Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20220119


Dossier : A-407-19

Référence : 2022 CAF 10

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

ALEXANDRU-IOAN BURLACU

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 1er décembre 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 19 janvier 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LEBLANC

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE DE MONTIGNY

 


Date : 20220119


Dossier : A-407-19

Référence : 2022 CAF 10

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

ALEXANDRU-IOAN BURLACU

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LEBLANC

[1] L’appelant, un agent principal des programmes de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) interjette appel de la décision du juge Gleeson de la Cour fédérale, publiée sous la référence 2019 CF 1215, [2019] A.C.F. no 1206 (QL/Lexis) (la décision de la Cour fédérale), qui a rejeté sa demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par le commissaire à l’intégrité du secteur public (le Commissaire).

[2] Dans sa décision, le Commissaire a refusé d’enquêter sur des allégations d’actes répréhensibles faites par l’appelant au titre de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, L.C. 2005, ch. 46 (la Loi) dans lesquelles l’appelant affirme avoir été témoin d’actes répréhensibles commis par des fonctionnaires de l’ASFC et d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), de même que par un commissaire de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR), dans l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) et de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29, dans sa version en vigueur du 17 avril 2009 au 5 février 2014 (la Loi sur la citoyenneté).

I. Les divulgations en question

[3] L’appelant a fait les trois divulgations suivantes :

  • a)La première concerne la décision d’un commissaire de la CISR de détenir une personne au motif qu’elle a obtenu la citoyenneté par la fraude, en attendant son expulsion du Canada (la divulgation 334). Cet acte répréhensible allégué est fondé sur le fait que la détention a été ordonnée alors que la citoyenneté canadienne de la personne n’avait pas encore été révoquée au moyen de la procédure de révocation habituelle prévue par la Loi sur la citoyenneté. De l’avis de l’appelant, la décision de détenir la personne dans un tel contexte allait à l’encontre de la LIPR, qui n’autorise à des fins d’immigration que la détention des étrangers ou des résidents permanents.

  • b)La deuxième divulgation porte sur le renvoi de cette personne grâce aux efforts combinés de fonctionnaires d’IRCC et de l’ASFC (la divulgation 335). L’appelant a soutenu que cette personne ne pouvait pas être renvoyée du Canada, parce que, encore une fois, sa citoyenneté canadienne devait d’abord être révoquée au moyen de la procédure de révocation habituelle prévue par la Loi sur la citoyenneté. Il a mentionné que, bien que cette procédure avait été entamée, ces fonctionnaires ont décidé de ne pas y donner suite, choisissant plutôt de procéder au renvoi en se fondant sur un affidavit d’un employé d’IRCC, selon lequel cette personne n’avait jamais eu de statut valide au Canada et qu’elle n’avait donc jamais été citoyen canadien.

  • c)La troisième divulgation porte sur la décision de fonctionnaires d’IRCC de retarder, en raison de préoccupations concernant l’interdiction de territoire, la délivrance des titres de voyage à deux résidents permanents à l’égard de qui la Section d’appel de l’immigration (SAI) était déjà saisie de questions en suspens, et qui souhaitaient revenir au Canada (la divulgation 336). Selon l’appelant, ces personnes avaient droit à ces documents en vertu de la LIPR, et rien ne justifiait en droit le fait d’en retarder la délivrance, alors qu’elles se trouvaient à l’étranger, ni d’exiger que la CISR se penche sur les préoccupations relatives à l’interdiction de territoire et le fasse en l’absence de ces personnes, au besoin.

[4] L’appelant a soutenu que les fonctionnaires qui ont pris part à ces décisions ont commis un acte répréhensible au sens de l’alinéa 8a) de la Loi, en contravention d’une loi fédérale. À l’exception de la divulgation 334, il a également soutenu que ces fonctionnaires, par leur conduite, ont gravement porté atteinte au Code de valeurs et d’éthique du secteur public en plus d’avoir sciemment ordonné ou conseillé à une personne de commettre l’un des actes répréhensibles visés aux alinéas 8e) à f) de la Loi. Enfin, il a affirmé que la conduite signalée dans les divulgations 335 et 336 équivalait à une conduite criminelle interdite par le paragraphe 126(1) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46 et, dans le cas de la divulgation 336, une conduite interdite par l’alinéa 129(1)a) de la LIPR.

[5] Le paragraphe 126(1) du Code criminel dispose que quiconque, sans excuse légitime, contrevient à une loi fédérale en accomplissant intentionnellement une chose qu’elle défend ou en omettant intentionnellement de faire une chose qu’elle prescrit commet un acte criminel. L’alinéa 129(1)a) de la LIPR dispose que l’agent et tout fonctionnaire fédéral qui, sciemment, établit ou délivre un document faux, fait une fausse déclaration, se laisse corrompre, ou contrevient sciemment aux obligations que lui impose la loi commet une infraction.

II. La décision du Commissaire

[6] Dans une lettre du 22 février 2018, le Commissaire a refusé de procéder à une enquête sur ces divulgations. Il a ainsi défini la tâche qu’il devait accomplir :

[traduction]

Pour déterminer si une enquête est justifiée en vertu de la Loi, je dois d’abord examiner si la divulgation porte sur un acte répréhensible défini à l’article 8 de la Loi. Je dois également tenir compte des articles 23 et 24 de la Loi dans lesquels figure une liste de restrictions et de facteurs discrétionnaires que je pourrais prendre en considération pour décider de donner suite à une divulgation ou de procéder à une enquête.

(Lettre de décision du Commissaire, à la page 2)

[7] Le Commissaire a refusé de donner suite à la divulgation 334 parce que le paragraphe 24(2) de la Loi lui interdit d’y donner suite s’il estime que l’objet de la divulgation porte uniquement sur une décision rendue au titre d’une loi fédérale. L’appelant n’a pas contesté cette conclusion devant la Cour fédérale. La divulgation 334 n’est donc pas en litige dans le présent appel.

[8] En ce qui concerne les divulgations 335 et 336, le Commissaire a décidé de ne pas enquêter pour un « motif justifié » en vertu de l’alinéa 24(1)f) de la Loi puisqu’il ne lui a pas semblé qu’un acte répréhensible avait été commis dans les deux cas.

[9] En ce qui concerne la divulgation 335, cette conclusion reposait sur sa compréhension selon laquelle (i) la loi semblait conférer à l’ASFC et à IRCC le pouvoir, aux termes du Règlement sur la citoyenneté, DORS/93-246 (le Règlement) et de la LIPR, d’annuler le certificat de citoyenneté de la personne et de procéder à son renvoi du Canada; (ii) les plaintes formulées par l’appelant relativement à cette ligne de conduite constituaient un désaccord sur l’application du Règlement et de la LIPR; (iii) cette ligne de conduite a été approuvée après consultations, laissant supposer qu’il s’agissait d’un processus éclairé; (iv) la personne visée disposait de mécanismes de recours visant à contester les décisions de lui retirer son certificat de citoyenneté et de le renvoyer du Canada. En ce qui a trait à la divulgation 336, la conclusion tirée par le Commissaire reposait sur le fait qu’il comprenait que (i) les plaintes formulées par l’appelant constituaient un désaccord sur l’application de la LIPR et que (ii) les deux personnes visées par le retard de délivrance des titres de voyage demandés disposaient de recours judiciaires pour contester cette décision.

