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Date : 20210916


Dossiers : A-417-19

A-418-19

Référence : 2021 CAF 182

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE GLEASON

LA JUGE WOODS

 

Dossier : A-417-19

ENTRE :

PALETTA INTERNATIONAL CORPORATION

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Dossier : A-418-19

ET ENTRE :

ANGELO PALETTA

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), les 15 et 16 septembre 2021.

Jugement prononcé à l’audience à Toronto (Ontario), le 16 septembre 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LA JUGE WOODS

 


Date : 20210916


Dossiers : A-417-19

A-418-19

Référence : 2021 CAF 182

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE GLEASON

LA JUGE WOODS

 

Dossier : A-417-19

ENTRE :

PALETTA INTERNATIONAL CORPORATION

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Dossier : A-418-19

ET ENTRE :

ANGELO PALETTA

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Toronto (Ontario), le 16 septembre 2021.)

LA JUGE WOODS

[1] Les présents motifs ont été prononcés oralement dans les appels interjetés par Paletta International Corporation et Angelo Paletta. Les appels visent des jugements de la Cour canadienne de l’impôt, laquelle a essentiellement confirmé les nouvelles cotisations établies à l’égard des appelants sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (2019 CCI 205, le juge Hogan.).

[2] Dans les présents appels, les appelants soutiennent principalement que les jugements devraient être annulés et que la tenue d’un nouveau procès devrait être ordonnée parce que l’audience devant la Cour canadienne de l’impôt était entachée de manquements à l’équité procédurale. Les appelants soutiennent qu’ils n’ont pas eu droit à une audience équitable parce qu’ils ne connaissaient pas la preuve qu’ils devaient réfuter et qu’ils n’ont pas eu adéquatement la possibilité de répondre à une question qui n’avait pas été soulevée par les parties. Ils invoquent divers précédents, dont l’arrêt R. c. Mian, 2014 CSC 54, [2014] 2 R.C.S. 689.

[3] Les appels portent sur deux questions fiscales. La principale question est de savoir si des dépenses associées à la distribution de films sont déductibles. La deuxième question n’a aucun rapport avec la première et consiste à savoir si les gains réalisés lors de la vente de trois parcelles de terrain sont un revenu ou un gain en capital.

[4] En ce qui concerne les dépenses associées à la distribution de films, les appelants soutiennent que la Cour canadienne de l’impôt a tranché cette question en se fondant sur un principe qui n’avait pas été invoqué par les parties et dont ils n’avaient pas été avisés en bonne et due forme. Ils font également valoir que le manquement à l’équité procédurale qui en a découlé a entaché la conclusion que la Cour a tirée sur la question de la vente des terrains. Ils soutiennent plus précisément que la Cour a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité relativement à la question de la distribution de films et que cette conclusion a indûment influencé la Cour dans sa décision sur la question de la vente des terrains.

[5] Les faits pertinents et le contexte sont présentés en détail dans les motifs de la Cour canadienne de l’impôt. Il n’est pas nécessaire de refaire l’exercice dans les présents motifs.

[6] Examinons d’abord la question de l’équité procédurale soulevée au sujet des dépenses associées à la distribution de films. Pour les années d’imposition 2007 et 2008, les appelants ont déduit des pertes et des dépenses relatives à la distribution de deux films produits par 20th Century Fox (Fox). L’entente comportait une série de transactions complexes dans le cadre desquelles Fox aurait vendu deux de ses nouvelles productions à des sociétés de personnes dans lesquelles les appelants étaient des commanditaires. La majorité des pertes et des dépenses qui ont été déduites se rapportaient à des dépenses d’impression et de publicité qu’auraient faites les sociétés de personnes peu de temps après l’acquisition des films. Après une brève période, l’entente a été clôturée, ce qui impliquait l’exercice d’options de la part du groupe de sociétés Fox. Les options permettaient à Fox d’acquérir tous les intérêts dans les sociétés de personnes, ce qui comprenait, précisons-le, des intérêts qui n’étaient pas détenus par les appelants. Il en est résulté que les films sont redevenus la propriété de Fox.

