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Date : 20220113


Dossier : A-98-19

Référence : 2022 CAF 7

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE RIVOALEN

LA JUGE SUPPLÉANTE DAWSON

 

ENTRE :

 

 

PYRRHA DESIGN INC.

 

 

appelante

 

 

et

 

 

PLUM AND POSEY INC. ET

ADRINNA M. HARDY

 

 

intimées

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 25 octobre 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 13 janvier 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE SUPPLÉANTE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE RIVOALEN

 


Date : 20220113


Dossier : A-98-19

Référence : 2022 CAF 7

CORAM :

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE RIVOALEN

LA JUGE SUPPLÉANTE DAWSON

 

ENTRE :

 

 

PYRRHA DESIGN INC.

 

 

appelante

 

 

et

 

 

PLUM AND POSEY INC. ET

ADRINNA M. HARDY

 

 

intimées

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE SUPPLÉANTE DAWSON

[1] Par le passé, on apposait un sceau de cire sur un document afin de l’authentifier. Au début de l’année 2005, les mandants de l’appelante, Pyrrha Design Inc., ont fait l’acquisition d’une boîte d’anciennes empreintes de sceau de cire. Les mandants se sont alors servi des empreintes pour créer des bijoux métalliques qui avaient l’apparence des empreintes de sceaux de cire et qui reproduisaient les images issues de ces empreintes.

[2] Neuf bijoux créés par Pyrrha (les dessins de Pyrrha) sont en cause. Pyrrha revendique le droit d’auteur sur chacun de ses dessins et fait valoir que l’intimée, Plum and Posey Inc., ainsi que sa mandante, Adrinna Hardy, ont contrefait les dessins protégés par le droit d’auteur.

[3] Pour les motifs énoncés dans la décision 2019 CF 129, la Cour fédérale a rejeté l’action en violation du droit d’auteur de Pyrrha. Bien que la Cour ait conclu que les dessins de Pyrrha étaient des œuvres originales protégées par le droit d’auteur (motifs, au paragraphe 113), elle a également estimé que Plum and Posey n’a pas reproduit une « part importante » du talent et du jugement que témoignent les dessins de Pyrrha (motifs, au paragraphe 146). Le droit d’auteur que détient Pyrrha n’a donc pas été violé.

[4] La Cour est saisie de l’appel interjeté à l’encontre du jugement rendu par la Cour fédérale.

[5] Le présent appel soulève les deux questions suivantes :

(1) Est-ce que la Cour fédérale a commis une erreur dans son analyse de l’originalité des dessins de Pyrrha? Plus précisément, la Cour a-t-elle commis une erreur en concluant que l’originalité de l’expression de chaque dessin de Pyrrha était de moindre importance?

(2) La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur dans son analyse de la question de la contrefaçon?

I. Norme de contrôle

[6] Les parties sont d’accord pour dire que la décision de la Cour fédérale doit être examinée selon la norme exposée dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235. Ainsi, les questions de droit sont examinées selon la norme de la décision correcte, les conclusions de fait ne doivent pas être infirmées en l’absence d’une erreur manifeste et dominante et les conclusions mixtes de fait et de droit sont examinées selon la norme de l’erreur manifeste et dominante, à moins qu’il n’existe une question de droit isolable (qui est examinée selon la norme de la décision correcte).

[7] La question de l’originalité d’une œuvre a été considérée comme une question mixte de droit et de fait (France Animation, s.a. c. Robinson, 2011 QCCA 1361, [2011] R.J.Q. 1415) où, au paragraphe 32, la Cour a déclaré que « [l]a qualification de l’œuvre et la détermination de son caractère original constituent des questions mixtes de droit et de fait ».

[8] Dans l’arrêt Cinar Corporation c. Robinson, 2013 CSC 73, [2013] 3 R.C.S. 1168 (arrêt Cinar Corporation), au paragraphe 30, la Cour suprême du Canada a conclu que la question de l’importance, qui est au cœur de la question de la contrefaçon, est aussi une question mixte de fait et de droit.

II. Est-ce que la Cour fédérale a commis une erreur dans son analyse de l’originalité des dessins de Pyrrha?

[9] Chacun des dessins de Pyrrha étant relativement simple, la Cour fédérale a conclu que le degré d’originalité des dessins était moins important. Pyrrha affirme qu’en tirant cette conclusion, la Cour fédérale a commis des erreurs de fait manifestes et dominantes ou elle n’a pas analysé correctement la preuve et elle l’a mal appliquée. Les erreurs alléguées sont les suivantes :

(1) La Cour fédérale a, à tort, considéré que les dessins de Pyrrha, des œuvres protégées par le droit d’auteur, étaient relativement simples. En invoquant la simplicité du processus utilisé pour créer les bijoux, la Cour a eu tort d’appliquer l’approche fondée sur « l’effort » à l’originalité.

(2) La Cour fédérale n’a pas correctement apprécié la preuve pertinente quant à la question de l’originalité.

(3) La Cour fédérale a commis une erreur en s’en remettant au témoignage du témoin expert de Plum and Posey concernant les bijoux créés à partir de sceaux de cire ou d’empreintes de sceaux de cire.