III. La décision de la Cour fédérale

[10] Appliquant la norme de la décision raisonnable, la Cour fédérale a refusé de modifier la décision du Commissaire. Elle a d’abord souligné que, pour évaluer la validité juridique des décisions qui sous-tendent les divulgations de l’appelant, soit la décision de révoquer la citoyenneté, la décision de prendre une mesure de renvoi et la décision de ne pas délivrer de titres de voyage, il convenait de procéder au contrôle judiciaire plutôt que d’avoir recours au mécanisme de divulgation prévu par la Loi puisque « le législateur n’a pas mandaté le commissaire de procéder au contrôle judiciaire des décisions rendues par d’autres décideurs administratifs, ni de procéder à une interprétation judiciaire des lois » (décision de la Cour fédérale, aux paras. 34 à 36). La Cour fédérale a ensuite rejeté l’allégation de l’appelant voulant que l’alinéa 24(1)f) de la Loi ne puisse être interprété comme une clause omnibus englobant tout, car il rendrait inutiles les alinéas a) à e). Elle a conclu qu’une telle interprétation irait à l’encontre du but de la Loi, qui confère au Commissaire de vastes pouvoirs discrétionnaires de donner suite aux divulgations, « dont la capacité de refuser de donner suite à une divulgation concernant un acte qui, autrement, correspondrait à la définition du terme “acte répréhensible” » (décision de la Cour fédérale, au para. 42).

[11] Enfin, la Cour fédérale a conclu que le refus du Commissaire de prendre d’autres mesures dans cette affaire était raisonnable, soulignant qu’il faut faire preuve d’une grande retenue à l’égard des décisions du commissaire rendues en application des articles 8 et 24 de la Loi, vu le vaste pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par le législateur. Plus précisément, elle a conclu que, bien que la décision du Commissaire était « loin d’être parfaite » et qu’il aurait été préférable qu’il « délimite plus clairement l’analyse effectuée et qu’il aborde et commente explicitement tous les éléments de preuve fournis avec les divulgations », ses motifs suffisaient à comprendre pourquoi il avait refusé de prendre d’autres mesures et évaluer si cette conclusion appartient aux issues possibles acceptables (décision de la Cour fédérale, aux paras. 48 à 50).

IV. La thèse de l’appelant

[12] L’appelant soutient que la Cour fédérale a commis une erreur dans son interprétation de l’alinéa 24(1)f) de la Loi en n’effectuant pas une analyse bilingue et en se fondant sur la jurisprudence qui souffre des mêmes lacunes. Il conteste également la façon dont la Cour fédérale a qualifié son [traduction] « principal argument » sur le rôle du Commissaire. À cet égard, l’appelant soutient que ce rôle, vu la définition que donne la Loi de l’expression « acte répréhensible », est de [traduction] « prendre position sur ce que la loi oblige à faire ou à ne pas faire » et que c’est la seule manière dont le Commissaire peut [traduction] « déterminer s’il y a eu contravention à la loi ou au règlement ». Contrairement à la qualification donnée par la Cour fédérale à son principal argument, il ne s’agit pas de [traduction] « procéder au contrôle judiciaire des décisions rendues par d’autres décideurs administratifs » ni de [traduction] « procéder à une interprétation judiciaire des lois » (mémoire des faits et du droit de l’appelant, au para. 56).

[13] L’appelant soutient également que la décision du Commissaire de ne pas enquêter sur les divulgations 335 et 336 est déraisonnable parce que (i) le Commissaire n’a pas véritablement examiné ses arguments; (ii) les motifs de la décision ne satisfont pas aux exigences de transparence, d’intelligibilité et de justification requises; (iii) le motif invoqué pour ne pas donner suite aux divulgations en litige, qui ont été faites pour mettre en lumière les violations au principe de la primauté du droit, n’est pas « valable », car il va à l’encontre de l’objectif premier de la Loi, qui est d’accroître la confiance du public dans l’intégrité des fonctionnaires.

V. Question en litige et norme de contrôle

[14] Il est acquis en matière jurisprudentielle qu’en cas d’appel d’une décision de la Cour fédérale saisie d’une demande de contrôle judiciaire, notre Cour doit déterminer si la Cour fédérale a choisi la norme de contrôle appropriée et, dans l’affirmative, si elle l’a correctement appliquée en examinant la décision administrative. Pour ce faire, la Cour doit « se mettre à la place » de la Cour fédérale et se concentrer effectivement sur la décision administrative examinée (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, aux paras. 45 à 47). Comme la Cour suprême l’a déclaré récemment dans Office régional de la santé du Nord c. Horrocks, 2021 CSC 42, [2021] 12 W.W.R. 1 (Horrocks), « [c]ette approche n’accorde aucune déférence à l’application de la norme de contrôle par le juge de révision », elle exige que la Cour « procède plutôt à un examen de novo de la décision administrative » (Horrocks, au para. 10).

[15] En s’appuyant sur la jurisprudence antérieure, y compris l’arrêt de notre Cour intitulé Agnaou c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 30, 476 N.R. 156, au paragraphe 35 (Agnaou), le juge Gleeson a examiné la décision du commissaire selon la norme de la décision raisonnable. Ce litige est antérieur à l’arrêt de la Cour suprême intitulé Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, 441 D.L.R. (4th) 1 (Vavilov), dans lequel la Cour suprême a revu sa démarche à suivre pour le contrôle judiciaire des décisions administratives. Dans cet arrêt, la Cour suprême a conclu que, lors de l’examen d’une telle décision, la cour de révision « doit partir de la présomption que la norme de contrôle applicable à l’égard de tous les aspects de cette décision », y compris en ce qui a trait à l’interprétation de la loi constitutive du décideur, « est celle de la décision raisonnable » (Vavilov, aux paras. 25 et 115).

[16] Nul ne conteste que la norme de la décision raisonnable appliquée par le juge Gleeson demeure valide selon le cadre d’analyse établi dans Vavilov. En fait, la raisonnabilité était le bon choix à faire puisqu’il n’y a aucun fondement sur lequel la présomption en faveur de cette norme, qui ne peut être réfutée que dans des circonstances limitées (Vavilov, au para. 69), aurait pu être réfutée en l’espèce.

[17] Par conséquent, en se substituant à la Cour fédérale, dans le présent appel, notre Cour doit déterminer si la décision du Commissaire est raisonnable. Je suis d’avis que cette question soulève les deux questions suivantes :

  • i)La conclusion du Commissaire selon laquelle aucun acte répréhensible n’a été commis est-elle raisonnable?

ii) Dans l’affirmative, était-il raisonnablement loisible au Commissaire de ne pas enquêter sur les divulgations en litige?

