Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20211122


Dossier : A-164-21

Référence : 2021 CAF 223

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

IRIS TECHNOLOGIES INC.

intimée

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 21 octobre 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le 22 novembre 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

 


Date : 20211122


Dossier : A-164-21

Référence : 2021 CAF 223

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

IRIS TECHNOLOGIES INC.

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE RENNIE

[1] Iris Technologies Inc. a déposé un avis de demande de contrôle judiciaire visant la décision du ministre du Revenu national de rejeter la demande de paiement qu’elle avait présentée au titre de la Subvention salariale d’urgence du Canada (SSUC), un élément de la réponse du gouvernement du Canada à la pandémie de COVID-19. Le ministre a présenté une requête en radiation de la demande de contrôle judiciaire. Le protonotaire a rejeté la requête (protonotaire Aalto, dossier de la Cour fédérale no T-1010-20, 5 mars 2021), une décision qui a été confirmée en appel devant la Cour fédérale (motifs du juge Southcott, 2021 CF 526). Le ministre interjette maintenant appel devant notre Cour.

[2] Le ministre fonde sa requête en radiation sur la thèse suivante : parce que la décision selon laquelle Iris n’avait pas droit à la SSUC a été rendue au titre de l’article 125.7 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (LIR), il s’ensuit que, selon l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, c’est la Cour de l’impôt, et non la Cour fédérale, qui a compétence pour examiner la validité de la décision. Le ministre soutient également qu’Iris aurait dû se prévaloir d’un autre recours, soit le processus d’opposition et d’appel prévu par la LIR, et soutient en outre que la demande était théorique puisque l’avis de détermination avait été produit.

[3] En réponse, Iris fait valoir que la demande vise la conduite du ministre dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire conféré au titre de la SSUC, une affirmation à laquelle ont souscrit tant le protonotaire que la Cour fédérale. Iris soutient que la décision est injuste sur le plan procédural, qu’elle constitue un abus de procédure et que le ministre a indûment tenu compte d’instances connexes entre elle et le ministre concernant des remboursements de TPS/TVH. Seule la Cour fédérale, et non la Cour de l’impôt, a la compétence pour examiner ces allégations.

[4] Je suis d’avis que l’appel devrait être accueilli et que l’avis de demande devrait être radié.

I. Les faits

[5] La SSUC était un élément essentiel de la réponse du gouvernement du Canada aux conséquences économiques de la pandémie de COVID-19. Elle a été établie par des modifications apportées à la LIR (modifiée par le projet de loi C-14, Loi no 2 concernant certaines mesures en réponse à la COVID-19, 1re sess., 43e lég., 2020 (ayant reçu la sanction royale le 11 avril 2020), L.C. 2020, ch. 6).

[6] De façon générale, sous le régime de la SSUC, les entités ou sociétés canadiennes admissibles sont réputées avoir fait des paiements d’impôt en trop, ce qui permet au ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire de rembourser les sommes payées en trop. Le paiement en trop « réputé » est fondé sur une formule énoncée dans la LIR et est calculé en fonction du montant de la baisse des revenus d’une année sur l’autre au cours de diverses périodes d’admissibilité, qui, de façon générale encore une fois, sont les exercices fiscaux d’avant la pandémie (2019) et d’après la pandémie (2020-2021) (par. 125.7(1) et (2)).

[7] Le paragraphe 152(3.4) de la LIR permet au ministre de « déterminer » le montant réputé par le paragraphe 125.7(2) être un paiement en trop qui serait par ailleurs payable pour les périodes d’admissibilité et d’envoyer un avis de détermination à l’employeur. Ce paragraphe dispose également que le ministre peut à tout moment déterminer qu’il n’existe aucun montant à payer. Le paragraphe 164(1.6) autorise le ministre à rembourser le paiement en trop et, compte tenu de son importance capitale pour les questions en litige en l’espèce, il est reproduit intégralement ci-après :

COVID-19 — remboursement

(1.6) Malgré le paragraphe (2.01), le ministre peut rembourser au contribuable, à tout moment après le début de l’année d’imposition de ce dernier, tout ou partie d’un paiement en trop en vertu de l’un des paragraphes 125.7(2) à (2.2) réputé s’être produit au cours de l’année.

