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Date : 20211206


Dossiers : A-99-20

A-100-20

Référence : 2021 CAF 236

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LA JUGE MACTAVISH

LE JUGE LEBLANC

 

Dossier : A-99-20

ENTRE :

DENSO MANUFACTURING CANADA, INC.

appelante

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé

Dossier : A-100-20

ET ENTRE :

DENSO SALES CANADA, INC.

appelante

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 29 septembre 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 6 décembre 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE MACTAVISH

LE JUGE LEBLANC

 


Date : 20211206


Dossiers : A-99-20

A-100-20

Référence : 2021 CAF 236

CORAM :

LE JUGE WEBB

LA JUGE MACTAVISH

LE JUGE LEBLANC

 

Dossier : A-99-20

ENTRE :

DENSO MANUFACTURING CANADA, INC.

appelante

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé

Dossier : A-100-20

ET ENTRE :

DENSO SALES CANADA, INC.

appelante

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE WEBB

[1] Aux termes de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15 (la LTA), les personnes morales étroitement liées peuvent faire un choix pour éviter que le vendeur soit tenu de percevoir la TPS/TVH à payer sur les fournitures effectuées entre ces personnes morales et que l’acquéreur doive demander un crédit de taxe sur les intrants correspondant à la taxe à payer relativement à l’acquisition de ces produits ou services dans le cadre de ses activités commerciales.

[2] Denso Manufacturing Canada, Inc. (Denso Manufacturing) et Denso Sales Canada, Inc. (Denso Sales) sont des personnes morales étroitement liées. En avril 2007, elles ont rempli le formulaire de choix requis à l’époque (GST25) pour leur permettre de traiter les ventes effectuées entre elles comme étant des fournitures sans contrepartie pour l’application de la LTA. À cette époque, il n’y avait pas d’obligation de déposer ce formulaire auprès du ministre du Revenu national (le ministre).

[3] À la suite des modifications apportées à la LTA en 2014, un nouveau formulaire de choix réglementaire (RC4616) (ci-après appelé le nouveau formulaire de choix) a été exigé à compter du 1er janvier 2015, et ce formulaire devait être déposé auprès du ministre.

[4] Sur le plan administratif, le ministre a autorisé les personnes morales étroitement liées existantes à produire le nouveau formulaire de choix à tout moment avant le 31 décembre 2015 afin de leur permettre de continuer de se prévaloir des dispositions du paragraphe 156(2) de la LTA (toutes les fournitures taxables effectuées entre ces personnes morales étant réputées effectuées sans contrepartie) pour 2015.

[5] Le nouveau formulaire de choix pour Denso Manufacturing et Denso Sales n’a pas été déposé auprès du ministre avant le 31 décembre 2015, en conséquence de quoi des avis de nouvelle cotisation ont été délivrés pour la taxe non remise sur les fournitures effectuées entre ces personnes morales en 2015.

[6] Les nouvelles cotisations ne sont pas en litige dans les présents appels. Les présents appels font plutôt suite à la demande que les appelantes ont présentée au ministre d’accepter que le nouveau formulaire de choix soit déposé tardivement et à la décision du ministre de ne pas accepter ce formulaire.

[7] La Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire des appelantes à l’égard de la décision du ministre. Les présents appels portent sur cette décision. Pour les motifs qui suivent, je rejetterais les présents appels.

[8] Les appels n’ont pas été regroupés. Toutefois, les questions en litige sont identiques dans chacun des deux appels et par conséquent les présents motifs s’appliquent aux deux appels. L’original des présents motifs sera versé dans le dossier de Denso Manufacturing (A-99-20) et une copie sera versée dans le dossier de Denso Sales (A-100-20).

I. Les faits

[9] Denso Manufacturing fabrique des pièces pour automobiles. Elle vend ses produits à ses sociétés affiliées, dont Denso Sales. En avril 2007, les appelantes ont rempli le formulaire de choix requis à l’époque pour que les fournitures effectuées entre ces personnes morales soient considérées comme étant comme des fournitures sans contrepartie, conformément à l’article 156 de la LTA. Ce formulaire n’a pas été déposé auprès du ministre.

[10] Denso Manufacturing a découvert un problème dans sa comptabilité interne à la fin de 2015. À la suite de ce problème, Denso Manufacturing a fait une divulgation volontaire à l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC), car elle devait payer la TPS nette supplémentaire due relativement à certains produits importés. Cela l’a également amenée à demander des crédits de taxe sur les intrants d’un montant plus élevé. C’est ainsi que les déclarations de TPS/TVH de la société ont été sélectionnées pour examen en janvier 2016 par l’Agence du revenu du Canada (l’ARC).

[11] Dans la correspondance entre Denso Manufacturing et l’agent de la division de l’intégrité des remboursements de l’ARC au début de 2016, les appelantes ont soutenu que les ventes entre Denso Manufacturing et Denso Sales étaient assujetties à un choix interne et qu’elles avaient rempli le formulaire GST25. Lors d’un appel téléphonique avec un représentant de Denso Manufacturing le 11 février 2016, l’agent de l’ARC a demandé aux appelantes de produire le nouveau formulaire de choix afin qu’elles se conforment à l’article 156 de la LTA.

[12] À la suite de cet appel téléphonique, Denso Manufacturing a demandé l’avis d’une fiscaliste-conseil principale chez Ryan Tax Consultants pour savoir s’il y avait un changement dans l’exigence relative au choix des fournitures sans contrepartie sous le régime de la LTA. La fiscaliste-conseil a fait savoir qu’elle n’avait pas pu trouver de publication de l’ARC précisant quelles seraient les conséquences si le nouveau formulaire de choix n’était pas produit au 31 décembre 2015. La fiscaliste-conseil s’est reportée à un extrait d’un article de doctrine sur la LTA, qui confirmait que l’ancien formulaire de choix GST25 ne serait valable que pendant l’année 2015 et qu’il devait être remplacé par le nouveau formulaire de choix avant la fin de 2015 pour que le choix demeure valable. L’article de doctrine indiquait également que, si le nouveau formulaire de choix était [traduction] « omis ou non disponible », il serait possible que les ventes entre personnes morales étroitement liées soient considérées comme des « opérations sans effet fiscal », ce qui entraînerait l’application d’un taux d’intérêt réduit de 4 % de la TPS/TVH non remise.