[18] En répondant à ces questions, notre tâche n’est pas de trancher nous-mêmes la question en litige selon nos propres critères ou de déterminer ce qu’aurait été la décision correcte. Notre rôle est plutôt de porter « une attention respectueuse » aux motifs donnés par le Commissaire, en cherchant à comprendre l’analyse qui a été faite et à s’assurer que la décision appartient à un éventail d’issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit qui limitent les pouvoirs du Commissaire (Vavilov, aux paras. 83 à 86; voir également Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au para. 47).

[19] Une fois de plus, ce n’est pas différent lorsque la question en litige porte sur l’interprétation faite par le décideur de sa loi constitutive. Conformément à la mise en garde de notre Cour dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Mason, 2021 CAF 156, 337 A.C.W.S. (3d) 380 (Mason), les cours de révision « ne doivent pas elles-mêmes rendre des décisions ou des conclusions définitives » sur l’interprétation législative d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable puisqu’elles « établiraient alors leur propre critère pour jauger l’interprétation du décideur administratif et s’assurer que cette interprétation est la bonne » (Mason, au para. 17).

VI. Discussion

A. La conclusion du Commissaire selon laquelle aucun acte répréhensible n’a été commis est raisonnable

[20] Un contrôle de novo selon la norme de la décision raisonnable de la décision du Commissaire m’amène à conclure qu’il n’y a aucune raison de modifier cette décision. L’essentiel de cette décision est qu’aucun acte répréhensible au sens de l’article 8 de la Loi n’a été commis dans les circonstances énoncées dans la divulgation 335 ou la divulgation 336. De l’avis du Commissaire, la plainte formulée par l’appelant constituait un désaccord sur la manière dont la Loi sur la citoyenneté et la LIPR ont été appliquées dans ces deux cas précis.

[21] À ce stade-ci, il est important de souligner l’argument principal avancé par l’appelant tout au long de la présente instance. Cet argument, qui se trouve aux paragraphes 2, 3, 4 et 56 du mémoire des faits et du droit de l’appelant peut se résumer ainsi :

[TRADUCTION]

  • i)Les fonctionnaires ne peuvent pas prétendre ne pas savoir ce que la loi et la jurisprudence précisent, et prendre des mesures d’une manière contraire à celles-ci tant que la Cour fédérale n’a pas rendu une décision contraire quant aux faits propres à une affaire donnée.

  • ii)Le fait de permettre une telle situation, surtout dans des cas où personne n’a ni l’intérêt ni la capacité de solliciter le contrôle judiciaire, donnerait lieu à des situations d’abus évident.

  • iii)Il s’agit là du type même de situation donnant lieu à un acte répréhensible que le Commissaire a été chargé d’enquêter et de prévenir et, pour ce faire, il [traduction] « doit prendre position sur ce que la loi oblige à faire ou à ne pas faire ».

  • iv)Toute opinion contraire exclurait de l’application de la Loi la plupart des activités quotidiennes des segments entiers de l’administration de la fonction publique fédérale, contrarierait l’intérêt public quant au respect de la primauté du droit et irait à l’encontre de l’objectif déclaré du législateur de maintenir et de renforcer la confiance du public dans l’intégrité des fonctionnaires.

[22] Ce que j’en déduis – et ce que je déduis des observations orales de l’appelant au cours de l’audience du présent appel – est que toute erreur de droit ou erreur mixte de fait et de droit qui aurait été commise par des fonctionnaires dans l’application de l’administration d’une loi ou d’un règlement constitue une « contravention » à une loi (ou à un règlement). Par conséquent, cela entraîne l’obligation pour le Commissaire d’enquêter, quelle que soit l’erreur et pour quelque motif que ce soit, sur la raison pour laquelle cette erreur n’a pas été contestée devant les tribunaux par la personne directement concernée, que ce soit dans le cadre d’un contrôle judiciaire, d’un appel prévu par la loi ou de tout autre recours juridique. J’en déduis également que l’alinéa 8a) de la Loi est essentiel à l’argument avancé par l’appelant; et que les alinéas 8e) et f) ont tout au plus une importance secondaire.

[23] L’interprétation de l’alinéa 8a) de la Loi proposée par l’appelant a une vaste portée que le Commissaire avait raisonnablement le droit de rejeter. En fait, ce point de vue semble n’avoir que peu d’emprise sur le libellé de cette disposition, lorsqu’elle est lue dans son contexte et selon son objet, comme l’exige la méthode moderne d’interprétation des lois (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S 27, 36 O.R. (3d) 418, au para. 21 et Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, au para. 26, les deux arrêts reproduisant un extrait de l’ouvrage d’Elmer A. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd., Toronto, Butterworths, 1983, à la page 87).

[24] L’article 8 dispose que :

Actes répréhensibles

Wrongdoings

8 La présente loi s’applique aux actes répréhensibles ci-après commis au sein du secteur public ou le concernant :

8 This Act applies in respect of the following wrongdoings in or relating to the public sector:

a) la contravention d’une loi fédérale ou provinciale ou d’un règlement pris sous leur régime, à l’exception de la contravention de l’article 19 de la présente loi;

(a) a contravention of any Act of Parliament or of the legislature of a province, or of any regulations made under any such Act, other than a contravention of section 19 of this Act;

b) l’usage abusif des fonds ou des biens publics;

(b) a misuse of public funds or a public asset;

c) les cas graves de mauvaise gestion dans le secteur public;

(c) a gross mismanagement in the public sector;

d) le fait de causer — par action ou omission — un risque grave et précis pour la vie, la santé ou la sécurité humaines ou pour l’environnement, à l’exception du risque inhérent à l’exercice des attributions d’un fonctionnaire;

(d) an act or omission that creates a substantial and specific danger to the life, health or safety of persons, or to the environment, other than a danger that is inherent in the performance of the duties or functions of a public servant;

e) la contravention grave d’un code de conduite établi en vertu des articles 5 ou 6;

(e) a serious breach of a code of conduct established under section 5 or 6; and

f) le fait de sciemment ordonner ou conseiller à une personne de commettre l’un des actes répréhensibles visés aux alinéas a) à e).

(f) knowingly directing or counselling a person to commit a wrongdoing set out in any of paragraphs (a) to (e).

[25] Le sens ordinaire de l’expression « la contravention de » à l’alinéa 8a) de la Loi (« a contravention of » dans la version anglaise) exprime généralement l’idée d’un manquement, d’une infraction, d’une violation, d’une transgression, d’une intrusion, d’une atteinte (Dictionnaire en ligne Merriam-Webster.com (consulté le 3 janvier 2022), sous l’entrée « contravention » : <https://www.merriam-webster.com/dictionary/contravention>). Il exprime la même idée en français : « enfreindre, transgresser, violer » (Larousse (consulté le 4 janvier 2022), sous l’entrée « contrevenir », en ligne : <https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/contrevenir/18912>; Le Robert Dico en ligne, (consulté le 4 janvier 2022), sous l’entrée « contrevenir à » : <https://dictionnaire.lerobert.com/definition/contrevenir>). Contrevenir à une loi est souvent aussi appelé « violer » ou « enfreindre » la loi (Cambridge Dictionary (consulté le 4 janvier 2022), sous l’entrée « contravene », en ligne : <https://dictionary.cambridge.org/dictionary/english/contravene>; (Oxford English Dictionary: The Definitive Record of the English Language (Oxford: Oxford University Press, 2010), sous l’entrée « contravene »; Bryan A. Garner, éd., Black’s Law Dictionary, 11th éd. (St. Paul, Minnesota: Thomson Reuters, 2019)).

