15 lorsque les limites de la réserve ont initialement été établies, ainsi qu’en omettant de corriger cette erreur pendant très longtemps par la suite. L’instance devant le TRP a mené à la décision du président Harry Slade qui est à l’origine de la présente demande de contrôle judiciaire : 2019 TRPC 1 (la décision).

II. Décision faisant l’objet du contrôle

[9] Le TRP a conclu que le Canada n’a pas manqué à ses obligations de fiduciaire et de diligence envers les Ahousaht, du fait des actions de M. O’Reilly lors de la création de la RI 15. Le TRP a reconnu que les Ahousaht avaient l’habitude d’utiliser le lot 363 lorsque la RI 15 a été créée, et que ces utilisations étaient « identifiables ». Le TRP a toutefois conclu que M. O’Reilly n’était pas au fait de l’intérêt que les Ahousaht portaient au lot 363 lors de la création de la RI 15, bien qu’il ait fait preuve de diligence ordinaire en tentant de déterminer avec exactitude les « habitudes, souhaits et activités » des Ahousaht.

[10] La Commission mixte des réserves indiennes, pour laquelle travaillait M. O’Reilly, a été créée en 1876 avec l’approbation du Canada et de la Colombie-Britannique, pour étudier la question des terres indiennes dans cette province. Les commissaires comme M. O’Reilly avaient reçu pour mission [traduction] d’« aller rencontrer [...] chaque nation indienne [...] de la Colombie-Britannique et [...], après une étude complète, menée sur place, de tous les aspects ayant une incidence sur la question, [de] fixe[r] et détermine[r], pour chaque nation séparément, le nombre, l’étendue et l’emplacement de la réserve ou des réserves à lui attribuer ». Ils avaient également pour directive d’être :

[traduction]

[...] guidés de façon générale par l’esprit des Conditions de l’adhésion conclues entre le gouvernement fédéral et les gouvernements locaux, lesquelles envisagent l’application d’une « ligne de conduite libérale » envers les Indiens et, dans le cas de chaque nation particulière, qu’ils prennent en considération, d’une part, les habitudes, les souhaits et les activités de chacune.

[11] L’article 13 des Conditions de l’adhésion auxquelles il est renvoyé dans le paragraphe qui précède prévoyait ce qui suit :

Le soin des Sauvages, et la garde et l’administration des terres réservées pour leur usage et bénéfice, incomberont au Gouvernement Fédéral, et une ligne de conduite aussi libérale que celle suivie jusqu’ici par le gouvernement de la Colombie-Britannique sera continuée par le Gouvernement Fédéral après l’Union.

Pour mettre ce projet à exécution, des étendues de terres ayant la superficie de celles que le gouvernement de la Colombie-Britannique a, jusqu’à présent, affectées à cet objet, seront de temps à autre transférées par le Gouvernement Local au Gouvernement Fédéral au nom et pour le bénéfice des Sauvages, sur demande du Gouvernement Fédéral; et dans le cas où il y aurait désaccord entre les deux gouvernements au sujet de la quantité des étendues de terre qui devront être ainsi concédées, on devra en référer à la décision du Secrétaire d’État pour les Colonies.

[12] Dans l’arrêt Williams Lake Indian Band c. Canada (Affaires autochtones et du Développement du Nord), 2018 CSC 4, [2018] 1 R.C.S. 83, para. 80 (arrêt Williams Lake), la Cour suprême du Canada a établi que l’obligation fiduciaire de la Couronne naît d’un intérêt foncier « qui peut être identifié ou reconnu », c.-à-d. qui est identifiable.

[13] Au paragraphe 43 de la décision, le TRP a établi que l’obligation de fiduciaire de la Couronne consiste à « faire montre de loyauté et de bonne foi, [à] communiquer l’information de façon complète, eu égard aux circonstances, et [à] agir avec la diligence “ordinaire” requise dans ce qu’elle consid[ère] raisonnablement être l’intérêt des bénéficiaires de cette obligation » (renvoyant à l’arrêt Williams Lake, para. 55). Le TRP a ajouté, au paragraphe 49, que la diligence ordinaire « impose donc à la Couronne une norme de conduite dans ses rapports avec un bénéficiaire, de sorte qu’elle doit s’enquérir adéquatement des intérêts fonciers du bénéficiaire concerné ».

[14] Puis, au paragraphe 51 de la décision, le TRP a indiqué qu’« il ne s’agit pas en l’espèce d’établir si les Ahousaht avaient un intérêt identifiable, mais plutôt de déterminer si cet intérêt était évident pour le commissaire O’Reilly, ou aurait dû l’être, pour peu que celui-ci ait agi avec diligence ordinaire ».