[7] Le ministre du Revenu national a établi de nouvelles cotisations à l’égard des appelants pour les années d’imposition 2007 et 2008, dans lesquelles il a refusé la déduction des pertes et des dépenses déclarées relativement à la distribution de films. Le ministre y a également refusé le report des pertes à d’autres années d’imposition.

[8] Dans ses réponses déposées auprès de la Cour canadienne de l’impôt, la Couronne a donné un aperçu de la thèse adoptée par le ministre dans les nouvelles cotisations. La thèse du ministre est énoncée de manière générale dans cet extrait de l’aperçu : [traduction] « La position de l’appelante comprend un plan de création de pertes fiscales ayant l’apparence de dépenses faites pour la distribution de films dans le but de générer un report d’impôt et des économies d’impôt permanentes. Les documents associés à ce plan montrent qu’il y a eu trompe-l’œil. » (Dossier d’appel, à la p. 450.) Les réponses renferment de nombreuses hypothèses de fait formulées par le ministre ainsi que plusieurs observations de droit. Certaines de ces observations font clairement valoir des thèses subsidiaires.

[9] La Cour canadienne de l’impôt a confirmé cette partie des nouvelles cotisations, principalement au motif que les dépenses n’avaient pas été faites en vue de tirer un revenu. La Cour a conclu que l’alinéa 18(1)a) de la Loi interdisait les déductions dans ces circonstances.

[10] Il convient de citer les motifs de la Cour canadienne de l’impôt à l’appui de cette conclusion. Au paragraphe 244 de ses motifs, elle a déclaré ce qui suit : « Par conséquent, je conclus que les options étaient des trompe-l’œil destinés à occulter l’accord des parties selon lequel les films seraient rachetés par la société Fox avant leur sortie commerciale. »

[11] Lors de l’audience devant la Cour canadienne de l’impôt, le juge Hogan s’est dit préoccupé par la question de savoir s’il s’agissait d’une nouvelle thèse dont il ne devrait pas tenir compte pour des motifs d’équité procédurale. Il a soulevé cette question après la clôture de la preuve et après avoir pris connaissance des observations orales et écrites à cet égard.

[12] La Cour canadienne de l’impôt a conclu en fin de compte qu’elle pourrait examiner la question et a fourni des motifs détaillés à l’appui de sa conclusion, aux paragraphes 89 à 120.

[13] Devant notre Cour, les appelants soutiennent que la Cour canadienne de l’impôt a conclu à tort que cette question pouvait être examinée. Selon eux, le raisonnement de la Cour canadienne de l’impôt était fondé sur une nouvelle thèse qui n’avait pas été plaidée et qui avait été soulevée trop tard. Ils soutiennent qu’ils ne connaissaient pas la preuve à réfuter et qu’ils n’ont pas eu la possibilité raisonnable de présenter des éléments de preuve pour y répondre.

[14] Nous ne retenons pas cette observation, et nous souscrivons aux motifs fournis par la Cour canadienne de l’impôt sur cette question. Les appelants connaissaient la preuve qu’ils devaient réfuter et ils ont eu la possibilité raisonnable d’y répondre.

[15] Les observations des appelants portent principalement sur les hypothèses formulées par le ministre, telles qu’elles sont énoncées dans les réponses. Les appelants soutiennent que ces hypothèses ne peuvent mener aux conclusions de la Cour canadienne de l’impôt. Ils insistent sur deux conclusions précises tirées par la Cour, soit que les options étaient des trompe-l’œil et que les parties avaient convenu au préalable que les options seraient levées.

[16] Nous sommes d’avis que ces observations sont sans fondement. J’examine d’abord la conclusion portant sur l’entente préalable. Bien que, dans les réponses, le terme [traduction] « entente » ne soit pas employé, d’autres termes sont employés dans les hypothèses formulées pour exprimer une idée analogue. Plus précisément, le ministre a supposé que [traduction] « Fox ou toute autre partie n’a jamais eu l’intention de permettre à Six Iron LP de posséder, de contrôler et d’exploiter le film ». En outre, le ministre a supposé que [traduction] « l’appelante savait que Fox exercerait son option de racheter le film et qu’aucun revenu ne serait tiré de l’exploitation du film tant que Six Iron LP détiendrait des intérêts dans le film ». Enfin, dans les hypothèses, il est renvoyé entre parenthèses à l’idée que l’exercice des options était déterminé à l’avance (dossier d’appel, p. 464 et 467).