COVID-19 refunds

(1.6) Notwithstanding subsection (2.01), at any time after the beginning of a taxation year of a taxpayer in which an overpayment is deemed to have arisen under any of subsections 125.7(2) to (2.2), the Minister may refund to the taxpayer all or any part of the overpayment.

[8] Il est important de noter que, pour les besoins du règlement des questions en litige en l’espèce, le paragraphe 152(1.2) assujettit les différends relatifs à la SSUC aux dispositions sur les voies de recours et les appels des sections I et J de la LIR. Comme pour les avis de cotisation, les avis de détermination sont réputés exacts à moins qu’ils ne soient modifiés ou annulés à la suite d’une opposition ou d’un appel (par. 152(8)). Toutefois, contrairement aux appels en matière d’impôt sur le revenu, les avis de détermination peuvent être contestés immédiatement, sans qu’il soit nécessaire d’attendre la production de la déclaration annuelle et l’établissement de la cotisation (par. 152(3) et (4)).

[9] Iris a déposé des demandes de SSUC pour trois périodes, soit du 15 mars 2020 au 11 avril 2020, du 12 avril 2020 au 9 mai 2020 et du 10 mai 2020 au 6 juin 2020, et a déclaré que ses revenus avaient diminué de 95,92 %, de 88,57 % et de 97,08 % respectivement par rapport aux mêmes mois en 2019. La baisse des revenus déclarée par Iris excédait le minimum requis pour l’application du paragraphe 125.7(2).

[10] Le ministre a rejeté la demande, ce qui a donné lieu aux procédures devant la Cour fédérale. Dans son avis de demande, Iris a demandé une ordonnance :

  1. enjoignant au ministre de verser à Iris le montant de la SSUC réclamé, pour un total de 605 714 $;

  2. déclarant que le montant des revenus à prendre en compte dans le calcul de la SSUC est celui déclaré par Iris;

C. enjoignant au ministre de délivrer des avis de cotisation ou des avis de détermination pour les périodes commençant le 15 mars 2020 et se terminant le 6 juin 2020.

[11] Les motifs de la demande présentent d’où viendraient les exercices abusifs du pouvoir discrétionnaire et abus de procédure allégués :

  • Le motif invoqué par le ministre pour ne pas accorder la subvention salariale d’urgence était que l’entreprise de la requérante [traduction] « n’a[vait] pas subi la baisse de revenus nécessaire pour être admissible à la SSUC »;

  • Lorsqu’Iris a demandé des précisions sur la décision, le ministre a déclaré dans un message vocal que la raison pour laquelle la demande d’Iris avait été rejetée était que le ministre avait communiqué avec le vérificateur qui effectuait une vérification distincte concernant la TPS/TVH. Le vérificateur a fourni un rapprochement des recettes et, sur le fondement de ce document, le ministre a conclu que la baisse de 15 % des revenus nécessaire pour demander la SSUC ne s’était pas produite. Le ministre a informé Iris qu’elle recevrait sous peu une lettre l’informant de ce fait et des procédures à suivre si elle souhaitait demander un deuxième examen;

  • Iris a ensuite demandé à la Direction de la vérification de la TPS/TVH du ministre des précisions sur les renseignements qu’elle avait communiqués au programme de subvention d’urgence, mais le ministre a refusé de divulguer les renseignements qui avaient été communiqués à ce programme;

  • Iris a ensuite demandé au programme de subvention d’urgence du ministre des précisions sur les renseignements fournis par la Direction de la vérification de la TPS/TVH;

  • Le programme de subvention d’urgence a communiqué un document de travail résumant l’information fournie par la Division de la vérification de la TPS/TVH du ministre, qui indiquait, entre autres, ce qui suit :

[traduction]