[15] Le TRP a examiné les directives qui avaient été données à M. O’Reilly au moment de son affectation par la Commission en 1880, lesquelles directives prévoyaient notamment ce qui suit :

[traduction]

Le gouvernement estime qu’il est de la plus haute importance que, lors du règlement de la question des terres, rien ne soit fait qui porte préjudice au maintien de relations amicales entre le gouvernement et les Indiens, et vous devrez donc vous immiscer le moins possible dans toute entente tribale, en prenant expressément garde de ne pas perturber les Indiens en rapport avec la possession des villages, des postes de traite de fourrure, des établissements, des zones de défrichage, des lieux de sépulture et des campements de pêche qu’ils occupent et auxquels ils peuvent être particulièrement attachés. Vous devez clairement délimiter leurs campements de pêche dans les rapports que vous adressez au ministère, et ces limites doivent être clairement expliquées aux Indiens concernés, de façon à éviter tout malentendu sur ce point de la plus haute importance. Lorsqu’il s’agit d’attribuer des terres aux fins d’établissement des réserves, évitez de provoquer des changements violents ou soudains dans les habitudes de la bande indienne pour laquelle vous mettez de côté les terres de réserve, et ne détournez pas les Indiens d’une occupation légitime qu’ils pourraient pratiquer à profit; tentez plutôt de les encourager lorsque vous constatez qu’ils travaillent dans quelque secteur d’une industrie.

[16] Les mêmes directives figuraient également dans un rapport de 1878 du précédent commissaire, G.M. Sproat, qui comportait aussi d’autres directives. Le TRP a reproduit les extraits suivants tirés de ce rapport au paragraphe 119 de la décision :

[traduction]

La première condition est de laisser les Indiens dans les lieux anciens auxquels ils sont attachés. À l’heure actuelle, les Indiens d’ici tiennent à un tel point à ces lieux qu’aucun avantage découlant du fait de résider ailleurs ne leur ferait accepter ce changement [...].

Le sentiment qu’éprouvent les Indiens de la Colombie‐Britannique, de cette façon et jusqu’à un certain point, à l’égard d’un rocher particulier d’où sa famille prend du poisson depuis des temps immémoriaux est le même que celui que ressent un Anglais quand il songe à la maison qui lui vient de ses ancêtres. À mon avis, il serait injuste et imprudent de faire abstraction de la force de ce profond sentiment, qui est bien connue, mais dont, jusqu’à la présente année, je n’avais pas pris pleinement conscience.

[...]

[...] La vérité historique m’impose de dire, à regret, que les faits révélés dans plusieurs des procès-verbaux rédigés sur le terrain que j’ai transmis de différents endroits sont incompatibles avec l’attention juste et raisonnable que le gouvernement de la Colombie‐Britannique aurait dû accorder aux affaires indiennes avant la Confédération, et que le gouvernement britannique a enjoint aux autorités coloniales d’accorder dans des dépêches successives.

[...]

Il va presque sans dire qu’il faut comprendre les façons de faire et les coutumes de la population indigène avant que des réserves convenables puissent être attribuées à son usage [...]. Depuis que Sir James Douglas a quitté son poste, aucun des dirigeants de la Colombie‐Britannique ne semble avoir compris cela [...].

[...]

J’ai réglé cette année plusieurs problèmes apparemment insolubles en découvrant que, ce que les Indiens veulent réellement, ce n’est pas tant de bonnes terres pour la culture, mais de vieux « lieux conviviaux » dans les montagnes ou certaines stations de pêche où, à certaines saisons, ils se réunissent pour pêcher, creuser le sol à la recherche de racines et faire courir leurs chevaux [...].

[...]

À titre d’exemple de ce que j’entends par procédure trop « sommaire », je mentionnerai que, lors de l’attribution de réserves d’un seul tenant dans un district donné, il semble que les dispositions nécessaires n’aient pas, dans tous les cas, été prises en vue d’obtenir le consentement éclairé des Indiens quant au changement [...].

[17] Le TRP a également mentionné les directives qui avaient été données aux arpenteurs (comme M. Green) chargés d’établir les réserves et qui obligeaient ces derniers à indiquer, sur le sol, à l’intention des chefs et des conseillers, les limites de la réserve, afin que le commissaire soit informé de toute opposition.

