Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20220106


Dossier : A-443-19

Référence : 2022 CAF 4

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE WOODS

LA JUGE MONAGHAN

 

 

ENTRE :

 

 

JANET ZEPOTOCZNY BERGER

 

 

appelante

 

 

et

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

intimé

 

Audience tenue à Toronto (Ontario) le 4 novembre 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 6 janvier 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GAUTHIER

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE WOODS

LA JUGE MONAGHAN

 


Date : 20220106


Dossier : A-443-19

Référence : 2022 CAF 4

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE WOODS

LA JUGE MONAGHAN

 

 

ENTRE :

 

 

JANET ZEPOTOCZNY BERGER

 

 

appelante

 

 

et

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

intimé

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GAUTHIER

[1] Janet Zepotoczny Berger interjette appel d’une décision de la Cour fédérale (Berger c. Canada (Procureur général), 2019 CF 780) rejetant sa demande de contrôle judiciaire à l’égard d’une décision de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (la division d’appel). Dans cette décision, la division d’appel a refusé l’autorisation d’interjeter appel d’une décision de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale (la division générale), laquelle rejetait la demande de prestations d’invalidité présentée par l’appelante au titre du Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8 (le RPC).

[2] L’appelante est une infirmière autorisée. Elle a travaillé comme infirmière jusqu’en 1999, avant de subir plusieurs blessures dans un accident d’autobus urbain. Elle a éprouvé d’autres problèmes de santé par la suite, qui lui ont causé des limitations physiques. En juin 2014, elle a commencé à recevoir une pension de retraite du RPC.

[3] En 2005, l’appelante avait présenté une autre demande de prestations d’invalidité du RPC, sans succès. À la suite d’une demande de révision, cette décision a fait l’objet de deux appels infructueux et d’un contrôle judiciaire (Berger c. Canada (Procureur général), 2009 CF 37), lequel a confirmé la décision rendue en août 2007 par l’ancienne Commission d’appel des pensions.

[4] La demande visée dans le présent appel est celle que l’appelante a déposée en 2013. La demande a été rejetée et a fait l’objet d’un appel à la division générale, qui, après plusieurs conférences préparatoires, a rendu une décision interlocutoire le 1er juin 2017 (J. Z. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, GP-14-5029). Cette décision portait sur quatre questions découlant de diverses allégations ou observations faites par l’appelante à ce stade. Il était notamment question d’allégations de partialité, de conflit d’intérêts potentiel et d’intimidation de la part du décideur, d’allégations de manquement, par l’appelante, à l’alinéa 20(1)a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, DORS/2013-60 (ce qui, comme il est indiqué au paragraphe 48 de la décision interlocutoire, a eu des répercussions sur le droit de l’appelante de soulever des questions constitutionnelles au cours de l’audience sur le fond), d’allégations d’atteinte au droit à la vie privée de l’appelante et du refus de l’appelante d’être entendue par vidéoconférence. La division générale a également rappelé à l’appelante que la période en cause dans l’appel dont elle était saisie était celle du 21 mars 2007 au 31 mai 2014 (la « période visée ») (voir le paragraphe 58 de la décision interlocutoire de la division générale).

[5] L’appel a alors été entendu au fond par la division générale le 5 septembre 2017. Le 24 novembre 2017, la division générale a conclu dans une décision détaillée (J. Z. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2017 TSSDGSR 210) que l’appelante, en dépit de ses limitations physiques bien établies au cours de la période visée, a pu passer d’infirmière autorisée à assistante en anesthésie dentaire, un emploi à temps partiel. Il a été conclu qu’elle n’était pas visée par le terme « grave » au sens du paragraphe 42(2) du RPC parce qu’elle était régulièrement capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice pendant la période visée (ses revenus bruts annuels se situant entre 21 650 $ et 34 348 $).

[6] Dans sa décision datée du 28 mars 2018, la division d’appel a conclu que l’appelante, qui avait soulevé 16 questions devant elle, n’avait aucune chance raisonnable de succès à l’égard des moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, L.C. 2005, ch. 34. Elle a donc rejeté sa demande d’autorisation d’interjeter appel de la décision de la division générale.