À la suite de la présente instance devant la Cour fédérale, dans le but de protéger l’ARC contre les pertes de revenus, une (nouvelle) cotisation a été établie sur le fondement des éléments de preuve et des conclusions de la vérification obtenus à ce jour. Un affidavit de Vance Smith, gestionnaire de la Section de la PAT [planification abusive de la TPS/TVH], a été inclus dans la vérification pour mettre en évidence les éléments de preuve et le risque élevé que présente ce dossier de vérification;

  • Le dossier de l’examen de la subvention d’urgence confirme que l’intervention de la Direction de la vérification de la TPS/TVH était le seul motif ayant mené au rejet de la demande de subvention salariale, car il y est conclu [traduction] « [qu’à] part l’indicateur de risque élevé de PAT, il n’y avait aucun autre motif justifiant le rejet de la demande »;

  • Le dossier indique que la seule considération de fait justifiant le refus était l’affidavit de Vance Smith, dans lequel il soulevait des soupçons, mais ne tirait pas de conclusions, et il ne semble pas qu’on ait pris en considération la confirmation sous serment de M. Smith selon laquelle le ministre n’était pas prêt à faire une allégation ou à proposer l’établissement d’une nouvelle cotisation compte tenu de ces soupçons.

[12] Au moment où la demande a été présentée, aucun avis de détermination n’avait été envoyé. Comme le paragraphe 152(1.2) dispose que les droits d’opposition et d’appel n’existent qu’une fois l’avis de détermination délivré, le seul recours dont disposait Iris était de saisir la Cour fédérale de la décision du ministre de ne pas rembourser le paiement en trop.

[13] Comme nous l’avons noté, le ministre a présenté une requête en radiation de la demande et a également demandé l’autorisation de produire un affidavit à l’appui de sa requête. L’affidavit comporte en pièce jointe un avis de détermination de la Subvention salariale d’urgence du Canada daté du 21 septembre 2020, indiquant que le ministre avait déterminé que la subvention salariale d’urgence d’Iris pour chaque période était de 0 $.

II. Les décisions des instances inférieures

La décision du protonotaire

[14] Par application du critère énoncé dans l’arrêt Canada (Revenu national) c. J.P. Morgan Asset Management (Canada) Inc., 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557 (J.P. Morgan), le protonotaire a rejeté la requête en radiation du ministre. Après avoir examiné la jurisprudence sur la recevabilité d’éléments de preuve dans les requêtes en radiation, le protonotaire a jugé l’affidavit irrecevable, ayant conclu qu’il manquait tellement de précisions qu’il avait une faible valeur probante. Le protonotaire a également conclu que, même si la Cour avait été saisie en bonne et due forme de l’avis de détermination joint à l’affidavit, la demande ne serait pas théorique, parce que la demande visait à obtenir des mesures de redressement contre la conduite du ministre à l’égard d’un pouvoir discrétionnaire conféré par la loi.

[15] Le protonotaire a renvoyé à l’arrêt Iris Technologies Inc. c. Canada (Revenu national), 2020 CAF 117 (Iris Technologies), où notre Cour a confirmé que la Cour fédérale a compétence à l’égard de la conduite du ministre en vertu de la LIR. Le protonotaire a noté que, nonobstant l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour fédérale conserve compétence pour prendre en considération l’application des principes de droit administratif dans le contrôle de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre. Par exemple, il pourrait s’agir d’allégations selon lesquelles le ministre a agi dans un but inavoué ou de mauvaise foi, a indûment tenu compte de certaines considérations, a commis un abus de pouvoir ou n’a pas agi dans un délai raisonnable.

[16] Après avoir examiné les allégations présentées dans la demande et les avoir appréciées par rapport à la nature des pouvoirs conférés au ministre sous le régime de la SSUC, le protonotaire a conclu que le caractère essentiel de la demande d’Iris était la contestation de la conduite du ministre dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère le régime de la SSUC de rembourser un paiement d’impôt en trop. Une procédure devant la Cour de l’impôt ne constituerait pas le recours approprié, car la Cour de l’impôt n’a pas de compétence en matière de contrôle judiciaire et le refus de rembourser le paiement en trop échapperait à tout examen si la demande était radiée.

