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Date : 20210924


Dossier : A-468-19

Référence : 2021 CAF 191

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

CANADA (MINISTRE DE LA SANTÉ)

appelant

et

ELANCO CANADA LIMITED

intimée

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 22 juin 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 24 septembre 2021.

VERSION PUBLIQUE DES MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LE JUGE LASKIN

 


Date : 20210924


Dossier : A-468-19

Référence : 2021 CAF 191

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

CANADA (MINISTRE DE LA SANTÉ)

appelant

et

ELANCO CANADA LIMITED

intimée

VERSION PUBLIQUE DES MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE WEBB

[1] La Cour est saisie de l’appel du jugement, daté du 19 novembre 2019 (2019 CF 1455), par lequel la Cour fédérale a accueilli la demande d’Elanco Canada Limited (Elanco) qui avait été présentée en application de l’article 44 de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1 (la Loi).

[2] Un tiers avait demandé les documents qui concernent les demandes d’Elanco à Santé Canada pour l’approbation d’un certain médicament vétérinaire. Il semblerait que Santé Canada ait proposé de divulguer 166 pages de renseignements. Elanco s’est opposée à la communication de plusieurs parties des documents.

[3] La Cour fédérale a examiné les types de renseignements que Santé Canada, aux termes de l’article 20 de la Loi, ne peut pas communiquer et, dans chaque cas, elle était d’accord avec la position d’Elanco concernant les renseignements qui étaient soustraits à la communication.

[4] Dans l’arrêt Canada (Commissariat à l’information) c. Canada (Premier ministre), 2019 CAF 95 (Canada c. Canada), notre Cour a admis l’existence d’un débat concernant le rôle qu’elle joue dans l’examen d’une décision de la Cour fédérale qui porte sur un recours prévu à l’article 44 de la Loi. D’un côté, les principes énoncés dans l’arrêt Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 (Agraira) s’appliquent-ils, autrement dit, notre Cour se met-elle à la place de la Cour fédérale? D’un autre côté, notre Cour examine-t-elle la décision de la Cour fédérale en appliquant les normes de contrôle énoncées dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33 (Housen), à savoir que la norme de contrôle à laquelle sont assujetties les conclusions de fait et les conclusions mixtes de fait et de droit, formulées par la juge de la Cour fédérale, est celle de l’erreur manifeste et dominante et que la norme de contrôle applicable aux questions de droit est celle de la décision correcte? La résolution de ce débat est au cœur du présent appel.

I. Jugement rendu par la Cour fédérale

[5] Le jugement de la Cour fédérale est rédigé en des termes trop généraux et doit être annulé, peu importe le règlement de la question en litige concernant le rôle de notre Cour. En accueillant la demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale a rendu la décision suivante :

LA COUR STATUE que le contrôle judiciaire est autorisé, et je déclare que la décision de Santé Canada de communiquer les documents est invalide. Elanco a droit aux dépens.

[6] Le terme « documents » est défini au paragraphe 4 des motifs de la juge de la Cour fédérale :

[4] […] Les documents demandés par un tiers inconnu concernent les demandes d’Elanco à Santé Canada pour l’approbation du médicament vétérinaire Fortekor en comprimés aromatisés à des concentrations de 2,5 mg, de 5 mg et de 20 mg (Fortekor) (les documents).

[7] Par conséquent, il semblerait que le terme défini « documents » désigne tous les documents demandés par le tiers, et non simplement la partie des documents qu’Elanco demande de soustraire à la divulgation. Elanco admet que plusieurs parties des documents ne sont pas confidentielles et qu’elles peuvent être communiquées. Cependant, le jugement, tel qu’il a été rédigé, interdit à Santé Canada de communiquer une partie des documents demandés, y compris toute partie qui contient des renseignements qui ne sont pas protégés contre la divulgation, aux termes de l’article 20 de la Loi. Interdire la communication de tous les documents n’est pas conforme à la Loi.

[8] Le jugement daté du 19 novembre 2019 indique également qu’Elanco a droit aux dépens. Dans l’avis d’appel signé par l’avocat de la Couronne, le 16 décembre 2019, et déposé le 18 décembre 2019, la Couronne a indiqué qu’elle faisait appel de l’adjudication des dépens. Une ordonnance subséquente, datée du 17 janvier 2020, et rendue par la Cour fédérale, a indiqué que « Santé Canada doit payer à Elanco Canada Limited des dépens de 12 900 $, incluant tous les frais et débours ».

[9] L’avis d’appel déposé le 18 décembre 2019 n’est pas un appel de l’ordonnance datée du 17 janvier 2020 qui précise le montant des dépens que Santé Canada doit payer. La Couronne n’a pas déposé un avis d’appel de l’ordonnance datée du 17 janvier 2020.

II. Exposé des faits

[10] Une demande a été déposée aux termes de l’article 6 de la Loi pour que Santé Canada communique certains documents sur lesquels il exerce un contrôle. Les documents en question étaient les demandes faites par Elanco pour l’approbation de Fortekor. Les renseignements demandés étaient donc les renseignements de tiers communiqués par Elanco à Santé Canada. Santé Canada a avisé Elanco de la demande et des documents qu’il proposait de communiquer.

