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Date : 20211015


Dossier : A-176-19

Référence : 2021 CAF 200

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LOCKE

 

ENTRE :

ESTÉBAN OUIMET

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

Audience tenue à Montréal (Québec), le 28 septembre 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 15 octobre 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE LOCKE

 


Date : 20211015


Dossier : A-176-19

Référence : 2021 CAF 200

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LOCKE

 

ENTRE :

ESTÉBAN OUIMET

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DE MONTIGNY

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue par le Tribunal de la sécurité sociale – Division d’appel (la Division d’appel), rendue le 16 avril 2019 (2019 TSS 358). Cette affaire soulève pour la première fois l’arrimage de la Loi sur l’assurance parentale, R.L.R.Q., c. A-29.011 (la Loi québécoise) avec les dispositions de la Loi sur l’assurance emploi, L.C. 1996, c. 23 (la Loi) et du Règlement sur l’assurance-emploi (DORS/96-332) (le Règlement). De façon plus particulière, la question au cœur du présent litige consiste à déterminer si les prestations de paternité prévues par le régime québécois, constituent des « prestations du même genre » que les prestations de maternité et les prestations parentales offertes par le régime fédéral au terme du paragraphe 76.19(1.1) du Règlement.

[2] Cette question n’est pas que théorique, dans la mesure où la réponse qui lui est apportée affecte non seulement le montant des prestations qui peut être versé en vertu de la Loi mais également le début de la période de prestation. Plus concrètement, l’issue de cet appel déterminera si M. Ouimet doit ou non rembourser un montant de 4 400,00$ qu’il a reçu au titre de prestations régulières suite à la perte de son emploi.

[3] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la décision de la Division d’appel devrait être confirmée, et que les prestations de paternité reçues dans le cadre du régime québécois sont du même genre que les prestations offertes conformément à la Loi lors de la naissance d’un enfant.

[4] Les faits ne sont pas contestés et peuvent être brièvement résumés. Le demandeur, M. Ouimet, a accumulé 600 heures d’emploi assurable entre le 1er mai et 15 septembre 2017. Suite à la naissance de son enfant, M. Ouimet a pris un congé de paternité et a reçu des prestations aux termes de la Loi québécoise du 17 septembre au 21 octobre 2017. Il a par la suite repris le travail mais a malheureusement été mis à pied par ses deux employeurs quelques semaines plus tard. Au cours de cette dernière période, il a accumulé un total d’environ 400 heures d’emploi assurable.

[5] Suite à la perte de ses emplois, le demandeur a déposé une demande de prestations régulières d’assurance-emploi le 6 décembre. Sa période de prestations a d’abord été établie au 3 décembre 2017, et il a touché des prestations à compter de cette date. La Commission de l’assurance-emploi a néanmoins procédé à des vérifications et a déterminé que le début de la période de prestations n’était pas le 3 décembre 2017, mais bien le 17 septembre, date à laquelle le demandeur avait commencé à recevoir des prestations de paternité sous le régime québécois.

[6] Il ne fait aucun doute que n’eût été les prestations de paternité reçues par le demandeur à compter du 17 septembre, il aurait été en droit de toucher des prestations régulières d’assurance emploi lorsqu’il a été mis à pied au début décembre 2017, puisqu’il aurait alors accumulé 1 000 heures d’emploi assurable au cours de sa période de référence (c’est-à-dire, selon le paragraphe 8(1) de la Loi, dans les 52 semaines précédant le 3 décembre 2017). Le paragraphe 7(2) de la Loi prévoit en effet que le minimum d’heures d’emploi assurable dans la région où demeurait M. Ouimet était de 665 heures.

[7] Le paragraphe 76.19(1.1) du Règlement prévoit cependant qu’une période de prestations est réputée établie au moment où la période de prestations a été établie en vertu de la loi provinciale, et elle est réputée avoir débuté la même semaine que celle établie en vertu de la loi provinciale dans le cas où le prestataire aurait été en droit de recevoir des prestations du même genre en vertu de la Loi pour la même période. Étant donné l’importance que revêt cette disposition pour trancher l’appel, je me permets de le reproduire ici :

76.19(1.1) Une période de prestations est réputée établie au moment où la période de prestations a été établie en vertu de la loi provinciale et elle est réputée avoir débuté la même semaine que celle établie en vertu de la loi provinciale dans le cas où le prestataire aurait été en droit de recevoir des prestations du même genre en vertu de la Loi pour la même période.

76.19(1.1) A benefit period is deemed to be established when a benefit period was established under a provincial law, and it is deemed to have begun the same week as the period established under the provincial law if the claimant would have been entitled to the corresponding types of benefits under the Act in respect of the same period.