[18] Renvoyant aux arrêts Williams Lake, para. 55, et Bande indienne Wewaykum c. Canada, 2002 CSC 79, [2002] 4 R.C.S. 245, para. 97, le TRP a défini en ces termes l’obligation fiduciaire de M. O’Reilly :

[...] Avant l’acquisition d’un « intérêt en common law » sur des terres visées par le processus de création de réserves, l’obligation fiduciaire sui generis de la Couronne consiste à « faire montre de loyauté et de bonne foi, [à] communiquer l’information de façon complète, eu égard aux circonstances, et [à] agir avec la diligence “ordinaire” requise dans ce qu’elle consid[ère] raisonnablement être l’intérêt des bénéficiaires de cette obligation » [...]

[19] Le TRP a noté que M. O’Reilly avait indiqué (dans une lettre adressée au surintendant général des Affaires indiennes [SGAI] le 5 mars 1890) qu’il avait eu une longue conversation avec le « chef » et de nombreux autres membres de son peuple, le 19 juin 1889. Ils avaient alors discuté de ce que devraient être les limites des réserves, et M. O’Reilly les a invités à l’accompagner aux endroits pertinents, en montant à bord de son bateau à vapeur ou en se faisant remorquer dans leurs canots. Il a ajouté qu’ils avaient accepté avec plaisir. Il n’est pas précisé si le chef auquel il était fait référence ici était le chef Noukamis, alors chef des Ahousaht. Dans son journal, M. O’Reilly a toutefois indiqué qu’il avait eu une longue discussion avec le chef Noukamis le jour où il a défini les limites de la RI 15 (le 22 juin 1889).

[20] Le TRP a également conclu que le chef Noukamis était présent lorsque MM. O’Reilly et Green ont visité le village Marktosis. Cette conclusion repose sur deux éléments. Premièrement, le chef Noukamis connaissait l’importance, pour son peuple, d’assurer la préservation de ses lieux de pêche et de ses villages, et il savait qu’il était de sa responsabilité d’y veiller (voir le paragraphe 181 de la décision). Deuxièmement, le fait que la limite sud de la RI 15 ait été établie juste au sud de lieux de sépulture situés dans un secteur boisé indique que les Ahousaht ont dû être consultés (voir le paragraphe 167 de la décision).

[21] Le TRP a conclu qu’on ne pouvait établir clairement comment le point de départ de la limite sud de la réserve avait été choisi, et pourquoi ce choix s’était porté sur l’arbre du commissaire plutôt que sur un point évident, c’est-à-dire l’extrême limite du village. Le point de départ a été établi plus au sud. Le TRP a conclu qu’aucun élément de preuve ne permettait d’établir une distinction entre les terres boisées situées juste au nord de la limite sud et celles juste au sud, et donc que cette limite a dû être fixée en consultation avec le chef Noukamis. Le TRP a également conclu que l’emplacement de la limite sud, juste au sud de lieux de sépulture, indiquait que M. O’Reilly avait tenu compte du besoin d’inclure ces lieux dans la réserve et qu’il avait cherché à savoir où ils se trouvaient (voir le paragraphe 166 de la décision).

[22] Pour ce qui est du lac situé sur le lot 363, non loin de la limite sud de la réserve, le TRP a conclu que MM. O’Reilly et Green ne savaient probablement pas qu’un lac se trouvait à cet endroit. Le TRP a mentionné (i) que le lac était situé dans une zone boisée, (ii) qu’il y avait une zone surélevée entre le lac et l’arbre du commissaire et (iii) qu’il pleuvait abondamment le jour où les limites de la réserve ont été établies (voir les paragraphes 168 et 170 de la décision).

[23] Le TRP a par ailleurs noté qu’aucun élément de preuve n’indiquait que M. O’Reilly avait été informé de la valeur du lot 363 (voir le paragraphe 174 de la décision). Le TRP a conclu que l’absence de notes de la part de M. O’Reilly attribuant une valeur aux ressources halieutiques, forestières ou autres qui se trouvaient sur le lot 363 (comme cela avait été fait pour d’autres réserves) laissait fortement supposer que M. O’Reilly n’en avait pas été informé (voir le paragraphe 179 de la décision).

[24] Le TRP savait que les Ahousaht s’adonnaient à la fabrication de canots. Il a aussi mentionné l’histoire orale indiquant que les Ahousaht attribuaient de la valeur aux terres boisées situées sur le lot 363. Il a néanmoins conclu que toute valeur que ces terres boisées pouvaient avoir n’était pas liée à la construction de canots (voir le paragraphe 172 de la décision).

