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Date : 20220201


Dossier : A-265-19

A-266-19

Référence : 2022 CAF 16

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

 

ENTRE :

ROBIN CLIFF

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 26 janvier 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 1er février 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE WEBB

 


Date : 20220201


Dossier : A-265-19

A-266-19

Référence : 2022 CAF 16

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

 

ENTRE :

ROBIN CLIFF

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE RENNIE

[1] L’appelante interjette appel de deux jugements rendus par la Cour canadienne de l’impôt (dossiers nos 2017-22(GST)G et 2016-5465(IT)I, le juge en chef Rossiter). La seule question dont la Cour canadienne de l’impôt était saisie était de déterminer si l’appelante, Robin Cliff, a démissionné de son poste d’administratrice de Cliff Crucibles Inc. plus de deux ans avant d’avoir fait l’objet d’une cotisation du ministre du Revenu national, en application de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C., 1985, ch. E-15 (LTA) et de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C., 1985, ch. 1 (5e suppl.) (LIR). Le juge a conclu que l’appelante n’avait pas démissionné, ce qui a donné lieu aux présents appels.

[2] Les faits sont peu nombreux et non contestés. En 2001, l’époux de l’appelante, M. Steven Cliff, a demandé à son comptable, M. Robert Welsh, de constituer une société en son nom. Conformément à ses instructions, M. Welsh a constitué la société Cliff Crucibles Inc. en vertu de la Loi sur les sociétés par actions de l’Ontario, L.R.O. 1990, ch. B.16 (la LSAO). M. Welsh s’est désigné lui-même comme premier administrateur de la société, puis a démissionné de ce poste. M. Cliff et l’appelante, qui étaient les actionnaires de la société, ont signé des documents se désignant eux-mêmes comme administrateurs de la société, à compter du 18 mai 2001. Il n’est pas contesté que le registre public des sociétés constituées en vertu de la LSAO, tenu par le ministère de la Consommation et du Commerce de l’Ontario, indique que l’appelante a été nommée au poste d’administratrice le 18 mai 2001.

[3] Dès le départ, l’appelante avait affirmé catégoriquement qu’elle ne souhaitait occuper le poste d’administratrice que temporairement, et qu’au moment où elle a signé les documents pour devenir administratrice, elle a dit à M. Cliff qu’elle voulait démissionner de ce poste. Dans son témoignage devant la Cour canadienne de l’impôt, l’appelante a affirmé que cette déclaration verbale équivalait à une démission. Lors du contre-interrogatoire de l’appelante, la question de savoir à quel moment elle avait démissionné de son poste d’administratrice lui a été posée. L’appelante a répondu qu’elle avait démissionné le jour où elle a signé les documents nécessaires à sa nomination au poste d’administratrice.

[TRADUCTION]

Q. À quand remontent vos premiers souvenirs concernant votre démission du poste d’administratrice?

R. Le jour où mon mari a mis un document sous mes yeux et m’a dit : « Signe-le pour que nous puissions tout mettre en branle ». Le jour, je ne sais plus, ou même l’année. Et je lui ai dit : « Non, je ne veux pas le signer ». Il a répondu : « Signe-le et je », puis j’ai dit : « Sors-moi de cette situation, je ne veux plus y être. Je ne veux pas participer à cela. » Le jour où j’ai signé le document, je lui ai dit : « Sors-moi de cette situation ». C’est ce que je lui ai dit. Et il a répondu qu’il me sortirait de là. C’est ce qu’il a fait. (Dossier d’appel, p. 74 et 75, transcription de l’instance)

