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Date : 20211123


Dossier : A-154-20

Référence : 2021 CAF 226

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE LASKIN

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

RAY DAVIDSON

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA (SANTÉ CANADA)

défendeur

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 9 novembre 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 23 novembre 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE RIVOALEN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE LASKIN

 


Date : 20211123


Dossier : A-154-20

Référence : 2021 CAF 226

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE LASKIN

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

RAY DAVIDSON

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA (SANTÉ CANADA)

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE RIVOALEN

I. Introduction

[1] Le demandeur, Ray Davidson, demande le contrôle judiciaire d’une décision rendue par une formation d’un seul commissaire de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la Commission), le 22 mai 2020 (2020 CRTESPF 56), qui a rejeté la plainte pour abus de pouvoir déposée par M. Davidson en application de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la Loi). La plainte portait sur l’évaluation qui avait été faite des réponses données par M. Davidson aux questions relatives à l’épreuve du courrier créée dans le cadre d’un concours interne visant à pouvoir le poste de chef, Accès à l’information et protection des renseignements personnels (AIPRP), au sein de Santé Canada (le défendeur). M. Davidson alléguait plus précisément que les deux évaluatrices chargées d’évaluer l’épreuve du courrier l’ont traité injustement et ont évalué ses réponses d’une manière irrespectueuse, défavorable et non professionnelle, qui contraste avec la manière dont elles ont évalué les deux candidats retenus et leurs réponses. M. Davidson alléguait également que le processus de nomination était empreint de partialité raciale et qu’il a fait l’objet de représailles en raison d’une plainte liée aux droits de la personne qu’il avait déposée en 2008 contre Santé Canada.

II. Exposé des faits

[2] En 2016, M. Davidson occupait un poste dans le domaine de l’AIPRP, classifié au groupe et au niveau PM-05, au sein d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, lorsqu’il a posé sa candidature pour le poste classifié au groupe et au niveau PM-06 annoncé dans le cadre d’un concours interne lancé par Santé Canada.

[3] M. Davidson a été retenu à la présélection et il a participé à une épreuve du courrier, qui avait été préparée par la directrice du service d’AIPRP du défendeur, Cynthia Richardson. Mme Richardson avait aussi préparé le guide de cotation qui a servi à évaluer les réponses des candidats à cette épreuve. Mme Richardson était responsable de l’embauche des candidats.

[4] Le comité d’évaluation était formé de deux personnes, Mme Richardson et Kathy Rae. Mme Rae occupait un poste au niveau PM-06 dans le service d’AIPRP du défendeur.

[5] Chaque évaluatrice a évalué séparément les réponses de M. Davidson à l’épreuve du courrier. Chaque réponse a été évaluée selon un système de points, selon lequel « zéro » correspondait à la pire réponse et « cinq », à la meilleure. Les deux évaluatrices ont déterminé que la note totale obtenue par M. Davidson pour l’ensemble des dix questions qui formaient l’épreuve n’atteignait pas la note minimale requise pour réussir. M. Davidson n’a donc pas été retenu pour constituer le répertoire de candidats ou comme candidat proposé pour le poste au niveau PM-06.

[6] M. Davidson a rencontré la directrice du service d’AIPRP de Santé Canada à deux reprises après avoir reçu les résultats de son épreuve du courrier et les commentaires écrits des évaluatrices. Ce qui préoccupait principalement M. Davidson n’était pas le guide de cotation utilisé par les évaluatrices pour évaluer ses réponses à l’épreuve, mais plutôt la manière, qu’il a qualifiée d’inéquitable et d’irrespectueuse, dont les évaluatrices et, plus précisément Mme Richardson, ont commenté ses réponses. Il a eu l’impression d’être la cible d’une attaque.

[7] À la fin de 2016, il a déposé sa plainte d’abus de pouvoir auprès de la Commission, en application de l’alinéa 77(1)a) de la Loi.

[8] En 2019, la Commission a tenu une audience de deux jours, au cours de laquelle elle a entendu les témoignages de M. Davidson, de Mme Richardson et de Mme Rae. Elle a aussi examiné les documents qui ont été présentés durant l’audience. Comme c’est pratique courante lors des audiences devant la Commission, l’audience n’a pas été enregistrée; il n’en existe donc aucune transcription.

