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Date : 20220125


Dossier : A-270-20

Référence : 2022 CAF 12

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

REVA LANDAU

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 25 janvier 2022.

Jugement rendu à l’audience à Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE STRATAS

 


Date : 20220125


Dossier : A-270-20

Référence : 2022 CAF 12

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

REVA LANDAU

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Jugement prononcé à l’audience à Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2022.)

LE JUGE STRATAS

[1] La demanderesse cherche à obtenir une ordonnance annulant une décision rendue le 1er octobre 2020 par la juge V.H. Parker de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (le Tribunal) dans le dossier AD-20-658. La décision visée par la présente demande porte sur le rejet de l’appel de la décision rendue le 23 mars 2020 par le juge R. Raphael de la division générale du Tribunal.

[2] Devant la division générale et la division d’appel, la demanderesse a invoqué le paragraphe 15(1) de la Charte pour faire valoir son droit à un montant de pension de retraite plus élevé du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8 (le RPC). Selon elle, le RPC est discriminatoire à son égard et à celui des autres personnes célibataires – c’est-à-dire, un groupe qu’elle définit comme des personnes qui n’ont jamais été mariées et qui n’ont jamais vécu dans une relation conjugale avec un cotisant décédé – parce qu’il ne prévoit aucune pension de survivant pour elles et les oblige à subventionner les pensions versées à d’autres personnes. Or, en vertu du RPC, les personnes qui survivent à un époux ou à un conjoint de fait décédé ont droit à la pension de survivant dans des circonstances très précises.

[3] La division générale s’est montrée disposée à analyser la contestation fondée sur le paragraphe 15(1) de la Charte, que la demanderesse s’estime en droit d’invoquer pour la raison que, à titre de personne célibataire, elle fait partie d’un groupe énuméré ou analogue. Cependant, la division générale a conclu que le RPC ne crée pas de distinction au regard du paragraphe 15(1) en ne reconnaissant pas à la demanderesse le droit à une pension de survivant ou à une augmentation du montant de sa pension en compensation.

[4] La division d’appel a rejeté l’appel interjeté par la demanderesse à l’encontre de la décision de la division générale. Aux termes du paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, L.C. 2005, ch. 34 (la Loi), il était seulement demandé à la division d’appel d’établir si la division générale avait rendu une décision entachée d’une erreur. La division d’appel a conclu que la division générale n’a commis aucune erreur. Ce faisant, la division d’appel a souscrit pour l’essentiel à l’analyse juridique de la division générale. La demanderesse sollicite en l’espèce le contrôle judiciaire de la décision de la division d’appel.

[5] Avant d’examiner le bien-fondé de la demande, la Cour doit examiner quelques questions préliminaires.

[6] Dans sa demande de contrôle judiciaire, la demanderesse cherche notamment à obtenir de notre Cour une déclaration d’invalidité constitutionnelle des alinéas 44(1)a) et d), ainsi que de l’article 46 du RPC, dont elle a effectivement plaidé l’invalidité devant la division générale et la division d’appel.

[7] Maintenant, elle voudrait également que notre Cour déclare l’invalidité constitutionnelle des paragraphes 2(1) et 42(1), de même que des articles 58, 72 et 73 du RPC. Or, malgré quelques brèves allusions à certaines de ces dispositions, la demanderesse n’a pas explicitement contesté leur validité constitutionnelle ni devant la division générale ni devant la division d’appel.

[8] De plus, pour étayer sa demande de déclaration concernant les dispositions mentionnées précédemment, la demanderesse présente à notre Cour des éléments de preuve dont ne disposaient pas la division générale et la division d’appel. Autrement dit, elle cherche à déposer des éléments de preuve nouveaux. Plus précisément, ces éléments de preuve se rapportant au RPC figurent à trois onglets du recueil de jurisprudence.

[9] Notre Cour ne peut accéder à la demande de déclaration d’invalidité de la demanderesse concernant des dispositions du RPC qu’elle n’a pas contestées devant la division générale et la division d’appel. Il n’est pas non plus loisible à notre Cour d’autoriser la demanderesse à déposer des éléments de preuve nouveaux à l’appui de sa contestation des dispositions du RPC.

