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Date : 20211004


Dossier : A-137-20

Référence : 2021 CAF 194

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

 

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

appelant

et

ASHLEY NADINE LAING

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 4 octobre 2021.

Jugement rendu à l’audience à Toronto (Ontario), le 4 octobre 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE LASKIN

 


Date : 20211004


Dossier : A-137-20

Référence : 2021 CAF 194

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

 

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

appelant

et

ASHLEY NADINE LAING

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Toronto (Ontario), le 4 octobre 2021.)

LE JUGE LASKIN

[1] Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration interjette appel d’une décision de la Cour fédérale (2020 CF 377, le juge Annis). Dans son jugement, la Cour fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire de l’intimée, Mme Laing, d’une décision d’une agente d’immigration principale qui a rejeté sa demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, présentée depuis le Canada.

[2] Le juge de la Cour fédérale a également certifié les questions suivantes en vue d’un appel conformément à l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 :

S’agissant d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR, l’agent doit‑il considérer la preuve des difficultés passées liées au traitement lamentable et inadmissible subi par une demanderesse et ses enfants, alors que ces difficultés ne relèvent d’aucun facteur énoncé dans les Lignes directrices [Canada, Citoyenneté et Immigration Canada. « IP 5 : Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire », dans Traitement des demandes au Canada (en ligne à l’adresse : http://www.cic.gc.ca)], qu’elles ne se reproduiront pas ni ne surgiront lors du renvoi, mais qu’elles concordent possiblement avec les principes énoncés dans la décision Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1970), 4 A.I.A. 338, adoptés dans l’arrêt Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, et ce, même si le sujet n’a pas été explicitement soulevé par la demanderesse à titre de facteur pertinent à prendre en compte? Sinon, le juge des demandes peut‑il soulever le sujet à titre de nouvelle question suivant les principes de l’arrêt R. c Mian, 2014 CSC 54?

[3] Mme Laing est née en Jamaïque et est citoyenne de ce pays. Elle a grandi sur un campus du ministère où sa mère adoptive travaillait. Après avoir terminé ses études en 2006, elle a continué à vivre et à travailler sur le campus comme missionnaire et membre de l’équipe de la direction jusqu’en 2016.

[4] Alors qu’elle travaillait au campus du ministère, elle a rencontré son époux, un citoyen canadien. Ils sont mariés en 2007 et ont eu trois enfants entre 2008 et 2013. Les enfants ont la double citoyenneté jamaïcaine et canadienne.

[5] En 2016, Mme Laing a quitté son emploi et a déménagé avec sa famille en Israël après qu’elle y a été exhortée par son époux. Peu de temps après leur arrivée, elle a appris que son époux avait une liaison avec une collègue missionnaire. Son époux l’a abandonnée en Israël, elle et les enfants, pour revenir vivre au Canada avec l’autre femme. Mme Laing est finalement arrivée au Canada avec ses enfants. Elle les a inscrits à l’école et a présenté une demande de résidence fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[6] L’agente a reconnu l’obligation énoncée dans l’arrêt Kanthasamy de procéder à une évaluation globale des motifs d’ordre humanitaire applicables. Elle a conclu que Mme Laing n’avait pas démontré que les circonstances justifiaient l’octroi d’une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire.

[7] En parvenant à cette conclusion, l’agente n’a fait référence à aucune difficulté passée ou au traitement lamentable et inadmissible subi par Mme Laing et ses enfants, découlant du fait que son époux les avait abandonnés en Israël. Dans sa demande de résidence permanente, Mme Laing avait fait référence à cet abandon, mais ne l’a pas invoqué en exposant les motifs d’ordre humanitaire sur lesquels sa demande était fondée.

[8] La Cour fédérale a conclu que la façon dont l’agente a traité les facteurs dont elle a tenu compte était raisonnable. Elle a cependant conclu que l’agente aurait dû tenir compte du traitement que l’époux a infligé à Mme Laing et à ses enfants ainsi que des difficultés exceptionnelles auxquelles il l’a exposée, comme constituant un facteur clé pour déterminer si des mesures spéciales devaient être octroyées. Elle a déclaré ce qui suit (au paragraphe 92 de ses motifs) :

un agent doit, selon les circonstances et en s’appuyant sur ses connaissances spécialisées des mesures d’ordre humanitaire, examiner tous les faits pertinents, et certainement ceux qui sautent vivement aux yeux lorsque cette question est examinée, qu’ils figurent ou non dans les Lignes directrices, même s’ils ne sont pas invoqués par le demandeur.

[9] La Cour fédérale a annulé la décision de l’agente et a renvoyé l’affaire devant la même agente afin que cette dernière examine si les difficultés passées subies par Mme Laing étaient inadmissibles, de façon à justifier la prise de mesures spéciales. Elle a également certifié la question déjà exposée aux fins d’un appel.

[10] Le ministre soutient que la Cour fédérale s’est trompée à deux égards importants : d’abord, en soulevant une nouvelle question en l’absence de circonstances rares et exceptionnelles le justifiant; ensuite, en appliquant la norme de contrôle de la décision correcte alors que la norme applicable était celle de la décision raisonnable.

[11] Toutefois, le droit de notre Cour d’examiner ces questions dépend de l’existence d’une question dûment certifiée. Pour être dûment certifiée, la question doit être déterminante quant à l’issue de l’appel, transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. « [Une] question […] dont la réponse dépend des faits qui sont uniques à l’affaire [ne peut] être dûment certifiée » (Mudrak c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178, 485 N.R. 186 aux paras. 15 et 35) : Lunyamila c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, [2018] 3 R.C.F. 674 au para. 46.

[12] Nous sommes d’avis que la question certifiée en l’espèce relève de la catégorie des « question[s] […] dont la réponse dépend des faits qui sont uniques à l’affaire ». C’est ce qu’a reconnu la Cour fédérale lorsqu’elle a mentionné, dans l’extrait de ses motifs que j’ai cité, que pour déterminer si un agent devrait tenir compte des difficultés exceptionnelles dépend des circonstances, y compris la question de savoir si les faits pertinents « sautent aux yeux ».

[13] Bien que notre Cour ait le pouvoir discrétionnaire de reformuler une question certifiée qui n’est pas conforme, toute question reformulée doit également satisfaire aux critères applicables à une question dûment certifiée : arrêt Lunyamila, au para. 47. Même si, en l’espèce, nous pouvions reformuler une question conforme, nous n’exercerions pas ce pouvoir discrétionnaire puisque l’appel est également devenu théorique : le ministre a déjà fait droit à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par Mme Laing. Conformément aux principes énoncés dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, nous n’exercerions pas notre pouvoir discrétionnaire d’entendre cet appel théorique.

[14] En parvenant à ces conclusions, nous ne sommes pas tenus d’approuver les motifs de la Cour fédérale.

[15] Par conséquent, nous rejetterons le présent appel.

« J.B. Laskin »

j.c.a.

Traduction certifiée conforme.

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-137-20

(APPEL DU JUGEMENT DU JUGE ANNIS EN DATE DU 13 MARS 2020, DOSSIER NO IMM-6306-18)

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. ASHLEY NADINE LAING

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 octobre 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :

LE JUGE LASKIN

COMPARUTIONS :

Judy Michaely

Alex Kam

 

Pour l’appelant

 

Sam Plett

 

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

A. Franҫois Daigle

Sous-procureur général du Canada

 

Pour l’appelant

Desloges Law Group

Toronto (Ontario)

Pour l’intimée

 

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