[10] À titre informatif, je commence par l’observation que le droit d’auteur est protégé par la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C., 1985, ch. C-42 (Loi). Le droit d’auteur protège uniquement les œuvres originales. Pour qu’une œuvre soit considérée comme originale, elle doit émaner de son auteur ou créateur, ne pas constituer une copie et doit résulter de l’exercice non négligeable du talent et du jugement de l’auteur ou du créateur (alinéa (5)(1)a) de la Loi, CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13, [2004] 1 R.C.S. 339 (arrêt CCH), au paragraphe 28). Le « talent » désigne « le recours aux connaissances personnelles, à une aptitude acquise ou à une compétence issue de l’expérience pour produire l’œuvre ». Le « jugement » désigne « la faculté de discernement ou la capacité de se faire une opinion ou de procéder à une évaluation en comparant différentes options possibles pour produire l’œuvre » (arrêt CCH, au paragraphe 16).

[11] Comme la Cour fédérale l’a souligné à juste titre, le droit d’auteur ne protège pas les idées, les concepts ou les méthodes (motifs, au paragraphe 91). Le droit d’auteur protège uniquement l’expression. Pyrrha ne pouvait donc pas revendiquer le droit d’auteur sur la méthode utilisée de fonte des bijoux métalliques ou sur le concept de création de bijoux à partir de sceaux de cire ou d’empreintes de sceaux de cire.

[12] J’examinerai maintenant brièvement les motifs de la Cour fédérale.

[13] Aux paragraphes 95 à 99 de ses motifs, la Cour fédérale a renvoyé à juste titre au critère d’originalité formulé par la Cour suprême dans l’arrêt CCH. Bien que Pyrrha affirme que la Cour fédérale a eu tort d’appliquer l’approche fondée sur « l’effort », elle n’allègue aucune erreur qu’aurait commise la Cour dans sa formulation des règles de droit pertinentes. La Cour s’est ensuite penchée sur l’application du critère à la preuve dont elle était saisie.

[14] La Cour a conclu que, parce que la création des dessins de Pyrrha exigeait suffisamment de talent et de jugement, ces dessins étaient des œuvres originales. Les dessins de Pyrrha n’étaient pas simplement une copie d’un sceau de cire ancien. Talent et jugement ont été exercés pour présenter l’image dans le métal. Plus précisément, la Cour a conclu que l’un des mandants de Pyrrha, Danielle Wilmore, « a fait preuve de talent par sa connaissance du travail de la cire pour modifier les bordures des empreintes de sceaux de cire et a exercé du jugement dans la conception des bordures. Elle a fait preuve de talent et de jugement dans ces décisions relatives à la finition des bijoux en les oxydant avec des produits chimiques noircissants et en les polissant » (motifs, au paragraphe 107).

[15] Dans le paragraphe suivant, la Cour a rejeté l’idée selon laquelle le choix des sceaux de cire a exigé l’exercice d’un niveau suffisant de talent et de jugement.

[16] Ayant passé en revue brièvement les motifs de la Cour fédérale, j’examinerai maintenant les erreurs précises invoquées par Pyrrha.

A. La Cour fédérale a-t-elle eu tort d’appliquer l’approche fondée sur « l’effort » à l’originalité?

[17] Pyrrha affirme que la Cour fédérale a eu tort d’insister sur la simplicité relative qu’elle percevait dans les dessins de Pyrrha. En invoquant cette simplicité et en appliquant l’approche fondée sur « l’effort » à l’originalité, Pyrrha fait valoir que la Cour a commis une erreur. La bonne approche est celle fondée sur le « talent et le jugement » qui est énoncée dans l’arrêt CCH.

[18] Je rejette cet argument pour les motifs suivants.

[19] La Cour fédérale ne mentionne nullement l’approche fondée sur « l’effort » dans ses motifs. Elle a plutôt renvoyé, à juste titre, à l’approche fondée sur le « talent et le jugement » (motifs, aux paragraphes 96, 102 et 103) et elle a conclu que suffisamment de talent et de jugement ont été exercés pour justifier la protection que confère le droit d’auteur (motifs, aux paragraphes 105 à 107).

[20] Compte tenu des nombreux renvois exprès à [traduction] « l’approche fondée sur le talent et le jugement » et de l’absence de tout renvoi à l’approche fondée sur « l’effort », Pyrrha mentionne divers extraits des motifs de la Cour où cette dernière aurait conclu que, parce que le processus utilisé pour réaliser les dessins de Pyrrha était moindre, le niveau de talent et de jugement exercés pour la création de ces dessins était inférieur. Il est précisément fait mention des paragraphes 18, 39, 84, 99 à 101, 107, 110, 111, 123 et 140 des motifs. À mon avis, une lecture juste de ces extraits renvoie à la créativité nécessaire à la création des dessins de Pyrrha. Ils n’étayent pas l’allégation selon laquelle la Cour fédérale a appliqué une approche erronée à la question de l’originalité. Comme je le mentionne plus loin, la conclusion de la Cour sur la question de l’originalité était fondée sur ses conclusions de fait et sur son appréciation de la preuve. Pour conclure à la relative simplicité des dessins de Pyrrha, la Cour ne s’est pas fondée sur l’effort déployé pour fabriquer les bijoux.

B. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la preuve pertinente quant à la question de l’originalité?

[21] Pyrrha conteste la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle le degré d’originalité des dessins de Pyrrha était moindre, car chacun de ses dessins était relativement simple. Elle fait valoir les quatre erreurs manifestes et dominantes suivantes :

(1) Il n’y avait aucun élément de preuve qui indiquait que des bijoux créés à partir de sceaux de cire existaient lorsque Pyrrha a créé ses dessins. L’opinion erronée selon laquelle les dessins de Pyrrha étaient associés à un type de bijoux connu aurait influencé directement l’analyse de l’originalité.

(2) La Cour a invoqué des éléments de preuve non admissibles pour conclure que les bijoux fabriqués à partir de sceaux de cire existaient depuis les années 1960.

