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Date : 20211022


Dossier : A-74-20

Référence : 2021 CAF 204

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

AIR CANADA

appelante

et

LORNE ROBINSON et L’OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

intimés

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 19 avril 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le 22 octobre 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LEBLANC

 


Date : 20211022


Dossier : A-74-20

Référence : 2021 CAF 204

CORAM :

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

AIR CANADA

appelante

et

LORNE ROBINSON et L’OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GLEASON

[1] Air Canada interjette appel, en application de l’article 41 de la Loi sur les transports au Canada (L.C. 1996, ch. 10 (la LTC), de la décision de l’Office des transports du Canada (l’Office) intitulée Robinson c. Air Canada, no 72-AT-A-2019, par laquelle l’Office a ordonné des mesures de redressement, après avoir conclu que le niveau d’assistance avec fauteuil roulant fourni par Air Canada à M. Robinson a constitué un obstacle abusif à ses possibilités de déplacement. L’Office a imposé ces mesures sans entendre l’une ou l’autre des parties en ce qui concerne leur caractère approprié ou la compétence que l’Office a pour les ordonner et sans offrir à Air Canada la possibilité de présenter ses observations quant à la question de savoir si la mise en œuvre de ces mesures lui causerait une contrainte excessive.

[2] Pour les motifs qui suivent, j’accueillerais le présent appel, j’annulerais la décision de l’Office et je lui renverrais l’affaire pour qu’elle soit réexaminée à la lumière des présents motifs.

I. Faits

[3] D’entrée de jeu, je remarque que plusieurs modifications apportées à la LTC sont entrées en vigueur après que les événements, qui ont donné lieu au présent appel, sont survenus. Fait particulièrement important, les articles 170 à 172.4 de la version anglaise de la LTC mentionnent désormais le terme « barrier(s) » plutôt qu’« obstacles », qui correspond au terme « obstacles » dans la version française de la Loi, et l’article 172.1 présente maintenant un éventail élargi de mesures que l’Office pourrait accorder s’il estime qu’il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes handicapées. Il est à noter que l’Office pourrait maintenant accorder une indemnité pour les pertes de salaire et pour les douleurs et souffrances subies en raison d’un obstacle, ainsi que d’autres indemnités lorsque l’Office en vient à la conclusion que l’obstacle résulte d’un acte délibéré ou inconsidéré. Cependant, en l’espèce, ces nouvelles dispositions ne s’appliquaient pas. L’affaire en instance relevait plutôt de la LTC dans sa version en vigueur lorsque les événements, qui ont donné lieu à la demande déposée par M. Robinson auprès de l’Office, se sont produits. À ce titre, la terminologie employée dans la LTC, dans sa version en vigueur à l’époque, est utilisée dans les présents motifs.

A. Le contexte

[4] Le 2 août 2017, M. Robinson, qui était alors âgé de 92 ans, et qui utilisait un fauteuil roulant, voyageait à bord d’un avion d’Air Canada de Dublin vers Calgary, avec une correspondance à Toronto. Son arrivée à Toronto a été retardée en raison des conditions météorologiques. Son temps de correspondance est devenu trop court si bien qu’il n’a pas pu prendre sa correspondance et qu’une nouvelle réservation a été faite automatiquement pour la deuxième partie du trajet, afin qu’il puisse prendre le premier vol disponible à destination de Calgary. À l’arrivée de M. Robinson à Toronto, le personnel d’Air Canada l’a assisté pour traverser le service des douanes et accéder à la salle des bagages. M. Robinson s’est ensuite rendu compte qu’il avait oublié son bagage de cabine dans l’avion. Avec l’aide du personnel d’Air Canada, il est retourné à la porte d’embarquement pour tenter de retrouver son bagage de cabine, mais il était trop tard pour remonter à bord de l’avion afin de le récupérer.

[5] Le personnel d’Air Canada a ensuite aidé M. Robinson à traverser le point de contrôle de sécurité intérieure et lui a donné pour consigne d’attendre près d’une « poutre » ou dans la « zone de sièges », comme l’ont décrit M. Robinson et Air Canada respectivement, pour qu’un agent l’aide à rejoindre sa porte d’embarquement. M. Robinson a déclaré qu’il avait attendu pendant 40 minutes, sans que personne ne s’occupe de lui. Il a alors quitté la zone de son propre chef, puisqu’il avait peur de manquer son vol, afin de se rendre à la porte d’embarquement de son vol de correspondance sur lequel il a pu embarquer à temps.

[6] Bien qu’Air Canada n’ait pas présenté d’éléments probants directs expliquant la manière dont s’est déroulé l’incident, elle a fait valoir devant l’Office qu’il était peu probable que M. Robinson ait eu à attendre pendant 40 minutes, étant donné qu’Air Canada fournit généralement une assistance avec fauteuil roulant dans un délai de 10 à 15 minutes. L’Office a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, la procédure habituelle d’Air Canada n’avait pas été suivie et que M. Robinson avait été laissé seul pendant une période beaucoup plus longue que 10 à 15 minutes, sans que personne ne s’occupe de lui.

[7] Mme Acheson, qui a affirmé être une amie de M. Robinson, a déposé une demande auprès de l’Office concernant l’incident, après avoir été insatisfaite du traitement de la plainte par le personnel du service à la clientèle d’Air Canada. Mme Acheson voyageait avec M. Robinson, mais ils se sont quittés à l’aéroport de Dublin, où elle l’a confié aux soins d’Air Canada. Par conséquent, elle n’a pas assisté aux événements qui font l’objet de la plainte. En discutant avec le personnel du service à la clientèle d’Air Canada et dans sa demande déposée auprès de l’Office, Mme Acheson a demandé, comme mesure de redressement, que soient remis deux billets aller-retour à destination d’Amsterdam, l’un à M. Robinson et l’autre à elle-même. Mme Acheson a accompagné sa demande déposée auprès de l’Office d’une lettre signée par M. Robinson, dans laquelle il confirmait que Mme Acheson agissait en son nom.

[8] Dans une lettre qui a ouvert les actes de procédure, datée du 11 juillet 2018, adressée à Air Canada et à Mme Acheson, l’Office a indiqué qu’il acceptait le dépôt de la demande à l’encontre d’Air Canada, aux termes du paragraphe 172(1) de la LTC, et il a précisé le processus qu’il suivrait, ainsi que l’approche qu’il adopterait pour déterminer s’il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience.

[9] Dans la décision no LET-AT-71-2018, l’Office a indiqué qu’il avait besoin de plus de renseignements sur certaines questions qui n’avaient pas été examinées dans les actes de procédure et il a demandé à M. Robinson et à Air Canada de répondre, chacun, à une liste de questions. Les questions adressées à Air Canada visaient à obtenir des détails sur les politiques et pratiques d’Air Canada concernant la prestation de l’assistance avec fauteuil roulant. Les questions adressées à M. Robinson visaient à établir s’il avait été informé de la nouvelle réservation et des changements de porte d’embarquement et comment il l’avait été, s’il avait demandé de l’assistance, quand et comment il l’avait fait, et s’il avait obtenu une réponse et quelle était-elle.