[26] On pourrait raisonnablement dire que cela englobe difficilement le concept d’erreurs susceptibles de révision ou d’appel. Le fait de commettre ce genre d’erreur d’une part, et celui de transgresser ou de violer une loi d’autre part, n’a généralement pas la même connotation juridique. La commission d’une erreur concerne la validité juridique de la mesure gouvernementale que les tribunaux ont été chargés d’examiner au moyen du contrôle judiciaire ou des appels prévus par la loi afin de garantir le maintien de la primauté du droit. Le fait de transgresser ou de violer une loi se rapproche davantage, selon moi, de l’idée de la transgression d’une loi de manière volontaire et intentionnelle, généralement dans un but illégitime ou moralement répréhensible, ce qui s’apparente habituellement, mais pas toujours, à un contexte pénal ou quasi pénal.

[27] Les cours de révision sont appelées à contrôler des mesures administratives presque quotidiennement. Si j’examine le libellé de l’alinéa 8a) de la Loi, je doute fortement que l’intention du législateur fût de faire en sorte que les erreurs susceptibles de révision ou d’appel constituent des « actes répréhensibles » ou que le Commissaire soit investi d’un genre de pouvoir de substitution l’autorisant à examiner la légalité de la mesure gouvernementale dans des affaires où aucune contestation judiciaire n’avait été présentée à l’encontre d’une telle mesure par une personne directement concernée par cette mesure. Poussée à l’extrême, la thèse de l’appelant signifierait que des milliers de décisions rendues quotidiennement par des fonctionnaires dans le cadre de l’administration de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), du Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8 ou de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 seraient visées par l’alinéa 8a) de la Loi chaque fois qu’une erreur aurait été commise en rendant ces décisions, pourvu que la personne directement concernée par cette erreur n’ait pas contesté la validité juridique de la décision devant les tribunaux. Je le répète, je doute fortement que ce fût là l’intention du législateur au moment où il a adopté l’article 8 de la Loi et plus précisément, l’alinéa 8a).

[28] Le contexte ne semble pas non plus étayer la conception élargie préconisée par l’appelant. Tout d’abord, un examen des débats parlementaires qui ont mené à l’adoption de la Loi démontre clairement que cette loi (le projet de loi C-11 à l’époque) visait à mettre fin aux actes répréhensibles « graves », et non à tout type d’actes répréhensibles. L’un des experts appelés à témoigner devant le comité parlementaire responsable d’étudier le projet de loi C-11 (le Comité), Dr. Edward Keyserlingk, qui à l’époque était Agent de l’intégrité de la fonction publique, a souligné que la loi [traduction] « elle-même » [traduction] « vise à traiter de graves cas d’actes répréhensibles allant à l’encontre de l’intérêt public, dont le non-respect de lois et de règlements, des cas flagrants de mauvaise gestion ou de graves menaces contre la vie, la santé ou l’environnement » (Chambre des communes, Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires, Témoignages – (38-1) – no 11 (30 novembre 2004), à la page 1110 (Dr. Edward Keyserlingk)).

[29] Cela a été réitéré par M. Ken Boshcoff, un député fédéral du Parti libéral au pouvoir, lorsque le Comité a repris son étude du projet de loi C-11, en juin 2005. Alors que le Comité discutait de la nécessité pour le commissaire de se voir conférer le pouvoir discrétionnaire requis pour décider comment donner suite à une divulgation, M. Boshcoff a voulu s’assurer [traduction] « que le texte de loi que nous étudions est focalisé et efficace » et que [traduction] « la législation est très claire qu’il doit s’agir d’une dénonciation sérieuse et d’actes répréhensibles graves, et que ce n’est pas quelque chose qui peut être mieux traité par une autre loi » (Chambre des communes, Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires, Témoignages – (38-1) – no 50 (28 juin 2005), à la page 1215 (M. Ken Boshcoff)).

[30] Cela a été réaffirmé quelques semaines plus tard, au moment où le projet de loi C-11 a été débattu à la Chambre des communes, peu avant son adoption. Le député libéral Paul Szabo voulait être [traduction] « absolument certain que les Canadiens comprennent les attentes relatives au projet de loi ». À ce sujet, il a mentionné que les actes répréhensibles visés par le projet de loi C-11 [traduction] « doivent contrevenir à une loi canadienne, poser un risque pour les employés ou constituer un cas grave de mauvaise gestion », soulignant, à titre d’exemple, le [traduction] « genre de situations que nous avons connues avec l’ancien commissaire à la protection de la vie privée [...], situations qui présentaient de sérieux problèmes ». Il a rappelé à la Chambre, en matière d’attentes, qu’il n’était pas question de [traduction] « plaintes liées aux ressources humaines, ni de plaintes ou de questions générales liées aux orientations stratégiques ou aux décisions du gouvernement » (débats de la Chambre des communes, (38-1) – no 131 (4 octobre 2005), à la page 1340 (M. Paul Szabo)).

[31] Il convient d’ajouter à ce point que le scandale des commandites, qui a démontré de graves cas d’usage abusif des fonds publics, des cas graves de mauvaise gestion et des violations de la loi donnant lieu à des condamnations au criminel, était très présent dans l’esprit des parlementaires au moment des débats sur le projet de loi C-11, comme il ressort des nombreuses références à ce scandale dans les débats parlementaires (débats de la Chambre des communes, (38-1) – no 131 (4 octobre 2005), aux pages 1030 à 1035 (Benoît Sauvageau, BQ), à la page 1100 (Gurmant Grewal, PCC), aux pages 1120 à 1130 (Paul Crête, BQ), aux pages 1130 à 1135 (John Williams, PCC), à la page 1215 (Odina Desrochers, BQ), aux pages 1235 à 1240 (Deepak Obhrai, PCC), et à la page 1300 (Joe Preston, PCC); débats du Sénat, (38-1) – no 142 (27 octobre 2005), aux pages 1420 à 1430 et 1450 (l’hon. Noël A. Kinsella, chef de l’opposition)).

[32] Les débats parlementaires révèlent également que le projet de loi C-11 « est vraiment destiné à protéger les dénonciateurs », comme l’a indiqué la députée de l’opposition du Bloc Québécois, Louise Thibault (Chambre des communes, Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires, Témoignages – (38-1) – no 46 (21 juin 2005), à la page 1120 (Louise Thibault)), une déclaration reprise par M. Szabo, qui a mentionné à la Chambre que le projet de loi [traduction] « concerne la protection des fonctionnaires qui font des allégations d’actes répréhensibles » (débats de la Chambre des communes, (38-1) – no 131 (4 octobre 2005), à la page 1340 (Paul Szabo)); voir également la déclaration de la députée libérale et secrétaire parlementaire du président du Conseil du Trésor, l’honorable Diane Marleau : Chambre des communes, Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires, Témoignages – (38-1) – no 47 (21 juin 2005), à la page 1605 (l’honorable Diane Marleau)).