(3) Il n’y avait aucun élément de preuve qui indiquait qu’avant que Pyrrha crée ses dessins, d’autres parties fabriquaient des bijoux à partir de sceaux de cire.

(4) Des éléments de preuve indiquaient qu’après la création des dessins de Pyrrha, 16 tiers exploitaient des sites Web de bijoux. Ces éléments de preuve illustraient l’infinie variété d’expressions possibles pour les bijoux à l’apparence de sceaux de cire. Ces éléments de preuve ont été ignorés, de sorte que le degré d’originalité des dessins de Pyrrha était supérieur à celui estimé par la Cour.

[22] À mon avis, la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur, contrairement à ce qui est affirmé. Son évaluation du degré d’originalité était fondée sur son appréciation de l’ensemble de la preuve et sur plusieurs conclusions de fait qui étaient notamment les suivantes :

(i) Pyrrha n’a ni créé ni modifié l’image des sceaux de cire utilisés pour créer ses bijoux. Ces images étaient du domaine public (motifs, aux paragraphes 39 et 146).
(ii) La Cour a expressément écarté « dans une large mesure l’exagération » des témoins de Pyrrha « quant au niveau de modifications apportées et au jugement exercé » (motifs, au paragraphe 105).
(iii) Le coulage des bijoux ne demandait aucun travail créatif important. Pyrrha utilisait la méthode de la fonte à la « cire perdue » pour fabriquer ses bijoux. Cette méthode est du domaine public (motifs, aux paragraphes 39 et 94).
(iv) Après avoir coulé les bijoux métalliques arborant l’empreinte des sceaux de cire, Pyrrha a effectué la finition en oxydant et en polissant les pendentifs. Généralement, la finition consistait à noircir les cavités par oxydation et à polir les points surélevés pour produire un contraste. Seules les bordures particulières et la façon particulière dont l’oxydation et le polissage étaient utilisés dans chaque dessin, combinées aux autres caractéristiques du bijou en question, étaient protégées par le droit d’auteur (motifs, aux paragraphes 44, 107, 113, 139 et 140).
(v) Le processus de fabrication de bijoux cadrait avec une production mécanique assez simple. En se fondant sur son évaluation de la crédibilité des témoins de Pyrrha, la Cour a rejeté les éléments de preuve de Pyrrha concernant le « raffinement, [...] la qualité artistique, [l]es compétences et [...] la formation dont sont issues ses activités » (motifs, au paragraphe 18).

[23] À mon avis, la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle les dessins de Pyrrha étaient des œuvres relativement simples protégées par le droit d’auteur était largement corroborée par les éléments de preuve présentés à la Cour. Aucune erreur manifeste et dominante n’a été commise en ce qui concerne la conclusion mixte de fait et de droit de la Cour quant à l’originalité.

[24] Je vais maintenant me pencher brièvement sur les quatre erreurs reprochées.

[25] Pour commencer, compte tenu des conclusions énoncées ci-dessus, il est difficile de voir en quoi toutes les erreurs alléguées ou l’une d’entre elles suffisent pour établir que la Cour a commis une erreur manifeste et dominante dans sa conclusion sur l’originalité.

[26] Quant à l’erreur alléguée selon laquelle les dessins de Pyrrha étaient associés à un type de bijou connu, la Cour fédérale a conclu à juste titre que Pyrrha ne peut revendiquer le droit d’auteur sur l’idée de créer des bijoux à partir de sceaux de cire (motifs, au paragraphe 94). La Cour a en outre conclu, contrairement à l’affirmation de Pyrrha, que des éléments de preuve indiquaient que des bijoux faits à partir de sceaux de cire ont été fabriqués avant la création des dessins de Pyrrha (motifs, au paragraphe 30).

[27] La conclusion de la Cour, selon laquelle les bijoux créés à partir de sceaux de cire étaient fabriqués depuis au moins les années 1960, a été étayée par les éléments de preuve de Plum and Posey qui indiquaient que sa mandante avait acheté une bague faite à partir d’un sceau de cire. La bague arborait un poinçon. La mandante a effectué des recherches sur le poinçon et a découvert qu’il correspondait à celui d’un artisan particulier et que la date du poinçon était 1968 ou 1969.

[28] À mon avis, la Cour avait le droit de se fonder sur cette preuve pour conclure que les bijoux étaient faits à partir de sceaux de cire depuis les années 1960. Pyrrha n’a donc pas établi que l’analyse de la Cour sur l’originalité était entachée par une opinion erronée selon laquelle les dessins de Pyrrha étaient associés à un type de bijou connu. L’analyse de la Cour était fondée sur ses conclusions de fait, notamment ces conclusions résumées au paragraphe 22 ci-dessus qui corroboraient largement sa conclusion.

[29] Malgré le témoignage de l’experte de Pyrrha, selon lequel l’appelante [traduction] « a d’abord décidé de transformer les sceaux de cire en bijoux » (dossier d’appel, onglet 185, à la page 1195), la Cour a estimé que l’experte « manquait d’objectivité » et était « une admiratrice [...] enthousiaste des [mandants de Pyrrha], si élogieuse quant à leur contribution à la joaillerie ». La Cour a conclu qu’elle était « très réticente à admettre son témoignage au sujet de l’originalité » (motifs, au paragraphe 21). Il était loisible à la Cour fédérale de tirer cette conclusion.

[30] La bague mentionnée par la mandante de Plum and Posey a l’apparence et arbore l’image d’un sceau de cire. Il s’agissait là d’un élément de preuve indiquant qu’avant que Pyrrha crée ses œuvres, d’autres parties fabriquaient déjà des bijoux à partir de sceaux de cire.