[11] L’article 20 de la Loi prévoit que certains renseignements de tiers qui relèvent du pouvoir d’une institution fédérale ne doivent pas être communiqués :

20 (1) Le responsable d’une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant :

20 (1) Subject to this section, the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Part that contains

a) des secrets industriels de tiers;

(a) trade secrets of a third party;

b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers;

(b) financial, commercial, scientific or technical information that is confidential information supplied to a government institution by a third party and is treated consistently in a confidential manner by the third party;

b.1) des renseignements qui, d’une part, sont fournis à titre confidentiel à une institution fédérale par un tiers en vue de l’élaboration, de la mise à jour, de la mise à l’essai ou de la mise en oeuvre par celle-ci de plans de gestion des urgences au sens de l’article 2 de la Loi sur la gestion des urgences et, d’autre part, portent sur la vulnérabilité des bâtiments ou autres ouvrages de ce tiers, ou de ses réseaux ou systèmes, y compris ses réseaux ou systèmes informatiques ou de communication, ou sur les méthodes employées pour leur protection;

(b.1) information that is supplied in confidence to a government institution by a third party for the preparation, maintenance, testing or implementation by the government institution of emergency management plans within the meaning of section 2 of the Emergency Management Act and that concerns the vulnerability of the third party’s buildings or other structures, its networks or systems, including its computer or communications networks or systems, or the methods used to protect any of those buildings, structures, networks or systems;

c) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité;

(c) information the disclosure of which could reasonably be expected to result in material financial loss or gain to, or could reasonably be expected to prejudice the competitive position of, a third party; or

d) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement d’entraver des négociations menées par un tiers en vue de contrats ou à d’autres fins.

(d) information the disclosure of which could reasonably be expected to interfere with contractual or other negotiations of a third party.

[12] Elanco a informé Santé Canada qu’en application de l’article 20 de la Loi, des parties importantes des renseignements ne devaient pas être communiquées à la personne qui avait présenté la demande. Santé Canada a d’abord convenu que des parties des renseignements étaient soustraites à la communication, mais avant l’audience à la Cour fédérale, il a changé d’avis.

[13] La juge de la Cour fédérale a examiné les éléments de preuve liés à l’application de chaque alinéa du paragraphe 20(1) de la Loi (à l’exception de l’alinéa b.1)). Dans chaque cas, la juge de la Cour fédérale a souscrit à la position d’Elanco et a conclu que les parties des documents qu’Elanco prétendait être soustraites à la communication ne devaient pas être divulguées. Les prétentions d’Elanco ne se rapportaient qu’à certains renseignements contenus dans les 166 pages que Santé Canada proposait de communiquer. Il semblerait donc que la juge de la Cour fédérale ait voulu uniquement ordonner à Santé Canada de ne pas communiquer les renseignements qu’Elanco a établis comme étant soustraits à la communication, et non interdire à Santé Canada de divulguer toutes les 166 pages.

III. Articles 44 et 44.1 de la Loi

[14] Le paragraphe 44(1) de la Loi porte qu’un tiers (Elanco en l’espèce) a le droit d’exercer un recours en révision de la décision d’un responsable d’une institution fédérale (Santé Canada en l’espèce) de divulguer des renseignements devant la Cour fédérale :

44 (1) Le tiers que le responsable d’une institution fédérale est tenu, en application de l’alinéa 28(1)b), d’aviser de la décision de donner communication totale ou partielle d’un document peut, dans les vingt jours suivant la transmission de l’avis, exercer un recours en révision devant la Cour.

44 (1) Any third party to whom the head of a government institution is required under paragraph 28(1)(b) to give notice of a decision to disclose a record or a part of a record under this Part may, within 20 days after the notice is given, apply to the Court for a review of the matter.

[15] L’article 44.1 de la Loi, qui a été ajouté à la Loi le 21 juin 2019, dispose qu’il est entendu que les recours prévus à l’article 44 sont entendus et jugés comme une nouvelle affaire.

44.1 Il est entendu que les recours prévus aux articles 41 et 44 sont entendus et jugés comme une nouvelle affaire.

44.1 For greater certainty, an application under section 41 or 44 is to be heard and determined as a new proceeding.

IV. Question en litige et norme (ou normes) de contrôle

[16] Une question importante en l’espèce est la norme de contrôle (ou, le cas échéant, les normes de contrôle) que notre Cour doit appliquer au moment d’examiner la décision de la Cour fédérale. Dans son mémoire, la Couronne a fait valoir que l’arrêt Agraira rendu par la Cour suprême du Canada s’applique et que, par conséquent, le rôle de notre Cour est de décider si la Cour fédérale a choisi la norme de contrôle applicable et si elle l’a appliquée à juste titre. Étant donné que l’affaire portée devant la Cour fédérale était nouvelle, la Cour fédérale a tiré ses propres conclusions de fait et conclusions mixtes de fait et de droit. Par conséquent, la Couronne a demandé que toutes les conclusions de fait ou les conclusions mixtes de fait et de droit tirées par la Cour fédérale soient examinées selon la norme de la décision correcte. Il n’y aurait ainsi qu’une norme de contrôle, celle de la décision correcte, pour toutes les questions de droit ou de fait.

[17] Dans son mémoire des faits et du droit, Elanco n’a pas contesté les principes énoncés dans l’arrêt Agraira et appliqués dans le présent appel.

[18] Lors de l’audition de l’appel, la Cour a noté que l’article 44.1 a été ajouté à la Loi le 21 juin 2019, date antérieure à celle de l’instruction de la demande par la Cour fédérale, le 20 août 2019. Après l’audition du présent appel, les parties ont déposé des prétentions écrites supplémentaires concernant la norme de contrôle. La Couronne a maintenu sa position selon laquelle l’arrêt Agraira s’appliquait encore et que, par conséquent, toutes les conclusions de fait ou les conclusions mixtes de fait et de droit tirées par la juge de la Cour fédérale devaient être examinées selon la norme de la décision correcte.

[19] Elanco, par contre, a prétendu que les principes énoncés dans l’arrêt Agraira ne s’appliquent pas. Ce sont plutôt les normes de contrôle applicables en appel énoncées dans l’arrêt Housen qui sont applicables. Par conséquent, la norme de contrôle qui s’applique à toutes les conclusions de fait et les conclusions mixtes de fait et de droit tirées par la juge de la Cour fédérale est celle de l’erreur manifeste et dominante et la norme de contrôle qui s’applique aux questions de droit est celle de la décision correcte.

[20] Dans le présent appel, la première question à trancher est celle de savoir quelle est la norme de contrôle applicable ou quelles sont les normes de contrôle applicables.