[10] Lorsque Mme Acheson a répondu aux questions, elle a indiqué que M. Robinson ne lui parlait plus et ne répondait plus à ses appels, parce qu’elle n’avait pas réglé ses problèmes avec Air Canada. Avant de fournir d’autres détails concernant les incidents, elle a par ailleurs expliqué ce qui suit :

[traduction] J’ai des notes précises de notre première discussion et je me réfère entièrement à celles-ci pour répondre à vos questions. Cela dit, après son voyage, M. Robinson s’est retrouvé dans un état de confusion et est encore dans cet état à propos de ce voyage [...] Des répercussions durables. Néanmoins, il est sûr des faits qu’il a énoncés.

[11] Air Canada s’est opposée au dépôt des réponses de Mme Acheson et a demandé à ce qu’elles soient retirées du dossier, en faisant valoir que, compte tenu de sa déclaration, selon laquelle M. Robinson ne lui parlait plus, la dernière observation a été faite sans l’autorisation de M. Robinson.

[12] Dans les communications subséquentes figurant dans le dossier, Mme Acheson est devenue de plus en plus acerbe, en faisant des remarques provocatrices et inappropriées concernant l’avocat d’Air Canada et elle a notamment affirmé, en termes vulgaires, que l’avocat affecté au dossier était incompétent et qu’il devrait être dessaisi du dossier. Mme Acheson a aussi envoyé des photos qui étaient non pertinentes et inappropriées, dans le contexte du processus de l’Office, notamment des photos d’elle avec un chat, ainsi que des photos de M. Robinson, torse nu.

B. Décision préliminaire de l’Office

[13] Dans la décision no LET-AT-25-2019 (la décision sur la déficience et l’obstacle), l’Office a traité deux questions préliminaires. Premièrement, en ce qui concerne la demande d’indemnité pécuniaire de M. Robinson, ou subsidiairement, une indemnité sous la forme de deux billets aller-retour pour un voyage à Amsterdam, l’Office a souligné que la LTC [traduction] « ne prévoit pas d’indemnité pécuniaire sous la forme de dommages-intérêts généraux pour des questions comme un désagrément, pour un traitement considéré comme méprisant la dignité ou pour des douleurs et des souffrances » (décision sur la déficience et l’obstacle, aux paragraphes 8 et 9). Comme je l’ai mentionné précédemment, des modifications à la LTC, qui permettraient à l’Office d’accorder une telle indemnité, n’étaient pas encore entrées en vigueur.

[14] Deuxièmement, l’Office a rejeté l’argument d’Air Canada, selon lequel M. Robinson ne s’était pas acquitté du fardeau de la preuve étant donné que les éléments allégués dans la plainte avaient été rapportés par Mme Acheson, qui n’a pas assisté aux événements, et que M. Robinson n’avait pas signé de déclaration relatant les événements. L’Office a fait remarquer que l’article 16 des Règles de l’Office des transports du Canada (Instances de règlement des différends et certaines règles applicables à toutes les instances, DORS/2014-14) (les règles de l’Office) prévoit expressément une représentation par un tiers et que le fait d’ignorer ou d’écarter les observations d’un représentant et d’exiger le type de déclaration sous serment demandé par Air Canada entraverait l’accès à la justice et aux mesures de redressement possibles des personnes qui désignent un représentant (décision sur la déficience et l’obstacle, aux paragraphes 10 et 11).

[15] En ce qui concerne le critère énoncé au paragraphe 172(1) de la LTC, l’Office a conclu que M. Robinson, en tant que personne âgée qui, lorsqu’elle voyage, nécessite une assistance avec fauteuil roulant, était une personne ayant une déficience aux fins de la partie V de la LTC (décision sur la déficience et l’obstacle, aux paragraphes 15 et 16). Cette conclusion n’est pas et n’a pas été contestée par Air Canada.

[16] L’Office a ensuite évalué si M. Robinson avait rencontré un obstacle à ses possibilités de déplacement. Il a expliqué qu’une personne ayant une déficience fait face à un obstacle à ses possibilités de déplacement [traduction] « si elle démontre qu’une mesure d’accommodement doit être adoptée à son égard et qu’on ne la lui a pas offerte, et qu’elle n’a donc pas pu bénéficier d’un accès égal aux services accessibles à d’autres personnes dans le réseau de transport fédéral » (décision sur la déficience et l’obstacle, au paragraphe 29). L’Office a fait remarquer qu’il incombe au demandeur d’établir, selon la prépondérance des probabilités, son besoin de mesures d’accommodement et que si son besoin n’a pas été satisfait, la personne aura fait face à un obstacle (décision sur la déficience et l’obstacle, au paragraphe 30).

[17] L’Office a conclu que la question entourant le bagage de cabine de M. Robinson ne constituait pas un obstacle à ses possibilités de déplacement, estimant qu’au moment où il s’est rendu compte qu’il l’avait oublié à bord de l’avion, il était trop tard pour le récupérer et qu’aucun élément de preuve n’indiquait qu’il avait expressément demandé que le personnel d’Air Canada s’occupe de son bagage de cabine en guise d’accommodement lié à sa déficience (décision sur la déficience et l’obstacle, au paragraphe 31). L’Office a aussi rejeté la partie de la plainte de M. Robinson liée à la correspondance manquée, étant donné qu’il a manqué son vol de correspondance à destination de Calgary en raison de l’arrivée tardive de son avion en provenance de Dublin, et non en raison d’un manque d’assistance. Il a en outre rejeté la partie de sa plainte relative à son arrivée à Calgary, en concluant que le personnel d’Air Canada l’attendait avec un fauteuil roulant, mais qu’il semblait avoir quitté l’avion de son propre chef, sans attendre d’obtenir de l’assistance (décision sur la déficience et l’obstacle, au paragraphe 35).

[18] Cependant, en soupesant l’observation de M. Robinson, selon laquelle il a attendu près de « la poutre » pendant 40 minutes, sans recevoir de l’assistance, à l’encontre de l’observation d’Air Canada, selon laquelle ce service est habituellement offert dans un délai de 10 à 15 minutes bien qu’elle n’a pas été en mesure de présenter des éléments probants directs pour confirmer combien de temps M. Robinson avait attendu, l’Office a conclu que [traduction] « selon la prépondérance des probabilités, la procédure habituelle d’Air Canada n’avait pas été suivie et M. Robinson avait été laissé seul près de la ‘poutre’ pendant une période beaucoup plus longue que 10 à 15 minutes, sans que personne ne s’occupe de lui, ce qui l’a amené à quitter la zone de son propre chef, puisqu’il avait peur de manquer son vol, ce qui est compréhensible » (décision sur la déficience et l’obstacle, au paragraphe 33). L’Office a ensuite conclu que [traduction] « le manque d’assistance près de ‘la poutre’ [...] avait constitué un obstacle aux possibilités de déplacement de M. Robinson » (décision sur la déficience et l’obstacle, au paragraphe 33).