[31] Enfin, en ce qui concerne l’affirmation selon laquelle la Cour n’aurait pas tenu compte des éléments de preuve quant à la variété infinie d’expressions possibles, l’absence de mention dans les motifs de la Cour des captures d’écran d’images de bijoux faits à partir de sceaux de cire ne permet pas d’établir l’existence d’une erreur manifeste et dominante. Une cour de première instance n’est pas tenue de mentionner dans ses motifs chaque élément de preuve qui lui est présenté.

C. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en s’en remettant au témoignage de l’experte de Plum and Posey concernant les bijoux créés à partir de sceaux de cire?

[32] Pyrrha affirme que la Cour fédérale a commis une erreur lorsqu’elle s’en est remise au témoignage de l’experte concernant les processus de finition des bijoux, car son témoignage n’était pas propre aux bijoux faits de sceaux de cire. Elle allègue également que le témoignage de l’experte était partial et que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que le témoin « n’a pas montré un enthousiasme excessif » envers le travail de Plum and Posey (motifs, au paragraphe 29).

[33] Je rejette ces allégations.

[34] Quant à la première affirmation, Pyrrha ne souligne aucun élément de preuve selon lequel le talent et le jugement exercés pour le polissage et l’oxydation des bijoux en argent diffèrent complètement de ceux exercés pour le polissage et l’oxydation des bijoux en argent faits à partir de sceaux de cire.

[35] L’allégation de partialité émane du fait que, par le passé, l’experte a fréquenté la même école que la mandante de Plum and Posey, elle a exercé des activités de marchandisage croisé avec les produits de Plum and Posey et a fait leur promotion. Ce n’est que le jour précédant son témoignage que l’experte a su qu’elle-même et la mandante de Plum and Posey ont fréquenté la même école. Le fait que, par le passé, elle ait exercé des activités de marchandisage croisé ou qu’elle ait fait la promotion de certains produits Plum and Posey n’indique pas en soi un « enthousiasme excessif » envers le travail de l’intimée ou ne prouve pas l’existence d’une erreur manifeste et dominante commise par la Cour fédérale au moment d’évaluer l’objectivité relative d’experts dont les témoignages divergent. Les éléments de preuve de Pyrrha sont très loin de ceux requis pour indiquer une partialité.

III. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur dans son analyse de la question de la contrefaçon?

[36] La Cour fédérale a conclu que Plum and Posey n’a pas violé le droit d’auteur sur les dessins de Pyrrha. Pyrrha affirme qu’en tirant cette conclusion, la Cour fédérale a commis une erreur en :

(i) invoquant l’alinéa (3)(1)j) de la Loi;
(ii) concluant que l’un des dessins de Pyrrha n’a pas été créé et vendu avant la création du dessin de Plum and Posey;
(iii) n’appliquant pas le bon critère en matière de violation du droit d’auteur;
(iv) vidant de son sens la conclusion concernant l’accès de Plum and Posey aux dessins de Pyrrha;
(v) n’appliquant pas une approche globale et qualitative à l’évaluation de la contrefaçon;
(vi) se fiant à l’absence d’intention de la part de Plum and Posey de copier les dessins de Pyrrha;
(vii) appliquant à tort le critère du profane;
(viii) évaluant mal le témoignage d’un témoin profane de Pyrrha.

[37] Avant de me pencher sur ces erreurs alléguées, je commencerai mon analyse par l’examen de certains des principes clés applicables à la question de la violation du droit d’auteur.

[38] Dans la décision Philip Morris Products S.A. c. Marlboro Canada limitée, 2010 CF 1099, 374 F.T.R. 213 (la décision Philip Morris) (confirmée en appel en ce qui concerne la question du droit d’auteur (arrêt Philip Morris, 2012 CAF 201), [2012] A.C.F. no 878, autorisation de pourvoi refusée [2012] CSCR no 413, [2012]), la Cour fédérale a conclu, au paragraphe 315, que, pour établir qu’il y a eu contrefaçon, deux éléments essentiels doivent être établis :

Premièrement, les œuvres doivent être suffisamment similaires pour que l’œuvre qui serait contrefaite puisse être considérée comme une copie ou une reproduction de l’œuvre protégée. En d’autres termes, il faut démontrer qu’il existe une similitude importante entre l’œuvre originale et l’œuvre qui serait contrefaite. La question de savoir si les défenderesses ont violé le droit d’auteur en utilisant une grande partie d’une œuvre protégée par le droit d’auteur est essentiellement une question de fait. Deuxièmement, les demanderesses doivent démontrer que les défenderesses ont eu accès à l’œuvre protégée par le droit d’auteur, c’est‑à‑dire que cette œuvre a été la source dont découlait l’œuvre qui serait contrefaite. C’est ce qui est parfois appelé un « lien de causalité ».

[39] Dans l’arrêt Cinar Corporation, précité, la Cour suprême a examiné ce qui est requis pour établir qu’une « partie importante » d’une œuvre a été reproduite. Au paragraphe 26, la Cour a conclu :

Le concept de « partie importante » de l’œuvre est souple. Il s’agit d’une question de fait et de degré. [traduction] « La question de savoir si une partie est importante est qualitative plutôt que quantitative » : Ladbroke (Football), Ltd. c. William Hill (Football), Ltd., [1964] 1 All E.R. 465 (H.L.), p. 481, lord Pearce. On détermine ce qui constitue une partie importante en fonction de l’originalité de l’œuvre qui doit être protégée par la Loi sur le droit d’auteur. En règle générale, une partie importante d’une œuvre est une partie qui représente une part importante du talent et du jugement de l’auteur exprimés dans l’œuvre.