[7] Les nombreuses questions soulevées devant la division d’appel sont exposées en détail au paragraphe 12 des motifs de la Cour fédérale dans ses motifs justifiant le rejet de la demande de contrôle judiciaire de l’appelante, et il n’est pas nécessaire que je les répète.

[8] Devant notre Cour, l’appelante a présenté une demande informelle en autorisation de déposer de nouveaux éléments de preuve (dans des lettres datées respectivement du 17 et du 28 octobre 2021). Cette demande a été rejetée. L’affaire doit donc être tranchée uniquement sur le fondement des documents inclus dans le dossier d’appel. Cela dit, j’ai bien examiné toutes les observations pouvant être étayées par les documents qui se trouvaient déjà dans le dossier d’appel pour m’assurer de bien comprendre tous les arguments avancés par l’appelante. J’ai également examiné les observations écrites supplémentaires que l’appelante a présentées à l’audience. Cela ne signifie pas pour autant que je les détaillerai toutes dans mes motifs, parce qu’il y en a trop (les mesures demandées dans l’avis d’appel et les observations formulées dans le mémoire des faits et du droit de l’appelante) qui n’ont rien à voir avec la question dont nous sommes dûment saisis dans le présent appel.

[9] Avant d’examiner les questions dont notre Cour est dûment saisie, je souhaite formuler certaines observations générales. À l’audience devant notre Cour, l’appelante a clairement indiqué qu’il s’agissait de [TRADUCTION] « l’aboutissement de 16 ans de lutte » pour obtenir les prestations d’invalidité auxquelles, affirme-t-elle, elle est censée avoir droit au titre du RPC. L’appelante s’oppose manifestement aux politiques et au système administratif en place. Elle soutient que la définition limitée de l’expression « invalidité grave et prolongée » du RPC n’est pas celle qu’elle et n’importe quel autre contribuable canadien ont en tête lorsqu’ils payent leurs cotisations au régime. Elle croit qu’elle a été victime d’abus, non seulement en raison du système et de tout le temps qui s’est écoulé, mais également en raison de litiges avec sa banque et le propriétaire de son logement, qui, selon elle, sont liés au fait qu’elle n’a pas reçu les prestations d’invalidité qu’elle demande depuis 2005. Selon elle, il y a également un lien entre le temps qu’il a fallu au système pour traiter sa demande et un litige qui l’a opposée à sa banque, des procédures qui se sont chevauchées pendant au moins trois ans. Elle croit qu’il doit y avoir une enquête sur ce lien pour déterminer si les décideurs administratifs tentaient de favoriser la banque. Pour savoir s’il s’agissait d’un problème de compréhension de la décision en cause, on a demandé à l’appelante d’expliquer pourquoi elle continuait de faire valoir des arguments que les décideurs précédents n’avaient pas retenus, y compris la Cour fédérale. Elle a répondu qu’elle espérait qu’à force de les répéter, un jour ces arguments seraient enfin compris et qu’elle obtiendrait les prestations auxquelles, selon elle, elle avait droit.

[10] L’appelante, qui n’est pas représentée par un avocat, a fait des études, mais n’a aucune formation juridique. Il ne fait aucun doute qu’elle croit fermement en sa position, malgré les diverses explications fournies dans les motifs des décideurs précédents. Toutefois, avec tout le respect qui lui est dû, après avoir examiné attentivement tout ce qu’elle a écrit et dit à notre Cour, il me semble que tous ses arguments ont bien été compris. Ils sont malheureusement dépourvus de fondement juridique. Cela ne veut pas dire que sa vie n’a pas changé et n’a pas été rendue plus difficile à cause de l’accident qu’elle a subi en 1999 et des autres problèmes médicaux qu’elle a éprouvés depuis, ou que ses litiges avec la banque et le propriétaire de son logement n’ont pas nui davantage à son bien-être physique et mental. Cela signifie seulement qu’elle ne peut pas recevoir de prestations d’invalidité au titre du RPC parce qu’elle ne satisfait pas aux exigences applicables à sa demande au titre de cette loi.