[13] La conclusion de Ryan Tax Consultants était que le seul risque auquel les appelantes s’exposaient était la taxe nette payable par Denso Manufacturing pour le mois de janvier 2016, si le nouveau formulaire de choix n’était pas déposé avant la fin de février 2016. En fonction de ce conseil, le nouveau formulaire de choix a été déposé le 22 février 2016 avec une date d’entrée en vigueur fixée au 1er janvier 2016. Quelques jours avant la production de ce formulaire, l’agent de la division de l’intégrité des remboursements a informé Denso Manufacturing qu’aucun changement ne serait apporté à sa déclaration dans laquelle elle avait demandé les importants crédits de taxe sur les intrants.

[14] En juin 2017, l’ARC a procédé à une vérification de Denso Manufacturing en vertu de la LTA pour les périodes de déclaration du 1er avril 2014 au 31 mars 2016.

[15] Denso Manufacturing a envoyé une lettre à l’ARC, datée du 7 novembre 2017. Le premier paragraphe de cette lettre est rédigé ainsi :

[traduction]

À la suite de nos discussions précédentes concernant le choix fait en vertu de l’article 156, nous aimerions demander à l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) de bien vouloir accepter un choix tardif en vertu du paragraphe 156(4) de la Loi sur la taxe d’accise (LTA), avec une date d’entrée en vigueur du 1er janvier 2015 pour le moment.

[16] Le 4 décembre 2017, Denso Manufacturing a envoyé le courriel suivant au vérificateur de l’ARC :

[traduction]

La présente est en réponse à votre message vocal d’aujourd’hui.

1) La raison pour laquelle le formulaire RC4616 n’a pas été déposé à temps est que DENSO Manufacturing Canada (DMCN) et DENSO Sales Canada (DSCN) n’avaient pas connaissance de la nouvelle réglementation relative au formulaire RC4616.

2) La date d’entrée en vigueur n’est pas 2015 parce que notre cabinet de fiscalistes-conseils Ryan ne nous a pas indiqué que la date d’entrée en vigueur devait être 2015. En février 2016, notre cabinet de fiscalistes-conseils Ryan n’a pas été en mesure de trouver une quelconque publication de l’Agence du revenu du Canada qui précisait les conséquences si on dépassait la date limite pour le dépôt du nouveau formulaire RC4616. Selon le cabinet, le seul risque concernait les opérations effectuées au cours du mois de janvier 2016 si nous n’étions pas en mesure de produire le choix avant la fin de février avec notre déclaration de TPS/TVH couvrant le mois de janvier. Par conséquent, DMCN et DSCN ont rempli le formulaire RC4616 en y indiquant la date d’entrée en vigueur du 1er janvier 2016 et l’ont remis à l’ARC le 22 février 2016.

Nous vous demandons de bien vouloir prendre en considération la mesure d’allégement administrative et d’accepter le formulaire de choix RC4616 modifié avec une date d’entrée en vigueur du 1er janvier 2015.

[17] Le 23 avril 2018, l’ARC a envoyé une lettre de proposition à Denso Manufacturing indiquant que la vérification de Denso Manufacturing avait eu pour effet d’augmenter le montant de la TPS nette à payer d’environ 30 millions de dollars pour la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2015 et indiquant que les intérêts excédant 4 % seraient annulés. Par suite de cette lettre de proposition, d’autres observations ont été présentées à l’ARC et Denso Manufacturing et l’ARC ont tenu des réunions.

[18] Le 11 septembre 2018, le ministre a rejeté la demande des appelantes de produire tardivement le nouveau formulaire de choix pour 2015.

II. Les dispositions pertinentes de la LTA

[19] Les paragraphes pertinents de l’article 156 de la LTA, lesquels précisent l’effet du choix et l’obligation de produire le nouveau formulaire de choix, sont les paragraphes (2) et (4) :

156 (2) Pour l’application de la présente partie, si une personne qui est un membre déterminé d’un groupe admissible produit après 2014 un choix qu’elle a fait conjointement avec un autre membre déterminé du groupe, toute fourniture taxable effectuée entre eux à un moment où le choix est en vigueur est réputée être effectuée sans contrepartie.

156 (2) For the purposes of this Part, if at any time after 2014 a person that is a specified member of a qualifying group files an election made jointly by the person and another specified member of the group, every taxable supply made between the person and the other specified member at a time when the election is in effect is deemed to have been made for no consideration.

[...]

...

156 (4) Le choix conjoint fait par un membre déterminé donné d’un groupe admissible et un autre membre déterminé du groupe et la révocation du choix par ceux-ci :

156 (4) An election under subsection (2) made jointly by a particular specified member of a qualifying group and another specified member of the group and a revocation of the election by those specified members shall

a) d’une part, sont faits en la forme déterminée par le ministre, contiennent les renseignements requis par celui-ci et précisent la date de leur entrée en vigueur (appelée « date d’entrée en vigueur » au présent paragraphe);

(a) be made in prescribed form containing prescribed information and specify the day (in this subsection referred to as the “effective day”) on which the election or revocation is to become effective; and

b) d’autre part, sont présentés au ministre, selon les modalités qu’il détermine, au plus tard :

(b) be filed with the Minister in prescribed manner on or before

(i) à celle des dates ci-après qui est antérieure à l’autre :

(i) the particular day that is the earlier of

(A) la date où le membre déterminé donné est tenu, au plus tard, de produire une déclaration aux termes de la section V pour sa période de déclaration qui comprend la date d’entrée en vigueur,

(A) the day on or before which the particular specified member must file a return under Division V for the reporting period of the particular specified member that includes the effective day, and

(B) la date où l’autre membre déterminé est tenu, au plus tard, de produire une déclaration aux termes de la section V pour sa période de déclaration qui comprend la date d’entrée en vigueur,

(B) the day on or before which the other specified member must file a return under Division V for the reporting period of the other specified member that includes the effective day, or

(ii) à toute date postérieure que fixe le ministre.

(ii) any day after the particular day that the Minister may allow.