[17] Ces hypothèses ont été formulées afin d’informer les appelants que le ministre estimait avoir acquis la certitude que les sociétés de personnes n’auraient reçu aucun revenu de l’exploitation des films. C’est cette preuve que les appelants devaient réfuter. En fait, les appelants ont tenté de démolir ces hypothèses en produisant des éléments de preuve montrant qu’il y avait une possibilité réelle que les options ne soient pas exercées. Les éléments de preuve n’ont pas été jugés crédibles.

[18] Les appelants soutiennent également que la conclusion de la Cour canadienne de l’impôt selon laquelle les options étaient des trompe-l’œil est importante. Ils font valoir que cela ne faisait pas partie du dossier de la Couronne. Si nous comprenons bien, la Couronne reconnaît que cette hypothèse ne faisait pas partie de son dossier, mais elle est d’avis qu’elle n’a eu aucune incidence sur l’issue.

[19] Nous partageons l’avis de la Couronne sur ce point. La conclusion de « trompe-l’œil » que la Cour canadienne de l’impôt a tirée au sujet de l’entente ne signifie pas que les appelants n’avaient pas été informés de la preuve qu’ils devaient réfuter. Cette preuve avait clairement été énoncée dans les hypothèses de fait. Rien n’exigeait que, dans les hypothèses, le terme « trompe-l’œil » soit explicitement employé ou que la tromperie y soit explicitement mentionnée. Il ressort toutefois manifestement des hypothèses pertinentes que le ministre tenait pour acquis qu’il y avait eu tromperie en ce qui concerne les options. La preuve que les appelants devaient réfuter ressortait clairement des hypothèses formulées.

[20] À l’audience, les appelants ont également soutenu qu’il y avait une différence énorme entre les hypothèses formulées et la conclusion de la Cour canadienne de l’impôt sur l’existence d’une entente préalable. Nous ne sommes pas de cet avis. Si des hypothèses sont formulées, c’est pour informer les appelants de la preuve qu’ils auront à réfuter. Les termes utilisés dans les hypothèses pertinentes font précisément cela. Selon l’hypothèse du ministre, les parties n’ont jamais eu l’intention que la société de personnes exploite les films. En l’espèce, l’alinéa 18(1)a) est correctement appliqué pour interdire la déduction des dépenses en cause.

[21] Nous concluons qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale. La thèse qui a donné lieu à l’application de l’alinéa 18(1)a) n’était pas nouvelle et avait déjà été plaidée. Par conséquent, indépendamment de la norme de contrôle applicable, la décision visée n’est pas viciée, contrairement à ce qu’affirment les appelants.

[22] Compte tenu de cette conclusion, il n’est pas nécessaire que nous examinions la thèse subsidiaire de la Couronne concernant les règles en matière d’abris fiscaux.

[23] J’examine maintenant la deuxième question en litige, à savoir si les gains réalisés lors de la vente des terrains étaient un revenu ou un gain en capital. La Cour canadienne de l’impôt s’est penchée sur neuf parcelles de terrain. Seules les conclusions concernant quatre de ces parcelles font l’objet d’un appel.

[24] La question ne concerne que l’appel interjeté par Paletta International Corporation. L’appelante a soutenu devant la Cour canadienne de l’impôt que les quatre terrains faisaient partie de son capital. La Cour canadienne de l’impôt n’a pas souscrit à cette observation.

[25] L’appelante soutient principalement que la Cour canadienne de l’impôt a commis deux erreurs.

[26] D’abord, l’appelante fait valoir que le manquement à l’équité procédurale commis par la Cour canadienne de l’impôt sur la question relative aux films entache son analyse de la question des terrains. Puisque nous avons conclu qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale quant à la question relative aux films, l’analyse effectuée par la Cour de la question relative aux terrains n’est pas non plus viciée du fait d’un manquement à l’équité procédurale.