[11] Dans un contrôle judiciaire, ni la Cour fédérale ni notre Cour ne peuvent accorder à l’appelante les prestations qu’elle demande en raison du temps qui a été nécessaire pour le traitement de sa demande et l’aboutissement des divers recours connexes à sa disposition (révision, appels devant la division générale et la division d’appel et contrôle judiciaire). Cette mesure de réparation ne peut simplement pas être accordée. Notre Cour ne peut pas non plus examiner ni même commenter le bien-fondé d’une décision d’un tribunal ontarien portant sur le litige entre l’appelante et sa banque ou sur les procédures engagées devant la Commission de la location immobilière, qu’elle invoque l’erreur judiciaire ou non. Nous n’avons pas cette compétence.

[12] Nous ne pouvons pas non plus examiner la dernière demande de prestations d’invalidité de l’appelante, présentée en 2019, même si cette demande a été présentée avant la date de la décision de la Cour fédérale faisant l’objet du présent appel. Il nous est également impossible d’accorder des dommages-intérêts pour indemniser l’appelante des souffrances indues qu’elle aurait subies, de ses pertes immobilières ou de ses frais juridiques et de réinstallation, pour n’en nommer que quelques-uns, lesquels, selon elle, découlaient de tout ce qu’elle avait vécu depuis le début du litige avec sa banque.

I. Discussion

[13] Le rôle principal de notre Cour en l’espèce est de déterminer si la Cour fédérale a choisi la norme de contrôle appropriée et si elle l’a appliquée correctement aux questions dont elle était saisie (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559 [Agraira]). La norme de la décision raisonnable appliquée par la Cour fédérale n’est pas contestée. Toutefois, je crois qu’il conviendrait davantage d’appliquer la norme de la décision correcte aux questions de partialité et du principe de la chose jugée (en l’espèce, un manquement allégué aux principes de justice naturelle), dont la division d’appel était saisie. Mais, comme notre Cour doit essentiellement se mettre à la place du tribunal ayant effectué le contrôle, j’ai appliqué cette norme plus rigoureuse dans mon examen de la conclusion tirée par la division d’appel sur la partialité et le principe de la chose jugée. Je me penche donc d’abord sur la question de savoir si la décision de la division d’appel comporte une erreur susceptible de contrôle et si la Cour fédérale a commis une erreur en rejetant la demande de contrôle judiciaire.

[14] En outre, dans le présent appel, l’appelante a soulevé certaines questions relatives à une ordonnance de confidentialité rendue par la Cour fédérale, le 4 juin 2019. Elle demande également à notre Cour de rendre une autre ordonnance de confidentialité ainsi qu’une ordonnance enjoignant à la division générale de retirer de son site Web la décision qu’elle a rendue dans son dossier parce qu’elle devrait être confidentielle. L’appelante soutient que la publication en ligne de cette décision est un outrage au tribunal compte tenu de l’ordonnance de la Cour fédérale. J’examine ces questions supplémentaires sous une rubrique distincte, étant donné que l’approche exposée dans l’arrêt Agraira ne s’y applique pas.

A. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en rejetant la demande de contrôle judiciaire?

[15] Je n’ai pas l’intention d’écrire abondamment sur la question de savoir si la Cour fédérale a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas d’erreur susceptible de contrôle dans la décision de la division d’appel. Ayant examiné attentivement la décision de la division d’appel de même que celle de la division générale, je souscris en général aux motifs raisonnés de la Cour fédérale, et je conclus que, quelle que soit la norme de contrôle qu’on applique à la question de la partialité, il n’y a simplement aucune erreur susceptible de contrôle dans la décision de la division d’appel qui pourrait justifier notre intervention. Il en va de même pour toutes les autres conclusions de la division d’appel, que j’ai n’ai pas besoin d’examiner expressément en l’espèce.

[16] Tout comme la Cour fédérale, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de discuter les questions constitutionnelles énumérées dans l’avis d’appel. Comme je l’ai mentionné plus haut, l’appelante n’a pas dûment soulevé ces questions devant la division générale, malgré le fait qu’elle a été informée à plus d’une reprise de ce qu’elle devait faire à cet égard, bien avant que la décision interlocutoire ne soit rendue. Ces questions ne peuvent pas être soulevées devant nous maintenant.