[20] Le paragraphe 156(2) de la LTA dispose que le choix à faire pour que les fournitures effectuées entre membres déterminés d’un groupe admissible (personnes morales ou sociétés de personnes étroitement liées – paragraphe 156(1) de la LTA) soient considérées comme étant des fournitures sans contrepartie doit, après 2014, être produit pour avoir un effet. Le sous-alinéa 156(4)b)(ii) de la LTA permet au ministre d’accepter un choix qui n’est pas produit dans le délai prévu au sous-alinéa 156(4)b)(i) de la LTA.

III. La décision du ministre

[21] Dans la décision du 11 septembre 2018, le ministre a fait référence à une réunion tenue le 9 août 2018 au cours de laquelle Denso Manufacturing a confirmé sa thèse :

  • C’est en février 2016 que l’ARC a informé Denso Manufacturing de son obligation de produire le nouveau formulaire de choix, au cours de l’examen des déclarations qu’elle avait produites pour novembre et décembre 2015;

  • Après l’examen de ces déclarations, l’important crédit de taxe sur les intrants est demeuré inchangé;

  • Après avoir été informée par l’ARC de son obligation de produire le nouveau formulaire de choix, Denso Manufacturing a demandé conseil à ses fiscalistes-conseils, qui lui ont recommandé de produire le nouveau formulaire de choix avant la fin du mois de février 2016;

  • Le manuel de la vérification et de l’examen de la TPS‐TVH de l’ARC de janvier 2016 prévoit, en ce qui concerne les choix, que le processus normal de cotisation consécutive à une vérification devrait être suivi uniquement s’il y a perte de revenus;

  • Une circonstance atténuante était la préparation de sa divulgation volontaire à l’ASFC;

  • La cotisation serait disproportionnée et injuste, surtout au vu des circonstances.

[22] Après avoir résumé les observations de Denso Manufacturing, le ministre a noté qu’il n’y avait pas de circonstances atténuantes en l’espèce qui auraient empêché la personne morale de produire le nouveau formulaire de choix comme l’exige l’article 156 de la LTA. Le ministre a également indiqué que les explications ne démontraient pas que le manquement de Denso Manufacturing à se conformer à la LTA et à ses dispositions relatives au choix n’était pas dû à la négligence ou à l’imprudence. Le ministre a également noté que la décision de refuser la demande d’autorisation de dépôt tardif était conforme à l’approche adoptée par d’autres bureaux d’impôt.

[23] En particulier, le ministre a indiqué que la décision était fondée sur les éléments suivants :

  • Lorsque l’agent de l’ARC a informé Denso Manufacturing qu’elle devait produire un nouveau formulaire de choix et lorsque Denso Manufacturing a communiqué avec sa fiscaliste-conseil au sujet de cette exigence, la date limite pour le faire était déjà passée;

  • L’agent de l’ARC, qui a examiné les déclarations de TPS/TVH en janvier 2016 pour déterminer l’exactitude du montant des crédits de taxe sur les intrants demandé, n’a procédé qu’à un examen limité;

  • Le manuel de vérification auquel Denso Manufacturing s’est reportée ne s’applique généralement qu’aux vérifications de petite et moyenne envergure;

  • L’obligation de produire le nouveau formulaire de choix a fait l’objet de diverses publications de l’ARC en mai 2014, janvier 2015, avril 2015 et décembre 2015;

  • Rien n’empêchait Denso Manufacturing de présenter son choix avant l’automne 2015;

  • La préparation d’une divulgation volontaire pour l’ASFC ne constituait pas une circonstance extraordinaire;

  • Il est impératif que la loi soit appliquée uniformément à tous les inscrits et, il serait injuste envers les inscrits qui ont produit le nouveau formulaire de choix de permettre aux appelantes, sans circonstances extraordinaires valables, de produire le nouveau formulaire de choix après le délai.

[24] Par conséquent, la demande de Denso Manufacturing de produire tardivement le nouveau formulaire de choix pour 2015 a été rejetée.

IV. La demande de contrôle judiciaire

[25] Denso Manufacturing a demandé le contrôle judiciaire de cette décision. Denso Manufacturing a soutenu que le processus devant le ministre n’était pas équitable sur le plan procédural, car le ministre avait omis de divulguer un courriel dans lequel un conseiller principal en programmes de l’ARC avait recommandé à l’ARC de ne pas procéder à l’établissement proposé de la cotisation à l’égard de Denso Manufacturing. Elle a également soutenu que la décision du ministre n’était pas raisonnable.

[26] La Cour fédérale a déterminé que la norme de contrôle s’appliquant aux questions d’équité procédurale était la norme de la décision correcte et que celle s’appliquant à la décision du ministre de ne pas accepter la demande d’autorisation de dépôt tardif du nouveau formulaire de choix était la norme de la décision raisonnable.

[27] La Cour fédérale a conclu que le processus était équitable sur le plan procédural. Il n’y avait aucune obligation de divulguer l’opinion du conseiller principal en programmes. Cette personne n’était pas le décideur final et elle a changé d’avis après avoir pris connaissance de tous les faits. Denso Manufacturing disposait de suffisamment de renseignements pour connaître les réserves du ministre et a eu amplement l’occasion d’y répondre.

[28] La Cour fédérale a également conclu que la décision du ministre était raisonnable. Bien que Denso Manufacturing ait fait valoir que la date d’entrée en vigueur du 1er janvier 2016 ait été inscrite par erreur dans le nouveau formulaire de choix déposé le 20 février 2016, la Cour fédérale a estimé que rien ne permettait d’étayer cette thèse. Au contraire, Denso Manufacturing n’était pas au courant de la modification législative qui a entraîné l’obligation de produire un nouveau formulaire de choix. Le fait pour Denso Manufacturing de ne pas avoir déposé le nouveau formulaire de choix dans les délais parce qu’elle ne connaissait pas cette exigence ne rendait pas déraisonnable la décision de refuser d’accorder la prorogation de délai. La Cour fédérale a également noté que le ministre, dans la décision en question, a renvoyé à des publications de l’ARC qui portaient sur l’obligation de produire le nouveau formulaire de choix.

[29] En conséquence, la demande de contrôle judiciaire a été rejetée.