[21] Étant donné que la Couronne est partie du principe que les conclusions de fait et les conclusions mixtes de fait et de droit doivent être examinées selon la norme de la décision correcte, si la norme de contrôle applicable à l’examen de conclusions de fait ou de conclusions mixtes de fait et de droit est celle de l’erreur manifeste et dominante, la plupart des questions soulevées dans le présent appel seront alors tranchées.

V. Discussion

A. Normes de contrôle à appliquer dans le présent appel

[22] Pour les motifs qui suivent, je ne peux accepter la position de la Couronne selon laquelle les principes énoncés dans l’arrêt Agraira s’appliquent à notre Cour, dans le présent appel. À mon avis, les principes énoncés dans l’arrêt Housen s’appliquent en l’espèce.

[23] Le libellé de l’article 44.1 établit clairement que lorsqu’une partie, telle Elanco, en application de l’article 44 de la Loi, présente un recours en révision d’une décision par laquelle certains renseignements devraient être communiqués, ce recours doit être entendu et jugé comme une nouvelle affaire. Cela signifierait que la juge de la Cour fédérale, qui entend la demande en question, n’examine pas une décision du ministre en soi, mais qu’elle rend plutôt sa propre décision quant à la question de savoir si les exceptions à la communication énoncées à l’article 20 de la Loi s’appliquent. Toutes les conclusions de fait ou les conclusions mixtes de fait et de droit qui seraient nécessaires pour rendre cette décision seraient celles auxquelles en est arrivée la juge de la Cour fédérale.

[24] Étant donné qu’il s’agit d’une nouvelle affaire, la procédure est la même que celle d’une instruction ou d’une audition devant la Cour fédérale, où le juge entend les éléments de preuve et tire des conclusions de fait. Les appels de telles décisions sont assujettis aux normes de contrôle applicables en appel énoncées dans l’arrêt Housen. Rien ne justifie que les conclusions de fait ou les conclusions mixtes de fait et de droit rendues par la juge de la Cour fédérale dans cette affaire bénéficient d’un traitement différent de celui reçu dans une autre affaire instruite comme une nouvelle affaire devant la Cour fédérale. Si les conclusions de fait rendues par la juge de la Cour fédérale sont examinées selon la norme de la décision correcte, alors l’appel devant notre Cour devient aussi, en réalité, une « nouvelle affaire », notre Cour rendant ses propres conclusions de fait. Cependant, l’article 44.1 de la Loi ne s’applique qu’à la demande présentée à la Cour fédérale, et non à l’appel interjeté à l’encontre de la décision de la Cour fédérale.

[25] Dans l’arrêt Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3 (Merck Frosst), le juge Cromwell, au nom des juges majoritaires de la Cour suprême du Canada, a réglé la question de la norme de contrôle que notre Cour doit appliquer au moment d’examiner une décision de la Cour fédérale qui porte sur un recours prévu à l’article 44 de la Loi :

[53] Aucune décision discrétionnaire du responsable de l’institution n’est en cause dans la présente affaire. Selon l’art. 51 de la Loi, le juge siégeant en révision doit décider si « le responsable [de l’]institution fédérale est tenu de refuser la communication [...] d’un document » et, dans l’affirmative, il doit ordonner à ce dernier de ne pas le communiquer. Il s’ensuit que dans les cas où un tiers, telle Merck en l’espèce, demande à la Cour fédérale, en vertu de l’art. 44 de la Loi, de « contrôler » la décision du responsable de l’institution de communiquer tout ou partie d’un document, le juge de la Cour fédérale doit déterminer si ce dernier a correctement appliqué les exceptions aux documents visés : Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), 2003 CSC 8, [2003] 1 R.C.S. 66, par. 19; Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 2011 CSC 25, [2011] 2 R.C.S. 306, par. 22. Ce processus a parfois été qualifié d’examen de novo de la question de savoir si le document en cause est soustrait à la communication : voir, p. ex., Air Atonabee Ltd. c. Canada (Ministre des Transports), [1989] A.C.F. no 453 (QL) (1re inst.), par. 29-30; Merck Frosst Canada & Co. c. Canada (Ministre de la Santé), 2003 CF 1422 (CanLII), par. 3; Dagg, par. 107. Le terme « de novo » n’est peut‑être pas, à proprement parler, celui qu’il convient d’utiliser; toutefois, il n’y a aucun désaccord dans ces affaires quant au rôle du juge siégeant en révision dans un tel contexte : il doit décider si les exceptions ont été correctement appliquées relativement aux documents en cause. Les articles 44, 46 et 51 sont les dispositions législatives les plus pertinentes qui s’appliquent au présent contrôle.

[54] La décision du juge qui, en application de la Loi, procède à un examen, qui aura souvent un volet factuel important, peut faire l’objet d’une révision en appel conformément aux principes exposés dans Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, et Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), par. 23.

[26] Après l’arrêt Merck Frosst, la Cour suprême du Canada a rendu l’arrêt Agraira. La Cour suprême a indiqué l’approche appropriée que notre Cour doit adopter lorsque cette dernière est saisie d’un appel d’une décision de la Cour fédérale portant sur une demande de contrôle judiciaire :

[45] La première question en litige dans le présent pourvoi porte sur la norme de contrôle applicable à la décision du ministre. Avant d’aborder la norme de contrôle applicable, il convient de revoir une fois de plus l’interaction (1) des normes de contrôle applicables en appel, soit celle de la décision correcte et celle de l’erreur manifeste et dominante, et (2) les normes de contrôle applicables en droit administratif, soit la décision correcte et la décision raisonnable. Il ne faut pas confondre ces normes lorsqu’il s’agit d’un appel formé contre un jugement d’une cour supérieure saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision administrative. L’approche à adopter à l’égard de cette question a été énoncée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Agence du revenu) c. Telfer, 2009 CAF 23 (CanLII), par. 18 :

Bien qu’il y ait eu confusion dans le passé, la jurisprudence actuelle permet d’affirmer que lorsqu’une décision en matière de contrôle judiciaire est portée en appel, le rôle de la juridiction d’appel consiste simplement à décider si la juridiction inférieure a employé la norme de contrôle appropriée et si elle l’a appliquée correctement. Le rôle de la juridiction d’appel ne se limite pas à se demander si la juridiction inférieure a commis une erreur manifeste et dominante en appliquant la norme de contrôle appropriée.