[8] Puisque M. Ouimet n’avait pas accumulé le nombre minimum d’heures d’emploi assurable le 17 septembre 2017, la Commission a considéré qu’il n’était pas admissible aux prestations d’assurance-emploi régulières conformément au paragraphe 7(2) de la Loi, et lui a réclamé un trop-payé d'une somme de 4 400,00 $. En révision, la Commission a maintenu sa décision initiale.

[9] La décision de la Commission a été infirmée par le Tribunal de la sécurité sociale – Division générale (la Division générale) dans une décision rendue le 26 octobre 2018 (2018 TSS 1313). La Division générale en est arrivée à la conclusion que le paragraphe 76.19(1.1) ne trouvait pas application en l’espèce, du fait que les prestations de paternité prévues par le Régime québécois ne sont pas des prestations du même genre que les prestations parentales prévues dans le régime d’assurance-emploi. Par conséquent, la Commission n’était pas justifiée de changer le début de la période de prestations du demandeur; en rétablissant le début de la période de prestation au 3 décembre 2017, le demandeur se qualifiait pour des prestations d’assurance-emploi et il n’y avait donc pas eu de trop-payé.

[10] Le 16 avril 2019, la Division d’appel a accueilli l’appel de la Commission au motif que la Division générale avait erré en droit dans l’interprétation de l’expression « prestations du même genre ». Le sens ordinaire des mots « du même genre » signifie selon la Division d’appel « qui a des traits communs » ou « qui exprime une ressemblance ». Il ne serait donc pas nécessaire que le prestataire soit en droit de recevoir des prestations identiques en vertu des régimes québécois et fédéral.

[11] La Division d’appel ajoute que l’expression « du même genre », lorsqu’elle est replacée dans son contexte global, en tenant compte de l’esprit et de l’objet de la Loi, appuie la conclusion que les prestations de paternité du régime québécois sont équivalentes aux prestations prévues par le régime fédéral au sens du paragraphe 76.19(1.1). Voici comment elle s’en explique :

[27] Les prestations de maternité et parentales de l’assurance-emploi sont versées aux parents qui s’occupent d’un nouveau-né ou d’un enfant nouvellement adopté. Le Régime québécois d’assurance parentale (RQAP), qui prévoit le versement de prestations à toutes les travailleuses et à tous les travailleurs – salariés et autonomes – admissibles qui prennent un congé de maternité, un congé de paternité, un congé parental ou un congé d’adoption, vise également à soutenir financièrement les nouveaux parents qui désirent consacrer plus de temps à leurs enfants dans les premiers mois de leur vie.

[12] C’est de cette décision que M. Ouimet demande le contrôle judiciaire. La seule question que doit trancher cette Cour est celle de savoir si la décision de la Division d’appel d’écarter l’interprétation des mots « prestations du même genre » retenue par la Division générale est raisonnable. Il convient de rappeler qu’en vertu du paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, L.C. 2005, c. 34, la Division d’appel ne pouvait intervenir que dans la mesure où la Division générale n’avait pas observé un principe de justice naturelle, avait rendu une décision entachée d’une erreur de droit, ou avait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve.

[13] En l’occurrence, le rôle de cette Cour consiste donc à déterminer si la Division d’appel pouvait raisonnablement conclure que la Division générale a commis une erreur de droit, ce qui revient à se demander si la Division générale pouvait interpréter le paragraphe 76.19(1.1) comme elle l’a fait. Pour dire les choses autrement, il faut se demander si la décision de la Division d’appel d’écarter l’interprétation de la Division générale est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, 441 D.L.R. (4e) 1 au para. 85.

[14] Dans son mémoire, le demandeur soutient que la Division d’appel n’a pas tenu compte de l’intention du législateur dans son interprétation du paragraphe 76.19(1.1), qui était d’empêcher un prestataire de recevoir des prestations en vertu du Régime québécois et de la Loi pour la même période. C’est la raison pour laquelle cette disposition établit que le début d’une période de prestations au niveau du régime fédéral est réputé être le même que le début de la période de prestations au niveau provincial. Ainsi, une femme qui recevrait des prestations de maternité du Régime québécois verrait sa période de prestations pour les fins du régime fédéral débuter en même temps. Or, de dire le demandeur, il est impossible pour un prestataire de recevoir des prestations de paternité en vertu de la Loi, puisque cette dernière ne prévoit que des prestations de maternité et parentales. Il n’est donc pas possible pour un prestataire de recevoir des prestations d’assurance-emploi pour la même période et les mêmes fins que celles qui sont prévues au régime québécois.