[25] Dans sa lettre du 5 mars 1890 au surintendant général des Affaires indiennes, M. O’Reilly a décrit la RI 15 comme suit :

[traduction]

No 15. Mark-to-sis, s’étend sur deux cent trente (230) acres. Elle est située à la tête de la crique Matilda, sur la rive sud-est de l’île Flores. Le village compte vingt-huit (28) maisons, une église catholique et une mission. C’était auparavant le village principal de la tribu des Ahousaht. Ces Indiens sont spécialisés dans la fabrication de canots, dont un grand nombre étaient en voie de construction au moment de ma visite. La terre est rocailleuse et de peu de valeur; quelques champs de pommes de terre sont cultivés à l’arrière du village (totalisant peut‐être 1⁄4 d’acre), mais il est peu probable qu’on les agrandisse.

[26] Le TRP a conclu que les éléments de preuve ne permettaient pas d’établir que M. O’Reilly a manqué à son obligation de diligence ordinaire (voir le paragraphe 184 de la décision). Il a mené une enquête adéquate, mais il n’a pas été informé de la valeur particulière attribuée au lot 363 (voir le paragraphe 203 de la décision).

III. Questions en litige

[27] Les Ahousaht font valoir que le TRP a commis une erreur en concluant que M. O’Reilly a satisfait à la norme de diligence exigée lorsqu’il a omis d’inclure le lot 363 dans la RI 15.

[28] Les Ahousaht font également valoir qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale, car le juge qui devait entendre leur revendication devant le TRP, le juge Larry Whelan, s’est récusé et a été remplacé par le président Slade.

[29] Le TRP présente lui-même des observations à titre d’intervenant sur la question de l’équité procédurale.

IV. Discussion

[30] Les deux questions en litige précitées sont examinées dans les paragraphes qui suivent, en commençant par la question de l’équité procédurale.

A. Équité procédurale

1) Norme de contrôle

[31] La norme de contrôle qui s’applique aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte : Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502, para. 79. Ainsi qu’il est indiqué dans l’arrêt Vidéotron Ltée c. Canada (Services partagés), 2019 CAF 307, 313 A.C.W.S. (3d) 299, para. 12 :

Les questions relatives à l’équité procédurale doivent être examinées selon la norme de la décision correcte. Même s’il est vrai qu’« aucune norme de contrôle n’est appliquée » lorsqu’un tribunal examine des questions liées à l’équité procédurale, car la question est alors de savoir « si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances », l’examen fait par notre Cour de ces questions est [traduction] « particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2018] A.C.F. no 382, au paragraphe 54).

2) Les faits

[32] Le juge Whelan a dirigé l’examen de la revendication devant le TRP pendant près de cinq ans, de juin 2013 à juin 2018. Durant cette période :

A. Il a présidé de nombreuses conférences de gestion de l’instance;

B. Il a présidé une audience sur la preuve par histoire orale les 12 et 13 juillet 2016, ainsi qu’une audience sur la présentation de la preuve d’expert les 19 et 20 octobre 2017;

C. Il a participé à une visite sur place de la RI 15 et du lot 363 le 14 juillet 2016;

D. Il a dirigé une séance de médiation entre les parties du 17 au 19 avril 2018.

[33] Comme la revendication des Ahousaht n’a pas été réglée par le recours à la médiation, une audience sur le bien-fondé de la revendication (audience sur le bien-fondé) a été fixée aux 12 et 13 juillet 2018.

[34] L’accord régissant la médiation, qui a été conclu entre les parties, est un élément clé des arguments invoqués par les Ahousaht relativement à l’équité procédurale (accord de médiation). Dans cet accord, les parties demandaient que le juge Whelan, qui devait présider l’audience sur le bien-fondé, agisse en qualité de médiateur. L’accord de médiation prévoyait que, durant la médiation, le juge Whelan entendrait les déclarations liminaires et les arguments respectifs des parties, puis qu’il ferait part de ses commentaires aux parties, d’abord individuellement, puis ensemble, sur les forces et les faiblesses de leurs thèses respectives.