La décision de la Cour fédérale

[17] La Cour fédérale a conclu que le protonotaire n’avait pas commis d’erreur dans son examen du régime législatif de la SSUC ni dans sa conclusion que la décision de rembourser le paiement en trop au titre du paragraphe 164(1.6) était une mesure discrétionnaire que pouvait prendre le ministre et était susceptible de contrôle judiciaire.

[18] Le juge a examiné la question de la nature essentielle de la demande selon la norme de la décision correcte. Il a conclu que, si l’avis de demande était interprété de manière globale, il était clair qu’il était fondé sur une séquence d’événements étayant la thèse selon laquelle le ministre n’avait pas payé la SSUC pour des motifs indus. Le juge a reconnu que, même si certains éléments des mesures de redressement demandées dans l’avis de requête pouvaient donner lieu à des décisions qui ne relèvent pas de la compétence de la Cour fédérale, cela ne l’empêchait pas de conclure que la nature essentielle de la demande était le contrôle judiciaire de l’exercice qu’avait fait le ministre de son pouvoir discrétionnaire dans une décision administrative.

[19] Le juge a également rejeté l’appel du ministre concernant la décision d’exclure l’affidavit. Il a conclu que, puisque l’affidavit avait pour but d’établir que la demande était théorique, il était visé par l’exception, applicable dans les cas où est plaidé le caractère théorique, à la règle interdisant l’admission d’éléments de preuve dans les requêtes en radiation. Néanmoins, il n’a pas trouvé d’erreur manifeste et dominante dans la conclusion du protonotaire selon laquelle l’affidavit était irrecevable.

III. Les questions en litige

La recevabilité de la déclaration sous serment

[20] La recevabilité d’un affidavit est une question de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (O’Grady c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 221, [2016] A.C.F. no 979 (QL), par. 2; Collins c. Canada, 2015 CAF 281, [2015] A.C.F. no 1451 (QL), par. 49 et 57 (Collins); voir aussi, Cabral c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CAF 4, [2018] A.C.F. no 21 (QL)). Les conclusions de fait accessoires liées à la recevabilité d’éléments de preuve commandent la déférence (Collins, par. 51).

[21] La Cour fédérale a donc commis une erreur en appliquant la norme de contrôle de l’erreur manifeste et dominante à la décision du protonotaire sur l’admission ou l’exclusion de l’affidavit.

[22] En excluant l’affidavit, le protonotaire a conclu que son auteur n’avait aucune connaissance personnelle de la décision, ne savait pas qui avait participé à la décision, ne pouvait pas expliquer pourquoi la décision n’avait pas été communiquée à la date à laquelle elle avait été prise et n’avait pas personnellement examiné les revenus d’Iris au cours de l’une ou l’autre des périodes de référence. Le protonotaire a conclu que l’auteur de l’affidavit n’était qu’un homme de paille n’ayant aucune connaissance directe de quoi que ce soit et n’ayant que retrouvé un document dans les dossiers de l’Agence du revenu du Canada (ARC). Je note, en passant, qu’aucune mention n’a été faite du paragraphe 81(1) des Règles des Cours fédérales, qui permet le dépôt à l’appui de requêtes d’affidavits fondés sur ce que le déclarant croit être des faits.

[23] Ces motifs ne justifient pas à eux seuls l’exclusion de l’affidavit. L’affidavit a été présenté à l’appui de la thèse selon laquelle la demande était théorique, et sa valeur probante se limitait à établir le fait qu’un avis de détermination avait été envoyé. L’affidavit n’a pas été présenté pour établir l’exactitude de la décision sur la question de savoir si un remboursement était dû au titre de la SSUC. Bien que je souscrive aux réserves du protonotaire concernant la fragilité de l’affidavit, la connaissance qu’avait le déclarant des considérations fiscales sous-jacentes n’était pas utile pour trancher la question de la recevabilité.