[27] L’appelante soutient également que la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur de droit en appliquant incorrectement le bon critère juridique servant à déterminer si l’appelante avait l’intention secondaire de vendre à profit les propriétés. Il s’agit du principe bien connu de l’intention secondaire.

[28] Il y a deux parties à cette observation. D’abord, l’appelante affirme que la Cour canadienne de l’impôt n’a pas correctement appliqué le critère parce qu’elle n’a pas tenu compte de l’exigence voulant que la possibilité de revendre à profit ait été un motif de l’acquisition des propriétés. Ensuite, l’appelante soutient que la Cour a commis une erreur en se concentrant sur l’utilisation des propriétés longtemps après leur acquisition.

[29] Les quatre propriétés en cause sont les suivantes : (1) 101, Masonry Court; (2) 1963, Appleby Line; (3) 1215, Appleby Line; (4) 55, rue Queen/rue Market.

[30] À titre d’observation préliminaire, je rappellerais que la Cour canadienne de l’impôt a tiré sa conclusion à l’égard de trois des quatre propriétés en cause (par. 294, 299 et 313) principalement au motif que l’appelante ne s’était pas acquittée du fardeau de démolir l’hypothèse du ministre voulant qu’elle ait eu l’intention secondaire de revendre les terrains à profit. Il n’y a aucune erreur dans cette conclusion.

[31] En ce qui concerne la quatrième propriété, située au 55, rue Queen/rue Market, la Cour canadienne de l’impôt n’a pas déclaré explicitement que l’appelante ne s’était pas acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombait. Elle a toutefois retenu la preuve produite par la Couronne qui montrait que la conduite de l’appelante relativement à cette propriété, pendant la longue période au cours de laquelle elle en était propriétaire, ne concordait pas avec le témoignage de M. Paletta selon lequel l’intention était de construire un immeuble à usage locatif sur le site. Plus précisément, la Couronne a établi qu’« aucune mesure concrète » n’avait été prise pour mettre la propriété en valeur à cette fin malgré la longue période de possession, et a déduit de cette conduite que, dès le début, il y avait une intention principale ou secondaire de vendre. La Cour canadienne de l’impôt n’a pas commis d’erreur en faisant une telle déduction.

[32] Enfin, en ce qui a trait à la propriété située au 1963, Appleby Line, selon l’appelante, la Cour canadienne de l’impôt n’a pas tenu compte de la partie du critère juridique applicable à l’intention secondaire selon laquelle la possibilité de revendre à profit devait être un facteur ayant motivé l’acquisition du bien. La conclusion de la Cour canadienne de l’impôt (par. 294) n’étaye pas l’observation de l’appelante. Cette Cour a déduit, d’après la preuve, que les appelants « auraient envisagé la possibilité que leurs plans soient contrariés et se seraient donné la possibilité de revendre le terrain à profit ». Il est clair qu’elle a tiré une conclusion selon laquelle l’intention secondaire constituait un facteur déterminant ayant poussé les appelants à acquérir la propriété. Nous concluons qu’il n’y a aucune erreur sur cette question.

[33] Par conséquent, nous sommes d’accord pour dire que la Cour canadienne de l’impôt n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en ce qui concerne la vente des terrains en cause.

[34] La Couronne demande des dépens majorés dans les présents appels. Nous ne voyons rien qui justifie cette demande.

[35] Malgré les observations habiles de l’avocat des appelants, les appels sont rejetés avec dépens.

« Judith Woods »

j.c.a.

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossiers :

A-417-19 et A-418-19

DOSSIER :

A-417-19

 

INTITULÉ :

PALETTA INTERNATIONAL CORPORATION c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

ET DOSSIER :

A-418-19

 

INTITULÉ :

ANGELO PALETTA c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 15 ET 16 SEPTEMBRE 2021

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE GLEASON

LA JUGE WOODS

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :

LA JUGE WOODS

COMPARUTIONS :

Al Meghji

David Jacyk

Theo Stathakos

POUR LES APPELANTS (EN PERSONNE ET PAR VIDÉOCONFÉRENCE)

Charles Camirand

Vincent Bourgeois

POUR L’INTIMÉE (EN PERSONNE ET PAR VIDÉOCONFÉRENCE)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour les appelants

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Pour l’intimée

 

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