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Date : 20220127


Dossier : A-19-21

Référence : 2022 CAF 13

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE LOCKE

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

AFFAN ASHRAF

appelant

et

JAZZ AVIATION

intimée

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 20 janvier 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 27 janvier 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LOCKE

LE JUGE LEBLANC

 


Date : 20220127


Dossier : A-19-21

Référence : 2022 CAF 13

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE LOCKE

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

AFFAN ASHRAF

appelant

et

JAZZ AVIATION

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

[1] M. Affan Ashraf, l’appelant, a été congédié de son poste d’agent de bord chez Jazz Aviation, le 21 novembre 2019. Son syndicat a déposé un grief en son nom, mais il l’a par la suite retiré. M. Ashraf a déposé une demande pour pratique déloyale de travail auprès du Conseil canadien des relations industrielles, en alléguant que le syndicat avait manqué à son devoir de juste représentation. Cette demande a été rejetée. M. Ashraf a ensuite introduit une action auprès de la Cour fédérale, dans laquelle il alléguait que Jazz Aviation l’avait injustement congédié, avait fait preuve de discrimination à son endroit et envers d’autres employés, n’avait pas veillé à ce que le milieu de travail soit exempt de harcèlement et de comportement discriminatoire et avait contrevenu à la Charte par ses pratiques en milieu de travail. Même si la mention « Recours collectif – envisagé » ne figurait pas en tête de la demande de redressement, il y était demandé que l’instance soit autorisée comme recours collectif et que M. Ashraf soit désigné en qualité de représentant demandeur.

[2] Dans une décision publiée sous la référence 2021 CF 28 (la décision), la Cour fédérale a rejeté l’action de M. Ashraf sans autorisation de la modifier, en application de la règle 221 des Règles des Cours fédérales, D.O.R.S./98-106 (les Règles), pour le motif que les actes de procédure ne révélaient aucune cause d’action valable.

[3] M. Ashraf interjette appel de cette décision auprès de notre Cour. Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l’appel.

[4] Comme je l’ai mentionné précédemment, la déclaration de M. Ashraf contenait plusieurs allégations fondées sur différentes théories de la responsabilité. La Cour fédérale a relevé plusieurs problèmes liés à ces théories, qui justifiaient le rejet de la déclaration en application de la règle 221 des Règles.

[5] Après avoir noté que la déclaration, bien qu’elle n’ait pas été présentée comme un recours collectif envisagé, il y était néanmoins demandé que l’instance soit autorisée comme un recours collectif et que M. Ashraf soit nommé en qualité de représentant demandeur, la Cour fédérale a souligné le fait que la règle 121 des Règles exige que le représentant demandeur soit représenté par un avocat, à moins de circonstances particulières. Comme aucune circonstance particulière n’a été démontrée, la Cour fédérale a jugé que cette lacune constituait un facteur qui justifiait le rejet de la demande de M. Ashraf : voir la décision, au paragraphe 5.

[6] La Cour a ensuite noté que, puisque la demande de M. Ashraf découlait essentiellement [traduction] « d’un litige concernant la relation de travail [de M. Ashraf] avec l’intimée », le Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2 et la convention collective en vigueur, liant le syndicat et l’employeur, s’appliquaient à ce litige : décision, par. 8. La Cour a conclu que la demande de M. Ashraf était assujettie à la clause d’arbitrage obligatoire prévue dans la convention collective et qu’elle ne relevait donc pas de la compétence de la Cour fédérale. La Cour a ensuite noté que, dans la mesure où l’une des Cours fédérales aurait compétence pour trancher ce litige, [traduction] « cette tâche reviendrait alors à la Cour d’appel fédérale, en contrôle judiciaire (Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, al. 28(1)h)) » : décision, par. 8. Elle faisait ainsi référence à la compétence de notre Cour à l’égard des décisions rendues par le Conseil canadien des relations industrielles.

[7] Enfin, la Cour a conclu qu’il était évident et manifeste que les allégations fondées sur la Charte, la négligence et le manquement au devoir de fiduciaire ne révélaient aucune cause d’action valable. La demande de M. Ashraf a donc été rejetée.

[8] Au terme de quelques échanges avec les membres de la formation durant la présentation de ses arguments en appel, M. Ashraf a reconnu que la décision de la Cour fédérale ne comportait aucune erreur et que son appel avait été interjeté par erreur, en partie du fait que la Cour fédérale avait invoqué la compétence de notre Cour. L’appelant a ensuite été informé que notre Cour avait seulement compétence pour procéder au contrôle judiciaire de décisions rendues par le Conseil canadien des relations industrielles. La seule décision du Conseil en l’espèce met en cause M. Ashraf et son syndicat, et non son employeur; par conséquent, tout contrôle judiciaire ne porterait pas sur le congédiement de M. Ashraf. Lorsque la Cour a demandé à M. Ashraf ce qu’il attendait d’elle, il a répondu qu’il souhaitait que nous examinions la situation dans son ensemble et que nous lui accordions essentiellement une réparation qu’il avait jusqu’à maintenant été incapable d’obtenir.

[9] En théorie, le fait que M. Ashraf ait admis que la décision de la Cour fédérale ne comportait aucune erreur suffit pour trancher le présent appel. Cependant, M. Ashraf n’a aucune formation en droit et, pour éviter qu’il regrette à l’avenir d’avoir fait cette admission, il est important de démontrer que ni l’admission ni la décision de la Cour fédérale n’étaient entachées d’erreurs.