[10] La demanderesse aurait pu contester la constitutionnalité des dispositions visées en l’espèce devant la division générale et la division d’appel. Elle aurait pu produire des éléments de preuve pour étayer ses arguments devant ces instances. Elle aurait pu demander à la division générale et à la division d’appel de ne pas tenir compte des dispositions jugées inconstitutionnelles (voir Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin; Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Laseur, 2003 CSC 54, [2003] 2 R.C.S. 504; paragraphe 64(1) de la Loi (les deux divisions peuvent trancher toute question de droit et donc, selon l’arrêt Martin, des questions de droit constitutionnel)). Elle ne s’est pas prévalue de cette possibilité pour ce qui concerne les paragraphes 2(1) et 42(1), ainsi que les articles 58, 72 et 73 du RPC. Par conséquent, selon ce qui a été clairement établi par la Cour suprême dans l’arrêt Okwuobi c. Commission scolaire Lester-B.-Pearson, 2005 CSC 16, [2005] 1 R.C.S. 257, la demanderesse ne peut pas demander à notre Cour de déclarer ces dispositions invalides.

[11] Eu égard aux éléments de preuve qu’elle a voulu présenter à l’appui de sa contestation des paragraphes 2(1) et 42(1), de même que des articles 58, 72 et 73 du RPC, notre Cour ne peut pas les recevoir puisque la demanderesse ne peut pas contester ces dispositions devant elle. Quant aux éléments de preuve nouveaux présentés à l’appui de la contestation des alinéas 44(1)a) et d), ainsi que de l’article 46 du RPC, ils ne sont pas recevables devant notre Cour au motif qu’en l’absence d’exception reconnue, des éléments de preuve nouveaux, même pour ce qui a trait aux questions constitutionnelles, ne sont pas admissibles devant notre Cour : (Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, [2012] A.C.F. no 93 (QL), citant plusieurs précédents et retenu par de nombreux autres; sur la question des éléments de preuve nouveaux présentés à l’égard de questions constitutionnelles, voir l’arrêt Forest Ethics Advocacy Association c. Canada (Office national de l’énergie), 2014 CAF 245, [2015] 4 R.C.F. 75 aux para. 40 à 46). La division générale et la division d’appel étant les instances chargées d’établir le bien-fondé d’une demande présentée au titre du régime législatif applicable, elles sont en principe les seules habilitées à recevoir et à examiner des éléments de preuve (voir l’arrêt Portnov c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 171, citant plusieurs précédents qui en citent de nombreux autres).

[12] Incidemment, les éléments de preuve nouveaux ne devraient jamais être présentés à la Cour à l’intérieur d’un recueil de jurisprudence (Forest Ethics Advocacy Association c. Office national de l’énergie, 2014 CAF 88 au para. 14, citant Public School Boards’ Association of Alberta c. Alberta (Procureur général), [1999] 3 R.C.S. 845).

[13] La prochaine partie de l’analyse portera sur le bien-fondé de la contestation constitutionnelle de la demanderesse.

[14] La contestation de la demanderesse ne tient pas compte de la nature et du rôle du RPC, qui contredisent ses allégations comme quoi il crée des distinctions manifestes au sens du paragraphe 15(1), ou comme quoi toutes les distinctions sont discriminatoires au sens de cette disposition ou injustifiées au sens de l’article premier de la Charte. Le régime a été conçu pour assurer un remplacement partiel du revenu dans certains cas. Il n’était pas censé être exhaustif ou combler les besoins de tous les cotisants dans toutes les circonstances imaginables (Weatherley c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 158 au para. 10) [Weatherley]. Il s’apparente plutôt à un régime d’assurance interfinancé qui serait plus avantageux pour certains cotisants que pour d’autres. Dans ce genre de régime, les cotisations et les prestations doivent être encadrées par des critères précis, rigoureux et bien énoncés. Par ailleurs, tel qu’il est expliqué dans l’arrêt Weatherley, il est à prévoir que, si un groupe en particulier obtient une augmentation de ses prestations ou une réduction de ses cotisations, il s’ensuivra dans bien des cas une réduction des prestations ou une augmentation des cotisations, ou les deux, pour d’autres personnes, parmi lesquelles beaucoup sont démunies et vulnérables, et vraisemblablement visées par le paragraphe 15(1) de la Charte. Ces questions sont également abordées dans les arrêts Granovsky c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 2000 CSC 28, [2000] 1 R.C.S. 703 au para. 9; Weatherley aux para. 8 à 14; Miceli-Riggins c. Canada (Procureur général), 2013 CAF 158, [2014] 4 R.C.F. 709 aux para. 68 et 69, et Runchey c. Canada (Procureur général), 2013 CAF 16, [2014] 3 R.C.F. 227 au para. 109. On trouve par ailleurs des observations similaires sur la difficulté de fonder une contestation sur les distinctions raisonnables qui découlent des régimes de prestations semblables au RPC dans divers arrêts de la Cour suprême du Canada, dont Law c. Canada, [1999] 1 R.C.S. 497, 170 D.L.R. (4th) 1 au para. 105; Gosselin c. Québec (Procureur général), 2002 CSC 84, [2002] 4 R.C.S. 429 au para. 55; Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 12, [2011] 1 R.C.S. 396, et Auton (Tutrice à l’instance de) c. Colombie-Britannique (Procureur général), 2004 CSC 78, [2004] 3 R.C.S. 657.