[46] Dans Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, [2012] 1 R.C.S. 23, par. 247, la juge Deschamps a rappelé avec justesse, au sujet de cette démarche, qu’en se « ”met[tant] à la place” du tribunal d’instance inférieure la cour d’appel se concentre effectivement sur la décision administrative » (italiques omis [par le juge LeBel]).

[27] Dans l’arrêt Merck Frosst, bien que la juge Deschamps ait été dissidente, elle était d’accord avec l’approche que notre Cour devrait adopter lorsqu’elle examine une décision rendue par la Cour fédérale qui porte sur un recours prévu à l’article 44 de la Loi :

[244] Toutefois, selon moi, les jugements de la Cour fédérale (2006 CF 1200, 301 F.T.R. 241, et 2006 CF 1201 (CanLII)) ne contiennent aucune erreur manifeste et dominante qui justifierait l’intervention de la Cour. Je suis d’avis de rétablir les conclusions de la Cour fédérale, sous réserve de toute entente que les parties peuvent avoir conclue depuis que les jugements ont été rendus.

A. Révision en appel

[245] Bien que mon collègue mentionne au par. 54 que la révision en appel est régie par Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, son analyse ultérieure ne respecte pas, selon moi, les principes établis dans cet arrêt. Mon collègue souscrit à la démarche adoptée par la Cour d’appel fédérale, qui a conclu que le juge siégeant en révision n’a pas expliqué de manière suffisamment détaillée comment il était arrivé à ses conclusions (2009 CAF 166 (CanLII)). Le juge Cromwell est d’accord avec les conclusions de la Cour d’appel fédérale bien qu’il ait conclu qu’elle a à la fois appliqué la mauvaise norme de preuve et considéré à tort que la définition de « secrets industriels » est de nature restrictive.

[246] En ce qui concerne les jugements de la Cour fédérale, mon collègue reproche au juge siégeant en révision d’avoir omis « soit d’énoncer les principes juridiques applicables, soit d’expliquer comment les principes juridiques s’appliquaient aux faits de l’espèce », ajoutant que « dans certains cas, il n’a fait ni l’un ni l’autre » (par. 55). Je m’oppose aux exigences que la démarche de mon collègue impose aux juges de première instance et au message qu’elle transmet à la communauté juridique. Selon Housen, les cours d’appel doivent faire preuve de respect envers les conclusions tirées par les juges de première instance tant à l’égard des questions de fait que des questions mixtes de fait et de droit. La norme qu’il convient d’appliquer à ces questions est celle de l’« erreur manifeste et dominante ». Faire preuve de respect envers les conclusions des juges de première instance, lorsqu’il y a lieu, permet une utilisation efficace des ressources judiciaires, facilite l’accès à la justice et correspond au rôle institutionnel des cours d’appel.

[28] Le désaccord dans l’arrêt Merck Frosst ne portait pas sur la question de savoir si l’arrêt Housen s’appliquait, mais il concernait plutôt la façon dont les principes énoncés dans l’arrêt Housen devraient être appliqués.

[29] La description de l’approche consistant à se « met[tre] à la place du tribunal d’instance inférieure », qui a été adoptée dans l’arrêt Agraira, devrait être interprétée compte tenu du contexte dans lequel elle a été formulée, dans l’arrêt Merck Frosst :

[247] Il convient de souligner que même si la Cour fédérale est appelée à réviser une décision administrative, celle prise par Santé Canada en l’espèce, le processus est atypique en ce sens qu’il diffère de la démarche à suivre pour réviser la plupart des décisions administratives. Cette dernière démarche — de même que la question de savoir quelles normes devraient la régir — a été au tout premier rang du droit administratif au cours de la dernière décennie. Dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour a cherché à clarifier la question dans le contexte de la révision de premier niveau. Suivant la démarche « classique », la révision en appel consiste à vérifier si le tribunal de révision de premier niveau a correctement appliqué la norme en examinant la décision administrative. Cela signifie en pratique qu’en se « met[tant] à la place » du tribunal d’instance inférieure la cour d’appel se concentre effectivement sur la décision administrative (Prairie Acid Rain Coalition c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2006 CAF 31, [2006] 3 R.C.F. 610, par. 14; Zenner c. Prince Edward Island College of Optometrists, 2005 CSC 77, [2005] 3 R.C.S. 645, par. 30).

[248] Il existe des exceptions à cette démarche classique. La révision que fait une cour d’appel dans le cadre de l’art. 44 de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985, ch. A-1 (« LAI »), est axée sur les conclusions du juge siégeant en révision, et la règle de Housen s’applique à la décision de cette cour-là (Banque Canadienne Impériale de Commerce c. Canada (Commissaire en chef, Commission canadienne des droits de la personne), 2007 CAF 272, [2008] 2 R.C.F. 509, par. 8, 9 et 72; Rubin c. Canada (Ministre de la Santé), 2003 CAF 37 (CanLII), par. 4-5; Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Ministre de la Santé nationale), 2002 CAF 35 (CanLII); SNC Lavalin Inc. c. Canada (Ministre de la Coopération internationale), 2007 CAF 397 (CanLII), par. 2, 3 et 7).

[...]