[35] Les parties avaient également convenu que, si la question du bien-fondé de la revendication ne pouvait être réglée par le recours à la médiation, le juge Whelan devrait présider l’audience sur le bien-fondé même s’il avait participé à la médiation (voir le paragraphe 11 de l’accord de médiation). Il semble toutefois que les parties aient aussi envisagé la possibilité que le juge Whelan ne puisse présider. Elles ont ainsi accepté de renoncer à l’exigence voulant que la personne chargée de l’instruction soit également celle qui statue sur l’affaire (voir le paragraphe 12 de l’accord de médiation), sans doute pour éviter que des éléments de preuve déjà entendus par le juge Whelan ne doivent être répétés devant un autre juge qui pourrait avoir à le remplacer. L’accord de médiation prévoyait également que, [traduction] « [s]i le juge Whelan ne peut, pour quelque raison, présider la poursuite de l’audience sur le bien-fondé, les parties acceptent qu’un autre membre du TRP, qui pourra être désigné par le greffe du TRP, puisse présider l’audience à sa place » (voir le paragraphe 16 de l’accord de médiation). Enfin, les parties ont reconnu que la médiation telle qu’elle était prévue ne leur portait pas préjudice ni n’enfreignait leur droit à l’équité procédurale durant l’audience sur le bien-fondé (voir le paragraphe 19 de l’accord de médiation).

[36] Après avoir participé à la médiation, qui s’est soldée par un échec, le juge Whelan a indiqué au président Slade qu’il estimait qu’il serait inapproprié pour lui de présider l’audience sur le bien-fondé et de statuer sur l’affaire parce qu’il avait participé à la médiation (notamment en raison de la possibilité qu’il se soit déjà prononcé sur le fond). Le président Slade l’a donc remplacé et il en a informé les parties par voie de directive le 21 juin 2018.

[37] Les Ahousaht ont exprimé des réserves au sujet du remplacement tardif du juge qui s’était familiarisé avec l’affaire pendant plusieurs années, par un autre juge qui n’avait encore jamais été saisi de l’affaire. Les Ahousaht ont mentionné l’accord exprès qui avait été conclu par les parties et selon lequel le juge Whelan pourrait continuer même si la médiation échouait. Le président Slade a convoqué une conférence de gestion d’instance pour discuter du déroulement de l’affaire et examiner les préoccupations des Ahousaht. Il a toutefois indiqué qu’il était d’accord avec le juge Whelan qu’il ne serait pas indiqué pour ce dernier de poursuivre l’instruction de l’affaire après sa participation à la médiation.

[38] Les Ahousaht font valoir que le retrait et le remplacement tardifs du juge Whelan ont créé une iniquité procédurale, et que deux options s’offraient au TRP pour étudier cette question. Soit le juge Whelan aurait dû continuer de présider malgré les réserves qu’il avait exprimées, soit, à défaut de cela, le président Slade aurait dû consulter les parties quant à savoir s’il devrait faire une visite des lieux ou réentendre une partie ou la totalité des témoins entendus par le juge Whelan.

3) Évaluation de l’équité

[39] Je note premièrement que les Ahousaht n’ont présenté aucun élément indiquant qu’ils ont fait part au TRP de leur crainte que le remplacement tardif du juge chargé de l’instruction ne donne ouverture à une iniquité procédurale. Il est bien établi dans la jurisprudence qu’une allégation de manquement à l’équité procédurale doit être formulée à la première occasion qui se présente : Maritime Broadcasting System Limited c. La guilde canadienne des médias, 2014 CAF 59, 455 N.R. 115, para. 67; Hennessey c. Canada, 2016 CAF 180, 484 N.R. 77 para. 20; Taseko Mines Limited c. Canada (Environnement), 2019 CAF 320, 32 C.E.L.R. (4th) 18, para. 47 et 48. Je suis d’avis que les Ahousaht n’ont pas satisfait à cette exigence. Il semble que les préoccupations qu’ils ont soulevées auprès du président Slade, au sujet du remplacement du juge Whelan, concernaient davantage l’efficacité du processus. Ils n’ont pas mentionné l’équité procédurale. Si les Ahousaht avaient des réserves au sujet de l’équité procédurale, ils auraient dû les énoncer clairement lorsque leurs autres préoccupations ont été examinées.

[40] Pour ce qui est de l’argument selon lequel le président Slade aurait dû réentendre la preuve, je ne vois rien qui indique que les Ahousaht auraient proposé une telle approche. On peut difficilement reprocher au président Slade de ne pas avoir adopté une approche que les Ahousaht eux-mêmes n’ont pas proposée.

[41] Qui plus est, je souscris entièrement à l’avis du président Slade qu’il aurait été inapproprié pour le juge Whelan de présider l’audience sur le bien-fondé et de statuer sur l’affaire alors qu’il craignait de s’être déjà prononcé sur le fond. Il n’aurait pas été judicieux pour le président Slade d’insister pour que le juge Whelan fasse abstraction des réserves qu’il avait exprimées. Une telle approche aurait par ailleurs été difficilement réalisable, puisque cela reviendrait à demander à un juge d’agir d’une manière qu’il estime contraire à l’éthique.