[24] Cette conclusion ne permet toutefois pas de trancher la question de la recevabilité de l’affidavit. L’avis de détermination est une preuve par ouï-dire et n’est recevable que s’il est visé par l’une des exceptions à la règle du ouï-dire prévues par la loi ou la common law.

[25] La première est l’exception établie dans l’arrêt Ares c. Venner, [1970] R.C.S. 608, 1970 CanLII 5 (CSC). Cette exception s’applique lorsqu’il est satisfait à trois critères : l’auteur du document avait une connaissance personnelle des renseignements contenus dans les documents, les documents ont été établis en même temps que l’acte a eu lieu et l’auteur avait l’obligation de consigner les renseignements. Pour les motifs énoncés par le protonotaire, l’affidavit ne répond pas aux critères de l’arrêt Ares c. Venner.

[26] La deuxième voie, et celle suivie par le ministre en l’espèce, est le paragraphe 244(9) de la LIR. Il s’agit d’une disposition plus étroite qui prévoit une restriction : pour qu’un document soit recevable selon cette exception, l’agent de l’ARC doit avoir la charge des registres pertinents :

Preuve de documents

(9) L’affidavit d’un fonctionnaire de l’Agence du revenu du Canada — souscrit en présence d’un commissaire ou d’une autre personne autorisée à le recevoir — indiquant qu’il a la charge des registres pertinents et qu’un document qui y est annexé est un document, la copie conforme d’un document ou l’imprimé d’un document électronique, fait par ou pour le ministre ou une autre personne exerçant les pouvoirs de celui-ci, ou par ou pour un contribuable, fait preuve de la nature et du contenu du document.

Proof of documents

(9) An affidavit of an officer of the Canada Revenue Agency, sworn before a commissioner or other person authorized to take affidavits, setting out that the officer has charge of the appropriate records and that a document annexed to the affidavit is a document or true copy of a document, or a print-out of an electronic document, made by or on behalf of the Minister or a person exercising a power of the Minister or by or on behalf of a taxpayer, is evidence of the nature and contents of the document.

[27] Le juge de la Cour fédérale a interprété le paragraphe 244(9) comme exigeant que l’auteur de l’affidavit « ait la charge » des registres. Le juge a conclu que l’affidavit ne contenait aucune déclaration expresse à cet égard et qu’il ne satisfaisait pas implicitement à cette exigence (motifs, par. 25). En se fondant sur l’affidavit, le juge a estimé qu’il serait difficile de conclure que l’auteur de l’affidavit avait la charge des registres pertinents. Je souscris à cette analyse. L’affidavit ne répond pas aux exigences du paragraphe 244(9).

[28] La troisième façon dont l’avis de détermination peut être recevable se trouve dans les dispositions relatives aux pièces commerciales de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5 (par. 30(6)). Les pièces déposées en vertu de cette disposition sont recevables sans affidavit. Or, encore une fois, les conditions préalables à la recevabilité n’ont pas été remplies. L’appelant n’a pas donné l’avis requis de sept jours de son intention de produire des documents en vertu du paragraphe 30(7) de la Loi sur la preuve au Canada.

[29] La quatrième façon dont l’avis de détermination peut être recevable est l’exception à la règle du ouï-dire prévue par la common law. La règle générale d’exclusion n’est pas opposable si l’on peut démontrer que la preuve est fiable et nécessaire. Il n’est satisfait au critère de la fiabilité que si le contenu du document que l’on cherche à produire en preuve est digne de confiance en raison de la façon dont le document a été créé et que les circonstances permettent au juge d’en vérifier la fiabilité (R. c. Khelawon, 2006 CSC 57, [2006] 2 R.C.S. 787, par. 2 et 3).

[30] En examinant si la preuve par ouï-dire est recevable au titre de l’exception prévue par la common law, le tribunal doit mettre en balance la fiabilité, la nécessité et l’équité. En l’espèce, les facteurs qui montrent la fiabilité comprennent le fait que l’avis a été produit conformément à une exigence légale ainsi que la preuve contenue dans l’affidavit quant à l’origine du document. Il n’est pas non plus contesté qu’Iris a reçu l’avis de détermination avant l’audience sur la demande et qu’elle a eu l’occasion de contre-interroger l’auteur de l’affidavit. Iris ne soutient pas que le document n’est pas ce qu’il est censé être.