[33] Selon M. Ralph Heintzman, vice-président, Valeurs et éthique de la fonction publique, Agence de gestion des ressources humaines de la fonction publique du Canada, qui a comparu devant le Comité à titre de témoin expert, cette protection était le principal dispositif choisi pour trouver un équilibre entre deux intérêts opposés concernant le statut d’un fonctionnaire : le devoir de loyauté qui empêche les fonctionnaires de parler publiquement et la liberté d’expression qui leur permet, entre autres, de mettre en lumière des circonstances qui, de leur avis, constituent des actes répréhensibles (Chambre des communes, Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires, Témoignages – (38-1) – no 47 (21 juin 2005), à la page 1605 (Ralph Heintzman)).

[34] Aux yeux des parlementaires, le projet de loi C-11 ne portait donc pas seulement sur les divulgations, mais principalement sur la protection des fonctionnaires qui croyaient qu’un acte répréhensible grave avait été commis et qui souhaitaient en faire la divulgation. Il n’y a absolument aucun indice, dans les débats parlementaires, qui laisse croire que les partisans du projet de loi C-11 voulaient que la notion d’« acte répréhensible » soit élargie pour y inclure le concept d’erreurs susceptibles de révision ou d’appel.

[35] Les débats révèlent également que certains membres du Comité ont tenté de supprimer, du libellé de l’article 8, des qualificatifs comme « grossier » ou « grave ». Ces tentatives ont échoué, au motif que l’absence de qualificatifs pose un problème : [traduction] « à quel point l’acte devient-il répréhensible », car « certains indices » étaient nécessaires pour pouvoir fixer cette limite (Chambre des communes, Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires, Témoignages – (38-1) – no 47 (21 juin 2005), à la page 1650 (Ralph Heintzman)). Dans son témoignage devant le Comité sénatorial permanent des finances nationales, M. Heintzman a souligné que, d’après son expérience, la plupart des allégations d’actes répréhensibles se révélaient non fondées, insistant ainsi sur la [traduction] « nécessité qu’il y a de faire en sorte que l’idée que quelqu’un se fait d’un acte répréhensible soit mûrement pesée avant qu’on présente publiquement l’acte en question comme étant un acte prétendument répréhensible » (Sénat, Comité sénatorial permanent des finances nationales, première et dernière réunion sur le projet de loi C-11, Loi prévoyant un mécanisme de dénonciation des actes répréhensibles et de protection des dénonciateurs dans le secteur public, Témoignages – (38-1), (23 novembre 2005), aux pages 32:15 et 32:16 (Ralph Heintzman)).

[36] Cela appuie l’opinion selon laquelle le législateur voulait, en adoptant la Loi, mettre fin aux actes répréhensibles graves, et non à tout type d’actes répréhensibles. Cela ressort du libellé de l’article 8 de la Loi. Aux termes de l’alinéa 8c), un cas de mauvaise gestion dans le secteur public n’est un « acte répréhensible » que s’il constitue « un cas grave de mauvaise gestion » (« gross mismanagement » dans la version anglaise). Il en va de même pour les infractions à un code de conduite établi par la Loi : aux termes de l’alinéa 8e), seules les contraventions « graves » (« serious breaches » dans la version anglaise) satisfont à cette définition. En outre, en ce qui concerne une action ou une omission qui commande l’application de l’alinéa 8d), le risque qu’il pose pour la vie, la santé ou la sécurité humaines ou pour l’environnement doit être « grave et précis » (« substantial and specific » dans la version anglaise).

[37] Je le répète, ces dispositions fournissent certains indices contextuels selon lesquels le législateur n’a pas voulu que l’acte répréhensible visé à l’alinéa 8a) de la Loi soit une notion mal définie et fourre-tout, pouvant comprendre des concepts comme les erreurs susceptibles de révision ou d’appel dans le cadre de l’application d’un régime législatif, comme l’a affirmé l’appelant. À tout le moins, ces indices fournissent un certain fondement à la thèse avancée par le Commissaire, voulant que les circonstances mentionnées dans les divulgations 335 et 336 ne constituent pas des actes répréhensibles, mais relèvent plutôt de désaccords sur l’application et l’interprétation correctes de deux lois fédérales à l’égard de deux ensembles de faits précis.

[38] Un autre indice est la présence de l’article 9 de la Loi, qui assujettit les auteurs d’actes répréhensibles, en plus de « toute autre peine prévue par la loi » (« any penalty provided for by law » dans la version anglaise), à des sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement. Là encore, je suis d’avis que le type de conduite visée par le législateur à l’alinéa 8a) de la Loi se rapproche davantage du contexte pénal ou quasi pénal que de celui d’erreurs susceptibles de révision ou d’appel. Il est en fait tout à fait concevable que la conduite associée aux actes répréhensibles mentionnés aux alinéas 8b) à e) (usage abusif des fonds publics, cas graves de mauvaise gestion, action ou omission créant un risque grave pour la vie, la santé ou la sécurité humaines ou pour l’environnement, contravention grave d’un code de conduite, sciemment ordonner ou conseiller à une personne de commettre un acte répréhensible) puisse entraîner des pénalités ou des mesures disciplinaires. Cependant, ce lien devient moins évident en ce qui a trait à l’alinéa 8a) si l’on examine cette disposition de manière à transcender le sens ordinaire de l’expression « contravention d’une loi fédérale [...] ou d’un règlement pris sous leur régime ». Cela est encore plus vrai lorsque l’on affirme, comme le fait l’appelant, que cette expression comprend les erreurs susceptibles de révision ou d’appel commises dans l’application ou l’administration d’une loi, de sorte qu’une telle conduite n’entraîne pas habituellement de pénalités ou de mesures disciplinaires.

[39] En somme, la thèse avancée par le Commissaire repose sur une interprétation raisonnable de l’article 8 de la Loi, lu dans son contexte. Contrairement à ce que soutient l’appelant, une interprétation téléologique de cette disposition ne modifie pas le caractère raisonnable de cette thèse. Comme je l’ai déjà mentionné, l’appelant soutient que la thèse du Commissaire en l’espèce va à l’encontre de l’objectif déclaré du législateur de maintenir et de renforcer la confiance du public dans l’intégrité des fonctionnaires. Le mot clé de cet objectif déclaré est « intégrité », mais le sens ordinaire de ce terme renvoie à la notion de rectitude morale, soit l’honnêteté et de solides principes moraux (Cambridge Dictionary, (consulté le 7 janvier 2022), sous l’entrée « integrity », en ligne : <https://dictionary.cambridge.org/dictionary/english/integrity>; Merriam-Webster.com Dictionary (consulté le 7 janvier 2022), sous l’entrée « integrity » en ligne : <https://www.merriam-webster.com/dictionary/integrity>). Ce terme est synonyme de rectitude, de probité et d’honneur (Merriam-Webster.com Dictionary (consulté le 7 janvier 2022), sous l’entrée « integrity » en ligne : <https://www.merriam-webster.com/dictionary/integrity>). Je suis d’avis que l’on pourrait raisonnablement pardonner à une personne de ne pas associer immédiatement le concept d’intégrité à la commission d’une erreur susceptible de révision ou d’appel.