V. Les questions en litige et les normes de contrôle

[30] Le présent appel vise une décision de la Cour fédérale sur une demande de contrôle judiciaire. La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Office régional de la santé du Nord c. Horrocks, 2021 CSC 42, au para. 10, a renvoyé à son arrêt antérieur Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36. Selon l’arrêt Agraira, l’approche que doit adopter la cour d’appel qui se penche sur un appel interjeté à l’encontre d’une décision d’un tribunal d’instance inférieure portant sur une demande de contrôle judiciaire est de se mettre à la place du tribunal d’instance inférieure. Après avoir renvoyé au passage de l’arrêt Agraira qui décrit cette approche, la Cour suprême, dans l’arrêt Horrocks, a noté ce qui suit :

Cette approche n’accorde aucune déférence à l’application de la norme de contrôle par le juge de révision. La cour d’appel procède plutôt à un examen de novo de la décision administrative (D. J. M. Brown, assisté de D. Fairlie, Civil Appeals (feuilles mobiles), §14:45).

[31] Les questions en litige énumérées par les appelantes au paragraphe 37 de leurs mémoires des faits et du droit (lesquelles questions sont identiques dans les deux mémoires, car Denso Sales a adopté les observations de Denso Manufacturing) concernant la décision de la Cour fédérale sont les suivantes :

[traduction]

a) Le tribunal d’instance inférieure a commis des erreurs manifestes et dominantes en ce qui concerne certaines conclusions de fait, plus précisément celles figurant aux paragraphes 38 et 40 de la décision de la Cour fédérale;

b) Le tribunal d’instance inférieure a commis une erreur en concluant que l’appelante avait fait preuve de négligence ou d’imprudence;

c) Le tribunal d’instance inférieure a commis une erreur de droit en s’égarant du fait qu’il a appliqué un principe utilisé habituellement en droit pénal, à savoir que l’ignorance de la loi n’est pas une excuse, lequel ne s’applique aucunement dans une affaire portant sur le dépôt d’un formulaire sous le régime de la LTA;

d) Le tribunal d’instance inférieure a commis une erreur en concluant que le processus suivi par l’intimé était équitable sur le plan procédural.

[32] Au paragraphe 38 de leurs mémoires, les appelantes ont soutenu ce qui suit :

[traduction]

En outre, la décision est déraisonnable, car elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables.

[33] L’approche que notre Cour doit adopter dans les présents appels, comme l’a noté la Cour suprême dans l’arrêt Horrocks, est de procéder à un examen de novo de la décision administrative, sans faire preuve de retenue à l’égard de la Cour fédérale et de son application de la norme de contrôle. Par conséquent, les questions soulevées aux alinéas 37a) et c) des mémoires des appelantes concernant la décision de la Cour fédérale ne sont pas pertinentes en l’espèce.

[34] La question où il est allégué que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que les appelantes ont fait preuve de négligence ou d’imprudence sera examinée comme une allégation selon laquelle le ministre a commis une erreur en concluant que les appelantes n’avaient pas établi qu’elles n’avaient pas fait preuve de négligence ou d’imprudence.

[35] Il n’est pas clair si l’examen de novo de la décision administrative implique un examen de novo de la question de l’équité procédurale. Notre Cour, dans l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, a formulé les observations suivantes :

[54] La cour qui apprécie un argument relatif à l’équité procédurale doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances, y compris à l’égard des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker. Une cour de révision fait ce que les cours de révision ont fait depuis l’arrêt Nicholson; elle demande, en mettant nettement l’accent sur la nature des droits substantiels concernés et les conséquences pour la personne, si un processus juste et équitable a été suivi. Je souscris à l’observation du juge Caldwell dans Eagle’s Nest (para. 21) selon laquelle, même s’il y a une certaine maladresse dans l’utilisation de la terminologie, cet exercice de révision est [traduction] « particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte », même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée.

[55] Tenter de caser la question de l’équité procédurale dans une analyse relative à la norme de contrôle applicable est aussi, en fin de compte, un exercice non rentable. L’examen portant sur la procédure et l’examen portant sur le fond visent différents objectifs en droit administratif. Bien qu’il y ait un chevauchement, le premier porte sur la nature des droits concernés et les conséquences pour les parties touchées, alors que le dernier porte sur la relation entre la cour et le décideur administratif. En outre, certaines questions de procédure ne se prêtent pas du tout à une analyse relative à la norme de contrôle applicable, par exemple lorsque la partialité est alléguée. Comme le démontre l’arrêt Suresh, la distinction entre l’examen portant sur le fond, l’examen portant sur la procédure et la capacité d’un tribunal à accorder des mesures de redressement adaptées à chacun est un outil utile dans la boîte à outils judiciaire et, à mon avis, il n’y a aucune raison convaincante pour laquelle elle devrait être abandonnée.

[56] Peu importe la déférence qui est accordée aux tribunaux administratifs en ce qui concerne l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire de faire des choix de procédure, la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre. Cela pourrait s’avérer problématique si une décision a priori sur la question de savoir si la norme de contrôle applicable est la norme de la décision correcte ou la norme de la décision raisonnable donnait une réponse différente à ce qui est une question singulière fondamentale à la notion de justice – a-t-on accordé à la partie le droit d’être entendue et la possibilité de connaître la preuve qu’elle doit réfuter? L’équité procédurale n’est pas sacrifiée sur l’autel de la déférence.

[36] Puisque la question de l’équité procédurale est de savoir si la procédure était équitable, il n’est pas nécessaire que notre Cour procède à un examen de novo de la question de l’équité procédurale ou qu’elle examine la décision de la Cour fédérale sur la question de l’équité procédurale. Dans un cas comme dans l’autre, aucune déférence ne serait accordée à la décision de la Cour fédérale sur la question de l’équité procédurale.

[37] En ce qui concerne la décision du ministre de rejeter la demande de production tardive du nouveau formulaire de choix, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65) (arrêt Vavilov). Les présents appels porteront sur la décision du ministre, et non sur la décision de la Cour fédérale, conformément à l’approche énoncée par la Cour suprême dans l’arrêt Horrocks, selon laquelle notre Cour doit procéder à un examen de novo de la décision administrative.