[15] Qui plus est, le paragraphe 76.19(1) prévoit également que les prestations provinciales versées à un prestataire sont considérées comme des prestations versées sous le régime de la Loi lorsque le prestataire aurait été en droit de recevoir des prestations du même genre en vertu de la Loi; les prestations provinciales seront donc prises en considération dans le calcul du nombre maximal total de semaines pour lesquelles des prestations peuvent être versées en vertu de la Loi.

[16] Le demandeur prétend également que la Division d’appel a commis une erreur de droit déraisonnable en ne tenant pas compte du contexte dans lequel les mots « prestations du même genre » ont été utilisés. De l’avis du demandeur, les prestations de paternité sont distinctes et différentes des prestations de maternité et parentales du RQAP et de la Loi dans la mesure où elles visent uniquement les pères et ont leurs propres conditions. Le demandeur tire également argument du fait que la Loi a été modifiée en 2019, de telle sorte que le nombre de semaines de prestations parentales partageables a été augmenté de 35 à 40 tout en maintenant à 35 semaines le nombre maximal de semaines pouvant être prise par l’un des parents. Cette modification aurait eu pour effet de faire correspondre les deux régimes, ce qui n’était cependant pas le cas lorsque le présent litige a pris naissance en 2017.

[17] Lors de l’audition, l’avocate du demandeur a soulevé de nouveaux arguments de texte que l’on ne retrouve nulle part dans son mémoire des faits et du droit. Elle a notamment fait valoir que le législateur ne parle pas pour rien dire, et que lorsqu’il veut référer à toutes les prestations provinciales sans distinction (par exemple au paragraphe 76.09(3)), il le fait en n’ajoutant pas l’expression « du même genre ». Dans le même ordre d’idées, on a fait valoir que l’expression « prestations du même genre » utilisée dans le contexte de l’article 76.2 du Règlement réfère clairement, lorsqu’on le lit conjointement avec les alinéas 12(3)(a) et (b) de la Loi, aux prestations de maternité ou parentale. Partant du principe que les dispositions d’un texte législatif ou réglementaire doivent recevoir une interprétation harmonieuse et être appliquées de façon à former un tout cohérent, le demandeur soutient donc qu’il serait illogique qu’une expression identique puisse changer de signification d’un article à un autre.

[18] À mon avis, aucun de ces arguments ne peut être retenu malgré leur apparente ingénuité.

[19] Il ne fait aucun doute que la Loi est une mesure à caractère social et qu’elle doit à ce titre être interprétée en faveur des prestataires en cas d’ambiguïté : Abrahams c. Procureur général du Canada, [1983] 1 R.C.S. 2, 142 D.L.R. (3e) 1 à la p. 60; Hills c. Canada (Procureur général), [1988] 1 R.C.S. 513, 48 D.L.R. (4e) 193. Encore faut-il que la disposition pertinente ouvre la porte à différentes interprétations, toutes aussi plausibles les unes que les autres compte tenu de son texte, de son contexte et de son objet : Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, 154 D.L.R. (4e) 193 au para. 27; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), [2011] 3 R.C.S. 471, 337 D.L.R. (4e) 385 au para. 33.

[20] Dans le cas présent, j’estime que la Division d’appel pouvait raisonnablement conclure que le paragraphe 76.19(1.1) ne souffre d’aucune ambiguïté et que la Division générale a erré en opinant que les prestations de paternité du Régime québécois ne sont pas des prestations du même genre que les prestations parentales du seul fait que les prestations de paternité n’existent pas sous le régime fédéral.

[21] Le texte lui-même ne souffre à mon avis d’aucune ambiguïté. Si le législateur avait voulu que le paragraphe 76.19(1.1) ne trouve application que dans les cas où le même type de prestation est offert par les deux paliers de gouvernement, il n’aurait pas utilisé l’expression « prestations du même genre ». Comme le souligne avec justesse la Division d’appel, les mots « du même genre » ne signifient pas « identique », mais réfèrent plutôt à la ressemblance ou au partage de caractéristiques communes. Cette interprétation est d’ailleurs conforme au contexte global du Règlement. Les « prestations provinciales » visées par le régime d’inadmissibilité sont définies à l’article 76.01 comme des prestations versées à une personne, en vertu d’un régime provincial, en cas de grossesse ou de soins à donner par la personne à son nouveau-né. Les paragraphes 76.03(b) et (c) prévoient par ailleurs que les provinces peuvent prévoir leurs propres conditions d’admissibilité et se montrer plus généreuses que le régime fédéral. Il est donc clair que l’on ne s’attendait pas à ce que les prestations provinciales soient identiques aux prestations fédérales, et que l’on n’envisageait pas l’impossibilité de les cumuler dans les seuls cas où les deux régimes se chevaucheraient.