[40] Tout cela s’applique également à l’allégation d’acte répréhensible de l’alinéa 8e). Comme je l’ai indiqué précédemment, la contravention d’un code de conduite établi par la Loi constitue uniquement un acte répréhensible s’il s’agit d’une « contravention grave ». Je le répète, en alléguant, sans plus, que des erreurs susceptibles de révision ou d’appel ont été commises dans l’application ou l’administration d’une loi à un ensemble précis de circonstances, on peut raisonnablement en conclure que l’alinéa 8e) de la Loi n’entre pas en jeu ou, dans ce cas-ci, des interdictions de nature criminelle ou pénale, comme celles énoncées au paragraphe 126(1) du Code criminel ou à l’alinéa 129(1)a) de la LIPR.

[41] Cela ne revient pas à dire que le fait de défier volontairement ou d’ignorer à répétition la loi applicable dans le cadre de l’administration d’une disposition législative ne pourrait pas donner lieu à un « acte répréhensible » au sens des alinéas 8a) à e) de la Loi, surtout si cela est fait à des fins illicites, mais en l’espèce, les divulgations en litige semblent être d’un tout autre ordre.

[42] Comme nous l’avons vu, la divulgation 335 concerne finalement la validité d’une ordonnance d’expulsion d’une personne dont un tribunal a conclu qu’elle avait obtenu la citoyenneté canadienne par fraude (dans ce cas-ci, en usurpant l’identité de quelqu’un d’autre). La question soulevée dans la divulgation 335 est de savoir si cette mesure aurait dû être précédée par la restitution de la citoyenneté canadienne obtenue par fraude au moyen de la procédure formelle prévue à la Loi sur la citoyenneté plutôt que – comme cela s’est fait en l’espèce – par la restitution du certificat de citoyenneté selon la procédure prévue à l’article 26 du Règlement; le recours à cette procédure de rechange se fondant sur le principe que la personne n’a jamais été citoyen canadien.

[43] La divulgation 336 concerne la légalité du retard à délivrer les documents de voyage de deux résidents permanents du Canada souhaitant revenir au Canada. La question soulevée est de savoir si les préoccupations relatives à l’interdiction de territoire pouvaient raisonnablement justifier une telle mesure et pouvaient justifier, avant la délivrance des documents de voyage, le fait que la SAI, qui était déjà saisie de certaines questions en suspens relativement à ces personnes, soit saisie de ces préoccupations et soit appelée à rendre une décision en l’absence de ces personnes, au besoin.

[44] Les questions soulevées dans les deux cas relèvent bien du cadre de ce qui est qualifié généralement, en droit administratif, comme il est allégué – et susceptibles de révision ou d’appel devant les tribunaux – d’erreurs de droit ou d’erreurs mixtes de fait et de droit. Il était donc raisonnablement loisible au Commissaire de conclure qu’aucune des divulgations ne faisait preuve d’un « acte répréhensible » au sens de l’article 8 de la Loi, comme on ne saurait raisonnablement démontrer une conduite habituellement associée à une violation de la loi ou à une contravention grave d’un code de conduite.

[45] Le Commissaire a plutôt conclu que ces allégations constituaient des désaccords quant à la façon dont la LIPR et la Loi sur la citoyenneté devaient être interprétées et appliquées à ces deux cas précis, et que les personnes directement concernées par la conduite faisant l’objet des plaintes de l’appelant disposaient de recours juridiques. Par conséquent, il semblerait que le Commissaire a conclu qu’un acte répréhensible visé par la Loi n’avait pas été commis. Il était raisonnablement loisible au commissaire de tirer cette conclusion.

B. Il était raisonnablement loisible au Commissaire de ne pas enquêter sur les divulgations en litige

[46] Ayant conclu qu’aucun acte répréhensible n’avait été commis, il va de soi que le Commissaire avait le droit de ne prendre aucune autre mesure concernant la divulgation en litige. Conformément à l’alinéa 22b) de la Loi, il revient au Commissaire de « recevoir, consigner et examiner les divulgations afin d’établir s’il existe des motifs suffisants pour y donner suite » (non souligné dans l’original). C’est ce que le Commissaire a fait en l’espèce : il a examiné les divulgations en litige, a évalué s’il s’agissait d’actes répréhensibles visés par l’article 8 de la Loi et a conclu que ce n’était pas le cas. Conjugué au fait que les personnes directement concernées par les mesures prises dans chaque cas disposaient de recours judiciaires à l’encontre de ces mesures, il a décidé de refuser de donner suite aux divulgations, en se fondant sur l’alinéa 24(1)f) de la Loi, parce que « cela est opportun pour tout autre motif justifié ».

[47] Comme notre Cour l’a reconnu dans Gupta c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 211, 2017 CarswellNat 5703 (WL Can) (Gupta), le Commissaire s’est vu conférer, en vertu du paragraphe 24(1) de la Loi, le droit de refuser de commencer une enquête sur une divulgation « pour certaines raisons prévues dans la disposition et (conformément à l’alinéa 24(1)f)) pour tout motif qu’il considère comme un « motif justifié » (Gupta, par. 8) (non souligné dans l’original).

[48] Dans Agnaou, notre Cour a souligné la « discrétion très large dont jouit le Commissaire aux termes de l’article 24 de la Loi pour décider d’enquêter ou pas suite à une divulgation » (Agnaou, au para. 70; voir également Gupta, au para. 9). En faisant cette observation, la Cour a rejeté le point de vue voulant que l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire soit limité par l’obligation de prouver que le refus d’enquêter, comme en l’espèce, régie par la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6, soit limitée aux cas « les plus clairs » (Agnaou, aux paras. 67 à 69).

[49] Comme l’a fait remarquer le juge Gleeson, jusqu’à présent, l’alinéa 24(1)f) de la Loi a été interprété comme reconnaissant « la possibilité de chevauchement entre les motifs pour lesquels le commissaire pourrait refuser de donner suite à une divulgation énoncée aux alinéas 24(1)a) à e) et ceux prévus à l’alinéa 24(1)f) » (décision de la Cour fédérale, au para. 43). C’est probablement pourquoi l’alinéa 24(1)f) a été jusqu’ici mentionné dans la jurisprudence, comme étant une forme de « clause omnibus » (décision de la Cour fédérale, au para. 40, renvoyant à la décision Gupta c. Canada (Procureur général), 2016 CF 1416, 2016 CarswellNat 11517 (WL Can), au para. 44).