[19] En ce qui concerne les étapes suivantes, l’Office a indiqué qu’il donnerait l’occasion à Air Canada :

[traduction]

Ÿ d’expliquer, en tenant compte des propositions du demandeur, comment elle a proposé d’éliminer l’obstacle en apportant une modification générale à une règle, à une politique, à une pratique, à une technologie ou à une structure physique ou, si la modification générale n’est pas possible, en adoptant une mesure d’accommodement; ou

Ÿ de démontrer qu’elle ne peut pas éliminer l’obstacle sans se voir imposer une contrainte excessive.

[20] En réponse, l’avocat d’Air Canada a présenté de brèves observations dans un courriel composé de deux paragraphes :

[traduction]

Air Canada présente ses excuses pour toute mauvaise gestion ayant fait en sorte que M. Robinson ait attendu avant d’obtenir de l’assistance avec fauteuil roulant. Air Canada soutient que toutes ses politiques, toutes ses procédures et tout son matériel de formation sont harmonisés de manière à ce que les passagers obtiennent de l’assistance en temps opportun, et elle affirme que l’expérience qu’aurait vécue M. Robinson constitue une exception malheureuse à la règle.

De plus, comme l’Office le sait déjà, Air Canada publiera un bulletin concernant la prestation de l’assistance avec fauteuil roulant, conformément à la décision no 11-A-AT-2019.

[21] Le deuxième paragraphe se rapportait à une décision définitive et à une ordonnance relative à une autre affaire, qui a été rendue le jour précédant le dépôt par Air Canada de la réponse ci-dessus, dans laquelle l’Office demandait à Air Canada, entre autres, « de s’assurer que ses politiques et procédures concernant la fourniture d’assistance avec fauteuil roulant prévoient une exigence claire selon laquelle, si l’assistance demandée ne peut pas être fournie rapidement, le personnel d’Air Canada informe les passagers concernés du temps qu’il leur faudra vraisemblablement attendre avant que l’assistance ne leur soit fournie et des conséquences potentielles sur leurs vols de correspondance » et de « mettre en place des mesures de communication et de formation internes pour s’assurer que le personnel compétent connaît bien cette exigence » (Cheguer c. Air Canada, décision no 11-AT-A-2019, au paragraphe 24).

[22] Aucune réponse n’a été déposée au nom de M. Robinson.

II. La décision visée par l’appel

[23] Dans la décision no 72-AT-A-2019 (la décision sur la mesure de redressement) visée par l’appel, l’Office a évalué si Air Canada pouvait, sans se voir imposer une contrainte excessive, éliminer l’obstacle que M. Robinson a rencontré et, le cas échéant, quelles mesures correctives seraient requises. L’Office a conclu que l’obstacle pouvait être éliminé sans qu’Air Canada se voit imposer une contrainte excessive, et il a ordonné à Air Canada de modifier ses politiques et ses procédures de communications internes pour trouver une solution au manque d’assistance avec fauteuil roulant (décision sur la mesure de redressement, aux paragraphes 3, 4 et 21).

[24] L’Office s’est dit préoccupé « par le fait que, malgré les politiques du transporteur en matière d’assistance aux personnes ayant une déficience, [M. Robinson] n’a pas reçu un service adéquat de la part d’Air Canada ». Il a également indiqué qu’Air Canada n’a fourni aucun élément de preuve justifiant pourquoi M. Robinson avait reçu un niveau de service insatisfaisant et il a conclu qu’« [e]n l’absence de raisons convaincantes communiquées au passager, il est inacceptable qu’une personne ayant une déficience soit laissée seule pendant 40 minutes à attendre l’assistance demandée » (décision sur la mesure de redressement, au paragraphe 16).

[25] L’Office a expliqué que le « processus d’Air Canada pour les passagers qui arrivent à Toronto à bord d’un vol international et qui doivent ensuite prendre un vol intérieur exige le transfert des passagers entre les [différents] agents d’Air Canada », ce qui comporte « un risque inhérent de mauvaise communication » (décision sur la mesure de redressement, au paragraphe 17). Plus précisément, l’Office était d’avis que l’absence de procédures adéquates régissant la communication entre le personnel responsable des différentes étapes du processus d’aide aux déplacements risquait d’entraîner une mauvaise communication (décision sur la mesure de redressement, au paragraphe 18).

[26] L’Office a critiqué le fait qu’Air Canada n’a pas de norme de service pour les temps d’attente des passagers dans la zone de sièges (décision sur la mesure de redressement, au paragraphe 19). L’Office a expliqué que, selon lui, un « registre des activités » comportant entre autres choses le nom des passagers qui ont demandé des services, le nom des agents en poste qui fourniront l’assistance demandée, les temps d’attente et tous les problèmes qui surviennent, constituerait un outil efficace pour assurer un suivi des services et la prise de mesures pour corriger des lacunes. Ce registre des activités, en plus des ordonnances antérieures de l’Office et des politiques actuelles d’Air Canada, fournirait à la direction d’Air Canada « un mécanisme pour examiner les incidents et prendre des mesures correctives, comme de la formation supplémentaire, de façon proactive » (décision sur la mesure de redressement, au paragraphe 19).

[27] Estimant que le niveau d’assistance avec fauteuil roulant fourni par Air Canada à M. Robinson constituait un obstacle abusif à ses possibilités de déplacement, l’Office a ordonné à Air Canada de prendre les mesures suivantes au plus tard le 26 novembre 2019 (environ quatre semaines suivant la date du prononcé de la décision sur la mesure de redressement) :

Ÿ modifier ses politiques et procédures relatives à l’assistance avec fauteuil roulant afin d’inclure une norme de service raisonnable pour les temps d’attente lorsque l’assistance doit être fournie par le transporteur;

Ÿ inclure, dans la nouvelle norme de service, la reconnaissance du fait que parfois le service devra être fourni plus rapidement si les temps de correspondance sont courts, ainsi que l’obligation, dans l’éventualité où la norme de service ne pourrait être respectée, d’informer le passager du retard, y compris la raison de ce retard, et de lui demander régulièrement s’il va bien;

Ÿ mettre en place des mesures de communication et de formation internes pour s’assurer que le personnel concerné connaît bien cette exigence;

Ÿ établir un registre des activités comportant le nom des passagers qui ont demandé des services ainsi que leurs numéros de vol, le nom des agents en poste qui fourniront l’assistance demandée, les temps d’attente pour l’obtention de l’assistance, ainsi que tous les problèmes relatifs à ce service qui surviennent;

Ÿ intégrer dans le registre des activités un examen de la gestion qui permettrait de cerner les problèmes systémiques et de déterminer les mesures correctives à prendre;

Ÿ remettre le registre des activités dans lequel sont consignés les problèmes systémiques cernés et les mesures correctives proposées au dirigeant principal, Conformité de l’Office, au plus tard le 28 avril 2020.