[31] Les facteurs à prendre en considération pour juger s’il y a nécessité comprennent le but dans lequel l’affidavit a été présenté, qui est d’établir le caractère théorique de la procédure, et, en règle générale, les tribunaux ne devraient pas se pencher sur des affaires théoriques. L’élément de preuve est également nécessaire parce que, pour les motifs ci-après , il est essentiel à la question de la compétence. La réponse à la question de savoir laquelle de la Cour fédérale ou de la Cour de l’impôt doit statuer sur la décision de ne pas rembourser le paiement en trop dépend de la recevabilité de l’affidavit.

[32] Les règles en matière de preuve, tant sur le fond que sur la forme, sont importantes. Elles sont importantes parce qu’elles sont le fondement de la fonction de recherche de vérité qui incombe aux tribunaux. Elles sont également le fondement de l’équité dans le processus décisionnel judiciaire. Il ne faut pas les négliger, faute de quoi il y a des conséquences. En l’espèce, l’affidavit était extrêmement mince. Il n’était pas visé par l’exception de l’arrêt Ares c. Venner à la règle du ouï-dire, il ne satisfaisait pas aux exigences de l’exception expressément prévue par la loi en vue de faciliter la production de documents en possession de l’ARC et aucun avis n’a été donné au titre de la Loi sur la preuve au Canada quant à l’intention de produire des documents commerciaux. Indépendamment de la question de la recevabilité d’éléments de preuve dans un cas particulier, les tribunaux ont le souci primordial de veiller à ce que les procédures se déroulent conformément aux règles établies en matière de preuve et de procédure. C’est le fondement de l’équité. Ce facteur milite contre la recevabilité de l’affidavit.

[33] Après avoir mis en balance toutes ces considérations, je conclus qu’il est satisfait aux exigences de fiabilité et de nécessité sous-tendant l’exception à la règle du ouï-dire et j’autorise le dépôt en preuve de l’affidavit. Il n’y a aucun doute quant à l’authenticité de l’avis de détermination, au but limité dans lequel il a été produit ni à son importance pour la résolution des questions à trancher en appel. De plus, les tribunaux ont le pouvoir discrétionnaire d’écarter l’exigence du préavis de sept jours en vertu de l’article 30 de la Loi sur la preuve au Canada (Boroumand c. Canada, 2016 CAF 313, [2016] A.C.F. no 1409 (QL)).

La nature essentielle de la demande

[34] Le contrôle judiciaire est un mécanisme puissant servant à vérifier l’exercice fait par le ministre des pouvoirs discrétionnaires que lui confère la LIR (Canada (Revenu national) c. Sifto Canada Corp., 2014 CAF 140, [2014] A.C.F. no 567 (QL) (Sifto)). Les contestations de l’exercice du pouvoir discrétionnaire, les allégations d’abus de pouvoir, les refus de rendre des décisions et les brefs de prérogative ne relèvent pas de la compétence de la Cour de l’impôt, laquelle se limite à l’application correcte de la LIR. Il existe un fondement bien motivé et raisonné pour lequel le législateur a canalisé vers la Cour fédérale le contrôle des quelques cas où le ministre dispose d’un pouvoir discrétionnaire. L’exactitude d’une cotisation établie sous le régime de la LIR et la légalité de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire relèvent de régimes législatifs entièrement distincts. À quelques exceptions près, l’application de la LIR ne demande l’exercice d’aucun pouvoir discrétionnaire.

[35] Les cotisations sont juridiquement concluantes quant à l’obligation fiscale du contribuable, à moins qu’elles ne soient annulées par la Cour de l’impôt. Néanmoins, lorsque la conduite du ministre, par opposition à l’exactitude d’une cotisation, est en jeu, l’existence de l’avis de cotisation ne prive pas la Cour fédérale de sa compétence pour examiner l’exercice fait par le ministre du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré (Iris Technologies, par. 49). La Cour fédérale conserve compétence pour examiner l’exercice qu’a fait le ministre de ses pouvoirs discrétionnaires en appliquant la Loi, y compris examiner les allégations de mauvaise foi, d’abus de pouvoir et de retard déraisonnable (par. 51).