[9] Devant la Commission, M. Davidson a formulé les quatre allégations suivantes : (1) l’intimé l’a évalué injustement; (2) les candidats retenus ont fait l’objet de favoritisme personnel; (3) le défendeur a fait preuve de partialité à son égard; (4) il a été victime de discrimination du fait de sa race ou de sa couleur, ainsi que de représailles en raison d’une plainte liée aux droits de la personne qu’il avait déposée précédemment contre le défendeur.

[10] La Commission a publié ses motifs et rejeté la plainte de M. Davidson environ un an après son audition. La Commission a conclu que la preuve n’étayait pas l’allégation selon laquelle le défendeur a fait preuve de favoritisme à l’égard des deux candidats retenus. Elle a aussi conclu que M. Davidson n’avait pu établir que sa plainte antérieure liée aux droits de la personne avait été un facteur dans son élimination du processus de nomination, ni qu’il avait été victime de discrimination dans le cadre de ce processus. En conclusion, la Commission a conclu que M. Davidson n’avait pu prouver qu’il y avait eu abus de pouvoir de la part du défendeur.

[11] M. Davidson demande à notre Cour de procéder au contrôle judiciaire de la décision de la Commission, pour le motif qu’elle est inéquitable sur le plan procédural et qu’elle est déraisonnable.

[12] Pour les motifs qui suivent, je rejetterais la présente demande de contrôle judiciaire, sans dépens.

A. Les questions soumises à la Cour

[13] Les questions en litige peuvent être résumées comme suit :

  1. La décision de la Commission était-elle inéquitable sur le plan procédural? Les évaluatrices ont-elles privé M. Davidson de son droit à un concours juste et impartial?
  1. La Commission a-t-elle rendu une décision déraisonnable en concluant que les mesures prises par les évaluatrices à l’endroit de M. Davidson ne constituaient pas un abus de pouvoir au sens de l’alinéa 77(1)a) de la Loi? En d’autres termes, le processus de nomination a-t-il été fondé sur le mérite, en conformité avec le paragraphe 30(2) de la Loi?

III. Les critères juridiques et les normes de contrôle

[14] La présente demande fait intervenir plusieurs critères juridiques et soulève la nécessité de clarifier la norme de contrôle pour les parties. Lorsque notre Cour doit évaluer des questions d’équité procédurale mettant en cause des allégations de partialité ou d’injustice de la part des évaluateurs, comme celles formulées par M. Davidson, elle doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (voir Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Office des transports), 2021 CAF 69, para. 46 et 47, citant Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 R.C.F. 121, para. 54; Gulia c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 106, para. 9 [Gulia]).

[15] De plus, le critère généralement admis pour déterminer s’il existe une crainte raisonnable de partialité consiste à savoir si une personne raisonnable et bien renseignée, qui serait au courant de l’ensemble des circonstances pertinentes et qui étudierait la question de façon réaliste et pratique, penserait qu’il est vraisemblable que le décideur, consciemment ou non, ne tranchera pas la question de manière équitable (Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, p. 394, 9 N.R. 115). Le fardeau de démontrer la partialité incombe à la partie qui l’allègue (R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, para. 114, 218 N.R. 1).

[16] Les questions liées aux motifs invoqués par la Commission pour conclure que M. Davidson n’a pu démontrer qu’il y a eu abus de pouvoir aux termes de la Loi doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, 441 D.L.R. (4th) 1, para. 30, 83 et 100 [Vavilov]; voir aussi Gulia, para. 8). Une décision est dite raisonnable si elle est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et qu’elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. L’exercice du pouvoir public en litige doit être suffisamment justifié, intelligible et transparent dans les motifs (Vavilov, para. 85 et 95). En d’autres termes, je dois déterminer si la décision de la Commission dans son ensemble – y compris à la fois les motifs de la décision et le résultat qui en a découlé – était raisonnable.

[17] Notre Cour ne peut modifier les conclusions de fait de la Commission sur la question des éléments de preuve que s’il existe des circonstances exceptionnelles. Par conséquent, nous devons nous abstenir d’apprécier à nouveau la preuve qui a été examinée par la Commission (Vavilov, para. 125).