[40] Une cour de révision doit procéder « à une évaluation qualitative et globale des similitudes entre les œuvres » (arrêt Cinar Corporation, au paragraphe 41). Il a été indiqué, dans l’arrêt Cinar Corporation, qu’il est « utile » de connaître le point de vue du profane. Cependant, il faut répondre à la question de savoir si une partie importante de l’œuvre d’un demandeur a été reproduite « du point de vue d’une personne dont le jugement et les connaissances lui permettent d’évaluer et d’apprécier pleinement tous les aspects pertinents — apparents ou latents — des œuvres en question. Dans certains cas, il peut être nécessaire de ne pas s’en tenir au point de vue d’un profane […] et de demander à un expert d’éclairer le juge de première instance de manière à ce que celui-ci soit en mesure de poser sur les œuvres le regard d’une [traduction] ‘personne raisonnablement versée dans l’art ou la technologie en cause’ » (arrêt Cinar Corporation, au paragraphe 51).

[41] Je vais maintenant m’attarder sur les erreurs alléguées.

[42] Les deux premières erreurs alléguées sont facilement réfutées.

[43] Pyrrha affirme que la Cour fédérale a commis une erreur en déclarant, au paragraphe 3 des motifs, que la disposition la plus pertinente de la Loi est l’alinéa (3)(1)j). En fait, le paragraphe 3 des motifs expose des parties des paragraphes 3(1) et 27(1) de la Loi. Pour une raison quelconque, l’alinéa (3)(1)j), qui porte sur les droits de distribution, est énoncé en caractères gras. Cependant, il n’est mentionné nulle part dans les motifs que la Cour tient compte de l’alinéa (3)(1)j) ou qu’elle l’applique. Au paragraphe 120 de ses motifs, la Cour renvoie à juste titre à la partie pertinente du paragraphe 3(1) : le « droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l’œuvre ».

[44] Rien ne découle du fait que l’alinéa (3)(1)j) était énoncé en caractères gras dans les motifs.

[45] De même, Pyrrha soutient que la Cour fédérale a commis une erreur manifeste et dominante en indiquant, au paragraphe 152 des motifs, que Pyrrha n’a pas établi que le dessin « I Am Ready » a été créé avant le dessin « Stags Crest — I Am Ready » de Plum and Posey. Au paragraphe 42 des motifs, la Cour a conclu à juste titre que le dessin « I Am Ready » a d’abord été vendu par Pyrrha le 21 août 2012.

[46] Compte tenu de la conclusion de la Cour, selon laquelle Plum and Posey n’avait pas reproduit une part importante du talent et du jugement exercés dans la création des dessins de Pyrrha, conclusion que je confirmerais pour les motifs suivants, rien ne découle de la conclusion concernant la date à laquelle le dessin « I Am Ready » a été créé. Il n’y a aucune erreur manifeste ou dominante.

[47] J’examine maintenant le reste des erreurs alléguées.

D. La Cour fédérale n’a-t-elle pas appliqué le bon critère en matière de violation du droit d’auteur?

[48] Comme je l’ai expliqué précédemment, pour qu’une œuvre qui serait contrefaite constitue une copie ou une reproduction de l’œuvre protégée, il faut démontrer qu’il existe une similitude importante entre les deux œuvres. Si la preuve ne permet pas de conclure à une copie réelle, l’évaluation de la similitude est combinée à l’accès à l’œuvre protégée pour tirer une conclusion de copie. L’analyse de la « part importante » est alors utilisée pour établir si la copie représente une partie suffisamment importante de l’œuvre protégée, de sorte qu’elle constitue une violation du droit d’auteur. Pyrrha affirme que la Cour fédérale [traduction] « a mélangé deux parties distinctes du critère (similitude importante et part importante) » (mémoire des faits et du droit de l’appelante, au paragraphe 69). Il s’agirait d’une erreur de droit et d’une erreur de fait et de droit.

[49] À l’appui de cet argument, Pyrrha souligne le paragraphe 145 des motifs où la Cour présente un tableau qui illustre l’évaluation qu’elle a faite des bijoux visés par le présent litige. Le tableau contient une colonne dans laquelle sont décrites les « similitudes générales » entre chacun des dessins de Pyrrha et les œuvres qui seraient contrefaites, en comparant les similitudes et les différences entre les œuvres. Une autre colonne est intitulée « La question de savoir si ces similitudes constituent une part importante du talent et du jugement de Pyrrha ». Malgré le titre de cette colonne, Pyrrha affirme que la Cour fédérale n’a pas établi si les caractéristiques copiées reproduites dans les bijoux de la défenderesse constituaient une part importante des dessins correspondants de Pyrrha. Elle affirme plutôt que la Cour continue à comparer les similitudes et les différences entre les bijoux. Pyrrha affirme que la Cour a omis de poser la question essentielle de savoir si les œuvres contrefaites copient une part importante de l’originalité de Pyrrha.

[50] À mon avis, la Cour n’a pas commis d’erreur, contrairement à ce qui est affirmé.

[51] Au paragraphe 146 des motifs, la Cour a expliqué le processus en deux étapes qu’elle a entrepris. Elle a d’abord « examiné toutes les similitudes pour ensuite déterminer si elles représentaient une part importante du talent et du jugement de l’auteur ». Le titre de chaque colonne cadre avec une analyse en deux étapes distinctes. Au paragraphe 127 des motifs, la Cour a correctement tenu compte de la nécessité de « faire une comparaison globale et [de] déterminer si les similitudes représentent une partie importante de l’originalité de l’œuvre protégée dans son ensemble ». Pendant toute l’analyse, la Cour fédérale a correctement tenu compte des étapes qu’elle devait suivre.