[38] Par conséquent, les questions à trancher dans les présents appels sont les suivantes :

  • a) Le ministre a-t-il manqué à l’équité procédurale :

  • (i) en ne divulguant pas un document dans lequel un conseiller principal en programmes indiquait qu’il ne procéderait pas à l’établissement proposé de la nouvelle cotisation à l’égard de Denso Manufacturing;

  • (ii) en ne divulguant pas les documents préparés par 15 personnes différentes (dont le conseiller principal en programmes mentionné ci-dessus) ayant joué un rôle dans la demande présentée par les appelantes;

  • b) La décision du ministre était-elle déraisonnable du fait que :

  • (i) le ministre a examiné s’il y avait des circonstances atténuantes ou extraordinaires;

  • (ii) le ministre a conclu qu’il n’y avait aucune circonstance atténuante ou extraordinaire;

  • (iii) le ministre a conclu que les appelantes n’avaient pas établi qu’elles n’avaient pas fait preuve de négligence ou d’imprudence.

VI. Analyse

[39] La décision administrative qui fait l’objet des présents appels est la décision du ministre de rejeter la demande des appelantes de produire tardivement le nouveau formulaire de choix, avec une date d’entrée en vigueur du 1er janvier 2015, au titre du paragraphe 156(4) de la LTA. Le résultat de cette décision est que Denso Manufacturing aurait dû percevoir la TPS sur toutes les ventes effectuées à Denso Sales en 2015. Bien que Denso Sales ait droit à un crédit de taxe sur les intrants correspondant à l’égard des biens et des services acquis dans le cadre d’une activité commerciale, Denso Manufacturing devra quand même payer des intérêts sur la TPS nette non versée. Les intérêts sur cette somme, comme l’a noté le ministre dans la décision, ont été réduits à 4 %.

A. Équité procédurale – Non-divulgation de l’avis du conseiller principal en programmes

[40] Comme l’ont observé les juges majoritaires de la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov, au paragraphe 77, « [l]’obligation d’équité procédurale en droit administratif est “éminemment variable”, intrinsèquement souple et tributaire du contexte ». La majorité de la Cour suprême a ensuite énoncé cinq facteurs qui avaient déjà été établis par la Cour suprême dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 (Baker) :

1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir;

2) la nature du régime législatif;

3) l’importance de la décision pour l’individu ou les individus visés;

4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision;

5) les choix de procédure faits par le décideur administratif lui‐même.

[41] Dans l’arrêt Baker, après avoir fait référence à ces facteurs, la Cour suprême a noté ce qui suit :

28 Je dois mentionner que cette liste de facteurs n’est pas exhaustive. Tous ces principes aident le tribunal à déterminer si les procédures suivies respectent l’obligation d’équité. D’autres facteurs peuvent également être importants, notamment dans l’examen des aspects de l’obligation d’agir équitablement non reliés aux droits de participation. Les valeurs qui sous‐tendent l’obligation d’équité procédurale relèvent du principe selon lequel les personnes visées doivent avoir la possibilité de présenter entièrement et équitablement leur position, et ont droit à ce que les décisions touchant leurs droits, intérêts ou privilèges soient prises à la suite d’un processus équitable, impartial et ouvert, adapté au contexte légal, institutionnel et social de la décision.

[42] Dans le présent appel, la question de l’équité procédurale se pose par rapport à l’obligation du ministre (si elle existe) de divulguer, avant de rendre sa décision d’accepter ou non le dépôt tardif du nouveau formulaire de choix, divers documents créés par des personnes de l’ARC. Étant donné que les appelantes demandaient au ministre d’exercer en leur faveur le pouvoir discrétionnaire que lui confère la LTA pour accepter le nouveau formulaire de choix après la date à laquelle il devait être déposé, toute obligation d’équité procédurale liée à la divulgation de documents par le ministre se situerait à l’extrémité inférieure de l’échelle.

[43] Les appelantes soutiennent qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale parce que le ministre n’a pas divulgué un document dans lequel un conseiller principal en programmes de l’ARC recommandait que Denso Manufacturing ne fasse pas l’objet d’une cotisation pour la TPS non versée pour 2015 en raison des ventes entre personnes morales étroitement liées. Le conseiller principal en programmes n’était pas la personne responsable de la décision de rejeter la demande de dépôt tardif du nouveau formulaire de choix.

[44] Dans l’arrêt Canadien Pacifique, au paragraphe 56, notre Cour a conclu que « la question fondamentale [en matière d’équité procédurale] demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre ». Les appelantes n’ont pas établi en quoi la preuve que les appelantes ont dû réfuter serait différente si le ministre avait divulgué l’avis du conseiller principal en programmes.

[45] Lorsque Denso Manufacturing a demandé dans sa lettre du 7 novembre 2017 que l’ARC accepte la production tardive du nouveau formulaire de choix en vertu du paragraphe 156(4) de la LTA, elle a fait référence à l’énoncé de politique sur la TPS/TVH P-255 « Production tardive d’un choix ou de la révocation d’un choix prévu à l’article 156 ». Dans cet énoncé de politique, l’ARC indiquait que les demandes seraient examinées au cas par cas et, au paragraphe 2, que la « demande écrite doit fournir une explication claire de la raison pour laquelle les membres déterminés ont produit en retard un choix ou une révocation ». Le paragraphe 7 de cet énoncé de politique est rédigé ainsi :

Les parties au choix ou à la révocation produit en retard ne doivent pas avoir fait preuve de négligence ou d’imprudence par rapport aux dispositions de l’article 156.

[46] Par conséquent, lorsque les appelantes ont demandé au ministre d’accepter que leur nouveau formulaire de choix soit déposé tardivement, elles savaient qu’elles devaient fournir une explication quant à la raison pour laquelle elles déposaient ce formulaire tardivement. Elles savaient également que la demande serait acceptée en règle générale si leur explication démontrait qu’elles n’avaient pas fait preuve de négligence ou d’imprudence par rapport aux dispositions de la LTA.