[36] Il n’est pas toujours facile de savoir là où commence la compétence de la Cour de l’impôt et là où se termine celle de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire. Il arrive parfois qu’il n’y ait pas de ligne de démarcation nette. Le tribunal doit toujours se méfier des plaidoiries astucieuses et des tentatives de camoufler les contestations d’avis de cotisation derrière des apparences de droit administratif. Pour déterminer quel tribunal connaît de la demande, la question de la nature essentielle du litige doit être fondée sur une appréciation réaliste du résultat pratique recherché (Windsor (City) c. Canadian Transit Co., 2016 CSC 54, [2016] 2 R.C.S. 617, par. 26; Canada c. Domtar Inc., 2009 CAF 218, [2009] A.C.F. no 819 (QL), par. 28; Canada c. Roitman, 2006 CAF 266, [2006] A.C.F. no 1177 (QL), par. 16).

[37] Deux arrêts de notre Cour – J.P. Morgan et Sifto – apportent des éclaircissements sur la façon de caractériser la véritable nature de la demande en l’espèce.

[38] La demande dans l’affaire J.P. Morgan était, de toute évidence, une contestation de la conduite du ministre, qui avait décidé d’établir une nouvelle cotisation à l’égard du demandeur dans des circonstances qui, selon le demandeur, constituaient un abus de son pouvoir discrétionnaire. J.P. Morgan a demandé l’annulation des cotisations, une mesure que la Cour fédérale ne peut accorder, et la demande a été radiée. En revanche, dans l’affaire Sifto, le ministre avait voulu établir une nouvelle cotisation à l’égard de Sifto à la suite d’un règlement global des questions en litige entre le ministre et Sifto. Notre Cour a conclu que la demande visait l’exercice par le ministre de son pouvoir légal de renoncer à une pénalité ou de l’annuler en vertu du paragraphe 220(3.1) de la LIR, et non l’exactitude de la cotisation en soi.

[39] En somme, chaque affaire nécessitera une appréciation minutieuse et réaliste de la véritable nature de la demande. La Cour fédérale devra déterminer si la conduite du ministre est en cause ou s’il s’agit, essentiellement, d’une attaque contre l’exactitude de la cotisation en soi. Comme point de départ, vu le libellé clair de l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour fédérale doit se montrer prudente avant d’autoriser le contrôle judiciaire étant donné l’existence d’un avis de cotisation en suspens (J.P. Morgan, par. 30 et 32; Canada c. Addison & Leyen Ltd., 2007 CSC 33, [2007] 2 R.C.S. 793, par. 10 à 11).

[40] Je suis d’accord avec le juge de la Cour fédérale pour dire que les modifications apportées à la LIR en ce qui concerne la SSUC comportent un libellé prévoyant un certain pouvoir discrétionnaire qui, par présomption, invite au contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. Le paragraphe 164(1.6) de la LIR dispose que le ministre « peut » rembourser tout ou partie d’un paiement en trop réputé s’être produit en vertu du paragraphe 125.7(2) de la LIR. Il existe d’autres dispositions de la SSUC qui confèrent un pouvoir discrétionnaire (voir, par exemple, les paragraphes 152(3.4) et 164(1.6) de la LIR). Toutefois, pour les motifs qui suivent, je conclus que le contrôle judiciaire sert essentiellement à poser la question de savoir si le ministre a appliqué correctement les dispositions de la LIR relatives à la SSUC.