[251] En résumé, le juge ne fait pas le genre d’examen que l’on voit habituellement dans un contexte de droit administratif. La Cour fédérale reprend essentiellement l’affaire depuis le début pour faire un nouvel examen de la question en litige, ce qui s’apparente à ce que fait une cour de première instance. Pour cette raison, la révision que fait la cour d’appel porte sur la décision du juge siégeant en révision plutôt que sur celle du commissaire à l’information ou du responsable de l’institution. Dans les cas où la loi prévoit que la décision du responsable de l’institution est discrétionnaire, le rôle de la cour d’appel peut être différent, mais ces cas ne nous intéressent pas ici.

[Non souligné dans l’original.]

[30] Si on interprète l’expression « se mettre à la place du tribunal d’instance inférieure » dans son contexte, il est évident que la juge Deschamps utilisait cette description relativement à l’appel « classique » interjeté à l’encontre d’une décision en matière de contrôle judiciaire, et non relativement à un appel d’une décision découlant d’une demande présentée au titre de l’article 44 de la Loi qu’elle a qualifié d’exception à la « démarche classique ». Dans l’arrêt Agraira, la Cour suprême du Canada a adopté l’expression « se mettre à la place du tribunal d’instance inférieure », décrite par la juge Deschamps, comme cette dernière le voulait, suivant la « démarche classique » qui était la démarche dans l’arrêt Agraira.

[31] L’une des décisions les plus récentes rendues par notre Cour, dans laquelle l’expression tirée de l’arrêt Agraira a été adoptée pour trancher des appels interjetés à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale, relativement à une demande présentée en application de l’article 44 de la Loi, est Canada c. Canada. Dans cette affaire, notre Cour a reconnu que le débat (quant à la question de savoir si les principes à appliquer à un appel d’une décision rendue qui porte sur un recours prévu à l’article 44 de la Loi sont ceux énoncés dans l’arrêt Housen ou ceux énoncés dans l’arrêt Agraira) aurait été théorique si l’article 44.1 de la Loi avait été adopté :

[29] J’admets volontiers que le débat est loin d’être terminé et pourrait même devenir purement théorique advenant que le projet de loi C-58, Loi modifiant la Loi sur l’accès à l’information, la Loi sur la protection des renseignements personnels et d’autres lois en conséquence 1re session, 42e législature, 2017, article 21 (adopté par la Chambre des communes le 6 décembre 2017) soit adopté (étant donné qu’un nouvel article 44.1 disposerait, aux fins de « précision », qu’une demande aux termes des articles 41 ou 44 serait soumise à une révision de novo).

[32] À mon avis, si la norme de contrôle applicable dans le cas d’un appel d’une décision de la Cour fédérale, qui porte sur un recours prévu à l’article 44 de la Loi, devait être contestée, l’ajout de l’article 44.1 à la Loi a mis fin à ce débat. Les principes énoncés dans l’arrêt Housen sont applicables en l’espèce.

[33] Par conséquent, la norme de contrôle qui s’applique aux questions de droit est celle de la décision correcte et celle qui s’applique aux questions de fait ou aux questions mixtes de fait et de droit est celle de l’erreur manifeste et dominante.

B. Application des normes applicables dans le présent appel

[34] Dans le présent appel, la Couronne, au paragraphe 58 de son mémoire, a fait valoir que la juge de la Cour fédérale a commis une erreur de droit en appliquant uniquement une partie du critère de confidentialité prescrit à l’alinéa 20(1)b) de la Loi. Cependant, le paragraphe suivant du mémoire ne traite que de l’évaluation de la preuve, en se concentrant sur la question de savoir si les renseignements sont du domaine public. Aucun des autres paragraphes du mémoire se rapportant à l’alinéa 20(1)b) de la Loi ne fait référence à des éléments manquants du critère de confidentialité. Par conséquent, la Couronne ne peut pas obtenir gain de cause dans le présent appel en invoquant une erreur de droit alléguée relative à l’alinéa 20(1)b) de la Loi.

[35] En ce qui concerne l’exception prévue à l’alinéa 20(1)c) de la Loi, la Couronne a allégué que la juge de la Cour fédérale a commis une erreur en faisant de l’identité présumée de la personne souhaitant obtenir les renseignements un critère (paragraphe 77 du mémoire de la Couronne). Au paragraphe 78 des motifs de la juge de la Cour fédérale, il est fait mention d’un concurrent lorsqu’il s’agit de savoir si Elanco a établi que la communication des renseignements entraînerait un risque vraisemblable de préjudice :

[78] En l’espèce, à la lumière des éléments de preuve fournis par M. Kahama, je suis convaincue qu’Elanco a établi que la divulgation des renseignements entraîne un risque vraisemblable de préjudice. Selon les éléments de preuve, Elanco est un chef de file de l’industrie en ce qui concerne ce médicament, ce qui est, sans aucun doute, attribuable à ses investissements dans la recherche et le développement. L’autorisation de communiquer les renseignements, vraisemblablement à un concurrent, occasionnerait un préjudice financier pour Elanco.

[36] La mention de la présomption selon laquelle un concurrent cherchait à obtenir les renseignements n’était qu’un exemple de la manière dont un préjudice pourrait être causé à Elanco si les renseignements étaient divulgués. Je ne suis pas d’accord pour dire que cette mention de l’identité possible de la personne cherchant à obtenir les renseignements, dans ce contexte, entraînait une erreur qui justifierait notre intervention.

[37] Les erreurs restantes relevées par la Couronne sont des erreurs alléguées sur des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit. Les observations de la Couronne relativement à ces erreurs alléguées reposent toutes sur l’hypothèse selon laquelle notre Cour examinerait les conclusions de fait et les conclusions mixtes de fait et de droit selon la norme de la décision correcte. La Couronne ne tient pas compte des principes qui s’appliquent lorsque des conclusions de fait sont examinées selon la norme de l’erreur manifeste et dominante.