[18] Toujours sur la question des éléments de preuve présentés, M. Davidson a déposé une déclaration sous serment pour appuyer sa demande à la Cour, déclaration à laquelle il a joint, à titre de pièce, une copie des notes que lui et son épouse ont prises durant l’audience de deux jours devant la Commission. Il s’est largement fondé sur ces notes pour faire valoir ses observations orales et écrites. L’avocat du défendeur ne s’est pas opposé au dépôt de ces notes, ni au fait que M. Davidson y fasse référence dans sa documentation écrite ou ses observations orales.

[19] Bien qu’il soit regrettable qu’aucune transcription de l’audience ne soit disponible et qu’il soit normal que M. Davidson veuille présenter les meilleurs éléments de preuve dont il dispose sur le témoignage oral fait lors de l’audience devant la Commission, notre Cour ne peut pas se fonder sur des notes prises par le demandeur ou son épouse. Contrairement à d’autres tribunaux, notamment dans le contexte d’affaires de citoyenneté et d’immigration dans le cadre desquelles il est normal d’enregistrer les débats, les audiences devant la Commission ne sont pas enregistrées.

[20] Je suis d’avis que les notes prises durant l’audience ne peuvent pas être qualifiées de nouveaux éléments de preuve; je n’ai donc pas à me demander si elles sont admissibles aux termes des exceptions relatives à l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve, qui ont été énoncées par notre Cour au paragraphe 20 de l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, 428 N.R. 297.

[21] Qui plus est, les notes de l’épouse de M. Davidson sont utilisées pour contester des conclusions de fait et pour inviter notre Cour à apprécier de nouveau les éléments de preuve afin de tirer ses propres conclusions sur le fond. Ce n’est pas notre rôle. Nous devons donc faire abstraction de ces notes.

[22] Le dossier de la preuve qui est soumis à notre Cour lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire se limite au dossier de la preuve dont disposait la Commission. Par conséquent, les seuls éléments de preuve dont nous pouvons tenir compte en l’espèce, pour revoir les motifs de la Commission, sont les documents écrits qui ont été présentés lors de l’audience.

[23] Ayant exposé la norme de contrôle et les critères juridiques devant s’appliquer à la présente demande de contrôle judiciaire, je me pencherai maintenant sur la Loi.

IV. Abus de pouvoir selon la Loi

[24] Lorsque la Commission de la fonction publique (la CFP) fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, en application de l’alinéa 77(1)a) de la Loi, un candidat non retenu peut présenter une plainte à la Commission. Selon cet alinéa, la plainte est posée en ces termes : le candidat non retenu n’a pas été nommé ou n’a pas fait l’objet d’une proposition de nomination à cause d’un « abus de pouvoir » de la part de la CFP ou de l’administrateur général dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire respectif au titre du paragraphe 30(2) de la Loi. Le paragraphe 30(1) de la Loi précise que les nominations internes ou externes à la fonction publique sont fondées sur le mérite. Le paragraphe 30(2) de la Loi présente une définition d’une nomination fondée sur le mérite.

[25] La Loi ne définit pas la notion d’« abus de pouvoir ». Le paragraphe 2(4) de la Loi précise toutefois que l’abus de pouvoir s’entend notamment de la mauvaise foi et du favoritisme personnel. La jurisprudence a élargi cette définition afin d’exiger plus qu’une simple démonstration de l’existence d’erreurs ou d’omissions. La conduite, l’erreur ou l’omission contestée doit être déraisonnable, inacceptable ou outrageante, de telle manière qu’il ne pouvait être l’intention du législateur que la personne en situation d’autorité exerce son pouvoir discrétionnaire de cette manière (voir Pierre c. Canada (Agence des services frontaliers), 2016 CAF 124, 488 N.R. 176, para. 37; Lavigne c. Canada (Justice), 2009 CF 684, 352 F.T.R. 269, para. 61 et 62; Brown c. Canada (Procureur général), 2009 CF 758, 369 F.T.R. 54, para. 34 et Tibbs c. Canada (Défense nationale), 2006 PSST 8, para. 66, 70 et 71). En l’espèce, M. Davidson a allégué un abus de pouvoir et a invoqué à l’appui le favoritisme personnel des évaluateurs, ainsi que l’injustice, la partialité et les représailles dont il a fait l’objet. Il a aussi allégué qu’il avait été victime de discrimination du fait de sa race, puisqu’il s’est identifié comme un homme noir.