[41] Le montant qui est « réputé » être un paiement en trop est un montant calculé conformément aux dispositions de la LIR. La question de savoir s’il y a un « montant » qui est « réputé » être un paiement en trop n’est pas discrétionnaire. Cette somme est déterminée selon la formule prévue par la loi, et il appartient à la Cour de l’impôt de vérifier si la formule a été correctement appliquée. Si, à la suite de la décision de la Cour de l’impôt, il y a effectivement un paiement en trop que le ministre refuse de rembourser, la Cour fédérale a compétence pour examiner le refus de rembourser ce paiement en trop. La demande d’Iris est, en ce sens, prématurée. Le ministre a le pouvoir discrétionnaire de rembourser, mais ce pouvoir est subordonné à l’existence d’un paiement en trop au sens de la LIR. La question de savoir si le ministre a commis une erreur en déterminant qu’il n’y avait pas de paiement en trop doit être tranchée par la Cour de l’impôt; la question de savoir si le ministre a commis une erreur en refusant de rembourser un paiement en trop doit être tranchée par la Cour fédérale.

IV. Conclusion

[42] Je termine en revenant sur les mesures demandées dans l’avis de demande. Iris demande une ordonnance :

  1. enjoignant au ministre de verser à Iris le montant de la SSUC réclamé, pour un total de 605 714 $;

  2. déclarant que le montant des revenus à prendre en compte dans le calcul de la SSUC est celui déclaré par Iris; et

C. enjoignant au ministre de délivrer des avis de cotisation ou des avis de détermination pour les périodes commençant le 15 mars 2020 et se terminant le 6 juin 2020.

[43] Les mesures demandées montrent clairement que la nature essentielle de l’avis de demande est d’attaquer la justesse de la conclusion selon laquelle aucun « montant » n’est à payer au titre du remboursement prévu au paragraphe 125.7(2) et de faire annuler l’avis de détermination. Les mesures A et B sont également des mesures que la Cour fédérale ne peut accorder. Le paragraphe 152(1.2) de la LIR prévoit des droits d’opposition et d’appel après l’envoi d’un avis de détermination, et le législateur a ordonné que ces procédures se déroulent devant la Cour canadienne de l’impôt (LIR, par. 169(1) et 171; Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. (1985), ch. T-2, par. 12(1)).

[44] L’admission en preuve de l’affidavit et de sa pièce jointe, l’avis de détermination, a pour effet de rendre la mesure C théorique. L’avis de détermination a été délivré.

[45] À titre subsidiaire, Iris fait valoir que, si la demande était radiée au motif qu’elle est théorique, la Cour devrait néanmoins exercer son pouvoir discrétionnaire pour autoriser l’examen de la demande. Elle souligne que l’objectif de la SSUC est de fournir un financement d’urgence, financement dont elle a besoin étant donné la baisse de ses revenus. Les longs délais associés aux procédures devant la Cour de l’impôt iraient à l’encontre de l’objectif de la SSUC et causeraient un préjudice financier à Iris.

[46] La solution à cette difficulté consiste à demander à la Cour de l’impôt de tenir une audience accélérée, et non à permettre le déroulement d’une procédure devant un tribunal qui n’a pas compétence pour accorder les mesures de redressement demandées.

[47] J’accueillerais l’appel, j’annulerais l’ordonnance du juge de la Cour fédérale et, rendant l’ordonnance que le protonotaire aurait dû rendre, je radierais la demande de contrôle judiciaire, avec dépens. À la demande de l’appelant et avec le consentement de l’intimée, l’intitulé du présent appel est modifié de manière à ce que « ministre du Revenu national » soit remplacé par « procureur général du Canada ».

« Donald J. Rennie »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

J.B. Laskin, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Anne L. Mactavish, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-164-21

 

INTITULÉ :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. IRIS TECHNOLOGIES INC.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 octobre 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :

Le 22 novembre 2021

 

COMPARUTIONS :

Elizabeth Chasson

Andrea Jackett

Katie Beahen

Natanz Bergeron

Christopher Ware

Pour l’APPELANT

 

Leigh Somerville Taylor

Mireille Dahab

Pour l’intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Pour l’APPELANT

Leigh Somerville Taylor Professional Corporation

Toronto (Ontario)

Dahab Law

Markham (Ontario)

Pour l’intimée

 

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