[38] Étant donné que les normes de contrôle qui s’appliquent sont celles énoncées dans l’arrêt Housen, les conclusions de fait ou les conclusions mixtes de fait et de droit ne peuvent être annulées que si la juge de la Cour fédérale a commis une erreur manifeste et dominante. Comme l’a fait remarquer la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hydro-Québec c. Matta, 2020 CSC 37 :

[33] En l’absence d’une erreur manifeste et déterminante, une cour d’appel doit se garder de modifier les conclusions de fait et les conclusions mixtes de fait et de droit tirées par le juge de première instance : Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 10-37; Benhaim c. St‑Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 R.C.S. 352. Une erreur est manifeste lorsqu’elle relève de l’évidence et qu’il n’est pas nécessaire de réexaminer toute la preuve pour s’en apercevoir; elle est déterminante lorsqu’elle a influencé la décision : H.L. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 25, [2005] 1 R.C.S. 401, par. 55-56 et 69-70; Salomon c. Matte‑Thompson, 2019 CSC 14, [2019] 1 R.C.S. 729, par. 33. Pour reprendre la formule éloquente du juge Morissette dans l’arrêt J.G. c. Nadeau, 2016 QCCA 167, par. 77, « une erreur manifeste et dominante tient, non pas de l’aiguille dans une botte de foin, mais de la poutre dans l’œil. Et il est impossible de confondre ces deux dernières notions » : cité dans Benhaim, par. 39. La métaphore de la poutre dans l’œil illustre non seulement le caractère flagrant de l’erreur révisable; elle connote aussi une lecture faussée de l’affaire dont les répercussions sur la décision se constatent aisément.

[39] Dans l’arrêt Salomon c. Matte‑Thompson, 2019 CSC 14, les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada se sont ainsi exprimés :

[33] […] Le fait qu’une conclusion de fait différente aurait pu être tirée sur la base du poids attribué à différents éléments de preuve ne signifie pas qu’une erreur manifeste et déterminante a été commise (Nelson (City) c. Mowatt, 2017 CSC 8, [2017] 1 R.C.S. 138, par. 38).

[40] En l’espèce, la Couronne demande essentiellement à notre Cour que nous examinions tous les éléments de preuve et que nous tirions nos propres conclusions, ce qui serait nécessaire si nous devions examiner ces conclusions selon la norme de la décision correcte. Dans l’arrêt Housen, la Cour suprême du Canada, par rapport au facteur qui justifie qu’une cour d’appel fasse preuve de retenue à l’égard des conclusions de fait tirées par le juge de première instance, a indiqué en partie ce qui suit :

[14] […] Cet avantage reconnu des tribunaux et des juges de première instance a pour corollaire que les cours d’appel ne sont pas dans une position favorable pour évaluer et apprécier les questions de fait. Les juges des cours d’appel n’examinent que la transcription des témoignages. De plus, les appels ne se prêtent pas à l’examen de dossiers volumineux. Enfin, les appels ont un caractère « focalisateur », en ce qu’ils s’attachent à des questions particulières plutôt qu’à l’ensemble de l’affaire.

[...]

[18] Le juge de première instance est celui qui est le mieux placé pour tirer des conclusions de fait, parce qu’il a l’occasion d’examiner la preuve en profondeur, d’entendre les témoignages de vive voix et de se familiariser avec l’affaire dans son ensemble. Étant donné que le rôle principal du juge de première instance est d’apprécier et de soupeser d’abondantes quantités d’éléments de preuve, son expertise dans ce domaine et sa connaissance intime du dossier doivent être respectées.

[Non souligné dans l’original.]

[41] Bien qu’un seul témoignage par affidavit ait été présenté lors de l’audience devant la Cour fédérale, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Housen, au paragraphe 25, a souligné « qu’il n’y a qu’une seule et unique norme de contrôle applicable à toutes les conclusions factuelles tirées par le juge de première instance, soit celle de l’erreur manifeste et dominante ».

[42] Dans l’arrêt Housen, la Cour suprême du Canada a aussi fait remarquer, au paragraphe 14, que « les appels ne se prêtent pas à l’examen de dossiers volumineux » et que « les appels ont un caractère “focalisateur”, en ce qu’ils s’attachent à des questions particulières plutôt qu’à l’ensemble de l’affaire ».

[43] Le rôle de notre Cour n’est pas d’examiner tous les éléments de preuve présentés lors de l’audience de la Cour fédérale et de décider si nous tirerions les mêmes conclusions de fait ou les mêmes conclusions mixtes de fait et de droit que celles auxquelles en est arrivée la juge de la Cour fédérale. Le rôle de la Couronne, à titre d’appelante dans la présente affaire, est de démontrer où la juge de la Cour fédérale, en tirant une conclusion donnée de fait ou une conclusion donnée mixte de fait et de droit, a commis une erreur manifeste et dominante. Comme l’a relevé notre Cour dans l’arrêt Liddle c. Canada, 2011 CAF 159, relativement à un appel d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt :

[4] […] Devant notre Cour, c’est à l’appelant qu’il incombe de démontrer que les conclusions de fait tirées par la juge de la Cour de l’impôt sont entachées d’erreurs manifestes et dominantes (Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, 2002 CSC 33. [...]

[44] Dans le présent appel, la Couronne n’a pas démontré que la juge de la Cour fédérale a commis une erreur manifeste et dominante en tirant ses conclusions de fait ou ses conclusions mixtes de fait et de droit, par rapport aux exceptions à la communication figurant aux alinéas 20(1)a), b) ou c) de la Loi, lorsqu’elles sont appliquées par la juge de la Cour fédérale aux renseignements visés.

[45] L’analyse que la juge de la Cour fédérale a faite de l’application de l’alinéa 20(1)d) de la Loi est brève. Avant d’exposer les positions des parties, la juge de la Cour fédérale reconnaît, au paragraphe 82 de ses motifs, que des éléments de preuve sur l’effet d’une divulgation sur les négociations menées par la demanderesse en vue de contrats sont requis :

[82] Il ressort de la jurisprudence que les éléments de preuve sur l’effet possible de la divulgation sur d’autres contrats sont généralement considérés comme insuffisants pour justifier l’application de l’exception. Des éléments de preuve concernant l’effet sur les négociations menées par la demanderesse en vue de contrats sont requis […].