[52] La Cour avait conclu auparavant que seules les bordures particulières et la façon particulière dont l’oxydation et le polissage étaient utilisés dans chaque dessin, combinées aux autres caractéristiques du bijou en question, étaient protégées par le droit d’auteur. Ces caractéristiques ont été examinées lorsque la Cour s’est demandé si les similitudes constituaient une part importante du talent et du jugement de Pyrrha. Par exemple, en ce qui concerne le dessin « Stags Crest — I Am Ready », la Cour a conclu que « [l]’expression particulière de l’image dans le métal n’est pas similaire entre les deux dessins parce que les bordures, la forme, la taille et le niveau d’oxydation des bijoux diffèrent » (motifs, au paragraphe 145).

[53] Les dessins de Pyrrha étaient des œuvres protégées par le droit d’auteur relativement simples. La protection du droit d’auteur était donc limitée. Autrement dit, « plus une œuvre protégée par un droit d’auteur est simple, plus la copie de celle-ci doit être parfaite pour constituer une violation de ce droit » (DRG Inc. c. Datafile Ltd., [1988] 2 CF 243 (C.F. 1re inst.), à la page 256, [1987] A.C.F. no 1056, conf. par (1991), [1991] A.C.F. no 144, 35 C.P.R. (3d) 243).

[54] Pyrrha n’a pas démontré que la Cour fédérale a commis une erreur, malgré ce qu’elle prétend.

E. La Cour fédérale a-t-elle vidé de son sens la conclusion concernant l’accès de Plum and Posey aux dessins de Pyrrha?

[55] Au procès, Pyrrha a soutenu que l’accès de Plum and Posey à ses dessins, combiné aux similitudes entre les dessins, créait une preuve prima facie de copie. Au paragraphe 148 de ses motifs, la Cour fédérale a conclu qu’« étant donné que la Cour a conclu à l’absence de contrefaçon, la question de l’accès est secondaire ». Pyrrha affirme maintenant que la Cour devait d’abord évaluer la « similitude importante » et l’accès pour établir s’il existait un lien de causalité entre les œuvres. La Cour ne pouvait examiner la « part importante » et la contrefaçon qu’après avoir établi cela.

[56] Pyrrha n’invoque aucune jurisprudence pour étayer son argument.

[57] Dans la décision Philip Morris, précitée, la Cour fédérale, après avoir conclu à l’absence de contrefaçon, a écrit qu’ « [e]n conséquence, il serait inutile que la Cour examine le deuxième élément qui doit être démontré pour qu’il y ait violation du droit d’auteur, à savoir l’existence d’un lien de causalité entre l’œuvre protégée par le droit d’auteur et l’œuvre qui serait contrefaite » (décision Philip Morris, au paragraphe 366). En appel, notre Cour a conclu que la Cour fédérale n’a commis aucune erreur donnant lieu à révision lorsqu’elle a conclu qu’il n’y a eu aucune reproduction d’une partie importante de l’œuvre protégée par le droit d’auteur. Il n’était donc pas nécessaire d’examiner les arguments selon lesquels la Cour fédérale n’avait pas appliqué le critère qu’il fallait pour établir s’il existait un lien de causalité suffisant (arrêt Philip Morris, au paragraphe 123).

[58] Une fois encore, Pyrrha n’a établi aucune erreur de droit.

F. La Cour fédérale n’a-t-elle pas appliqué une approche globale et qualitative à l’évaluation de la contrefaçon?

[59] Dans l’arrêt Cinar Corporation, la Cour suprême a souligné qu’une cour de révision doit procéder « à une évaluation qualitative et globale des similitudes entre les œuvres » (au paragraphe 41). Bien que la Cour fédérale ait correctement décrit cette approche au paragraphe 128 de ses motifs, et qu’elle ait indiqué, au paragraphe 146 de ses motifs, que c’est cette approche qu’elle a adoptée, Pyrrha affirme que la Cour fédérale n’a pas effectué une évaluation globale. Elle souligne le fait que la Cour a expressément indiqué, au paragraphe 146 de ses motifs, qu’elle « examin[ait] toutes les similitudes pour ensuite déterminer si elles représentaient une part importante du talent et du jugement de l’auteur ». Dans cette deuxième étape, « les similitudes dans les images ne constituaient pas une part importante du talent et du jugement de l’auteur étant donné que les images sont du domaine public ».

[60] Cette citation omet la dernière phrase du paragraphe 146. L’intégralité du paragraphe 146 est ainsi libellée :

[146] Pour réaliser cette évaluation, j’ai adopté l’approche qualitative globale énoncée dans l’arrêt Cinar. J’ai examiné toutes les similitudes pour ensuite déterminer si elles représentaient une part importante du talent et du jugement de l’auteur. Dans cette deuxième étape, les similitudes dans les images ne constituaient pas une part importante du talent et du jugement de l’auteur étant donné que les images sont du domaine public (voir aussi l’exposé sur le choix des images au paragraphe 109). Les images ne sont prises en compte que pour déterminer si l’expression globale de l’image du sceau de cire, combinée aux bordures et à la finition, est essentiellement similaire.

[61] Je ne constate aucune erreur. Il ressort clairement de la dernière phrase du paragraphe 146 que la Cour tenait compte des images au moment de déterminer si l’expression globale de l’image, combinée aux bordures et à la finition, était essentiellement similaire. Cela est aussi établi dans l’analyse par la Cour du dessin « Stags Crest — I Am Ready » mentionnée précédemment. La Cour a tenu compte des deux dessins au moyen d’un examen global comprenant non seulement les bordures et les niveaux d’oxydation, mais également la forme et les dimensions des dessins.