[17] Je note que, dans son avis de demande devant la Cour fédérale, l’appelante n’a pas expressément soulevé de questions à l’égard de la conclusion de la division d’appel selon laquelle sa thèse quant au principe de la chose jugée n’avait aucune chance raisonnable de succès. Cet élément ainsi que l’absence d’observations écrites peuvent expliquer pourquoi la Cour fédérale n’a pas examiné cet argument, même si la division d’appel en a tenu compte dans ses motifs. Dans l’intérêt de l’appelante, il convient de répondre à la question précise qu’elle a soulevée devant nous. L’appelante soutient qu’elle ne savait pas, avant l’audience du 5 septembre 2017, que la période en cause devant la division générale était celle du 21 mars 2007 au 31 mai 2014. Comme je l’ai mentionné au paragraphe 4 ci-dessus et pendant l’audience devant notre Cour, la division générale l’a informée de ce fait dans sa décision interlocutoire rendue le 1er juin 2017 (voir le paragraphe 58 de la décision interlocutoire). L’appelante a donc eu la possibilité de préparer sa cause en conséquence pour l’audience du 5 septembre 2017. Si elle avait besoin de renseignements supplémentaires à cet égard, elle avait amplement le temps de les demander. Comme il ressort du résumé aux paragraphes 7 à 30 de la décision interlocutoire de la division générale, l’appelante savait exactement comment joindre le décideur responsable du dossier.

[18] Le principe de la chose jugée n’était pertinent que pour expliquer pourquoi l’appelante ne pouvait pas demander à la division générale de déterminer encore une fois si elle avait droit à des prestations d’invalidité pour toute période traitée dans les décisions définitives rendues à l’égard de sa demande de 2005. La division générale a correctement appliqué ce principe général aux faits de l’espèce et a dûment examiné si elle devait exercer son pouvoir discrétionnaire au motif de circonstances exceptionnelles. La division d’appel a eu raison d’affirmer que l’appel n’avait aucune chance raisonnable de succès à cet égard et la division générale n’avait aucunement l’obligation d’expliquer de son propre chef à l’appelante le détail de cette théorie avant l’audience.

[19] Enfin, l’appelante ne peut pas se fonder sur son allégation (elle a confirmé qu’aucun élément de preuve au dossier ne l’étayait) selon laquelle un fonctionnaire l’a informée de vive voix, lorsqu’elle a présenté sa demande en 2013, qu’elle pouvait avoir droit à des prestations d’invalidité rétroactivement depuis au moins 2012 (date qu’elle nous a demandé d’utiliser pour le calcul de ses prestations d’invalidité au titre du RPC, au paragraphe 23, à la page 16, de son mémoire des faits et du droit).

[20] J’ai n’ai que peu de choses à ajouter à l’exposé de la Cour fédérale sur les allégations de partialité ou de conflit d’intérêts soulevées à l’endroit des infirmières qui ont travaillé sur le dossier de l’appelante et du membre de la division générale qui a rendu la décision. La division d’appel s’est concentrée à juste titre sur le décideur lui-même et a conclu correctement qu’il n’y avait aucune chance raisonnable de succès à cet égard. Il n’y a rien dans le présent dossier qui permettrait à une personne bien renseignée de conclure raisonnablement que, selon toute vraisemblance, le décideur, consciemment ou non, ne rendrait pas une décision juste (Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c. Yukon (Procureure générale), 2015 CSC 25, [2015] 2 R.C.S. 282 au para. 20). Comme je l’ai mentionné plus haut, il n’a pas été contesté que l’appelante avait des déficiences physiques et que les infirmières, qui ne sont pas les décideurs, n’ont joué aucun rôle dans la décision sur la question de savoir si elle avait la capacité de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice sur le fondement des revenus qu’elle a touchés au cours de la période visée. Les allégations de l’appelante voulant qu’il existe une crainte raisonnable de partialité de la part du décideur parce qu’il était un ancien avocat et pouvait être ami avec les avocats qui représentaient sa banque ou qu’il aurait pu avoir collaboré de près ou de loin avec la banque relèvent de la pure conjecture. Relève également de la pure conjecture la thèse que l’appelante a soutenue devant notre Cour selon laquelle le chevauchement entre les procédures intentées contre sa banque et les appels portant sur sa demande de 2013 donne lieu à une crainte raisonnable de conflit d’intérêts ou de partialité. Elle fait valoir entre autres que le gouvernement et les fonctionnaires qui traitaient sa demande étaient au courant du litige qui l’opposait à la banque et qu’ils étaient susceptibles de favoriser les grandes banques (puisque c’est là où le gouvernement place son argent pour accumuler des intérêts).