[22] Quant à l’argument du demandeur fondé sur l’absence des mots « du même genre » dans d’autres dispositions du Règlement, il peut en être rapidement disposé. D’une part, tel que mentionné plus haut, cet argument n’a pas été invoqué dans l’avis introductif d’instance en contrôle judiciaire, et n’est pas davantage développé dans le mémoire du demandeur. Il serait donc inéquitable de le considérer, le défendeur n’ayant pas eu l’opportunité d’en traiter adéquatement. Qui plus est, cet argument n’a été soulevé ni devant la Division générale ni devant la Division d’appel du Tribunal de la Sécurité sociale. Or, c’est à ce Tribunal que le législateur a confié le soin de trancher les litiges relatifs à l’assurance emploi, et cette Cour doit respecter ce choix en lui laissant le soin de se pencher le premier sur un argument et de faire connaître son avis. Cette démarche est d’autant plus indiquée lorsque la question soulevée pour la première fois en contrôle judiciaire relève du domaine d’expertise du tribunal administratif, comme l’a rappelé la Cour suprême dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654 aux paras. 22-28. Il serait donc inopportun pour la Cour de se prononcer sur l’argument du demandeur sans pouvoir bénéficier de l’éclairage que pourrait lui apporter le Tribunal, d’autant plus que le libellé d’une disposition n’est que l’une des facettes de l’interprétation législative.

[23] L’interprétation retenue par la Division d’appel est non seulement conforme au sens ordinaire des mots et au contexte global du texte réglementaire dans lequel s’insère le paragraphe 76.19(1.1), mais également à l’objet visé par le législateur. Dans le Renvoi sur la Loi sur l’assurance-emploi (Can.), art. 22 et 23, 2005 CSC 56, [2005] 2 R.C.S. 669, la Cour suprême a considéré que la compétence fédérale sur l’assurance-chômage autorisait le Parlement à légiférer non seulement pour prévoir des prestations de maternité mais également des prestations parentales, du fait qu’elles sont toutes les deux liées « à la fonction de reproduction de la société » (au para. 73). La Cour ajoutait (au para. 75) :

[…] J’estime donc que les prestations parentales, tout comme les prestations de maternité, ont comme caractère véritable de pourvoir au remplacement du revenu à l’occasion d’une interruption d’emploi due à la naissance ou à l’arrivée d’un enfant et que ce caractère véritable permet de conclure que le Parlement peut se fonder sur la compétence qui lui est conféré par le par. 91(2A) de la Loi constitutionnelle de 1867. […]

[24] Il ne me paraît pas douteux que l’on doive en venir à la même conclusion en ce qui concerne les prestations de paternité. Ces dernières partagent indéniablement avec les prestations de maternité et les prestations parentales l’objectif de permettre aux parents de nouveaux nés (ou d’enfant adoptés) de s’absenter temporairement de leur travail pour s’occuper de leurs enfants. Les prestations offertes aux pères pour partager cette responsabilité importante avec les mères sont clairement des « prestations du même genre » que les prestations de maternité et les prestations parentales et jouent le même rôle social.

[25] La modification apportée à la Loi en 2019 m’apparaît par ailleurs militer davantage en faveur de la thèse du défendeur plutôt que de celle du demandeur. En ajoutant cinq semaines aux prestations parentales lorsqu’elles sont partagées entre les deux parents, la Loi crée en quelque sorte un régime équivalent au Régime québécois et crée des prestations paternelles (lorsque le père tire avantage de ces cinq semaines supplémentaires) sans créer pour autant de façon explicite une nouvelle catégorie de prestations. Cela démontre bien qu’il n’y a pas de différence réelle entre les prestations parentales et les prestations de paternité.

[26] Enfin, il ne fait aucun doute que la Partie III.1 du Règlement, dans laquelle se trouve l’article 76.19(1.1), a été adoptée pour donner suite aux ententes conclues entre le gouvernement du Canada et celui d’une province et faciliter la coexistence des deux régimes. Le titre de la Partie III.1 est d’ailleurs révélateur : « Mode de réduction des cotisations patronale et ouvrière à l’égard de l’employé couvert par un régime provincial ». L’objectif est clair, et se trouve clairement exprimé dans le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation : « […] la formule de calcul de la réduction des cotisations veille à ce que la réduction de cotisations corresponde aux économies escomptées au compte de l’assurance-emploi résultant de la mise en œuvre d’un régime provincial de prestations versées en cas de grossesse ou de soins à donner aux enfants » (Dossier du défendeur, à la p. 2795).