[62] Dans l’arrêt Robertson c. Thomson Corp., 2006 CSC 43, [2006] 2 R.C.S. 363, la Cour suprême a écrit, au paragraphe 81 :

Selon l’arrêt CCH, l’originalité requiert l’exercice « du talent et du jugement » d’un auteur : voir par. 16. Toute œuvre protégée par le droit d’auteur — qu’il s’agisse d’une œuvre individuelle ou d’un recueil — résulte de l’exercice du talent et du jugement. Ainsi, lorsqu’il s’agit de déterminer si une œuvre comme un journal, ou « une partie importante » de cette œuvre, a été reproduite, l’élément déterminant est la mesure dans laquelle une partie importante du talent et du jugement exercés par son créateur se retrouve, sur le plan qualitatif et non quantitatif, dans la prétendue reproduction : voir Édutile Inc. c. Assoc. pour la protection des automobilistes, [2000] 4 C.F. 195 (C.A.), par. 22.

[Non souligné dans l’original.]

[63] C’est le processus que la Cour fédérale a mené.

G. La Cour fédérale s’est-elle fiée à tort à l’absence d’intention de copier les dessins de Pyrrha de la part de Plum and Posey?

[64] Au paragraphe 26 de ses motifs, lorsqu’elle a décrit la preuve présentée par les témoins convoqués pour Plum and Posey, la Cour fédérale a conclu que sa mandante était « généralement crédible, dépassée par les nombreux litiges, mais honnête quant aux faits ». La Cour a ajouté : « [j]’admets son témoignage quant à l’absence d’intention de copier les dessins de Pyrrha ».

[65] Pyrrha affirme maintenant qu’en mentionnant l’absence d’intention de copier, la Cour [traduction] « a tiré une conclusion qui n’était pas probante par rapport à la cause d’action et sur laquelle elle s’était fondée dans sa conclusion d’absence de contrefaçon » (mémoire des faits et du droit de l’appelante, au paragraphe 81). Pyrrha soutient que la Cour a commis une erreur en estimant nécessaire de conclure à l’intention de contrefaire pour conclure à une contrefaçon.

[66] Je suis d’avis qu’il y a deux réponses à cet argument. Premièrement, il s’agit de la seule mention de l’intention de Mme Hardy. Rien n’indique, dans l’analyse par la Cour de la question de la contrefaçon, que cela a sensiblement influencé l’examen par la Cour de la question de savoir si les dessins de Plum and Posey copiaient une partie importante des œuvres protégées par le droit d’auteur de Pyrrha. Deuxièmement, comme je l’ai indiqué précédemment, la Cour fédérale n’a pas jugé nécessaire de se demander si l’œuvre qui serait contrefaite était issue de l’œuvre protégée par le droit d’auteur. Par conséquent, la question de l’intention, ou de l’absence d’intention, n’a jamais été soulevée.

H. La Cour fédérale a-t-elle appliqué à tort le critère du profane?

[67] Au paragraphe 134 de ses motifs, la Cour fédérale a écrit :

[134] Même s’il peut être utile de connaître le point de vue du profane, il n’est pas suffisant. La vraie question est celle de savoir s’il y a des similitudes importantes d’après les parties pertinentes des œuvres, y compris les similitudes latentes qui ne sont pas nécessairement évidentes pour le profane, mais qui peuvent influencer son expérience en tant que spectateur de l’œuvre (Cinar, paragraphes 51-52).

[68] Pyrrha affirme maintenant que la Cour fédérale a commis une erreur en omettant d’effectuer une évaluation fondée sur le point de vue du profane faisant partie de l’auditoire visé, comme l’exige la Cour suprême dans l’arrêt Cinar Corporation. En outre, Pyrrha a présenté des photos des bijoux de Pyrrha et de ceux de Plum and Posey qui étaient portés par un mannequin, de sorte que l’observateur était situé à près de 2 à 3 pieds du mannequin. La Cour fédérale aurait commis une autre erreur en indiquant, au paragraphe 136, que les photos ne sont « qu’un point de vue parmi d’autres pour examiner les bijoux. Afin d’effectuer une analyse globale plutôt qu’impressionniste, il a été utile pour la Cour d’avoir devant elle les bijoux proprement dits ».

[69] Je pense qu’il est utile d’examiner précisément ce que la Cour suprême a indiqué dans l’arrêt Cinar Corporation, au paragraphe 51 :

À mon avis, il est utile de connaître le point de vue du profane faisant partie de l’auditoire visé par les œuvres en question. La connaissance de ce point de vue présente un avantage, soit celui que l’analyse des similitudes demeure concrète et fondée sur les œuvres elles‑mêmes plutôt que sur des théories ésotériques à propos des œuvres. Cependant, la question reste celle de savoir si une partie importante de l’œuvre du demandeur a été reproduite et il faut répondre à cette question du point de vue d’une personne dont le jugement et les connaissances lui permettent d’évaluer et d’apprécier pleinement tous les aspects pertinents — apparents ou latents — des œuvres en question. Dans certains cas, il peut être nécessaire de ne pas s’en tenir au point de vue d’un profane faisant partie de l’auditoire visé par l’œuvre et de demander à un expert d’éclairer le juge de première instance de manière à ce que celui-ci soit en mesure de poser sur les œuvres le regard d’une [traduction] « personne raisonnablement versée dans l’art ou la technologie en cause » : Vaver, p. 187.