[21] Sur la question fondamentale en l’espèce, à savoir si l’appelante satisfaisait aux exigences du RPC, la décision de la division d’appel est adéquatement justifiée et transparente et appartient aux issues possibles eu égard au dossier dont elle était saisie. Le raisonnement suivi par la division générale était également adéquatement justifié et transparent, et il n’y a aucune erreur qui justifierait l’intervention de notre Cour dans le présent appel. La jurisprudence étaye les conclusions tirées par la division d’appel et la division générale à cet égard.

[22] Le fait que le législateur ait défini l’expression « invalidité grave » au moyen de critères allant au-delà de la simple déficience physique et mentale est un choix administratif. Il est clair qu’aux termes du RPC, pour être grave, l’incapacité physique ou mentale d’une personne doit l’empêcher de gagner sa vie. Le critère d’évaluation est l’aptitude au travail (Granovsky c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 2000 CSC 28, [2000] 1 R.C.S. 703 au para. 28; Klabouch c. Canada (Développement social), 2008 CAF 33 au para. 14 [Klabouch]). La capacité de travailler et de gagner sa vie n’est pas examinée en fonction de ce que la personne aurait pu gagner n’eût été sa déficience physique ou mentale, et un emploi qui n’est pas à temps plein peut suffire pour qu’elle soit démontrée (voir, par exemple, Villani c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 248; Klabouch au para. 15; Ferreira c. Canada (Procureur général), 2013 CAF 81; Connolly c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 294).

[23] L’objectif initial des prestations d’invalidité au titre du RPC n’était que de garantir un niveau de revenu minimum aux personnes atteintes d’une incapacité physique ou mentale. Depuis l’entrée en vigueur de l’article 68.1 du Règlement sur le Régime de pensions du Canada, C.R.C., ch. 385, en 2014, le législateur a indiqué encore plus clairement que ce remplacement partiel du revenu, qui fait partie d’un régime général de soutien au revenu des personnes handicapées (Règlement modifiant le Règlement sur le Régime de pensions du Canada (Résumé de l’étude d’impact de la réglementation), Gazette du Canada, partie II, vol. 148, no 13 (29 mai 2014) à la p. 1655), est inférieur à ce qui, selon l’appelante, devrait être considéré comme une occupation véritablement rémunératrice. De plus, je suis d’accord avec la Cour fédérale et la division d’appel sur le fait que la baisse des revenus de l’appelante après 2014 n’est pas un facteur pertinent compte tenu du fait que la période en cause en l’espèce se termine juste avant que l’appelante commence à recevoir ses prestations de retraite au titre du RPC.

[24] J’ai mentionné plus haut que nous n’avons pas compétence pour accorder à l’appelante les prestations auxquelles elle croit avoir droit en raison du temps qui s’est écoulé avant que soit rendue la décision définitive à l’égard de sa demande de 2013. Néanmoins, je tiens à préciser que l’appelante semble croire à tort que les recours en cas d’abus, comme celui prévu à l’article 241 de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. (1985), ch. C-44, ou d’autres principes applicables en vertu d’autres lois (comme les lois sur l’indemnisation des accidents du travail), ou encore dans d’autres contextes (comme les demandes d’intérêts ou les accidents d’automobile), peuvent être élargis ou en quelque sorte appliqués à l’appui de sa demande. Selon l’appelante, si elle a été traitée injustement, elle devrait avoir droit à une indemnité, plus précisément le paiement des prestations auxquelles elle n’a par ailleurs pas droit en vertu du RPC. Ce n’est pas le cas. La Cour fédérale a exprimé de la compassion envers l’appelante, comme l’ont fait plusieurs décideurs précédents qui ont traité son dossier. Cela ne veut pas dire qu’elle a été traitée injustement par le système lui-même (par opposition aux nombreuses difficultés qu’elle a éprouvées dans la vie, comme son accident, ses diverses mésaventures ainsi que ses litiges avec des tiers). Cela ne signifie pas non plus que le temps qu’elle a mis pour faire son chemin dans le solide régime d’arbitrage offert à tous les Canadiens en vertu du RPC équivalait à de l’oppression ou à de l’abus. Il est peut-être malheureux qu’il ait fallu cinq ans avant que l’appelante reçoive la décision définitive (comme l’a fait observer la Cour fédérale au paragraphe 25 de ses motifs). Cela ne signifie toutefois pas que ce délai était déraisonnable en l’espèce. La justice administrative n’est pas parfaite. Et bien franchement, il n’y a pas grand-chose qui le soit par les temps qui courent. Plusieurs personnes se plaignent du système de santé et d’autres services essentiels. Il n’en demeure pas moins que, bien qu’il y ait un grand nombre de demandes, les ressources disponibles sont limitées.