[42] Je ne vois rien d’inéquitable dans la manière dont l’audience sur le bien-fondé a été menée et dans la décision qui en a découlé. Il est clairement indiqué dans l’accord de médiation que les parties avaient envisagé la possibilité que le juge Whelan ne puisse continuer d’instruire l’affaire en cas d’échec de la médiation. De plus, le fait que les parties aient renoncé à l’exigence voulant que la personne chargée de l’instruction soit également celle qui statue sur l’affaire indiquerait qu’elles avaient accepté la possibilité qu’un autre juge doive examiner les éléments de preuve que le juge Whelan avait entendus. Je me permets ici de répéter le texte du paragraphe 16 de l’accord de médiation, qui prévoit que, [traduction] « [s]i le juge Whelan ne peut, pour quelque raison, présider la poursuite de l’audience sur le bien-fondé, les parties acceptent qu’un autre membre du TRP, qui pourra être désigné par le greffe du TRP, puisse présider l’audience à sa place ».

B. Erreurs alléguées

[43] Les Ahousaht font valoir trois erreurs concernant des conclusions de fait du TRP, chacune ayant une incidence sur la conclusion du TRP voulant que M. O’Reilly ait satisfait à la norme de diligence en faisant preuve de diligence ordinaire et en menant des enquêtes adéquates. Les erreurs alléguées concernent (i) l’emplacement de l’arbre du commissaire qui délimite la limite sud de la RI 15; (ii) la présence du chef Noukamis à Marktosis lors de la visite de MM. O’Reilly et Green et (iii) la question de savoir si M. O’Reilly a été informé de la présence du lac dans le lot 363.

1) Norme de contrôle

[44] Les parties conviennent, ce à quoi je souscris, que la norme de contrôle qui s’applique aux erreurs alléguées est celle de la décision raisonnable : arrêt Williams Lake, para. 27.

[45] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable a été examiné par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, 441 D.L.R. (4th) 1 (arrêt Vavilov). Les éléments suivants de l’arrêt Vavilov sont particulièrement pertinents pour orienter la décision de notre Cour :

A. Dans le cadre de son analyse du caractère raisonnable d’une décision, une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec une attention respectueuse, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion (para. 84);

B. Pour s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi par le décideur, la cour de révision doit se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‐ci (para. 99);

C. Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (para. 100);

D. Pour être raisonnable, une décision doit être fondée sur un raisonnement à la fois rationnel et logique, même si le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur (para. 102);

E. Une décision sera jugée déraisonnable lorsque, lus dans leur ensemble, les motifs ne font pas état d’une analyse rationnelle ou montrent que la décision est fondée sur une analyse irrationnelle; une décision sera également jugée déraisonnable si la conclusion tirée ne peut prendre sa source dans l’analyse effectuée ou qu’il est impossible de comprendre, lorsqu’on lit les motifs en corrélation avec le dossier, le raisonnement du décideur sur un point central (para. 103);

F. De même, la logique interne d’une décision peut également être remise en question lorsque les motifs sont entachés d’erreurs manifestes sur le plan rationnel – comme lorsque le décideur a suivi un raisonnement tautologique ou a recouru à de faux dilemmes, à des généralisations non fondées ou à une prémisse absurde (para. 104);

G. À moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas les conclusions de fait du tribunal; elles doivent aussi s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur (para. 125).

[46] Toutes les erreurs alléguées concernent des inférences de fait que le TRP a tirées en se basant sur les éléments de preuve. Bien que j’examine chacune de ces questions dans les paragraphes qui suivent, ma conclusion globale est qu’il était loisible au TRP de tirer les inférences en question, même si des inférences différentes auraient pu également être formulées. Les inférences du TRP ne témoignent pas d’une analyse irrationnelle ni d’erreurs manifestes sur le plan logique.

2) L’arbre du commissaire

[47] Comme je l’ai indiqué précédemment, le TRP a inféré que l’arbre du commissaire qui définit la limite sud a été choisi en consultation avec le chef Noukamis, afin de veiller à ce que les lieux de sépulture soient inclus dans la réserve. Ces inférences sont fondées sur les éléments énoncés précédemment au paragraphe 21.