[50] L’appelant accepte que la Loi confère au Commissaire un pouvoir discrétionnaire [traduction] « extrêmement vaste » et une [traduction] « énorme latitude » lorsqu’il s’agit de déterminer s’il y a lieu d’enquêter sur une divulgation (mémoire des faits et du droit, au para. 37). Il accepte également qu’il puisse y avoir théoriquement un certain degré de chevauchement entre les alinéas 24(1)a à e) et l’alinéa 24(1)f). Il soutient cependant que l’alinéa 24(1)f) ne peut être interprété comme étant une clause omnibus englobant tout, car cela permettrait au commissaire de contourner les alinéas 24(1)a) à e). Il soutient que la présence du terme « autre » dans la version française de l’alinéa 24(1)f) empêche une telle interprétation. Comme la disposition ne renferme aucun terme équivalent dans la version anglaise, l’appelant se fonde sur la règle du sens commun de l’interprétation législative pour faire valoir que le sens plus restreint – soit celui de la version française – devrait l’emporter.

[51] L’alinéa 24(1)f) est ainsi libellé :

Refus d’intervenir

Right to refuse

24 (1) Le commissaire peut refuser de donner suite à une divulgation ou de commencer une enquête ou de la poursuivre, s’il estime, selon le cas :

24 (1) The Commissioner may refuse to deal with a disclosure or to commence an investigation — and he or she may cease an investigation — if he or she is of the opinion that

[…]

[…]

f) que cela est opportun pour tout autre motif justifié.

(f) there is a valid reason for not dealing with the subject-matter of the disclosure or the investigation.

[52] La Cour fédérale a rejeté l’argument de l’appelant au motif que le fait de retenir le sens plus restreint irait à l’encontre de l’intention du législateur :

[42] Quand il a promulgué la LPFDAR, le législateur avait l’intention de créer des mécanismes efficaces de divulgation d’actes répréhensibles et de protection des fonctionnaires ainsi que d’atteindre un équilibre entre ces objectifs et le devoir de loyauté et le droit à la liberté d’expression des fonctionnaires (préambule de la LPFDAR). Dans le but d’atteindre cet équilibre, le législateur a conféré au commissaire de vastes pouvoirs discrétionnaires, dont la capacité de refuser de donner suite à une divulgation concernant un acte qui, autrement, correspondrait à la définition du terme « acte répréhensible ». Le commissaire peut refuser de donner suite à une divulgation s’il estime « que cela est opportun pour tout autre motif justifié ». Ce pouvoir discrétionnaire a été décrit dans la jurisprudence de la Cour comme ayant « une très large portée » et conférant « une immense latitude » au commissaire (Detorakis [c. Canada (Procureur général] 2010 CF 39, 358 F.T.R. 266], au par. 106, et Canada (Procureur général c Canada (Commissaire à l’intégrité de la fonction publique), 2016 CF 886, [2017] 2 R.C.F. 165], au par. 129).

[43] L’adoption d’une interprétation de l’article 24 qui ne reconnaîtrait pas la possibilité de chevauchement entre les motifs pour lesquels le commissaire pourrait refuser de donner suite à une divulgation énoncée aux alinéas 24(1)a) à e) et ceux prévus à l’alinéa 24(1)f) irait, à mon avis, à l’encontre du but de la loi.

[53] Cette thèse semble être tout à fait conforme à ce qui a été décrit dans les débats parlementaires, lorsque l’alinéa 24(1)f) a fait l’objet d’une discussion, en tant que « pouvoir discrétionnaire général » conféré au Commissaire afin qu’il ne donne pas suite à une divulgation si cela est opportun, peu importe l’ [traduction] « orientation » fournie dans les dispositions précédentes du paragraphe 24(1) (Chambre des communes, Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires, Témoignages – (38-1) – no 50 (28 juin 2005), à la page 1215 (M. Ralph Heintzman)).

[54] De toute façon, le Commissaire peut difficilement être blâmé pour avoir invoqué l’alinéa 24(1)f) de la Loi de manière qui a été, jusqu’à présent, permise par la jurisprudence de la Cour fédérale. Comme l’a souligné la Cour suprême dans Vavilov, « tout précédent sur la question soumise au décideur administratif ou sur une question semblable aura pour effet de circonscrire l’éventail des issues raisonnables », en mettant l’accent sur le fait qu’il serait déraisonnable que le décideur interprète et applique une disposition législative sans tenir compte d’un précédent contraignant (Vavilov, au para. 112).

[55] Le Commissaire n’a pas expliqué en détail pourquoi il avait invoqué l’alinéa 24(1)f) de la Loi. Indépendamment du fait qu’il y avait des précédents ayant pour effet de le lier et qui appuyaient ce choix, la Cour suprême a souligné dans Vavilov, qu’il peut y avoir des cas où le décideur administratif « n’examine pas expressément dans ses motifs le sens d’une disposition pertinente », mais que la cour de révision est en mesure de « discerner l’interprétation adoptée à la lumière du dossier et de se prononcer sur le caractère raisonnable de cette interprétation » (Vavilov, au para. 123). Je crois que c’est le cas en l’espèce.

[56] Je pense qu’il est important à ce stade-ci de souligner à nouveau les questions d’interprétation de la loi « qui ne reçoivent pas un traitement exceptionnel » et qui peuvent être évaluées en appliquant la norme de la décision raisonnable (Vavilov, au para. 115). Lorsque cette norme s’applique à une telle question, comme en l’espèce, notre rôle, je le répète, n’est pas d’effectuer une analyse de novo de la question soulevée ou de nous demander « ce qu’aurait été la décision correcte » (Vavilov, au para. 116, renvoyant à Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, [2003] 1 R.C.S. 247, au para. 50). Notre rôle, dans une affaire comme en l’espèce, est de déterminer si l’interprétation qui découle de la décision du décideur appartient à un éventail d’issues possibles et acceptables.

[57] En l’espèce, je conclus que l’interprétation qui découle de la décision du Commissaire appartient à un éventail d’issues possibles et acceptables, essentiellement pour les motifs donnés par le juge Gleeson. Il me semble que l’interprétation plus étroite de l’alinéa 24(1)f) défendue par l’appelant aurait, contrairement à l’intention de législateur, surtout lorsque le paragraphe 24(1) est lu conjointement avec l’alinéa 22b) de la Loi, restreint indûment le pouvoir discrétionnaire du commissaire de ne pas enquêter sur une divulgation dans une affaire comme en l’espèce, un pouvoir discrétionnaire qui a été qualifié de « très large » dans Agnaou et qui a été envisagé en tant que « pouvoir discrétionnaire général » dans les débats qui ont mené à l’adoption de la Loi.

[58] En bref, l’appelant n’a pas réussi à établir que l’alinéa 24(1)f), compte tenu du texte, du contexte et de l’objet, n’est soumis qu’à sa propre interprétation se voulant sans faille, interdisant, pour ainsi dire, tout recoupement avec les paragraphes précédents.

[59] J’ajouterais que je trouve difficile de concevoir que le pouvoir discrétionnaire du Commissaire de ne pas enquêter sur une divulgation puisse être entravé par le libellé des alinéas 24(1)a) à e) dans des affaires comme en l’espèce, où le Commissaire en arrive raisonnablement à conclure qu’aucun acte répréhensible n’a été commis au sens de l’article 8. Cela soulève la question de savoir pourquoi il faudrait prendre d’autres mesures relativement à une divulgation si, au départ, rien ne permet de croire qu’un acte répréhensible a été commis? Je le répète, dans de telles affaires, il est raisonnable de conclure que le Commissaire doit avoir le pouvoir discrétionnaire requis de ne pas enquêter sur une divulgation.