[47] L’explication des appelantes quant à la raison de leur retard était fondée sur des faits dont elles avaient connaissance. Rien ne permet de penser que cette explication aurait été différente si elles avaient su que le conseiller principal en programmes s’était dit d’avis que leur demande devait être acceptée. Il convient également de noter que l’avis exprimé par le conseiller principal en programmes (qui n’était pas la personne chargée de prendre la décision finale) a été donné après que les appelantes ont demandé au ministre d’accepter le dépôt tardif du nouveau formulaire de choix. Bien que cela n’ait pas d’incidence sur la réponse à la question de savoir si le fait de ne pas avoir divulgué l’avis constituait un manquement à l’équité procédurale, il convient également de noter que le conseiller principal en programmes a changé d’avis après que des faits supplémentaires lui ont été révélés.

[48] Il est loin d’être clair en quoi ou pourquoi les appelantes auraient par la suite modifié leurs observations si elles avaient appris qu’une personne au sein de l’ARC était d’accord avec elles. Il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale du fait que le ministre n’a pas divulgué l’avis du conseiller principal en programmes avant de rendre sa décision de rejeter la demande des appelantes sollicitant l’autorisation de déposer tardivement le nouveau formulaire de choix.

B. Équité procédurale – Non-divulgation des documents produits par 15 personnes différentes

[49] Dans leurs observations relatives à l’équité procédurale, les appelantes soutiennent également que le ministre n’a pas fourni tous les renseignements requis au titre de l’article 317 des Règles des Cours fédérales, D.O.R.S./98-106. Elles soutiennent que les documents provenant des dossiers de 15 personnes différentes (dont le conseiller principal en programmes mentionné ci-dessus) qui ont joué un rôle dans le dossier n’ont pas été divulgués, mais auraient dû l’être.

[50] Toutefois, l’obligation de divulgation prévue à l’article 317 des Règles ne joue qu’après le dépôt d’une demande de contrôle judiciaire. Si les appelantes voulaient saisir le tribunal de la question de savoir si des documents supplémentaires auraient dû être divulgués au titre de l’article 317 des Règles, la procédure qu’elles auraient dû suivre aurait été de présenter une requête à la Cour fédérale sollicitant la divulgation de documents supplémentaires.

[51] La question de l’équité procédurale concernant la décision du ministre en l’espèce est de savoir si, pendant que le ministre examinait la demande des appelantes sollicitant l’autorisation de déposer tardivement le nouveau formulaire de choix et avant que la décision ne soit rendue, le ministre avait l’obligation de divulguer tous les documents créés par les 15 personnes différentes qui ont pu jouer un rôle dans le dossier.

[52] À mon avis, le ministre n’avait pas de tel devoir ou de telle obligation. Dans l’arrêt May c. Établissement Ferndale, 2005 CSC 82, les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada ont fait observer ce qui suit :

92 Par ailleurs, l’obligation d’équité procédurale exige généralement, en matière administrative, que le décideur communique les renseignements sur lesquels il se fonde. Elle exige que l’administré connaisse les faits qu’on entend lui opposer. Si le décideur ne lui fournit pas l’information suffisante, sa décision est frappée de nullité pour défaut de compétence. [...]

[53] En l’espèce, les appelantes ont demandé au ministre d’accepter le dépôt tardif d’un nouveau formulaire de choix. Les renseignements à l’appui de cette demande ont été fournis par les appelantes. Rien n’indique que le ministre se soit fondé sur des renseignements autres que ceux fournis par les appelantes. Le ministre n’avait pas l’obligation de divulguer aux appelantes chaque document créé par quiconque aurait pu jouer un rôle dans cette demande au nom du ministre.

[54] Rien ne permet de conclure que les appelantes (qui étaient les parties qui demandaient au ministre d’accepter le dépôt tardif du nouveau formulaire de choix et qui, par conséquent, étaient les parties qui devaient établir les faits nécessaires à l’appui de cette demande) ne connaissaient pas les faits qu’on entendait leur opposer ou n’ont pas eu la possibilité de présenter leurs observations pleinement et équitablement. Les appelantes ont eu amplement l’occasion de défendre leur thèse au moyen d’observations écrites et de réunions avec l’ARC. Par conséquent, il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale.

C. Caractère raisonnable de la décision – Renvoi à l’absence de circonstances atténuantes

[55] En ce qui concerne le caractère raisonnable de la décision du ministre, les appelantes soutiennent que cette décision était fondée sur l’absence de circonstances atténuantes et qu’il n’est pas question de circonstances atténuantes dans l’énoncé de politique P‐255. Bien que les appelantes aient raison de dire que le seul facteur mentionné dans l’énoncé de politique P‐255 est celui consistant à savoir si les parties ont fait preuve de négligence ou d’imprudence et qu’il n’y soit fait aucune mention de circonstances atténuantes ou extraordinaires, cette observation ne leur est d’aucun secours.

[56] La conclusion du ministre au troisième paragraphe des motifs était qu’il n’y avait pas de circonstances atténuantes. Plus loin dans sa lettre, le ministre renvoie à l’absence de circonstances extraordinaires. Étant donné qu’il n’y avait pas de circonstances atténuantes ou extraordinaires, l’issue en l’espèce est la même que si le ministre n’avait pas tenu compte de ce facteur. Dans les deux cas (conclure qu’il n’y avait pas de circonstances atténuantes ou extraordinaires ou ne pas examiner s’il y avait des circonstances atténuantes ou extraordinaires), l’issue serait la même – à moins que les appelantes ne puissent établir qu’elles n’ont pas fait preuve de négligence ou d’imprudence, leur demande ne serait pas accueillie. Par conséquent, même si le ministre a examiné s’il y avait des circonstances atténuantes ou extraordinaires, cette considération n’a pas eu d’incidence sur l’issue.

[57] Toutefois, étant donné que le ministre a examiné s’il existait des circonstances atténuantes ou extraordinaires, il s’ensuit simplement que le ministre aurait pu être disposé à accueillir la demande de prorogation de délai s’il y avait eu de telles circonstances atténuantes ou extraordinaires. Ainsi, il aurait pu y avoir un fondement supplémentaire sur lequel le dépôt tardif du nouveau formulaire de choix aurait pu être accepté, c’est-à-dire que, si les appelantes avaient pu établir qu’il y avait des circonstances atténuantes ou extraordinaires, elles auraient pu avoir gain de cause. La prise en considération par le ministre d’un facteur supplémentaire, qui aurait pu permettre aux appelantes d’obtenir gain de cause si elles avaient pu établir l’existence de circonstances atténuantes ou extraordinaires, ne rend pas déraisonnable la décision de rejeter la demande de dépôt tardif.