[10] La conclusion de la Cour fédérale relativement à la possibilité pour M. Ashraf d’intenter un recours collectif est conforme à la règle 121 des Règles. La raison d’être de cette disposition est d’établir que les recours collectifs portent sur les droits des autres personnes du groupe, outre le représentant demandeur. L’absence de compétence de la part du représentant demandeur pourrait porter atteinte aux droits des membres du groupe. Par conséquent, les demandeurs qui souhaitent agir en qualité de représentant doivent être représentés par un avocat : voir la décision Rooke c. Canada (Santé), 2019 CF 765, [2019] A.C.F. no 690 (QL), par. 17.

[11] Quant au congédiement de M. Ashraf, il ressort clairement de la jurisprudence que la convention collective écarte les recours en common law pour congédiement abusif et qu’elle limite les parties aux recours prévus dans la convention collective : McGavin Toastmaster Ltd. c. Ainscough, [1976] 1 R.C.S. 718, 54 D.L.R. (3d) 1, p. 725; Office régional de la santé du Nord c. Horrocks, 2021 CSC 42, [2021] 12 W.W.R. 1, par. 10 à 13. Ce principe est reconnu dans les lois sur les relations industrielles qui prévoient des dispositions comparables au paragraphe 57(1) du Code canadien du travail :

57 (1) Est obligatoire dans la convention collective la présence d’une clause prévoyant le mode — par arbitrage ou toute autre voie — de règlement définitif, sans arrêt de travail, des désaccords qui pourraient survenir entre les parties ou les employés qu’elle régit, quant à son interprétation, son application ou sa prétendue violation.

57 (1) Every collective agreement shall contain a provision for final settlement without stoppage of work, by arbitration or otherwise, of all differences between the parties to or employees bound by the collective agreement, concerning its interpretation, application, administration or alleged contravention.

[12] La Cour fédérale n’a donc pas commis d’erreur en concluant qu’elle n’avait pas compétence et que les seuls recours qu’avait M. Ashraf pour contester son congédiement abusif étaient ceux prévus dans la convention collective.

[13] Dans sa demande, M. Ashraf a aussi invoqué plusieurs fois des manquements à la Charte et il a réclamé des dommages-intérêts à cet égard. L’article 32 de la Charte dispose qu’elle s’applique aux actions gouvernementales :

32 (1) La présente charte s’applique :

 

32 (1) This Charter applies

 

a) au Parlement et au gouvernement du Canada, pour tous les domaines relevant du Parlement, y compris ceux qui concernent le territoire du Yukon et les territoires du Nord-Ouest;

 

(a) to the Parliament and government of Canada in respect of all matters within the authority of Parliament including all matters relating to the Yukon Territory and Northwest Territories; and

 

b) à la législature et au gouvernement de chaque province, pour tous les domaines relevant de cette législature.

(b) to the legislature and government of each province in respect of all matters within the authority of the legislature of each province.

[14] Les entités privées peuvent être assujetties à la Charte dans la mesure où elles sont contrôlées par le gouvernement dans un degré suffisant ou qu’elles exercent une fonction gouvernementale, étant ainsi considérées comme faisant partie du gouvernement aux fins de la Charte : Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624, 151 D.L.R. (4th) 577, par. 44. Durant son argumentation, M. Ashraf a fait valoir que la Charte s’applique aux compagnies aériennes puisque celles-ci sont assujetties à la réglementation fédérale. Cependant, il a été conclu que la Charte ne s’applique pas à Air Canada : Thibodeau c. Air Canada, 2005 CF 1156, [2006] 2 R.C.F. 70, par. 70, conf. par 2007 CAF 115, 375 N.R. 195. Par extension, elle ne s’appliquerait pas à la société Jazz, qui fournit des services à Air Canada dans le cadre de contrats. Par conséquent, la société Jazz n’est pas assujettie à la Charte. Cela ne signifie pas que M. Ashraf n’a pas de droits aux termes de la Charte; cela signifie simplement que ces droits lui assurent une protection contre le gouvernement ou ses mandataires, et non contre les organismes non gouvernementaux.

[15] M. Ashraf a aussi invoqué la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la Loi) et son interdiction de faire de la discrimination au travail fondée sur la race ou l’ethnicité. La Cour suprême a toutefois conclu que la violation d’une loi sur les droits de la personne ne crée pas un droit privé d’action contre le contrevenant présumé : Seneca College c. Bhadauria, [1981] 2 R.C.S. 181, p. 195, 124 D.L.R. (3d) 193; voir aussi l’arrêt Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 200, [2017] 2 R.C.F. 211, par. 87. L’application de la Loi incombe à la Commission canadienne des droits de la personne et aux tribunaux des droits de la personne constitués en application de la Loi.

[16] Il est évident que l’action de M. Ashraf était vouée à l’échec et, donc, que son rejet était justifié. M. Ashraf estime se trouver maintenant dans une impasse. Cela est malheureux, car d’autres options s’offraient à lui et il aurait pu en choisir qui auraient peut-être mené à la tenue d’une audience sur son congédiement; bien sûr, cela n’aurait pas nécessairement modifié l’issue. Il est probable que les délais prescrits pour invoquer ces autres recours sont maintenant expirés. Cette issue est regrettable, mais il nous est impossible de la modifier.

[17] Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter le présent appel, avec dépens.

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

George R. Locke j.c.a. »

« Je suis d’accord.

René LeBlanc j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-19-21

 

 

INTITULÉ :

AFFAN ASHRAF c. JAZZ AVIATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 janvier 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LOCKE

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

Le 27 janvier 2022

 

COMPARUTIONS :

Affan Ashraf

 

Pour l’appelant

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Geoffrey J. Litherland

 

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Harris & Company LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour l’intimée

 

 

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