[4] À un certain moment après cette conversation, M. Cliff a appelé M. Welsh et lui a demandé de retirer l’appelante à titre d’administratrice de la société. La secrétaire de M. Welsh de l’époque a alors préparé la « Formule 1 : Rapport initial/Avis de modification ». Le document indiquait que l’appelante avait commencé à occuper le poste d’administratrice le 4 septembre 2003 et qu’elle avait cessé de l’occuper le 12 décembre 2003. Une copie du document a été jointe au registre des procès-verbaux de la société. M. Welsh s’est rappelé qu’une personne de son bureau avait remis la Formule 1 au ministère de la Consommation et du Commerce de l’Ontario. Mis à part ce dernier fait qui serait survenu en 2003 selon M. Welsh, il n’existe aucun autre élément de preuve quant au moment de l’envoi de la Formule 1 au Ministère et cette modification ne figure pas dans les archives du Ministère. Dans leur témoignage devant la Cour canadienne de l’impôt, ni M. Welsh ni M. Cliff n’ont pu expliquer la divergence entre la date à laquelle Mme Cliff a été nommée au poste d’administratrice sur la Formule 1 et le registre public des sociétés constituées en vertu de la LSAO, qui indique la date de la résolution figurant au registre des procès-verbaux. Pour conclure cet examen du contexte factuel, M. Cliff, l’appelante et M. Welsh ont tous les trois déclaré qu’aucune démission écrite n’avait été reçue par la société.

[5] Cliff Crucibles Inc. a été dissoute en 2013, moment auquel elle avait une dette non réglée au titre de la LTA et de la LIR. Le ministre du Revenu national a établi une cotisation à l’égard de l’appelante et de M. Cliff, à titre d’administrateurs de Cliff Crucibles Inc., pour la taxe nette non versée d’une société en vertu de la LTA et pour des retenues à la source non versées en vertu de la LIR. L’appelante a déposé des avis d’opposition, puis des avis d’appel à la Cour canadienne de l’impôt.

[6] La seule question en litige devant la Cour canadienne de l’impôt était de savoir si l’appelante avait démissionné de son poste d’administratrice de Cliff Crucibles Inc. conformément au paragraphe 121(2) de la LSAO plus de deux ans avant la date à laquelle elle a fait l’objet d’une cotisation.

[7] Le juge a commencé à examiner la question en soulignant qu’en vertu du paragraphe 121(2) de la LSAO, pour prendre effet, la démission d’un administrateur d’une société ontarienne doit être faite par écrit et communiquée à la société. Se fondant sur sa compréhension de l’arrêt de notre Cour intitulé Canada c. Chriss, 2016 CAF 236, 403 D.L.R. (4th) 569 (arrêt Chriss), le juge a conclu que la signature personnelle de l’administrateur était requise pour donner effet à la démission. Comme la Formule 1 n’était pas signée, l’appelante était demeurée administratrice.

[8] Devant notre Cour, l’appelante affirme que le paragraphe 121(2) n’exige pas une signature, et que le juge a commis une erreur dans sa compréhension de l’arrêt Chriss, en imposant l’exigence d’une signature personnelle en plus des exigences prévues par le paragraphe 121(2). Plus précisément, l’appelante affirme que le paragraphe 121(2) n’exige pas que la démission soit signée, mais simplement qu’elle soit faite par écrit. Pour appuyer sa position, elle invoque d’autres dispositions de la LSAO qui exigent qu’une signature soit apposée sur des documents, comme les certificats de valeurs mobilières (article 55), la résolution tenant lieu d’assemblée (article 104) et les procurations (article 110).

[9] En outre, l’appelante affirme qu’une démission écrite n’a pas à être remplie par l’administrateur lui-même, et qu’une autre personne peut signer la démission écrite et la transmettre à la société. Elle a soutenu que cela a été fait au moyen de la Formule 1.

[10] Il est évident qu’une décision ne fait autorité qu’à l’égard de ce qui y est effectivement décidé, et que ce qui est décidé est déterminé par un examen des faits qui lui sont propres (Michel c. Graydon, 2020 CSC 24, 449 D.L.R. (4th) 147, par. 15; Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc., 2021 CAF 126, 2021 CarswellNat 2268, par. 10; Quinn v. Leathem, [1901] A.C. 495 (H.L.), [1901] U.K.H.L. 2 (BAILII), p. 506). Les faits dans l’affaire Chriss sont importants. Une lettre de démission a été préparée par les avocats de la société. Elle n’était ni signée ni datée. Elle est demeurée dans un dossier, au bureau des avocats, en attente d’une signature. Ainsi, le moyen ou la façon dont la démission devait prendre effet était insuffisant.

