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Date : 20220207


Dossier : A-7-20

Référence : 2022 CAF 21

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

 

 

JOHN JOSEPH GOODMAN

 

 

appelant

 

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

intimés

 

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 7 février 2022.

Jugement rendu à l’audience à Ottawa (Ontario), le 7 février 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE BOIVIN

 


Date : 20220207


Dossier : A-7-20

Référence : 2022 CAF 21

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

 

 

JOHN JOSEPH GOODMAN

 

 

appelant

 

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

intimés

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Jugement prononcé à l’audience à Ottawa (Ontario), le 7 février 2022)

LE JUGE BOIVIN

[1] La Cour est saisie de l’appel d’un jugement de la Cour fédérale (le juge Barnes) en date du 9 décembre 2019 (2019 CF 1569). Devant la Cour fédérale, l’appelant, qui reconnaît être interdit de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), a demandé notamment un jugement déclarant que les modifications de 2013 apportées à l’article 25 de la LIPR soient déclarées inopérantes. L’appelant a affirmé que le retrait des motifs d’ordre humanitaire des articles de la LIPR, y compris l’alinéa 34(1)f) - entre en conflit avec l’obligation d’équité prévue par l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, ch. 44. La Cour fédérale n’était pas d’accord avec l’appelant et a rejeté sa demande.

[2] Notre Cour est saisie du présent appel par la voie d’une question certifiée. La Cour fédérale a certifié la question suivante :

Le paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, qui empêche les personnes interdites de territoire en application des articles 34, 35 et 37 d’avoir accès au processus d’examen des facteurs d’ordre humanitaire, contrevient-il à l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, ch. 44?

[3] Dans l’ensemble, nous sommes d’accord sur l’analyse et les conclusions de la Cour fédérale.

[4] Les questions relatives à l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits n’auraient pas dû être examinées par la Cour fédérale puisqu’elles étaient juridiquement irrecevables. D’ailleurs, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, nous avise de ne pas accepter d’examiner des questions, dans le cadre du contrôle judiciaire, qui n’ont pas été soulevées devant le décideur administratif. Par conséquent, les questions portant sur l’alinéa 2e) devaient être soulevées devant le décideur administratif (Okwuobi c. Commission scolaire Lester-B.-Pearson; Casimir c. Québec (Procureur général); Zorrilla c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 16, [2005] 1 R.C.S. 257; Landau c. Canada (Procureur général), 2022 CAF 12), qui est le juge du fond dans le cadre de ce régime législatif. Toutefois, même si ces questions n’ont pas été soulevées devant le décideur administratif, nous sommes tous d’avis qu’elles n’avaient aucun fondement juridique essentiellement pour les mêmes motifs exprimés par la Cour fédérale. L’intervention de notre Cour n’est donc pas justifiée.

[5] Dans une analyse approfondie et détaillée, la Cour fédérale a conclu que l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits ne garantit pas à un étranger le droit à un examen discrétionnaire des motifs d’ordre humanitaire. Ainsi, le législateur avait le droit, sans qu’il ait besoin d’invoquer la disposition de dérogation de la Déclaration canadienne des droits, de restreindre le recours des étrangers qui sont interdits de territoire au Canada en vertu des articles 34 (Sécurité), 35 (Atteinte aux droits humains ou internationaux) et 37 (Activités de criminalité organisée) de la LIPR aux motifs d’ordre humanitaire de l’article 25 de la LIPR.

[6] Plus précisément, dans sa décision, la Cour fédérale a correctement souligné les différences qui existent entre les principes de justice fondamentale dont il est question à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, soit la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, à l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11 (la Charte) et ceux prévus à l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits. La Cour fédérale a passé en revue la jurisprudence pertinente et a déterminé que l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits n’englobe que les principes de justice fondamentale liés à une audience équitable, alors que l’article 7 de la Charte comprend les principes d’équité, tant substantiels que procéduraux, liés à la « vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne ». La Cour fédérale a donc conclu que les droits garantis par l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits ont une portée plus étroite que les droits garantis par l’article 7 de la Charte. Il s’ensuit que les motifs d’ordre humanitaire ne constituent pas un principe de justice fondamentale aux fins de l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits (motifs de la Cour fédérale, par. 18 à 21 et 34, renvoyant à l’arrêt Duke c. La Reine, [1972] R.C.S. 917, 28 D.L.R. (3d) 129; Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone, 2003 CSC 36, [2003] 1 R.C.S. 884; Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.-B.), [1985] 2 R.C.S. 486, [1985] A.C.S. no. 73 (QL); Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Chiarelli, [1992] 1 R.C.S. 711, 135 N.R. 161; Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, [1985] A.C.S. no. 11 (QL). Compte tenu de la jurisprudence ayant force obligatoire, la Cour fédérale a également conclu que l’appelant avait recours à la Déclaration canadienne des droits pour revendiquer un droit, alors que, dans le présent contexte, cela est limité à un privilège (mémoire des intimés, par. 25 à 28). Ces arrêts de la Cour suprême sur lesquels ces principes sont fondés nous lient, et, malgré le fait que l’appelant nous demande de s’en écarter, nous considérons que toute dérogation à ces principes doit être autorisée par la Cour suprême.

[7] Nous devons répondre à la question certifiée de la façon suivante :

Question : Le paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, qui empêche les personnes interdites de territoire en application des articles 34, 35 et 37 d’avoir accès au processus d’examen des facteurs d’ordre humanitaire, contrevient-il à l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, ch. 44?

Réponse : Non.

[8] Malgré les observations habiles de Me Liston, l’appel sera rejeté.

« Richard Boivin »

j.c.a.

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-7-20

 

INTITULÉ :

JOHN JOSEPH GOODMAN c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 février 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LASKIN

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :

LE JUGE BOIVIN

COMPARUTIONS :

Benjamin Liston

Alyssa Manning

POUR L’APPELANT

 

John Loncar

Nicholas Dodokin

Pour les intimés

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bureau du droit des réfugiés

Toronto (Ontario)

 

Pour l’appelant

 

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Pour les intimés

 

 

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