[25] Enfin, le passage suivant, tiré d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario rejetant l’appel d’une décision invoquée par l’appelante (Gorecki v. Canada (Attorney General), 2006 CanLII 9035 (ON CA), [2006] O.J. No. 1130 au para. 18), est pertinent en l’espèce :

[traduction]

L’obligation fiduciaire, l’enrichissement sans cause, la fiducie par interprétation et le pouvoir inhérent d’accorder des intérêts sont des principes souples, mais ils ont des limites et ne peuvent être étirés au point de constituer un recours pour chacune des injustices alléguées, surtout lorsque de telles injustices découlent des termes précis d’une loi fédérale. L’observation du juge Major dans l’arrêt Gladstone, précité, au para. 12, est pertinente : « Cela peut sembler injuste étant donné qu’en l’espèce le produit de la vente a été retenu pendant un certain nombre d’années. Si injustice il y a, il appartient au législateur de corriger la situation. »

[Non souligné dans l’original.]

[26] Même si ces observations ont été formulées dans un contexte différent, elles s’appliquent assurément à plusieurs des observations de l’appelante.

[27] Je me tourne maintenant vers les diverses autres questions dont nous sommes saisis.

B. L’ordonnance de confidentialité et les autres ordonnances demandées

[28] Comme je l’ai mentionné plus haut, l’appelante demande que la portée de l’ordonnance de confidentialité prononcée par la Cour fédérale le 4 juin 2019 (l’ordonnance) soit étendue pour également garantir la confidentialité de tous ses renseignements médicaux contenus dans les dossiers de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale.

[29] L’ordonnance se limitait expressément à des pages précises du dossier de l’intimé (26 pages au total), parce que la Cour fédérale a estimé que les pages en question contenaient des renseignements personnels confidentiels qui devaient être protégés, malgré l’intérêt du public à ce que les débats judiciaires soient publics. Ce faisant, la Cour fédérale semble avoir accueilli la requête qui avait été présentée de vive voix au cours de l’audience, afin de rendre confidentielles les pages en question.

[30] Je crois comprendre qu’aucune des pages du dossier de la Cour fédérale qui ont été protégées expressément par l’ordonnance n’a été incluse dans le dossier d’appel dont nous sommes saisis. En fait, le dossier de l’intimé présenté à la Cour fédérale n’a pas du tout été inclus dans le dossier d’appel. Il est donc inutile d’étendre la portée de l’ordonnance au dossier de notre Cour. Toutefois, dans sa lettre adressée à notre Cour le 17 octobre 2021, l’appelante a soutenu qu’elle avait omis d’indiquer que certaines de ces pages se trouvaient en double dans d’autres parties du dossier de l’intimé présenté à la Cour fédérale. L’intimé n’a ni confirmé ni nié ce fait.

[31] Il est manifeste que l’intention de la Cour fédérale était de protéger la confidentialité des renseignements contenus dans les pages expressément indiquées dans son ordonnance. On peut donc raisonnablement en déduire que l’ordonnance protégeait également la confidentialité des copies se trouvant ailleurs dans le dossier de l’intimé. Il est donc important que le greffe de la Cour fédérale en soit informé pour qu’il puisse prendre les mesures appropriées. Seules les parties peuvent le faire et elles doivent le faire rapidement.