[Non souligné dans l’original.]

[70] Dans le paragraphe contesté de ses motifs, paragraphe 134, la Cour fédérale a reconnu qu’il « peut être utile » de connaître le point de vue du profane, mais elle a ajouté que ce point de vue « n’est pas suffisant ». Plus important encore, la Cour a poursuivi en affirmant ce qui suit : « [l]a vraie question est celle de savoir s’il y a des similitudes importantes d’après les parties pertinentes des œuvres, y compris les similitudes latentes qui ne sont pas nécessairement évidentes pour le profane, mais qui peuvent influencer son expérience en tant que spectateur de l’œuvre ». Je ne relève aucune erreur de droit dans le raisonnement de la Cour concernant le rôle du profane.

[71] Au procès, Pyrrha a reconnu qu’en l’absence de témoignage d’expert sur la contrefaçon, c’était la Cour qui devait évaluer s’il y avait eu violation de son droit d’auteur. La Cour a rejeté l’affirmation de Pyrrha selon laquelle les œuvres ne devraient être examinées qu’à une distance de 2 à 3 pieds, car c’est probablement à cette distance qu’un acheteur se ferait une idée de l’œuvre. « La Cour a observé des différences notables entre les bijoux réels et même entre les photographies de ceux-ci ». La Cour a ensuite affirmé qu’« [e]n raison des limites des photographies, dans lesquelles les détails et les nuances sont plus difficiles à percevoir », elle préférait comparer les véritables objets déposés comme pièces (motifs, au paragraphe 142). Cette conclusion et cette approche n’ont révélé aucune erreur manifeste et dominante.

[72] En outre, les bijoux de Pyrrha se sont vendus entre 48 $ et 262 $, en fonction du modèle (motifs, au paragraphe 43). Plus précisément, en ce qui concerne les bijoux plus chers, il est juste de conclure qu’un profane qui achèterait un bijou observerait de près ce bijou et l’image du sceau de cire.

I. La Cour fédérale a-t-elle mal évalué le témoignage d’un témoin profane de Pyrrha?

[73] Erica Somer a témoigné qu’elle s’est rendue dans une bijouterie à Victoria, en Colombie-Britannique, et qu’elle a confondu les bijoux de Plum and Posey présentés dans une vitrine avec ceux de Pyrrha. Pyrrha affirme que la Cour fédérale a commis une erreur en rejetant son témoignage au motif qu’il s’agissait d’une « analyse ‘rapide’ » plus proche de celle du consommateur pressé qui jette un coup d’œil dans une vitrine (mémoire des faits et du droit de l’appelante, au paragraphe 88). Pyrrha soutient également que l’élément de preuve qu’elle a soumis a aussi été rejeté au motif qu’il est allégué qu’elle aurait publié plus tard une correction expliquant que la photo qu’elle avait soumise en preuve était celle d’un bijou de Plum and Posey. Pyrrha se plaint du fait que la Cour fédérale a interprété de façon erronée l’élément de preuve soumis, car il s’agissait d’une vidéo et non d’une photo et que rien ne prouve qu’un rectificatif a été apporté au cours du procès.

[74] On peut répondre de deux façons à ces préoccupations.

[75] D’abord, la Cour fédérale a donné plusieurs motifs pour le rejet du témoignage d’Erica Somer. Au paragraphe 13, la Cour a décrit Mme Somer comme étant « une amatrice si manifeste des bijoux de Pyrrha qu’elle était favorable à la position de Pyrrha. Son témoignage paraissait trop préparé pour que je la croie sur parole. Son pouvoir d’observation était discutable puisque sa vidéo montrait clairement un signe indiquant que les bijoux étaient ceux de Plum and Posey ». Enfin, son message à l’intention de Pyrrha, où elle s’est excusée et a indiqué qu’elle avait pensé que les bijoux étaient ceux de Pyrrha, « semblait plutôt vouloir attirer l’attention de Pyrrha en ligne » (motifs, au paragraphe 13). La Cour fédérale a fourni amplement de motifs pour le rejet du témoignage de ce témoin et aucune erreur manifeste et dominante n’a été établie.

[76] En outre, les motifs d’une cour de première instance ne doivent pas être scrutés à la loupe. Une phrase qui mentionne une vidéo, puis qui renvoie à un rectificatif expliquant que l’ [traduction] « image » était celle des bijoux de Plum and Posey, est loin d’établir l’existence d’une erreur manifeste et dominante. De même, le renvoi à un rectificatif était un renvoi à un message présenté en preuve par Pyrrha dans lequel le témoin s’est excusé et a précisé qu’elle pensait qu’il s’agissait des bijoux de Pyrrha. Une fois encore, aucune erreur manifeste et dominante n’a été établie.

IV. Conclusion

[77] Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

« Eleanor R. Dawson »

j.s.c.a.

« Je suis d’accord.

Yves de Montigny j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Marianne Rivoalen j.c.a. »

Traduction certifiée conforme.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-98-19

 

INTITULÉ :

PYRRHA DESIGN INC. c.

PLUM AND POSEY INC. ET ADRINNA M. HARDY

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver

Colombie-Britannique

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 octobre 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE SUPPLÉANTE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE RIVOALEN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 13 janvier 2022

 

COMPARUTIONS :

Nelson Godfrey

Scott Foster

 

Pour l’appelante

(en personne)

Rodney Smith

Myles Fish

 

Pour les intimées

(PAR VIDÉOCONFÉRENCE)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowlings WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Vancouver (Colombie-Britannique)

Seastone IP LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour l’appelante

 

 

Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Calgary (Alberta)

Pour les intimées

 

 

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