(Décision sur la mesure de redressement, au paragraphe 21)

[28] Air Canada a demandé et obtenu l’autorisation d’interjeter appel de la décision sur la mesure de redressement auprès de notre Cour, en application du paragraphe 41(1) de la LTC. M. Robinson n’a pas participé à l’appel.

III. Les questions en litige

[29] Air Canada soulève les questions suivantes :

  1. L’Office a-t-il commis une erreur de droit ou a-t-il porté atteinte à l’équité procédurale en retenant la version des faits de M. Robinson, d’après les observations faites par Mme Acheson qui n’a pas été témoin des événements?

  2. L’Office a-t-il commis une erreur de droit en concluant que l’attente avant d’obtenir de l’assistance avec fauteuil roulant près d’une « poutre » pendant 40 minutes constituait un obstacle abusif aux possibilités de déplacement de M. Robinson, au sens du paragraphe 172(1) de la LTC?

  3. L’Office a-t-il commis une erreur de droit en rendant une ordonnance qui outrepasse ses pouvoirs, aux termes du paragraphe 172(1), étant donné que l’ordonnance a un caractère plutôt réglementaire?

  4. L’Office a-t-il porté atteinte à l’équité procédurale en ordonnant des changements structurels sans d’abord informer Air Canada que l’Office entendait ordonner ces mesures et sans donner à Air Canada la chance de présenter ses observations relativement au pouvoir de l’Office de rendre cette ordonnance, à la possibilité d’obéir à cette ordonnance et à l’incidence d’une contrainte excessive?

[30] Pour les motifs qui suivent, j’ai décidé qu’il n’est pas nécessaire de se pencher sur la troisième question. Les autres questions sont examinées dans l’ordre, dans les sections qui suivent.

IV. Discussion

A. L’Office a-t-il commis une erreur de droit ou a-t-il porté atteinte aux droits d’Air Canada en matière d’équité procédurale en retenant les éléments de preuve présentés par Mme Acheson?

[31] Aux termes de l’article 41 de la LTC, les seules questions que notre Cour peut examiner, dans le contexte du présent appel, sont les erreurs de droit ou de compétence et, vu l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, 441 D.L.R. (4th) 1, notre Cour doit, dans le présent appel, appliquer les normes de contrôle applicables en appel. La norme de la décision correcte s’applique par conséquent à toutes les questions que notre Cour pourrait examiner dans le présent appel, incluant les allégations de violation de l’équité procédurale : Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Emerson Milling Inc., 2017 CAF 79, [2018] 2 R.C.F. 573, para. 18, 19 et 24; Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique c. Canada (Office des transports du Canada), 2021 CAF 69, [2021] CarswellNat 947, para. 44 à 47; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Office des transports), 2021 CAF 173, para. 40.

[32] Comme je l’ai mentionné précédemment, Air Canada affirme que l’Office a commis une erreur de droit et a porté atteinte aux droits d’Air Canada en matière d’équité procédurale en concluant que M. Robinson avait été confronté à un obstacle abusif à ses possibilités de déplacement, en l’absence d’éléments de preuve présentés par M. Robinson ou par quelqu’un qui le représente [traduction] « réellement » ou qui a assisté en même temps que lui aux événements. Selon Air Canada, l’Office a statué sur ce point, en l’absence d’éléments de preuve adéquats. Elle fait valoir que le comportement anormal de Mme Acheson, en plus du fait qu’elle ait admis que M. Robinson ne lui parlait plus, aurait dû amener l’Office à révoquer l’autorisation d’agir au nom de M. Robinson. Air Canada mentionne aussi les incohérences qui ressortent de plusieurs versions des faits présentées par Mme Acheson qui, selon elle, soulignent son manque de crédibilité. L’appelante soutient que l’Office, en ne rejetant pas la plainte au motif de l’absence d’éléments de preuve adéquats, a, à tort, fait passer le fardeau de la preuve à Air Canada.

[33] L’Office répond qu’il a simplement examiné et soupesé les éléments de preuve présentés par les deux parties et qu’il a conclu que la version des faits fournie par M. Robinson, quant à la durée pendant laquelle il a attendu l’assistance près de « la poutre », n’a pas été réfutée par les éléments de preuve fournis par Air Canada. Il soutient qu’il avait le droit de retenir les observations de Mme Acheson et de s’en remettre à celles-ci et que la conclusion attaquée est une conclusion de fait et qu’elle est donc non susceptible d’appel devant notre Cour, aux termes de l’article 41 de la LTC.

[34] Je conviens qu’il était loisible à l’Office de se fonder sur les renseignements fournis par Mme Acheson pour confirmer sa conclusion factuelle qui est non susceptible d’appel aux termes de l’article 41 de la LTC.

[35] L’article 16 des Règles de l’Office autorise expressément un demandeur à être représenté par une autre personne, dans le cadre d’instances de règlement des différends devant l’Office. Cette personne n’a pas besoin d’être membre du barreau d’une province, tant que le demandeur l’autorise à agir en son nom lors du dépôt des renseignements prescrits auprès de l’Office. C’est ce que M. Robinson a fait. Par conséquent, l’Office n’a commis aucune erreur en autorisant M. Robinson à présenter sa cause par l’intermédiaire de Mme Acheson. Le fait qu’elle ait indiqué, à mi-chemin des débats, qu’elle ne parlait plus à M. Robinson ne change pas cette conclusion. M. Robinson n’a jamais demandé la révocation de son autorisation. En outre, Mme Acheson a indiqué qu’elle continuerait à se consacrer à son dossier avec diligence et que M. Robinson était toujours d’accord pour la rémunérer pour ses services.

[36] De plus, l’Office n’est pas lié par les mêmes règles de preuve qui s’appliquent à un tribunal judiciaire et il est habilité à accepter une preuve par ouï-dire. Ainsi, l’Office n’a pas été tenu d’obtenir une déclaration signée directement auprès de M. Robinson. Comme le souligne l’Office, le fait de retenir la thèse d’Air Canada et d’exiger qu’un demandeur soumette une déclaration signée risque d’imposer un fardeau indue aux demandeurs qui choisissent d’être représentés par une autre personne et cela pourrait bien entraver l’accès à la justice.