[32] Cela dit, je ne suis pas convaincue que notre Cour devrait rendre l’ordonnance de portée élargie que demande l’appelante à l’égard du dossier de notre Cour. D’abord, je ne suis pas en position de déterminer avec exactitude les renseignements auxquels l’appelante pourrait s’opposer ou dont elle pourrait s’offusquer ultérieurement. Il est surprenant qu’elle n’ait pas immédiatement demandé des directives quant à ces documents, qu’elle a elle-même déposés, vu son expérience avec les ordonnances de confidentialité. Aussi et surtout, la plupart de ces documents sont à la disposition du public depuis plusieurs années, au greffe de la Cour fédérale (précisons que je me prononce sur les nouveaux éléments de preuve plus loin). Dans les circonstances, il n’est pas indiqué de rendre une ordonnance de confidentialité pour protéger les renseignements contenus dans le dossier de notre Cour.

[33] En ce qui concerne la demande de l’appelante visant à étendre la portée de l’ordonnance à tous les renseignements médicaux contenus dans le dossier de la Cour fédérale, l’appelante n’a pas présenté cette demande à la Cour fédérale. Par conséquent, nous n’avons pas compétence en appel pour rendre l’ordonnance demandée.

[34] En ce qui a trait à la demande que l’appelante nous a présentée d’adresser une réprimande à la division générale et de lui ordonner de retirer sa décision de son site Web, je fais d’abord observer que l’ordonnance ne porte que sur la confidentialité des renseignements contenus dans le dossier de la Cour fédérale – rien de plus. Comme la Cour fédérale l’a également expliqué au paragraphe 62 de ses motifs relativement à une autre ordonnance de confidentialité prononcée par la Cour fédérale en 2007, les ordonnances de ce type ne portent que sur la façon dont les documents figurant au dossier de cette cour doivent être traités. En outre, comme il est également clairement indiqué, les ordonnances de ce type ne portent pas sur la manière dont « ceux chargés d’administrer le régime des prestations d’invalidité du RPC [doivent] gérer leurs propres dossiers internes ».

[35] De plus, je ne vois simplement pas comment notre Cour ou la Cour fédérale pourrait dicter à la division générale ce qu’elle doit faire avec ses propres décisions et les renseignements contenus dans ses propres dossiers.

[36] Enfin, je suis prête à rendre une ordonnance autorisant l’appelante à retirer du dossier de notre Cour les documents qu’elle a déposés uniquement pour étayer sa demande d’autorisation de déposer de nouveaux éléments de preuve en vertu de la Règle 351 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. Puisque notre Cour a refusé de lui accorder cette autorisation et ne s’est pas fondée sur ces renseignements, je crois qu’il serait indiqué de lui accorder cette mesure subsidiaire. Cette ordonnance serait expressément limitée aux documents joints aux lettres que l’appelante a adressées à notre Cour les 17 et 28 octobre 2021.

II. Conclusion

[37] Je rejetterais l’appel sans dépens puisque l’intimé ne les a pas demandés. Une ordonnance devrait être rendue autorisant l’appelante à retirer du dossier de notre Cour tous les documents joints aux lettres des 17 et 28 octobre 2021. Les parties devraient, au plus tard le 21 janvier 2022, indiquer conjointement par écrit, au greffe de la Cour fédérale, les pages figurant en double dans le dossier de l’intimé devant la Cour fédérale qui devraient rester sous scellé dans le dossier confidentiel de la Cour fédérale afin de donner à l’ordonnance son plein effet.

« Johanne Gauthier »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Judith Woods j.c.a. »

« Je suis d’accord.

K.A. Siobhan Monaghan j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UN JUGEMENT RENDU PAR LA JUGE MCTAVISH LE 4 JUIN 2019, DOSSIER NO T-858-18

DOSSIER :

A-443-19

 

 

INTITULÉ :

JANET ZEPOTOCZNY BERGER c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 novembre 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GAUTHIER

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE WOODS

LA JUGE MONAGHAN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 JANVIER 2022

 

COMPARUTIONS :

Janet Zepotoczny Berger

 

l’appelante

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Sandra Doucette

Pour l’intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Pour l’intimé

 

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