[11] Le fondement de l’arrêt Chriss repose sur le fait que, lorsque la décision de démissionner doit être communiquée au moyen d’une lettre signée par l’administrateur, elle doit être signée pour prendre effet. L’arrêt Chriss n’exige pas que toutes les démissions doivent porter une signature personnelle et physique pour prendre effet. Un administrateur peut donner sa démission par courriel ou message texte, par exemple. Les faits dans l’affaire Chriss peuvent être comparés aux faits dans une affaire où un courriel contenant une démission, mais demeuré dans le dossier des brouillons, et qui n’a jamais été envoyé. Peu importe les circonstances factuelles qui surviennent, il ne peut y avoir aucune ambiguïté quant à la question de savoir si une démission écrite a été reçue par la société, et il doit y avoir certitude quant à la date de prise d’effet de cette démission.

[12] Par conséquent, le juge de la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur dans sa compréhension de l’arrêt Chriss et dans le fait d’imposer l’exigence de la signature physique. Cela dit, et pour les motifs que j’expliquerai, il s’agit d’une erreur sans conséquence.

[13] Le nœud de l’argumentation de l’appelante est que le paragraphe 121(2) exige seulement qu’une société soit en possession d’une preuve écrite de démission au lieu de préciser que le geste de démissionner en soi doit être exprimé par écrit.

[14] Je ne souscris pas à cet argument. Cet argument est incompatible avec le libellé du paragraphe, et en tout état de cause, il est incompatible avec les éléments de preuve dont la Cour canadienne de l’impôt était saisie.

[15] La Formule 1 ne constitue pas une démission, mais plutôt un avis intitulé « Rapport initial/Avis de modification ». Elle ne constitue pas non plus une communication à la société, mais plutôt une communication de la société au ministère de la Consommation et du Commerce. Bien que la Formule 1 indique que l’appelante a cessé d’être administratrice le 12 décembre 2003, aucun élément de preuve n’établit la date à laquelle la Formule 1 a été remplie, et il n’y aucun endroit sur la Formule 1 prévu pour la signature d’un administrateur, qu’elle soit physique, numérique ou sous toute autre forme. Pour qu’une démission prenne effet, les éléments de preuve doivent établir que la société a reçu une démission écrite, confirmant la démission de l’appelante. Bien que la Formule 1 puisse indiquer qu’une chose a pu se produire, elle ne remplace pas la démission donnée par écrit.

[16] Le fait de se fier à la Formule 1 quant à la démission écrite de l’appelante communiquée à la société se heurte à des difficultés inconciliables. Il y a une différence inexpliquée de deux ans entre la date à laquelle l’appelante a déclaré avoir démissionné et la date indiquée sur la Formule 1. Je remarque également que, bien que M. Welsh ait pris des mesures pour démissionner officiellement de son poste d’administrateur immédiatement après la constitution en société, aucune mesure n’a été prise au moment de la démission de l’appelante donnée de vive voix, peu après la constitution en société. De plus, comme je l’ai mentionné, il n’y a aucune explication quant à la raison pour laquelle la Formule 1 indique la date du 4 septembre 2003 comme étant celle à laquelle l’appelante a été nommée administratrice, alors qu’il n’est pas contesté que la date d’entrée en vigueur de sa nomination est le 18 mai 2001.

[17] Pour les motifs qui précèdent, je rejetterais l’appel avec dépens que je fixerais à 1 500$, soit la somme convenue par les parties.

« Donald J. Rennie »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Johanne Gauthier j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Wyman W. Webb j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-265-19

A-266-19

INTITULÉ :

ROBIN CLIFF c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 janvier 2022

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE WEBB

DATE DES MOTIFS :

Le 1er février 2022

COMPARUTIONS :

Craig Burley

Pour l’appelante

Tokunbo Omisade

Pour l’intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Craig Burley

Avocat

Hamilton (Ontario)

Pour l’appelante

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Pour l’intimée

 

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