[37] Ainsi, contrairement à ce qu’Air Canada affirme, la conclusion de l’Office concernant le manque d’assistance auquel M. Robinson a été confronté à l’aéroport de Toronto était fondée sur des éléments de preuve que l’Office avait le droit d’examiner. Par conséquent, il n’a pas commis d’erreur de droit, indûment inversé le fardeau de la preuve, porté atteinte aux droits d’Air Canada en matière d’équité procédurale ou ne s’est pas prononcé sur un point en l’absence d’éléments de preuve. Sa conclusion quant à la durée pendant laquelle M. Robinson a dû attendre près de « la poutre » est une conclusion factuelle et elle est donc non susceptible d’appel aux termes de l’article 41 de la LTC qui limite les appels devant notre Cour aux questions de droit ou de compétence à l’égard desquelles une autorisation a été accordée.

B. L’Office a-t-il commis une erreur en concluant que M. Robinson avait été confronté à un obstacle abusif?

[38] Air Canada soutient ensuite que l’Office a commis une erreur en concluant que M. Robinson avait été confronté à un « obstacle abusif » à ses possibilités de déplacement au sens du paragraphe 172(1) de la LTC. Selon Air Canada, l’Office n’a pas correctement interprété le terme « obstacle » et il n’a pas non plus convenablement déterminé si l’« obstacle » auquel M. Robinson était confronté était « abusif » au sens de cette disposition.

[39] Air Canada soutient plus précisément qu’un temps d’attente de 40 minutes est, en soi, insuffisant pour constituer un « obstacle abusif », tel qu’il est défini par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc., 2007 CSC 15, [2007] 1 R.C.S. 650, notamment au paragraphe 140 [Via Rail CSC]. Selon Air Canada, M. Robinson n’a subi aucun préjudice en raison de l’attente. Même s’il s’agissait peut-être d’un désagrément, cette attente n’était aucunement « excessi[ve] ou oppressi[ve] ». Air Canada souligne le fait que M. Robinson a finalement rejoint sa porte d’embarquement et qu’il a pris son vol à temps et elle affirme que, puisqu’il aurait été obligé d’attendre de toute façon, qu’il ait attendu près de la « poutre » plutôt qu’à la porte d’embarquement, cela importait peu.

[40] Air Canada fait valoir que l’Office n’a fourni aucune analyse sur la question de savoir si ou pourquoi le temps d’attente constituait un « obstacle abusif » au sens de la LTC. Elle affirme en outre que l’Office ne peut pas maintenant donner plus de poids à son raisonnement en tentant de faire valoir que, dans le contexte du présent appel, attendre dans une zone de sièges est plus stressant qu’attendre à la porte d’embarquement. Enfin, Air Canada soutient que la seule conclusion qu’il est permis de tirer, lorsqu’on applique le bon critère juridique, est celle selon laquelle M. Robinson n’a été confronté à aucun obstacle abusif à ses possibilités de déplacement.

[41] L’Office avance que le temps d’attente n’était pas un problème lié à un simple désagrément ou à la question d’attendre dans une zone plutôt que dans une autre. L’Office a précisément conclu, dans la décision visée par l’appel, que M. Robinson a été laissé seul et qu’il a été mis [traduction] « dans une situation où il n’aurait pas su à quel moment un autre agent serait arrivé pour lui fournir de l’assistance et qu’il aurait eu peur de manquer sa correspondance » (mémoire des faits et du droit de l’Office, aux paragraphes 56 à 58).

[42] À mon avis, contrairement à ce qu’affirme Air Canada, l’Office n’a commis aucune erreur de droit en concluant que le manque d’assistance près de la « poutre » constituait un obstacle aux possibilités de déplacement de M. Robinson. Selon l’argument avancé par Air Canada, l’Office aurait dû entreprendre une analyse distincte de la question de savoir si l’obstacle, en l’espèce le manque d’assistance avec fauteuil roulant et le temps d’attente de 40 minutes, était en soi oppressif ou s’il imposait un fardeau excessif à M. Robinson en tant que personne ayant une déficience. Cependant, cette manière de procéder est erronée, étant donné que le « caractère abusif » de l’obstacle contraint le décideur à se demander si son élimination imposerait une contrainte excessive au transporteur. L’arrêt Via Rail CSC permet d’affirmer que le « caractère abusif » de l’obstacle est essentiellement le revers du « caractère abusif » de toute contrainte qui découlerait de son élimination.

[43] S’il existe un obstacle, il devrait être éliminé tant qu’il n’en résulte pas une contrainte excessive. S’il ne peut pas être éliminé sans causer une contrainte excessive, il s’agit, par définition, d’un obstacle abusif. C’est au transporteur qu’il incombe d’établir qu’un obstacle aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience, résultant des structures physiques ou des politiques du transporteur, n’est pas un obstacle « abusif » en convainquant l’Office qu’il ne pouvait pas accommoder ces personnes sans subir une contrainte excessive : VIA Rail CSC, para. 142; voir également la décision Sabbagh c. VIA Rail, décision no 312-AT-R-2013, para. 10 (« Un obstacle est abusif à moins que le fournisseur de services puisse justifier son existence »).

[44] Ce critère est mis en évidence dans l’approche adoptée par l’Office pour les demandes en application de l’article 172 de la Loi. Comme cela a été décrit dans la décision sur la déficience et l’obstacle, le processus par lequel l’Office a traité la demande dans l’affaire en instance, en application de l’article 172 de la Loi, comprenait le fait d’établir (i) si le demandeur est une personne ayant une déficience, (ii) s’il a été confronté à un obstacle à ses possibilités de déplacement (iii) et si le transporteur pouvait éliminer cet obstacle sans qu’il ne se voit imposer une contrainte excessive.

[45] Ultérieurement, dans une décision d’interprétation, la décision no 33-AT-A-2019, l’Office « s’[est doté] d’une approche à deux volets plutôt qu’à trois, afin que celle-ci cadre mieux avec la démarche en deux volets de la jurisprudence sur les droits de la personne » (para. 12). Selon cette approche légèrement modifiée, au cours de la première partie d’une instance, la partie demanderesse doit démontrer qu’elle a un handicap et qu’elle fait face à un « obstacle » (le terme anglais « barrier » est maintenant utilisé dans la version anglaise de la LTC) en raison de son handicap et au cours de la deuxième partie d’une instance, le fardeau de la preuve s’inverse et il incombe alors à la partie défenderesse d’expliquer comment elle propose d’éliminer l’« obstacle » ou de démontrer qu’elle ne peut pas éliminer l’obstacle sans se voir imposer une contrainte excessive.