[26] Lorsqu’une plainte soulève une question liée à l’interprétation ou à l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 [la LCDP], comme c’est le cas en l’espèce, le plaignant doit, conformément à l’article 78 de la Loi, en donner avis à la Commission canadienne des droits de la personne. La Commission des droits de la personne a répondu qu’elle n’avait pas l’intention de présenter des observations dans cette affaire (motifs de la Commission, para. 3).

[27] Enfin, il incombait à M. Davidson de démontrer à la Commission que ses allégations globales d’abus de pouvoir étaient fondées (Gulia, para. 7).

[28] J’examinerai maintenant les questions qui ont été soumises à notre Cour et les arguments de M. Davidson.

V. La décision de la Commission était-elle inéquitable sur le plan procédural? Les évaluateurs ont-ils privé M. Davidson de son droit à un concours juste et impartial?

[29] M. Davidson a formulé plusieurs arguments alléguant un manquement à l’équité procédurale.

[30] Dans ses documents écrits et ses observations orales, M. Davidson a cherché principalement à établir des comparaisons entre la manière dont Mme Richardson avait évalué ses réponses et la manière dont elle avait évalué les réponses des candidats retenus. Il a renvoyé la Cour aux réponses précises qu’il a fournies aux six questions en litige de l’examen. Il a insisté plus précisément sur les propos négatifs utilisés par Mme Richardson pour commenter les réponses qu’il a données. Pareils propos étaient largement absents des commentaires formulés à l’égard des réponses des deux candidats retenus. Il a fait valoir que toute personne raisonnable conclurait que les commentaires offensants formulés par Mme Richardson étaient non professionnels et constituaient une attaque injuste à son endroit. Selon M. Davidson, les commentaires formulés par Mme Richardson visaient à réduire au minimum la valeur de ses bonnes réponses, tout en détournant l’attention du fait qu’elle avait accordé des notes plus élevées aux candidats retenus.

[31] Voici quelques exemples de commentaires formulés par Mme Richardson au sujet des réponses de M. Davidson, que ce dernier juge offensants : [traduction] « très général », « n’atteint pas la note de passage », « un certain sens fondamental de l’organisation », « très faible », « pas assez approfondi », « [c]’est tout? », « [t]rès général », « explication très simple », « n’obtient pas la note de passage », « [a]nalyse très sommaire, notamment compte tenu du fait que le candidat a reçu l’information une semaine à l’avance », « très impersonnel et faible chance de réussite », « quelques bonnes suggestions, mais certaines témoignent d’un manque d’expérience ou de jugement », « cela n’a aucun sens », « les deux sont faux » et « a omis des éléments clés; propos embrouillés ».

[32] Aux paragraphes 15 et 16 de ses motifs, la Commission a bien clarifié son rôle dans l’évaluation des réponses fournies par M. Davidson aux questions de l’épreuve du courrier. Elle a confirmé que son rôle n’est pas de statuer sur le bien-fondé des réponses, ni de réévaluer ou de réviser les réponses, mais plutôt de déterminer si des éléments de preuve montrent qu’il y a eu abus de pouvoir durant le processus d’évaluation.

[33] Au paragraphe 17 de ses motifs, la Commission a conclu que Mme Richardson a répondu de manière satisfaisante aux questions soulevées par M. Davidson, qu’elle a examiné chacune des questions et des réponses et qu’elle a fourni des explications raisonnables indiquant pourquoi le comité d’évaluation en était arrivé à ces conclusions. La Commission a conclu que les réponses de M. Davidson ont été évaluées adéquatement.

[34] M. Davidson demande à notre Cour d’apprécier de nouveau la preuve et de déclarer que les propos de Mme Richardson font preuve de partialité. Bien que les commentaires de Mme Richardson aient été assez directs, je suis d’avis que la Commission n’a pas commis d’erreur en concluant à l’absence de preuve de partialité. Aucun élément de preuve présenté à la Cour ne justifie une réévaluation de cette conclusion. Je ne relève aucune circonstance exceptionnelle qui me permette de modifier les conclusions de fait de la Commission; je ne peux donc pas conclure à quelque crainte raisonnable de partialité, ou à quelque erreur, dans la notation de l’épreuve du courrier de M. Davidson.