[27] C’est dans ce contexte qu’il faut examiner les termes du paragraphe 76.19(1.1) ainsi que les autres mesures relatives à l’admissibilité. La première disposition que l’on trouve à la Section 3 du Règlement consacré à l’admissibilité, l’article 76.01, énonce qu’une personne est inadmissible à recevoir des prestations liées à la grossesse ou aux soins à donner à un nouveau-né si elle est en droit de recevoir des prestations provinciales en vertu d’un régime provincial. Il importera peu que ces prestations provinciales soient des prestations de maternité, parentales ou de paternité, tant et aussi longtemps qu’elles sont équivalentes ou supérieures à celles que la personne serait en droit de recevoir en vertu de la Loi.

[28] La deuxième mesure limitant l’admissibilité est celle qui est prévue au paragraphe 76.19(1) du Règlement. On y précise que les prestations provinciales versées au prestataire, dans le cas où il aurait été en droit de recevoir des « prestations du même genre » en vertu de la Loi, viendront réduire le nombre maximal de semaines pour lesquelles des prestations pourront lui être versées en vertu de la Loi.

[29] La troisième mesure qui vient limiter l’admissibilité est celle qui fait l’objet du présent litige. Tel que mentionné précédemment, le paragraphe 76.19(1.1) prévoit qu’une période de prestations est réputée établie et avoir débuté la même semaine que celle établie en vertu de la loi provinciale, dans le cas où le prestataire aurait été en droit de recevoir des « prestations du même genre » en vertu de la Loi pour la même période. Cette disposition, ajoutée en 2010, avait pour objet de s’assurer que les prestations provinciales seraient prises en considération lorsqu’un prestataire de cette province présente une demande ultérieure au titre de la Loi.

[30] Ces mesures, ainsi que d’autres (voir notamment les articles 76.16 et 76.17 du Règlement), n’ont pas pour seul but de réduire les prestations payables aux termes de la Loi. Elles visent surtout l’atteinte d’une certaine cohérence lorsqu’une entente a été conclue avec une province qui a adopté son propre régime de prestations en cas de grossesse ou des soins à donner aux enfants, et à faire en sorte qu’il n’y ait pas d’iniquité entre les résidents des différentes provinces : voir Résumé de l’étude d’impact de la Réglementation, Dossier du défendeur, à la p. 2573. Pour atteindre ces objectifs, il va de soi que toutes les prestations provinciales versées à une personne pour lui permettre de donner des soins à un nouveau-né doivent être considérées comme des « prestations du même genre », peu importe le nom que la province décide de leur donner.

[31] Accepter la thèse du demandeur, comme l’a fait la Division générale, impliquerait qu’il aurait pu recevoir pour la même période des prestations de paternité en vertu de la loi québécoise et des prestations parentales en vertu de la Loi. Cela irait non seulement à l’encontre du paragraphe 76.09(1) du Règlement, mais serait inéquitable pour les autres Canadiens des autres provinces qui se trouveraient par le fait même à financer des prestations au paiement desquelles les résidents du Québec ne contribuent pas.

[32] Au surplus, le demandeur pourrait subséquemment recevoir des prestations régulières sans qu’il soit tenu compte des prestations de paternité qu’il a déjà reçues, ce qui lui procurerait un avantage indu par rapport à tous les autres prestataires résidant dans une autre province qui ne s’est pas dotée d’un régime équivalent à celui du Québec. Cela irait clairement à l’encontre du libellé des paragraphes 76.19(1) et (1.1) ainsi que de l’objectif poursuivi par le législateur.

[33] Compte tenu de l’analyse qui précède, je suis donc d’avis qu’il était tout à fait raisonnable pour la Division d’appel de conclure que la décision de la Division générale était erronée en droit et que l’appel devait être accueilli. Je suis conscient du fait que l’application du paragraphe 76.19(1.1), dans le contexte particulier de la présente affaire, entraîne des répercussions qui peuvent sembler indûment draconiennes pour le demandeur. C’est néanmoins à la Commission, avec l’accord du gouverneur en conseil, qu’il revient de procéder aux ajustements nécessaires si l’on juge qu’un tel résultat n’est pas souhaitable.

[34] Je rejetterais donc la demande de contrôle judiciaire, sans dépens.

« Yves de Montigny »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

J.D. Denis Pelletier j.c.a. »

« Je suis d’accord.

George R. Locke j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-176-19

INTITULÉ :

ESTÉBAN OUIMET c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 septembre 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 octobre 2021

 

COMPARUTIONS :

Kim Bouchard

Pour le demandeur

Attila Hadjirezaie

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mouvement Action-Chômage de Montréal

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

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