[60] L’appelant craint qu’un tel point de vue confère au Commissaire un pouvoir discrétionnaire « illimité ». Toutefois, comme dans tout autre contexte législatif où un décideur administratif est investi d’un pouvoir discrétionnaire, l’exercice de ce pouvoir doit être fait conformément à la primauté du droit. Il ne peut, par exemple, reposer sur des motifs non pertinents ou discriminatoires ou sur un but illégitime ou être entravé, et il doit être exercé conformément à la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, (Guy Régimbald, Canadian Administrative Law, 3e éd. (Toronto, LexisNexis, 2021), aux pages 230 à 256; Prince George (Ville de) c. Payne, [1978] 1 R.C.S. 458, 75 D.L.R. (3d) 1, page 463; R. c. Sharma, [1993] 1 RCS 650, 100 DLR (4th) 167, p. 666; Moore v. Minister of Manpower and Immigration, [1968] S.C.R. 839, 69 D.L.R. (2d) 273, p. 849; Vavilov, au para. 108, renvoyant à Delta Air Lines Inc. c. Lukács, 2018 CSC 2, [2018] 1 R.C.S. 6, au para. 18; Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 RCS 1038, 59 D.L.R. (4th) 416).

[61] En l’espèce, l’exercice du pouvoir discrétionnaire du Commissaire était bien enraciné dans le libellé de la Loi, interprété téléologiquement et dans son contexte, et pouvait raisonnablement étayer la conclusion selon laquelle il était opportun pour un motif justifié de ne pas enquêter sur les divulgations en litige. Je ne vois aucune raison de modifier cette conclusion.

[62] L’appelant soutient également que la décision du Commissaire est déraisonnable parce que les motifs qu’il a donnés ne satisfaisaient pas aux exigences de transparence, d’intelligibilité et de justification requises, surtout compte tenu de la décision antérieure du Commissaire de mettre à sa disposition des services de consultation juridique, comme l’autorise l’article 25.1 de la Loi. Il insiste sur la « culture de la justification au sein du processus décisionnel administratif » que la Cour suprême, dans Vavilov, a estimé nécessaire de développer et de renforcer (Vavilov, au para. 2).

[63] La Cour suprême a toutefois insisté sur le fait que la justice administrative n’est pas la justice judiciaire, et que les motifs écrits fournis par un organisme administratif ne doivent pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Par exemple, il n’est pas déterminant en soi que les motifs ne fassent pas référence « à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire » (Vavilov, au para. 91, renvoyant à Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, au para. 16). De plus, on ne peut pas toujours s’attendre à ce que les décideurs administratifs « déploient toute la gamme de techniques juridiques auxquelles on peut s’attendre de la part d’un avocat ou d’un juge [...] » (Vavilov, au para. 92). En définitive, le décideur administratif doit justifier sa décision d’une manière intelligible et transparente (Vavilov, au para. 98, renvoyant à Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, au para. 54).

[64] Dans Mason, la Cour a ainsi résumé les enseignements de Vavilov sur l’examen du caractère raisonnable suivi par un décideur administratif :

[32] Pour ce qui est des motifs des décideurs administratifs, il faut les « interpréter de façon globale et contextuelle », « eu égard au dossier et en tenant dûment compte du régime administratif dans lequel ils sont donnés » : Vavilov, par. 97 et 103. Cependant, le fondement d’une décision peut également se déduire des circonstances, notamment du dossier, de décisions antérieures du décideur administratif et d’autres décideurs apparentés, de la nature de la question à trancher par le décideur et des observations qui ont été faites : Vavilov, par. 94 et 123; et voir, par exemple, Bell Canada c. British Columbia Broadband Association, 2020 CAF 140. Pour cette raison, le fait que le décideur administratif ne mentionne pas explicitement certains éléments dans ses motifs ne constitue pas nécessairement un manque « de justification, d’intelligibilité ou de transparence » : Vavilov, par. 94 et 122. Lorsque la cour de révision examine les motifs d’un décideur administratif, elle peut « relier les points sur la page quand les lignes, et la direction qu’elles prennent, peuvent être facilement discernées » : Komolafe c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431, [2013] A.C.F. no 449 (QL), par. 11; Vavilov, par. 97.

[33] La cour de révision doit être en mesure de dégager, à partir de motifs explicites ou implicites, « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » dont elle doit pouvoir « suivre le raisonnement », et elle doit être en mesure de comprendre ce raisonnement sur un ou plusieurs « point[s] centra[ux] » : Vavilov, par. 85, 102 et 103. Le raisonnement doit être « rationnel et logique » et dénué de « faille décisive dans la logique globale » : Vavilov, par. 102.

[65] Je conviens qu’il aurait été souhaitable que le commissaire fournisse des motifs plus détaillés, mais je suis néanmoins convaincu qu’il a justifié sa décision d’une manière intelligible et transparente. En somme, je suis d’avis que, compte tenu du dossier dont le Commissaire était saisi, ces motifs permettent à une cour de révision de comprendre pourquoi la décision a été rendue et de déterminer si la décision appartient aux issues possibles acceptables (voir Grant c. Unifor, 2022 CAF 6, au para. 9, renvoyant à Mason et Vavilov), peu importe le fait que des services de consultation juridique aient été mis à la disposition de l’appelant. Comme l’intimé l’a souligné avec justesse, les décisions en matière d’accès à la justice ne sauraient être déterminantes quant à l’évaluation plus solide de la divulgation proprement dite.

[66] Pour tous ces motifs, je rejetterais l’appel.

[67] L’intimé demande des dépens relativement à l’appel. À la Cour fédérale, malgré le fait de ne pas avoir obtenu gain de cause, aucuns dépens n’ont été accordés à l’encontre de l’appelant parce que l’intérêt public, dans le cadre des procédures judiciaires engagées par l’appelant contre le Commissaire, ne justifiait pas une ordonnance quant aux dépens.

[68] L’appelant demande à notre Cour d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, de la même manière. Je ne suis toutefois pas convaincu qu’il existe un motif, dans le présent appel, justifiant de ne pas suivre la voie habituelle sur cette question, soit d’adjuger les dépens à la partie qui a obtenu gain de cause. Comme notre Cour est habilitée en vertu du paragraphe 400(4) à adjuger une somme globale au lieu des dépens taxés, j’accorderais des dépens de 700 $ à l’intimé, y compris les débours.

« René LeBlanc »

j.c.a.

« Je souscris à ces motifs.

Johanne Gauthier, j.c.a. »

« Je souscris à ces motifs.

Yves de Montigny, j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-407-19

 

INTITULÉ :

ALEXANDRU-IOAN BURLACU c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er décembre 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LEBLANC

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 19 janvier 2022

 

COMPARUTIONS :

Alexandru-Ioan Burlacu

 

Pour l’appelant

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Stéphanie Dion

 

Pour l’intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Pour l’intimé

 

 

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