[15] Ainsi, dans l’arrêt Auton, la Cour suprême du Canada a reconnu qu’il est nécessaire de tracer des limites et de s’appuyer sur des certitudes pour permettre à des régimes de prestations comme le RPC d’atteindre ses objectifs. La Cour suprême a noté, au paragraphe 42, que les contestations fondées sur le paragraphe 15(1), comme celle dont nous sommes saisis ici, sont possibles seulement si un régime législatif exclut un groupe pour des raisons illégitimes et incompatibles avec ses objectifs. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

[16] Dans son arrêt récent Fraser c. Canada (Procureur général), 2020 CSC 28, [2020] A.C.S. no 28 (QL), analysé et commenté dans l’arrêt Weatherley, précité, la Cour suprême du Canada n’a ni infirmé ni mis en doute les jugements précités.

[17] Cette analyse concorde parfaitement avec celle qui est exposée dans l’arrêt Weatherley, qui nous lie. Il convient de souligner que la demanderesse ne remet pas en question, directement ou indirectement, l’arrêt Weatherley, la présentation et l’analyse qui y sont faites des principes pertinents du paragraphe 15(1), son examen de l’arrêt Fraser ni sa conclusion.

[18] Dans l’arrêt Weatherley, notre Cour a tranché que le refus d’accorder une prestation – en l’occurrence, une seconde prestation de survivant au titre du RPC – à une personne dont le second conjoint est décédé ne contrevient pas au paragraphe 15(1) de la Charte. Pour plusieurs raisons qui ont également été exposées dans l’arrêt Weatherley, le fait qu’une personne qui n’a jamais eu d’époux ou de conjoint de fait admissible n’a pas droit à une pension de survivant ou à son équivalent financier au titre du RPC ne viole pas le paragraphe 15(1) de la Charte.

[19] Lors de sa plaidoirie, la demanderesse a fait valoir que l’arrêt Weatherley est un précédent qui peut être écarté puisque son dossier factuel et son allégation de discrimination directe sont différents. Nous ne sommes pas convaincus que les dossiers factuels sont suffisamment différents pour écarter l’arrêt Weatherley. Il semble plutôt exister une corrélation assez étroite entre les deux. Dans chacune de ces affaires, des prestations de survivant ont été refusées à des groupes particuliers, et les éléments de preuve statistiques et contextuels soumis au sujet de ces refus sont identiques ou très semblables sous maints aspects. En ce qui concerne la prétendue distinction entre la discrimination directe et indirecte, il a été établi au paragraphe 76 de l’arrêt Fraser que l’analyse au regard du paragraphe 15(1) – telle qu’elle a été exposée dans la jurisprudence Weatherley et d’autres jugements – doit être la même dans les deux cas.

[20] Pour l’essentiel, nous sommes d’accord avec la conclusion de la division d’appel que la division générale n’a pas commis d’erreur de droit, et nous souscrivons en grande partie à l’analyse effectuée à l’appui de cette conclusion

[21] Par conséquent, nous allons rejeter la demande de contrôle judiciaire. Le procureur général ne demande pas les dépens et aucuns ne seront adjugés.

« David Stratas »

j.c.a..


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-270-20

DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE DE LA DÉCISION RENDUE LE 1ER OCTOBRE 2020 PAR LA DIVISION D’APPEL DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE (NO DE DOSSIER AD-20-658)

INTITULÉ :

REVA LANDAU c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 janvier 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LASKIN

 

JUGEMENT PRONONCÉ À L’AUDIENCE :

LE JUGE STRATAS

COMPARUTIONS :

Tina Lie

Catherine Fan

 

Pour la demanderesse

 

Marcus Dirnberger

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Paliare Roland Rosenberg Rothstein LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

 

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