[46] On pourrait en fait établir une analogie entre les enquêtes menées par l’Office et la jurisprudence dans le contexte des droits de la personne, où il incombe aussi à l’employeur ou au fournisseur de services de démontrer qu’il ne peut pas accommoder une personne ayant une déficience sans se voir imposer une contrainte excessive, après qu’un plaignant a établi l’existence d’une preuve prima facie de discrimination : voir, par exemple, l’arrêt Stewart c. Elk Valley Coal Corp., 2017 CSC 30, [2017] 1 R.C.S. 591, para. 23.

[47] Le raisonnement qui sous-tend l’article 172 de la Loi et la jurisprudence qui l’interprète est qu’aucun obstacle ne devrait être ignoré sauf si son élimination causerait une contrainte excessive. Ayant conclu que le manque d’assistance équivalait à un « obstacle », l’Office n’a exigé aucune analyse supplémentaire autre que l’examen de la question de savoir si Air Canada pouvait éliminer l’obstacle sans se voir imposer une contrainte excessive.

[48] Dans la mesure où Air Canada conteste la conclusion selon laquelle le manque d’assistance pendant 40 minutes équivalait à un « obstacle », je ne constate aucune erreur susceptible de révision dans la conclusion que l’Office a tirée concernant ce point. En l’espèce, la question de savoir si un niveau de service donné nuisait aux possibilités de déplacement de M. Robinson est une question mixte de fait et de droit et, par conséquent, elle ne peut pas être examinée dans le contexte d’un appel, aux termes de l’article 41 de la Loi. Quoi qu’il en soit, il semble parfaitement évident que laisser un voyageur âgé, qui utilise un fauteuil roulant, attendre pendant 40 minutes, sans l’informer du moment où de l’assistance pourra lui être fournie ou sans lui assurer qu’il obtiendra de l’assistance pour rejoindre sa porte d’embarquement à temps, est inacceptable et qu’il s’agit d’un obstacle auquel les voyageurs qui n’ont pas une déficience ne sont pas confrontés.

[49] Je ne constate donc aucune erreur susceptible de révision dans la conclusion de l’Office selon laquelle M. Robinson a fait face à un obstacle. L’Office ne pouvait pas déterminer si cet obstacle était abusif tant qu’il n’avait pas examiné si Air Canada pouvait l’éliminer, sans se voir imposer une contrainte excessive.

C. Violation alléguée de la règle audi alteram partem – l’Office a commis une erreur en ne donnant pas à Air Canada une occasion valable de répondre aux mesures correctives que l’Office a envisagées et finalement imposées

[50] Air Canada fait ensuite valoir que l’Office a commis une erreur et a manqué à son obligation d’équité procédurale en ordonnant d’apporter des changements structurels aux procédures d’Air Canada, sans d’abord informer cette dernière que l’Office entendait ordonner ces mesures, et sans offrir à Air Canada la possibilité de présenter des observations sur la compétence que l’Office a pour rendre cette ordonnance, sur la nécessité de l’ordonnance et sur son incidence en matière de contrainte excessive. Air Canada soutient qu’en agissant ainsi, elle viole la règle audi alteram partem.

[51] Plus précisément, Air Canada affirme que ce qu’elle qualifie de mesure de redressement attentatoire lui a été imposé [traduction] « sans qu’aucun avertissement ne lui soit donné ou sans même lui signaler que cette mesure de redressement était possible, étant donné qu’elle n’avait jamais été demandée par [M. Robinson] » (mémoire des faits et du droit d’Air Canada, au paragraphe 50). Selon Air Canada, l’Office était tenu de rendre une décision de [traduction] « justification », qui décrivait la mesure de redressement envisagée, et de demander à Air Canada de lui donner son avis sur cette mesure de redressement particulière avant de l’imposer.

[52] L’Office répond que sa décision sur l’obstacle et la déficience démontre clairement qu’il a donné à Air Canada la possibilité de présenter des observations pour expliquer comment elle proposait d’éliminer l’obstacle ou pour démontrer qu’elle ne pouvait pas l’éliminer sans se voir imposer une contrainte excessive. Dans un bref courriel, Air Canada a répondu en indiquant que ses politiques et procédures étaient déjà harmonisées de manière à fournir une assistance avec fauteuil roulant en temps opportun et qu’elle enverrait un rappel de ses politiques à son personnel, conformément à une ordonnance récente rendue par l’Office concernant une affaire différente.

[53] Je suis d’accord avec Air Canada pour dire que l’Office a manqué à son obligation d’équité procédurale en imposant les mesures correctives qu’il a choisies en l’espèce, sans donner à Air Canada la possibilité de présenter des observations sur la question de savoir si l’Office avait compétence pour ordonner ces types de mesures de redressement, si elles étaient nécessaires pour remédier à la plainte et si elles causeraient une contrainte excessive. Ce manquement comporte probablement deux éléments. Premièrement, comme Air Canada l’affirme, la manière dont l’Office a procédé a violé la règle audi alteram partem. Deuxièmement, l’Office pourrait bien aussi ne pas avoir respecté les attentes légitimes d’Air Canada, compte tenu de la procédure suivie par l’Office dans un grand nombre d’affaires précédentes.

[54] La règle audi alteram partem, qui exhorte les décideurs à [traduction] « entendre l’autre partie » (Association canadienne de télévision par câble c. American College Sports Collective of Canada, Inc., [1991] 3 C.F. 626, 81 D.L.R. (4th) 376 (C.A.), para. 13 [Association canadienne]), permet de veiller à ce que les parties aient l’occasion de présenter des observations sur des questions qui portent sur la résolution du différend. Une violation peut survenir, par exemple, lorsque le décideur reçoit d’une partie, lors d’une audience en l’absence de l’autre partie, des éléments de preuve ou des observations qui contiennent des renseignements nouveaux et préjudiciables et qu’il ne les divulgue pas à l’autre partie aux fins de commentaires : voir l’arrêt Taseko Mines Limited c. Canada (Environnement), 2019 CAF 320, para. 51 à 64. La règle peut aussi être violée si un décideur traite d’une affaire qu’il est tenu de trancher avec d’autres membres de l’organisme administratif, par l’intermédiaire d’une réunion plénière par exemple, et qu’il n’avise pas les parties de nouvelles questions qui ont été soulevées pendant l’examen, de sorte qu’elles ont changé d’avis concernant l’affaire : voir l’arrêt Ellis‑Don Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), 2001 CSC 4, [2001] 1 R.C.S. 221, para. 32 et 33. La règle audi alteram partem exige essentiellement que les parties connaissent les éléments de preuve qui pèsent contre elles et qu’elles aient la possibilité d’y répondre : voir, par exemple Association canadienne, para. 13.