[35] M. Davidson a ensuite soulevé la question du temps qui s’est écoulé. Il a fallu à la Commission plus d’un an pour rendre sa décision. M. Davidson a fait valoir que, plus le temps écoulé est long, moins il a de chance d’avoir gain de cause si la Commission devait conclure que le processus devrait être révoqué ou repris, car les candidats pourraient déjà avoir poursuivi leur cheminement professionnel, certains au sein d’autres organisations. Je suis sensible aux préoccupations exprimées par M. Davidson quant au temps qui s’est écoulé avant que la Commission rende sa décision, d’autant plus que ni lui ni notre Cour ne peuvent obtenir de transcription de l’audience; je ne peux toutefois pas conclure que ce retard a été la cause d’injustice en l’espèce.

[36] En conclusion, selon le dossier de la preuve et l’ensemble des circonstances, M. Davidson n’a pu démontrer qu’il a fait l’objet de partialité ou qu’il existe une crainte raisonnable de partialité.

[37] J’examinerai maintenant les observations formulées par M. Davidson au sujet du caractère déraisonnable de la décision.

VI. La Commission a-t-elle rendu une décision déraisonnable en concluant que les mesures prises par les évaluateurs à l’endroit de M. Davidson ne constituaient pas un abus de pouvoir au sens de l’alinéa 77(1)a) de la Loi?

A. Caractère insuffisant des motifs

[38] M. Davidson allègue que les motifs de la Commission étaient insuffisants. Il fait valoir que la Commission n’a pas tenu compte de tous les témoignages pertinents qui lui ont été présentés et qu’elle n’a pas adéquatement pondéré la preuve. À cause de ces lacunes, il était impossible de comprendre la logique et le raisonnement de certaines des principales conclusions de fait de la Commission.

[39] M. Davidson a notamment mentionné le paragraphe 17 des motifs de la Commission pour démontrer que la Commission a déclaré qu’elle était convaincue que les réponses qu’il a données aux questions de l’épreuve du courrier ont été évaluées adéquatement. Cependant, le seul élément de preuve invoqué par la Commission pour en arriver à cette décision était la déclaration de Mme Richardson, au paragraphe 14 des motifs. La Commission n’a renvoyé à aucun des témoignages de M. Davidson et n’a présenté aucune des réponses détaillées qu’il a présentées au sujet des explications fournies à toutes les questions de l’épreuve. Selon M. Davidson, la Commission aurait dû, en l’espèce, adopter la même approche que celle qu’elle a utilisée pour rendre sa décision dans l’affaire Clark c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2019 CRTESPF 8 [Clark]. Dans Clark, aux paragraphes 42 à 61, la Commission a jugé que l’affaire était suffisamment importante pour examiner les préoccupations du plaignant en regard de chaque question en litige de l’épreuve. En l’espèce, M. Davidson affirme qu’il n’était pas raisonnable pour la Commission de déclarer simplement qu’elle était convaincue que ses réponses avaient été évaluées adéquatement, sans fournir de justification expliquant comment elle en était arrivée à cette conclusion.

[40] M. Davidson a donné un autre exemple. La Commission a indiqué dans ses motifs que Mme Richardson avait apporté les copies des épreuves du courrier avec elle à la maison et que, ce faisant, elle s’est aperçue que les noms des candidats étaient inscrits sur les épreuves; or, M. Davidson se demande si la Commission a tenu compte de ses éléments de preuve et observations selon lesquels Mme Richardson, ayant pris connaissance des noms des candidats sur chaque épreuve, aurait pu adapter ses commentaires de manière à avantager certains candidats au détriment de M. Davidson.

[41] Sur ce point, la Commission a reconnu, au paragraphe 22 de ses motifs, que Mme Richardson a vu au départ les noms des 12 candidats sur les épreuves, mais elle a par la suite demandé aux Ressources humaines de supprimer les noms et de les remplacer par des numéros afin qu’elle ne puisse pas identifier les candidats durant l’évaluation. La Commission a également reconnu que Mme Rae n’a jamais vu les noms des candidats sur les épreuves et elle a dit être convaincue que toutes les réponses des candidats étaient anonymes lorsque le comité d’évaluation les a examinées.