[46] Dans le jugement Société Radio-Canada c. Commission de la capitale nationale, 1998 CanLII 7774 (CF), [1998] A.C.F. no 676 (QL), la Cour fédérale, première instance, a discuté de la nécessité de produire des éléments de preuve concernant l’effet sur les négociations menées en vue de contrats :

[29] Dans l’affaire Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre des Affaires extérieures), [1990] 3 C.F. 665, aux pages 682 et 683 (C.F. 1re inst.), la Cour a statué que l’alinéa 20(1)d) de la Loi exige la preuve que la communication des renseignements demandés risquerait vraisemblablement d’entraver les négociations menées par la requérante en vue de contrats, mises à part ses activités commerciales journalières. Les éléments de preuve soumis sur les conséquences possibles de la divulgation sur d’autres contrats en général et sur des problèmes hypothétiques ont été jugés insuffisants pour entraîner l’application de l’exception. Des motifs similaires ont été fournis dans l’affaire Société Gamma Inc. c. Canada (Secrétariat d’État) (1994), 79 F.T.R. 42 (C.F. 1re inst.), dans laquelle la Cour a déclaré que l’alinéa 20(1)d) doit faire référence à une entrave à des négociations plutôt qu’au simple accroissement de la concurrence qui pourrait découler de la divulgation. Enfin, dans l’arrêt Saint John Shipbuilding Ltd. c. Canada (Ministre des Approvisionnement et Services) (1990), 107 N.R. 89 (C.A.F.), la Cour a déclaré à la page 91 qu’une simple supposition ou possibilité est insuffisante pour faire intervenir l’exception visée à l’alinéa 20(1)d). Vu l’absence d’éléments de preuve sur les conséquences de la divulgation sur des négociations effectives menées en vue de contrats, je conclus sans difficulté que la requérante ne s’est pas conformée à l’alinéa 20(1)d) de la Loi.

[47] En concluant qu’Elanco avait satisfait aux exigences de l’alinéa 20(1)d) de la Loi relativement aux renseignements fournis à Elanco par ses fournisseurs (les renseignements sur le fournisseur, les renseignements sur l’emballage et le fournisseur, les renseignements sur la fabrication du bénazépril |||||||| et les renseignements sur la fabrication ||||||||||), la juge de la Cour fédérale a mentionné les paragraphes 39, 41, 42 et 44 de l’affidavit en réponse d’Anthony Kahama. Cependant, ces paragraphes indiquent uniquement que les contrats particuliers renferment des dispositions de confidentialité. Ils ne mentionnent pas des négociations menées avec des fournisseurs en vue de contrats ou ils n’indiquent pas dans quelle mesure la divulgation des renseignements, que l’on cherche à soustraire à la communication aux termes de cet alinéa, entraverait des négociations menées par Elanco en vue de contrats ou à d’autres fins. Les renvois à ces quatre paragraphes de l’affidavit en réponse d’Anthony Kahama ne peuvent pas étayer les conclusions tirées par la juge de la Cour fédérale relativement à l’exception revendiquée aux termes de l’alinéa 20(1)d) de la Loi.

[48] Par conséquent, à mon avis, la juge de la Cour fédérale a commis une erreur manifeste et dominante en concluant qu’Elanco, en se fondant uniquement sur les paragraphes 39, 41, 42 et 44 de l’affidavit en réponse d’Anthony Kahama, avait établi que l’alinéa 20(1)d) de la Loi s’appliquait de façon à soustraire les renseignements à la communication.

[49] Cependant, il suffit d’invoquer l’un des alinéas du paragraphe 20(1) de la Loi pour conclure que des renseignements sont soustraits à la communication. Étant donné que les renseignements n’ont été décrits qu’en termes très généraux dans les motifs, il se pourrait bien que l’une des autres exceptions s’applique à une partie ou à la totalité des renseignements concernant lesquels il a été conclu qu’ils étaient soustraits à la communication aux termes de l’alinéa 20(1)d) de la Loi.

[50] Il y a toutefois une catégorie de renseignements qui n’est pas expressément abordée dans les motifs de la juge de la Cour fédérale. Au paragraphe 8 de ses motifs, la juge de la Cour fédérale établit huit catégories de renseignements :

Renseignements sur la concentration

Critères d’acceptation du bénazépril

Renseignements sur la solubilité du bénazépril

Identité des fournisseurs et ententes contractuelles

Renseignements sur l’emballage et l’entreposage

Renseignements sur la stabilité

Critères d’acceptation du Fortekor

Renseignements sur la poudre de levure

[51] Quatre catégories supplémentaires ont été ajoutées au paragraphe 11 de ses motifs :

Renseignements sur la fabrication du Fortekor

Renseignements sur la palatabilité du Fortekor

Renseignements sur la fabrication du bénazépril ||||||||

Renseignements sur la fabrication du bénazépril ||||||||||

[52] L’une des catégories énumérées est « Identité des fournisseurs et ententes contractuelles » qui semble être divisée en deux catégories distinctes : les noms des fournisseurs et le contenu des ententes particulières conclues avec les fournisseurs.

[53] Les renseignements qu’Elanco cherchait à soustraire à la communication au titre de l’alinéa 20(1)a) de la Loi sont énoncés au paragraphe 23 des motifs et correspondent aux catégories de renseignements énumérées au paragraphe 8 des motifs, autres que les catégories « Identité des fournisseurs et ententes contractuelles », et aux quatre catégories supplémentaires ajoutées au paragraphe 11 des motifs.