[55] Bien qu’un décideur administratif ne soit pas habituellement tenu de fournir un préavis au sujet de la mesure de redressement qu’il envisage d’accorder (Canada (Procureur général) c. Ennis, 2021 CAF 95, 2021 CarswellNat 1428, para. 75), dans certaines circonstances, le décideur pourrait devoir fournir à une partie un certain degré d’information pour s’assurer qu’elle connaît le fardeau qui lui incombe. Ces circonstances ont existé en l’espèce : pour avoir une occasion valable de présenter des observations pertinentes sur les questions relatives aux mesures de redressement, Air Canada devait avoir une idée du type de mesures de redressement qui pourraient être imposées. Étant donné qu’il n’y avait aucun élément de preuve de l’existence d’une violation systémique et qu’aucune demande d’ordonnance systémique n’avait été présentée, Air Canada n’avait aucun moyen de savoir qu’une mesure de redressement comme celle qui allait être imposée était envisagée ou de savoir comment formuler ses observations concernant une contrainte excessive.

[56] Air Canada avait probablement aussi une attente légitime à l’effet que l’Office ne lui imposerait pas une mesure de redressement systémique comme celle imposée en l’espèce, étant donné qu’aucun élément de preuve de l’existence d’un problème systémique n’a été déposé et que la question de l’existence d’une violation systémique était en cause, alors qu’Air Canada n’avait pas eu d’abord la possibilité de formuler des observations concernant la mesure de redressement systémique envisagée. La théorie des attentes légitimes permet de protéger les droits de participation d’une partie lorsqu’un décideur administratif, dans l’exercice du pouvoir que lui confère la loi, fait des affirmations claires, nettes et explicites, quant au processus qu’il suivra, qui ne vont pas à l’encontre de son obligation légale et qui sont de nature procédurale : Canada (Procureur général) c. Mavi, 2011 CSC 30, [2011] 2 R.C.S. 504, para. 68.

[57] À mon avis, la pratique antérieure de l’Office en ce qui concerne le fait d’ordonner des mesures de redressement systémiques pourrait bien avoir donné lieu à ces attentes légitimes, de sorte qu’Air Canada pouvait s’attendre à être avisée de la mesure de redressement systémique prévue alors qu’aucune déclaration quant à l’existence d’un problème systémique lié au traitement par Air Canada des demandes d’assistance avec fauteuil roulant n’avait été faite.

[58] Comme je l’ai mentionné précédemment, la LTC impose aux transporteurs l’obligation d’éliminer les obstacles abusifs aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience, en d’autres termes, d’éliminer tous les obstacles qui peuvent être éliminés, sans subir une contrainte excessive : Via Rail CSC, para. 120 et 121.

[59] Dans certains cas, la partie demanderesse demande que des mesures correctives précises soient mises en œuvre et le transporteur sait donc comment formuler les observations qu’il souhaite faire en ce qui concerne la contrainte excessive. Dans d’autres cas, la nature de la plainte et la façon dont l’instance se déroule font clairement ressortir les mesures requises. Parfois, l’Office est satisfait des mesures correctives que le transporteur propose, de sorte que, dans son ordonnance, il exige simplement que le transporteur poursuive ce qu’il a proposé de faire. Dans ces cas, il est admis qu’aucune contrainte excessive ne résultera de l’élimination de l’obstacle.

[60] Dans d’autres cas, néanmoins, l’Office a énoncé une série précise de mesures qu’il juge nécessaires pour éliminer l’obstacle et il demande au transporteur d’expliquer, au besoin, pourquoi ces mesures ne conviendraient pas ou seraient trop contraignantes. L’Office a souvent rendu ce type de décision de [traduction] « justification » qui énonce, en termes non équivoques, la solution proposée, de façon très détaillée parfois : voir, par exemple, les décisions East c. Air Canada et Jazz Air S.E.C., LET-AT-A-30-2008; Green c. OC Transpo, no 200-AT-MV-2007; Legault c. Air Canada, no 450-AT-A-2005. Plus récemment, il semble que l’Office pourrait avoir modifié son approche en commençant par demander au transporteur de proposer des mesures correctives. Cependant, lorsque cette approche est adoptée, il demeure que la mesure de redressement attendue doit clairement ressortir de l’instance ou être divulguée avant d’être imposée.

[61] En l’espèce, la seule mesure de redressement sollicitée par le demandeur était une indemnisation sous la forme de dommages-intérêts ou de billets d’avion, une mesure de redressement que l’Office n’était pas habilité à accorder. Rien dans l’instance n’indiquait la possibilité que l’Office envisage une mesure de redressement systémique qui comprenait des modifications aux politiques, notamment une nouvelle norme de service, un registre des activités, un examen par la direction et une supervision par l’Office. Au contraire, toute l’affaire portait sur l’expérience particulière vécue par M. Robinson et la plupart des observations d’Air Canada mettaient l’accent sur la nature inhabituelle (et le caractère improbable) de cette expérience. Ainsi, Air Canada ne pouvait d’aucune façon savoir que l’Office envisageait d’adopter une norme de service entièrement nouvelle et les autres mécanismes qui ont été imposés.

[62] Cette manière de procéder contraste nettement avec la longue discussion qui a eu lieu entre l’Office et VIA dans l’affaire VIA Rail CSC concernant la contrainte excessive que cette dernière pourrait subir si elle devait modifier les voitures de chemin de fer en vue d’en assurer l’accessibilité aux personnes qui utilisent un fauteuil roulant. Dans cette affaire, l’Office avait rendu une décision préliminaire qui offrait à VIA l’occasion de fournir des preuves et des arguments pour justifier les raisons pour lesquelles l’Office ne devrait pas conclure que les obstacles qu’il avait relevés étaient abusifs, et de donner des renseignements sur la faisabilité et le coût : paragraphe 49. L’Office a aussi demandé à VIA de produire des réponses aux questions précises concernant les mesures correctives « possibles sur les plans structural, économique et opérationnel » : paragraphe 50. Ayant conclu que la réponse de VIA manquait de précisions, l’Office a réitéré son ordonnance de justification initiale et a donné à VIA plus de temps pour préparer une réponse. Il a aussi fait deux autres demandes de renseignements : paragraphes 57 et 58. Bien qu’il ne fasse aucun doute que l’ampleur des efforts déployés par l’Office, afin d’obtenir les renseignements se rapportant à son évaluation de la contrainte excessive, fût influencée par l’importance des dépenses possibles que VIA aurait à assumer (il a été estimé que les modifications apportées aux voitures de chemin de fer coûteraient plusieurs millions de dollars), il convient néanmoins de noter que les mesures correctives envisagées ont été énoncées expressément et que VIA a eu plusieurs fois la possibilité de fournir des preuves et des arguments sur la faisabilité des mesures et le fardeau qui leur était associé.