D. Caractère raisonnable de la décision – Circonstances atténuantes établies par les appelantes

[58] Les appelantes font également valoir que la conclusion du ministre selon laquelle il n’y avait pas de circonstances atténuantes n’était pas raisonnable. Elles soutiennent qu’il y avait des circonstances atténuantes – la divulgation volontaire que Denso Manufacturing préparait à la fin de 2015 et l’achèvement de l’examen par l’ARC au début de 2016 des déclarations produites par Denso Manufacturing.

[59] Rien n’indique que la décision du ministre (selon laquelle la participation de Denso Manufacturing à la préparation de la divulgation volontaire à la fin de 2015 ne constituait pas une circonstance atténuante) n’était pas raisonnable. Comme l’a fait observer le ministre, rien n’empêchait Denso Manufacturing de déposer le choix fait conjointement avec Denso Sales à tout moment avant l’automne 2015. Le formulaire lui-même ne compte qu’une seule page. Les renseignements exigés dans le formulaire sont les suivants :

  • les noms et numéros d’entreprise des deux personnes morales;

  • cocher une case pour indiquer qu’elles sont des membres admissibles;

  • la période de déclaration qui comprend la date d’entrée en vigueur du choix;

  • le nom et les coordonnées de la personne qui remplit le formulaire.

Rien n’indique que les renseignements exigés dans ce formulaire seraient difficiles à fournir ou nécessiteraient beaucoup de temps de la part des appelantes.

[60] De plus, le ministre a noté que plusieurs publications de l’ARC informaient le public des changements apportés aux exigences relatives au choix pour les ventes entre personnes morales étroitement liées. L’une de ces publications s’intitule « Nouvelles sur l’accise et la TPS/TVH – No 94 », datée de janvier 2015. Les appelantes disent de ce document qu’il compte [traduction] « 3 000 mots de texte couvrant neuf sujets » et que [traduction] « les propres publications de l’intimé sur cette question étaient loin d’être claires ».

[61] Toutefois, la publication « Nouvelles sur l’accise et la TPS/TVH – No 94 » comprend la section suivante, y compris le titre en caractères gras :

Formulaire RC4616 – Choix visant les fournitures sans contrepartie aux termes de l’article 156 de la Loi sur la taxe d’accise

Le choix prévu à l’article 156 permet aux personnes morales résidant au Canada et aux sociétés de personnes canadiennes qui sont des inscrits exerçant exclusivement des activités commerciales et qui sont membres du même groupe admissible de faire le choix conjoint de considérer des fournitures taxables (sauf quelques exceptions) effectuées entre elles comme ayant été effectuées sans contrepartie.

À compter du 1er janvier 2015, un choix (ou la révocation d’un choix) doit être fait conjointement par un membre déterminé donné d’un groupe admissible et un autre membre déterminé du groupe, lesquels doivent remplir et produire le formulaire RC4616, Choix ou révocation du choix visant les personnes morales et/ou sociétés de personnes canadiennes étroitement liées pour considérer certaines fournitures taxables comme ayant été effectuées sans contrepartie aux fins de la TPS/TVH, qui remplace le formulaire GST25. Ce dernier n’avait pas à être produit auprès de l’ARC.

Le formulaire RC4616 sera disponible sur le site Web de l’ARC en janvier 2015. Les parties à un nouveau choix doivent remplir le formulaire RC4616 et le produire au plus tard le premier jour où l’une des parties au choix est tenue de produire une déclaration de TPS/TVH pour la période de déclaration comprenant la date d’entrée en vigueur du choix qui est précisée dans le formulaire.

Les parties à un choix existant qui est entré en vigueur avant le 1er janvier 2015 et qui est toujours en vigueur à cette date devront aussi remplir le formulaire RC4616 et le produire auprès de l’ARC après 2014 et avant le 1er janvier 2016. Dans ce cas, le choix initial ne change pas et, par conséquent, la date d’entrée en vigueur mentionnée dans le formulaire devrait correspondre à la date d’entrée en vigueur du choix.

[62] Cette section est clairement indiquée et énonce en termes simples l’obligation pour les parties étroitement liées existantes de produire le nouveau formulaire de choix avant le 1er janvier 2016 :

Les parties à un choix existant qui est entré en vigueur avant le 1er janvier 2015 et qui est toujours en vigueur à cette date devront aussi remplir le formulaire RC4616 et le produire auprès de l’ARC après 2014 et avant le 1er janvier 2016. [...]

[63] Rien ne permet de conclure que la conclusion du ministre selon laquelle les appelantes auraient pu déposer le nouveau formulaire de choix plus tôt en 2015 est déraisonnable.

[64] L’observation des appelantes selon laquelle le fait que l’ARC ait terminé, au début de 2016, son examen des déclarations produites par Denso Manufacturing (ce qui comprendrait l’avis envoyé par l’ARC à Denso Manufacturing l’informant de l’obligation de produire un nouveau formulaire de choix) constitue une circonstance atténuante est dénuée de fondement. L’ARC a effectué cet examen et envoyé à Denso Manufacturing l’avis l’informant de son obligation de produire un nouveau formulaire de choix après la date limite pour la production de ce nouveau formulaire de choix.

[65] Les appelantes soutiennent que, lorsque l’ARC a examiné, au début de l’année 2016, la demande de remboursement de Denso Manufacturing pour 2015, elle aurait dû tenir compte du fait qu’un choix valable avait été effectué entre Denso Manufacturing et Denso Sales. Sinon, soit il n’y aurait pas eu de remboursement, soit celui-ci aurait été considérablement réduit. Toutefois, la nature de l’examen limité effectué par l’ARC à ce moment-là ainsi que la proximité de l’expiration du délai pour la production du nouveau formulaire de choix font qu’il n’est pas possible de tirer les conclusions auxquelles les appelantes tentent d’arriver. Si les appelantes avaient correctement présenté la demande de dépôt tardif d’un nouveau formulaire de choix (avec une date d’entrée en vigueur du 1er janvier 2015) en février 2016, au lieu de simplement présenter un nouveau formulaire de choix avec une date d’entrée en vigueur du 1er janvier 2016 sans indiquer qu’ils cherchaient à déposer tardivement le nouveau formulaire de choix, le résultat aurait pu être différent.