[42] Je tiens à rappeler que nous ne pouvons modifier les conclusions de fait qu’en présence de circonstances exceptionnelles. Je ne vois aucune circonstance exceptionnelle en l’espèce. Nous devons donc nous abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par la Commission (Vavilov, para. 125).

[43] D’après le dossier de la preuve qui a été présenté à notre Cour, je conclus que les motifs de la Commission sont fondés sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et qu’ils sont justifiés au regard du droit et des faits pertinents (Vavilov, para. 105). Les motifs de la Commission sont suffisants et fournissent une justification transparente et intelligible des conclusions auxquelles elle en est arrivée.

B. Favoritisme

[44] Sur la question du favoritisme, M. Davidson affirme que Mme Richardson a clairement favorisé une candidate au détriment de sa candidature. Selon lui, les éléments de preuve présentés à l’audience ont démontré que Mme Richardson avait été le mentor d’un des candidats retenus, qu’elle avait travaillé directement avec cette candidate pendant plusieurs années et qu’elle avait assisté à son mariage en République dominicaine. Elle a aussi accepté que la candidate utilise son nom comme référence et a continué d’avoir des contacts avec elle.

[45] La Commission a conclu que Mme Richardson n’a pas fait preuve de favoritisme à l’égard de la candidate retenue. Elle a conclu, au paragraphe 27 de ses motifs, que la présence de Mme Richardson au mariage de l’un des candidats retenus remontait à sept ans et que, selon les éléments de preuve déposés, aucun contact de quelque nature que ce soit n’avait eu lieu entre les deux personnes par la suite.

[46] Je prends bonne note des observations de M. Davidson sur cette question. Selon les courriels présentés durant l’audience, il semble que Mme Richardson ait gardé contact avec l’un des candidats retenus. Le courriel de la candidate en question, daté du 28 janvier 2017, confirme qu’elle a travaillé avec Mme Richardson dans trois ministères différents au cours des 12 dernières années. Il semble donc que la Commission a bel et bien commis une erreur de fait en décrivant la durée de cette relation.

[47] Je suis d’avis que cette erreur n’est pas suffisamment importante ou significative pour me permettre de conclure que les motifs de la Commission, lus dans leur ensemble, en tenant compte notamment du raisonnement suivi et du résultat obtenu, étaient déraisonnables (Vavilov, para 83 et 100).

C. Représailles

[48] M. Davidson affirme que Mme Richardson n’a jamais eu l’intention de l’embaucher et qu’elle a fait tout ce qui était possible pour s’assurer qu’il échoue. Il soutient que cette conduite fait partie des représailles dont il a fait l’objet, du fait qu’il a eu gain de cause dans une plainte qu’il avait déposée en 2008 auprès de la Commission canadienne des droits de la personne pour des questions comparables mettant en cause le défendeur. Le rapport d’enquête préparé à l’époque avait conclu que M. Davidson, qui s’identifiait comme un homme noir, avait eu gain de cause à deux occasions en appel d’un concours pour un poste d’AIPRP classifié au groupe et au niveau PM-05, mais qu’il n’avait malgré tout pas été embauché, bien que le défendeur ait continué de chercher des candidats. Les éléments de preuve recueillis par l’enquêteur à l’époque indiquaient que le défendeur avait continué de chercher d’autres candidats, même si M. Davidson était qualifié. La Commission a donc conclu qu’une enquête plus poussée était justifiée.

[49] M. Davidson a aussi fait valoir que les motifs de la Commission comportaient des incohérences lorsqu’elle a conclu que Mme Rae, qui était candidate pour le poste d’AIPRP décrit au paragraphe [48] précité, a déclaré durant son témoignage n’avoir été informée de la plainte liée aux droits de la personne déposée par M. Davidson en 2008 que lorsqu’elle s’est préparée pour l’audience devant la Commission (motifs de la Commission, para. 31).

[50] La Commission a conclu qu’aucun élément de preuve n’indiquait que M. Davidson a fait l’objet de représailles. Au paragraphe 31, la Commission a mentionné que Mme Richardson ne travaillait pas pour le défendeur en 2008 lorsque la plainte liée aux droits de la personne a été déposée. Elle a aussi formulé une conclusion de fait selon laquelle Mme Rae n’a pris connaissance de la plainte que lorsqu’elle s’est préparée pour la présente instance.