[54] Au paragraphe 45 de ses motifs, la liste de catégories de renseignements prises en compte relativement à l’alinéa 20(1)b) de la Loi comprend la catégorie « Renseignements sur les fournisseurs ». Le paragraphe 48 fournit une explication de ce que la juge de la Cour fédérale considère comme faisant partie de la catégorie « Renseignements sur les fournisseurs » :

[48] Les renseignements sur les fournisseurs donnent des détails sur les relations commerciales confidentielles d’Elanco avec ses fournisseurs et divulguent des données concernant le coût de production.

[55] Il semble que la catégorie « Renseignements sur les fournisseurs » ait été considérée comme celle se rapportant aux renseignements sur le contenu des ententes conclues avec les fournisseurs et, par conséquent, elle visait à renvoyer à la deuxième partie de la catégorie désignée comme étant la catégorie « Identité des fournisseurs et ententes contractuelles ». Il est loin d’être évident que la catégorie « Renseignements sur les fournisseurs » visait à inclure la catégorie « Identité des fournisseurs ». Rien dans l’analyse de l’application de l’alinéa 20(1)b) de la Loi (paragraphes 63 à 68) par la juge de la Cour fédérale n’indique que la catégorie « Renseignements sur les fournisseurs » visait à inclure la catégorie « Identité des fournisseurs ».

[56] Aucune des mentions ultérieures de la catégorie « Renseignements sur les fournisseurs » dans les motifs de la juge de la Cour fédérale, en lien avec les autres exceptions au titre des alinéas 20(1)c) et d) de la Loi, ne précise si la catégorie « Renseignements sur les fournisseurs » comprenait la catégorie « Identité des fournisseurs ». Par conséquent, il semble que la juge de la Cour fédérale n’a pas traité la question de savoir si la catégorie « Identité des fournisseurs » était soustraite à la communication.

C. Conclusion sur l’application des normes de contrôle

[57] Pour ces raisons, j’estime que l’affaire devrait être renvoyée à la juge de la Cour fédérale pour qu’elle établisse les renseignements, le cas échéant, qui étaient uniquement soustraits à la communication au titre de l’alinéa 20(1)d) de la Loi et les renseignements qui n’auraient donc pas dû avoir été soustraits à la communication sur la seule foi des paragraphes 39, 41, 42 et 44 de l’affidavit en réponse d’Anthony Kahama. L’affaire devrait également être renvoyée à la juge de la Cour fédérale afin qu’elle établisse si la catégorie « Identité des fournisseurs » est soustraite à la communication.

D. Prélèvement de renseignements

[58] La Couronne a aussi soulevé la question du prélèvement des renseignements qui peuvent être communiqués par rapport aux renseignements qui ne peuvent pas être divulgués. L’article 25 de la Loi est libellé ainsi :

25 Le responsable d’une institution fédérale, dans les cas où il pourrait, vu la nature des renseignements contenus dans le document demandé, s’autoriser de la présente partie pour refuser la communication du document, est cependant tenu, nonobstant les autres dispositions de la présente partie, d’en communiquer les parties dépourvues des renseignements en cause, à condition que le prélèvement de ces parties ne pose pas de problèmes sérieux.

25 Notwithstanding any other provision of this Part, where a request is made to a government institution for access to a record that the head of the institution is authorized to refuse to disclose under this Part by reason of information or other material contained in the record, the head of the institution shall disclose any part of the record that does not contain, and can reasonably be severed from any part that contains, any such information or material.

[59] Comme cela a été mentionné précédemment, étant donné que le jugement de la Cour fédérale vise à soustraire à la communication toutes les 166 pages, il va à l’encontre de l’article 25 de la Loi qui exige la communication des renseignements qui peuvent être raisonnablement prélevés des renseignements qui ne doivent pas être communiqués. La juge de la Cour fédérale a commis une erreur en ne prévoyant pas la communication des parties des documents qui ne sont pas soustraites à la communication.

VI. Conclusion

[60] Par conséquent, j’accueillerais l’appel et j’annulerais la décision de la Cour fédérale. Je renverrais la présente affaire à la juge de la Cour fédérale pour :

  • a)qu’elle établisse les renseignements, le cas échéant, qui n’étaient soustraits à la communication qu’en raison de l’application de l’alinéa 20(1)d) de la Loi;

  • b)qu’elle établisse si la catégorie « Identité des fournisseurs » est soustraite à la communication;

  • c)qu’elle rende un jugement qui enjoigne à Santé Canada de communiquer toute partie des documents qui ne contient pas, et qui peut être raisonnablement prélevée de toute partie qui contient des renseignements ou des documents qui, en raison de la décision de la Cour fédérale, sont soustraits à la communication au titre de l’article 20 de la Loi.

[61] Le fait d’accueillir le présent appel et d’annuler le jugement peut, en raison de l’arrêt Canada c. MacDonald, 2021 CAF 6, rendu par notre Cour, annuler l’ordonnance datée du 17 janvier 2020, qui adjuge des dépens de 12 900 $. La Cour fédérale devrait donc se pencher sur la question des dépens au moment de rendre son jugement.

[62] Elanco a droit aux dépens afférents au présent appel.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

D. G. Near j.c.a. »

« Je suis d’accord.

J.B. Laskin j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UN JUGEMENT ET D’UNE ORDONNANCE RENDUS

PAR LA COUR FÉDÉRALE

DATÉS DU 19 NOVEMBRE 2019 (RÉFÉRENCE NO 2019 CF 1455)

DOSSIER NO T-2092-17

DOSSIER :

A-468-19

 

INTITULÉ :

CANADA (MINISTRE DE LA SANTÉ) c. ELANCO CANADA LIMITED

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 juin 2021

VERSION PUBLIQUE DES MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LE JUGE LASKIN

DATE DES MOTIFS :

Le 24 septembre 2021

COMPARUTIONS :

Sadian Campbell

Pour l’appelant

Alex D. Cameron

Pavel Sergeyev

Pour l’intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Pour l’appelant

Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

Pour l’intimée

 

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