[66] Dans leurs observations, les appelantes font référence à la [traduction] « préservation » du choix fait dans l’ancien formulaire GST25. Toutefois, la question ne porte pas sur la [traduction] « préservation » du choix fait dans l’ancien formulaire GST25, mais consiste plutôt à savoir si la décision du ministre de ne pas accepter le nouveau formulaire de choix déposé tardivement est déraisonnable. L’exigence légale est de déposer le nouveau formulaire de choix, et non de simplement [traduction] « préserver » le choix fait dans un ancien formulaire de choix qui n’a pas été déposé auprès du ministre.

E. Caractère raisonnable de la décision – Conclusion selon laquelle les appelantes n’avaient pas établi qu’elles n’avaient pas fait preuve de négligence ou d’imprudence

[67] Chaque appelante, au paragraphe 82 de son mémoire, soutient que les faits suivants établissent qu’elle a fait preuve de diligence raisonnable pour s’acquitter de son obligation de se conformer à la loi :

[traduction]

a. L’appelante a employé du personnel qualifié dans le domaine de la comptabilité, du droit et de la fiscalité pour l’aider à se conformer à ses obligations;

b. L’appelante a tenu des livres et des registres adéquats et a produit divers rapports financiers à partir de ces registres;

c. L’appelante s’est raisonnablement appuyée sur les conseils de ses conseillers professionnels en ce qui concerne ses obligations au titre de la LTA;

d. L’appelante avait établi un choix antérieur (inscrit dans le formulaire GST25) en date du 1er avril 2007, soit quelque huit ans avant l’examen fait par Mme Joseph [l’agente de la division de l’intégrité des remboursements de l’ARC qui a examiné la demande de crédits de taxe sur les intrants de Denso Manufacturing au début de 2016] et les exigences relatives à la production du formulaire RC4616 pour la préservation de ce choix;

e. Dès que l’erreur a été portée à son attention, l’appelante est allé chercher des conseils et de l’aide à propos du choix prévu à l’article 156;

f. Après avoir obtenu ces conseils et s’y être fiée de bonne foi, l’appelante a compris qu’un nouveau formulaire RC4616 n’était nécessaire que pour préserver le choix à l’égard des opérations ayant lieu à partir du 1er janvier 2016 et que l’ancien formulaire GST25 continuait de s’appliquer aux opérations de 2015;

g. L’appelante a produit tardivement le formulaire RC4616 dans les 11 jours suivant la réception de l’avis de Mme Joseph et dans les 53 jours suivant la date limite de dépôt du 1er janvier 2016 et n’a pas été informée à ce moment-là ni à tout autre moment avant septembre 2017 qu’elle avait une quelconque responsabilité découlant du dépôt tardif.

[68] En substance, les appelantes affirment qu’elles n’ont pas fait preuve de négligence ou d’imprudence parce qu’elles avaient déjà rempli le formulaire de choix approprié et qu’elles ont demandé conseil au début de 2016 (après l’expiration du délai pour le dépôt du nouveau formulaire de choix) concernant leurs obligations quant au dépôt d’un nouveau formulaire de choix. Bien que les appelantes renvoient au nouveau formulaire de choix qui a été déposé en février 2016, elles omettent de préciser que la date d’entrée en vigueur indiquée dans ce formulaire était le 1er janvier 2016. Dans le courriel envoyé par Denso Manufacturing le 4 décembre 2017, Denso Manufacturing a défendu sa décision d’avoir fixé la date d’entrée en vigueur au 1er janvier 2016 en expliquant qu’elle [traduction] « n’avait pas connaissance de la nouvelle réglementation fondée sur le formulaire RC4616 » et que l’avis de son fiscaliste-conseil de l’époque n’indiquait pas que la date d’entrée en vigueur devait être en 2015.

[69] L’obligation de produire le nouveau formulaire de choix après 2014 est clairement énoncée au paragraphe 156(2) de la LTA et a figuré dans diverses publications de l’ARC, notamment celle s’intitulant « Nouvelles sur l’accise et la TPS/TVH – No 94 », datée de janvier 2015. Les conseils que les appelantes ont reçus du cabinet Ryan Tax Consultants au début de 2016 indiquaient que, selon l’article de doctrine sur la TPS, l’ancien formulaire GST25 devait être remplacé par le nouveau formulaire de choix avant la fin de 2015 pour demeurer valable.

[70] Rien ne permet de conclure que la conclusion du ministre selon laquelle les appelantes n’ont pas établi qu’elles n’avaient pas fait preuve de négligence ou d’imprudence est déraisonnable.

VII. Conclusion

[71] Par conséquent, il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale de la part du ministre en ce qui concerne la décision de rejeter la demande des appelantes sollicitant l’autorisation de produire tardivement le nouveau formulaire de choix au titre de l’article 156 de la LTA. De plus, les appelantes n’ont pas réussi à établir que la décision du ministre était déraisonnable. Je rejetterais donc les présents appels, avec un seul mémoire de dépens adjugé relativement à l’appel de Denso Manufacturing.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Anne L. Mactavish j.c.a. »

« Je suis d’accord.

René LeBlanc j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UN JUGEMENT RENDU PAR LA COUR FÉDÉRALE

DATÉ DU 10 MARS 2020, RÉFÉRENCE NO 2020 CF 360

DOSSIER :

A-99-20

 

INTITULÉ :

DENSO MANUFACTURING CANADA, INC. c. MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

ET DOSSIER :

A-100-20

 

INTITULÉ :

DENSO SALES CANADA, INC. c. MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 29 septembre 2021

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE MACTAVISH

LE JUGE LEBLANC

DATE DES MOTIFS :

Le 6 décembre 2021

COMPARUTIONS :

Timothy Fitzsimmons

Pour les appelantes

Craig Maw

Hasan Junaid

Pour l’intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

PwC Cabinet d’avocats S.E.N.C.R.L./s.r.l.

Toronto (Ontario)

Pour les appelantes

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Pour l’intimé

 

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