[51] Selon le dossier de la preuve, je ne peux pas modifier les conclusions de fait de la Commission sur la question des représailles en l’absence de circonstances exceptionnelles. Je ne vois aucune circonstance de ce genre en l’espèce.

D. Discrimination raciale

[52] Enfin, M. Davidson soulève la question de la discrimination raciale comme étant un facteur ayant contribué au traitement défavorable dont il a fait l’objet de la part des évaluateurs. Il a indiqué qu’il a travaillé pendant plusieurs années dans le domaine de l’AIPRP au sein de divers ministères et qu’il a acquis une vaste expérience. Cependant, contrairement à bon nombre de ses anciens mentorés et collègues, il a été incapable d’avancer sur le plan professionnel, en dépit du fait qu’il y avait une demande pour des personnes expérimentées dans ce domaine de l’administration publique.

[53] Devant notre Cour, M. Davidson a insisté sur le rapport d’enquête de 2008 de la Commission des droits de la personne portant sur ses plaintes précédentes et dont il est fait mention au paragraphe [48] des présentes. Il nous a également demandé de prendre acte du recours collectif contre Sa Majesté la Reine qui a été déposé auprès de la Cour fédérale en décembre 2020 au nom des fonctionnaires fédéraux noirs et dans lequel on allègue l’existence d’un racisme systémique dans la fonction publique.

[54] La Commission a analysé la question de la discrimination raciale aux paragraphes 34 à 40 de ses motifs. Se fondant sur le critère exposé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, [2012] 3 R.C.S. 360, para. 33, elle a entrepris de déterminer si M. Davidson avait été en mesure d’établir une preuve prima facie de discrimination. La Commission a conclu que M. Davidson avait établi qu’il possédait des caractéristiques (race et couleur) protégées contre la discrimination au titre du paragraphe 3(1) de la LCDP et qu’il avait subi un effet préjudiciable relativement au concours (échec à l’épreuve du courrier). La Commission n’était toutefois pas convaincue que ces caractéristiques protégées ont constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable. La preuve prima facie de discrimination n’a donc pas été établie.

[55] La Commission a reconnu, et j’en conviens, que la discrimination est souvent insidieuse. La Commission a toutefois conclu que M. Davidson n’a pu établir de lien entre le processus ayant mené au rejet de sa candidature et le motif de distinction illicite qu’il a invoqué. À la lumière du dossier qui nous a été présenté, je ne relève aucune erreur susceptible de révision dans l’analyse de la Commission.

VII. Conclusion

[56] En résumé, M. Davidson n’a pu établir que la manière dont il a été traité par le comité d’évaluation témoigne d’une iniquité sur le plan procédural. Je conclurais qu’aucune crainte raisonnable de partialité ni partialité réelle n’a été démontrée.

[57] De plus, dans ses motifs, la Commission a conclu que les témoins du défendeur ont fourni une explication raisonnable et impartiale pour justifier les différences entre les évaluations qui ont été faites des réponses de M. Davidson et de celles des candidats retenus. Notre rôle se limite à examiner les motifs de la Commission et nous devons nous abstenir de trancher nous-mêmes les questions en litige. Le présent dossier montre que la Commission a fondé ses motifs sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle qui est justifiée en regard des contraintes factuelles et juridiques auxquelles elle est assujettie, pour conclure que M. Davidson n’a pu établir l’existence d’un abus de pouvoir aux termes de l’alinéa 77(1)a) de la Loi. La norme de la décision raisonnable exige de notre Cour qu’elle fasse preuve de déférence à l’égard de cette décision (Vavilov, para. 85).

[58] Malgré les prétentions valables de M. Davidson, je rejetterais la présente demande de contrôle judiciaire, sans dépens.

« Marianne Rivoalen »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Wyman W. Webb, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

J.B. Laskin, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-154-20

INTITULÉ :

RAY DAVIDSON c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA (SANTÉ CANADA)

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 novembre 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE RIVOALEN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE LASKIN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 23 novembre 2021

 

COMPARUTIONS :

RAY DAVIDSON

 

Pour le demandeur

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Marc Séguin

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

 

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