[48] Les Ahousaht notent que les lieux de sépulture indiqués sur le levé d’arpentage officiel de la RI 15, réalisé quatre ans plus tard, étaient beaucoup plus nombreux que sur le relevé de M. Green. Les Ahousaht mentionnent également l’existence d’éléments de preuve indiquant que des personnes étaient « inhumées » dans des arbres se trouvant au sud de la limite sud. Je suis d’avis qu’aucune de ces affirmations ne porte atteinte aux inférences que le TRP a tirées à partir des éléments de preuve. Il ne fait aucun doute que le TRP connaissant la pratique consistant à choisir des arbres comme lieux de sépulture (voir les paragraphes 67, 81 et 84 de la décision), et rien dans les éléments de preuve n’indique que M. O’Reilly savait, ou aurait dû savoir, qu’il y avait des lieux de sépulture au sud de la limite sud de la RI 15.

[49] Je ne crois pas que les inférences tirées par le TRP relativement au choix de l’arbre du commissaire étaient déraisonnables.

3) Présence du chef Noukamis

[50] Comme je l’ai indiqué précédemment au paragraphe 20, le TRP a conclu que le chef Noukamis était présent lorsque MM. O’Reilly et Green ont visité le village Marktosis. Les Ahousaht font valoir que cette conclusion est sans fondement. Bien que M. O’Reilly mentionne dans son journal avoir rencontré le chef Noukamis plus tôt durant la journée lors de sa visite à Marktosis, il n’y est pas précisé si le chef Noukamis l’a accompagné à cet endroit. Les Ahousaht soutiennent que cette omission signifie que le chef Noukamis n’a pas accompagné M. O’Reilly à Marktosis, surtout que M. O’Reilly a identifié dans son journal les personnes qui l’avaient accompagné à d’autres endroits. Le TRP a reconnu qu’aucune preuve directe n’indiquait que le chef Noukamis avait accompagné M. O’Reilly à Marktosis (voir le paragraphe 181 de la décision), mais il a néanmoins tiré des inférences de cette preuve. Il était loisible au TRP de le faire.

[51] Les Ahousaht affirment que le chef Noukamis n’avait aucune raison de se rendre à Marktosis, et qu’il ressort de la preuve que le chef Noukamis n’a pas accompagné MM. O’Reilly et Green lors de leur visite à cet endroit. Je ne suis pas du même avis. Le TRP a conclu que le chef Noukamis était présent lorsque MM. O’Reilly et Green ont visité le village Marktosis et il a expliqué cette conclusion en soulignant notamment qu’il était de sa responsabilité d’y être. Les Ahousaht ne contestent pas cette responsabilité. Je ne crois pas que cette conclusion soit déraisonnable même si, comme le proposent les Ahousaht, des conclusions différentes auraient pu être formulées. Le rôle de notre Cour n’est pas de réévaluer les éléments de preuve.

[52] Les Ahousaht mettent en doute la fiabilité de certains renseignements fournis par M. O’Reilly au sujet des personnes qui étaient présentes lors de sa visite en juin 1889 et du moment où ils les a rencontrées. Ils demandent à notre Cour d’inférer, en comparant le journal de M. O’Reilly à la lettre qu’il a envoyée au surintendant général des Affaires indiennes le 5 mars 1890, que M. O’Reilly a pu embellir les faits ou en avoir un souvenir inexact. Là encore, je suis d’avis que l’existence possible de ces conclusions différentes ne permet pas d’établir que les conclusions du TRP étaient déraisonnables.

[53] Les Ahousaht demandent également à notre Cour de conclure que les commentaires de M. O’Reilly donnent l’impression que les membres de la tribu ont considéré l’invitation qu’il leur a faite de l’accompagner aux endroits qui définiraient les limites des réserves davantage comme une aventure ou un divertissement que comme une démarche sérieuse visant à recueillir de l’information. Premièrement, le rôle de notre Cour n’est pas de tirer pareilles conclusions. Nous devons plutôt nous concentrer sur les motifs du TRP et déterminer s’ils comportent des erreurs. Quoi qu’il en soit, je ne vois aucun élément – autre que conjectural – qui nous permette de tirer la conclusion demandée avec insistance par les Ahousaht. Qui plus est, une telle conclusion irait à l’encontre de la conclusion raisonnable du TRP selon laquelle les Ahousaht comprenaient l’importance de l’établissement des limites des réserves.

4) Le lac

[54] Comme je l’ai indiqué au paragraphe 22 qui précède, le TRP a conclu que MM. O’Reilly et Green n’étaient vraisemblablement pas au courant de l’existence du lac qui se trouvait sur le lot 363, juste au sud de la limite sud de la RI 15. Les Ahousaht soutiennent que MM. O’Reilly et Green avaient l’obligation de franchir la limite sud, et qu’ils auraient vu le lac s’ils l’avaient fait. Ils soutiennent également que, si M. O’Reilly avait vu le lac, il aurait compris la valeur qu’avait pour eux ce lac comme source d’approvisionnement en poissons, et il aurait inclus le lot 363 dans la RI 15.