[63] À l’inverse, en l’espèce, Air Canada n’a pas eu la possibilité de démontrer que les mesures particulières imposées entraîneraient une contrainte excessive ou qu’elles constituaient une mesure de redressement appropriée et possible. Elle n’a pas eu, entre autres, la possibilité de soutenir que les mesures imposées – notamment les conséquences en matière de ressources, de dépenses et l’ingérence dans d’autres initiatives entreprises simultanément par Air Canada – pourraient être démesurées par rapport à l’ampleur du problème concernant la prestation de l’assistance avec fauteuil roulant, en particulier si l’on garde à l’esprit qu’aucun élément de preuve n’a été présenté pour démontrer que l’expérience problématique vécue par M. Robinson était habituelle ou courante. Si l’Office se fondait sur des éléments de preuve selon lesquels il existait un problème plus général lié à l’assistance avec fauteuil roulant chez Air Canada, qui a été révélé par l’intermédiaire d’autres dossiers, Air Canada aurait dû avoir été clairement informée de cela et elle aurait dû se voir accorder la possibilité de répondre. Air Canada n’a pas non plus eu la possibilité de formuler des observations sur la compétence de l’Office d’imposer les types de mesures qu’il a imposées.

[64] Bien que l’Office allègue qu’il a donné à Air Canada la possibilité d’« expliquer comment elle propose d’éliminer l’obstacle [...] ou de démontrer qu’elle ne peut pas éliminer l’obstacle sans se voir imposer une contrainte excessive », le fait de s’appuyer sur la formule générique de l’Office n’est pas pertinent. Ne sachant pas ce qui était en litige, Air Canada n’a pas pu présenter des propositions de redressement valables. Elle a donc répondu en adoptant la thèse selon laquelle la mesure corrective appropriée consistait à publier un bulletin à l’intention de son personnel dans lequel elle fournissait un rappel concernant la prestation de l’assistance avec fauteuil roulant, comme l’Office avait déjà ordonné à Air Canada de le faire, dans le cadre d’une affaire distincte récente.

[65] L’Office considère souvent que la publication d’un bulletin constitue une mesure de redressement appropriée dans les cas où l’obstacle a découlé du fait qu’une politique existante et satisfaisante d’un transporteur n’a pas été correctement appliquée : voir, par exemple, Saghbini c. Air Canada, no 30-AT-C-A-2018; Akhtar c. Saudi Arabian Airlines, no 78-AT-C-A-2019; Pierre Bergeron c. WestJet, no 40-AT-A-2019; Lucin c. Air Transat, no 24-AT-A-2019; voir aussi Iskander c. Royal Air Maroc, no 21-AT-A-2021, où la mesure corrective imposée exigeait essentiellement que le transporteur applique une politique récemment adoptée. Air Canada avait parfaitement le droit de s’attendre à ce qu’en l’absence de plus de précisions, cela soit le type de mesure de redressement susceptible d’être imposée.

[66] Afin de respecter les droits procéduraux d’Air Canada, l’Office aurait dû procéder de la manière suivante, après avoir conclu que la proposition par Air Canada d’éliminer l’obstacle au moyen de la publication d’un bulletin de rappel était insuffisante : l’Office aurait dû énoncer les mesures correctives qu’il jugeait nécessaires pour éliminer l’obstacle et il aurait dû demander à Air Canada de les commenter. En omettant de procéder de cette manière, l’Office a violé la règle audi alteram partem, car Air Canada ne connaissait pas les faits qu’on allait lui opposer. Il n’a aussi probablement pas respecté les attentes légitimes d’Air Canada, compte tenu de la pratique antérieure de l’Office qui consiste à indiquer les mesures correctives qu’il pourrait envisager, lorsqu’elles ne ressortent pas clairement de la plainte ou de l’instance.

[67] Compte tenu de ce manquement à l’équité procédurale, la décision de l’Office ne peut être maintenue.

[68] Par conséquent, je renverrais l’affaire à l’Office afin qu’il réexamine la mesure de redressement appropriée, après avoir donné à Air Canada et à M. Robinson la possibilité de formuler des observations de la manière indiquée précédemment.

[69] Compte tenu de ce qui précède, il n’est ni nécessaire ni approprié que notre Cour statue sur la question de la compétence qu’Air Canada a soulevée, étant donné que l’Office devrait d’abord statuer sur cette question, après avoir donné à Air Canada et à M. Robinson la possibilité de formuler des observations.

V. Le rôle de l’Office dans la présente instance

[70] Je ne saurais terminer sans commenter la nature des observations formulées par l’Office en l’espèce.

[71] Le paragraphe 41(4) de la LTC dispose que « [l’]Office peut plaider sa cause à l’appel par procureur ou autrement ». L’Office pourrait ainsi parfois se trouver dans une fâcheuse position, notamment lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, aucune autre partie ne conteste activement l’appel. L’Office pourrait se sentir obligé de défendre sa propre décision. Or, il n’y a pas lieu pour lui de se prononcer dans un cadre adversatif ou de se pencher sur le fond d’une manière qui compromettrait son impartialité : voir, par exemple, les arrêts Air Passengers Rights v. Canada (Attorney General), 2021 FCA 112, para. 13, et Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, para. 102. Après tout, l’Office pourrait être appelé à réexaminer l’affaire (comme cela est le cas en l’espèce) et à statuer sur d’autres affaires intéressant l’appelant à l’avenir (comme cela sera aussi sans doute le cas en l’espèce).

[72] À mon avis, dans le présent appel, les thèses de l’Office – et notamment certaines de celles mentionnées dans son mémoire des faits et du droit – dépassent les bornes. Il n’aurait pas dû tenter de se défendre contre les allégations d’atteinte à l’équité procédurale autrement qu’en décrivant sa pratique et sa procédure habituelles dans des affaires semblables, en renvoyant à la jurisprudence pertinente.

VI. Conclusion

[73] À la lumière de ce qui précède, j’accueillerais le présent appel, j’annulerais la décision rendue par l’Office et je renverrais l’affaire à l’Office pour qu’il réexamine sa décision, après avoir permis à Air Canada de formuler des observations sur les questions de compétence et des observations relatives aux mesures de redressement, de la manière décrite précédemment. Bien que M. Robinson n’ait pas participé à l’appel, il devrait néanmoins, s’il le souhaite, avoir le droit de déposer une réponse en réplique aux nouvelles observations formulées par Air Canada.

[74] Je ne rendrais aucune ordonnance quant aux dépens, puisqu’Air Canada n’en a pas demandé.

« Mary J.L. Gleason »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Yves de Montigny, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

René LeBlanc, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-74-20

 

 

INTITULÉ :

AIR CANADA c. LORNE ROBINSON ET L’OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE EN LIGNE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 avril 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

Le 22 octobre 2021

 

COMPARUTIONS :

Patrick Girard

Rémi Leprévost

 

Pour l’appelante

 

Karine Matte

 

Pour les intimés

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stikeman Elliott, S.E.N.C.R.L.

Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour l’appelante

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour les intimés

 

 

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