[55] Les Ahousaht offrent peu d’éléments pour étayer leur observation sur la nécessité de traverser la frontière sud, et je n’accepte pas leur allégation voulant que le TRP ait commis une erreur parce qu’il a omis de conclure qu’il y a eu manquement à l’obligation fiduciaire envers les Ahousaht du fait que MM. O’Reilly ou Green n’ont pas traversé la frontière sud de la RI 15.

[56] Les Ahousaht soutiennent également que, même si M. O’Reilly ne connaissait pas l’existence du lac lorsqu’il a visité Marktosis, il n’aurait pas pu plaider l’ignorance après avoir vu (et signé) le levé officiel d’arpentage qui a été préparé quelques années plus tard. Je reconnais que M. O’Reilly a pu voir le lac sur la carte du levé officiel du lot 363, mais je ne crois pas que cela l’aurait nécessairement obligé à mener d’autres enquêtes dans le but de modifier les limites de la RI 15. Je ne crois pas que le TRP a commis une erreur en n’incluant pas cette étape dans l’obligation fiduciaire envers les Ahousaht. En l’absence d’autres éléments, la simple indication, sur la carte, d’un plan d’eau près de la limite de la RI 15 ne serait pas une indication que ce plan d’eau ou les terres qui l’entourent avaient nécessairement une valeur pour les Ahousaht. Cela est particulièrement vrai lorsqu’on tient compte de la conclusion raisonnable du TRP selon laquelle le chef Noukamis était présent lorsque M. O’Reilly a visité Marktosis pour répertorier les terres utilisées par les Ahousaht.

[57] Les Ahousaht formulent plusieurs observations au sujet d’éléments de preuve que le juge Whelan aurait traités différemment du président Slade. Mentionnons notamment (i) l’histoire orale concernant la pertinence du bois du lot 363 pour la fabrication de canots et (ii) une visite de la RI 15 qui aurait révélé la proximité du lac avec la limite sud de la RI 15. Cependant, le TRP était clairement au courant de ces éléments de preuve. L’histoire orale, qui a été présentée par l’aîné Louie Frank Sr., a été examinée aux paragraphes 55 à 62 de la décision, et la valeur du bois sur le lot 363 a été examinée aux paragraphes 171 à 175. Je ne vois rien de déraisonnable dans la manière dont le TRP a traité ces éléments de preuve.

[58] La proximité du lac avec la RI 15 ressort clairement des éléments de preuve (le levé officiel indique qu’il se situait à une distance de trois chaînes – environ 60 mètres – de la limite sud), et le TRP l’a noté au paragraphe 171 de la décision. Plus important encore, je ne vois pas vraiment comment une visite sur place pour observer cette proximité en personne aurait pu influer sur le résultat. La conclusion du TRP selon laquelle MM. O’Reilly et Green n’ont pas vu le lac était fondée sur la configuration du terrain ainsi que sur la distance par rapport à l’arbre du commissaire, et non par rapport à la limite sud de la RI 15. De plus, je ne vois pas en quoi une visite des lieux en 2018 aurait aidé le président Slade à imaginer ce qui aurait été évident pour un visiteur en 1889.

V. Conclusions

[59] Pour les motifs précités, je conclus que l’instance devant le TRP n’a été entachée d’aucune iniquité procédurale, notamment en ce qui concerne le remplacement du juge Whelan par le président Slade pour instruire l’audience sur le bien-fondé et statuer sur l’affaire.

[60] Je suis également d’avis que la décision était raisonnable et qu’elle ne comportait aucune erreur.

[61] Je rejetterais la présente demande de contrôle judiciaire avec dépens.

« George R. Locke »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

J. B. Laskin j.c.a. »

« Je suis d’accord.

René LeBlanc j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-112-19

 

INTITULÉ :

PREMIÈRE NATION D’AHOUSAHT c. SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE EN LIGNE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 10 et 11 mars 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LOCKE

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LASKIN

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

Le 9 juillet 2021

COMPARUTIONS :

Stan Ashcroft

 

Pour la demanderesse

 

James Rendell

 

Pour la défenderesse

 

Paul J.J. Cavalluzzo

Lara Koerner Yeo

 

Pour l’intervenant

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ashcroft & Company

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour la demanderesse

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

 

Pour la défenderesse

 

Cavalluzzo, s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR L’INTERVENANT

 

 

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