Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20220209


Dossier : A-229-20

Référence : 2022 CAF 24

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE LASKIN

LA JUGE RIVOALEN

 

ENTRE :

2424508 ONTARIO LTD., SYLVAIN CAYER,

GENEVIEVE-ANN CAYER, et 2590579 ONTARIO LTD.

faisant aujourd’hui affaire sous les raisons sociales

« SUBIEDEPOT » et « SUBIEDEPOT.CA »

appelants

et

RALLYSPORT DIRECT LLC

intimée

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 10 novembre 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le 9 février 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LASKIN

LA JUGE RIVOALEN

 


Date : 20220209


Dossier : A-229-20

Référence : 2022 CAF 24

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE LASKIN

LA JUGE RIVOALEN

 

ENTRE :

2424508 ONTARIO LTD., SYLVAIN CAYER,

GENEVIEVE-ANN CAYER, et 2590579 ONTARIO LTD.

faisant aujourd’hui affaire sous les raisons sociales

« SUBIEDEPOT » et « SUBIEDEPOT.CA »

appelants

et

RALLYSPORT DIRECT LLC

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE WEBB

[1] Il s’agit d’un appel de l’ordonnance de la Cour fédérale, rendue par la juge Fuhrer (2020 CF 794), qui a réduit à 357 500 $ le montant des dommages-intérêts préétablis payables à RallySport Direct LLC (RallySport) aux termes de l’article 38.1 de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, ch. C-42 (la Loi) et qui a également accordé des dommages-intérêts exemplaires et punitifs d’une somme de 50 000 $.

[2] Les appelants font appel au motif que les sommes accordées à titre de dommages-intérêts préétablis et de dommages-intérêts punitifs sont manifestement disproportionnées par rapport à la violation et excessives compte tenu de l’ensemble des circonstances. Essentiellement, les appelants soutiennent que les dommages-intérêts préétablis sont excessifs et disproportionnés par rapport à la violation parce que la somme accordée n’est pas directement liée au préjudice subi par RallySport ou aux profits tirés par les appelants des actes constituant une violation, mais est plutôt fondée sur d’autres facteurs tels que le coût de production des photos par RallySport. Les appelants soutiennent que les dommages-intérêts punitifs sont excessifs parce que la dissuasion a déjà été prise en compte dans la fixation du montant des dommages-intérêts préétablis.

[3] Pour les motifs exposés ci-après, je rejetterais le présent appel.

I. Le contexte et les décisions de la Cour fédérale

[4] RallySport est une société américaine. Elle vend des pièces et des accessoires spécialisés de rechange pour véhicules automobiles par le biais d’Internet. Elle opère à la fois en tant que fournisseur commercial en gros et en tant que vendeur direct.

[5] 2424508 Ontario Limited (242 Ontario) avait, avant d’être mise en faillite, exploité une entreprise de vente par Internet de pièces et d’accessoires spécialisés de rechange pour véhicules automobiles, vendant les mêmes pièces que RallySport. Après la faillite de 242 Ontario, cette activité a ensuite été exercée par 2590579 Ontario Limited (259 Ontario), qui a été constituée en août 2017. Les appelants individuels étaient les dirigeants et administrateurs de 242 Ontario et sont les dirigeants et administrateurs de 259 Ontario.

[6] RallySport propose sur son site Web des photographies de plus de 2 000 pièces et accessoires pour véhicules automobiles. Les photographies ont été prises au cours de la période allant de 2009 à 2017.

[7] En 2016, 242 Ontario était un grossiste autorisé pour RallySport. Pendant cette période, Sylvain Cayer a demandé à des entrepreneurs tiers de copier les images que RallySport utilisait sur son site Web et de les afficher sur le site Web utilisé par 242 Ontario (www.subiedepot.ca).

[8] RallySport a intenté une action contre les appelants, alléguant que ces derniers avaient violé le droit d’auteur de RallySport dans certaines photographies et descriptions de produits que 242 Ontario, puis 259 Ontario, affichaient sur leur site Web. Le recours était scindé en deux parties. La première partie était la détermination de la responsabilité – RallySport avait-elle le droit d’auteur sur les photographies et les descriptions de produits en cause et les appelants avaient-ils violé ce droit d’auteur? La Cour fédérale a tranché ces questions en faveur de RallySport dans le jugement du 28 novembre 2019 (2019 CF 1524). RallySport détient les droits d’auteur sur 1 430 photographies et 3 descriptions de produits. Les appelants ont violé le droit d’auteur de RallySport sur ces œuvres en les affichant sur le site Web www.subiedepot.ca. Il n’y a pas eu appel de ce jugement.

[9] La deuxième partie était l’évaluation des dommages. RallySport a choisi, conformément à l’alinéa 38.1(1)a) de la Loi, de se voir accorder des dommages-intérêts préétablis de 500 $ par œuvre. La Cour fédérale devait notamment déterminer si cette somme devait être réduite aux termes du paragraphe 38.1(3) de la Loi et, dans l’affirmative, à quelle somme. Une autre question était de savoir si RallySport avait droit à des dommages-intérêts exemplaires, punitifs ou majorés et, dans l’affirmative, à quelle somme.

[10] Les dommages-intérêts préétablis sont basés sur le nombre d’œuvres qui sont violées. Afin de déterminer le nombre d’œuvres, la juge de la Cour fédérale a utilisé le nombre de photographies (1 430) et a estimé que tout dommage lié aux trois descriptions de produits serait couvert par une indemnité basée sur les 1 430 photographies. Cette conclusion n’ayant pas fait l’objet d’un appel, le nombre d’œuvres ayant fait l’objet d’une violation sera traité comme étant de 1 430 dans les présents motifs.

[11] Bien que la juge de la Cour fédérale ait noté que certaines affaires suggèrent que les dommages-intérêts préétablis devraient être liés aux dommages réels ou probables, elle a déclaré qu’elle était d’accord avec le principe selon lequel des « dommages probables [ne sont] pas déterminant[s], et l’utilisation de cette estimation dans la détermination des dommages‑intérêts préétablis [n’est qu’un moyen pour] s’assurer que les dommages‑intérêts accordés sont justes et proportionnels » (motifs, au paragraphe 8, citant Ronald Dimock, Intellectual Property Disputes: Resolutions & Remedies (Toronto : Thomson Reuters Canada, 2016) (feuilles mobiles, 5e révision), c. 3, aux pp. 3 à 38, passage cité dans les décisions Young c. Thakur, 2019 CF 835, au paragraphe 57, et Royal Conservatory of Music c. Macintosh (Novus Via Music Group Inc.), 2016 CF 929, au paragraphe 120).

[12] Selon elle, ce principe était conforme à la Loi, « lequel prévoit que la Cour, quand elle exerce son pouvoir discrétionnaire (c’est‑à‑dire, pour réduire le montant minimal des dommages‑intérêts préétablis qui sont accordés par œuvre), se doit de prendre en compte la totalité des facteurs pertinents, dont la bonne ou mauvaise foi du défendeur, le comportement des parties avant l’instance et au cours de celle‑ci, de même que la nécessité de créer un effet dissuasif à l’égard de violations éventuelles du droit d’auteur en question » (motifs, au paragraphe 8).

[13] En l’espèce, étant donné que 1 430 œuvres au total ont fait l’objet d’une violation, une indemnité fixée conformément à la Loi d’une somme minimale de 500 $ par œuvre, comme le prévoit l’alinéa 38.1(1)a) de la Loi, aurait donné lieu à une indemnité totale de 715 000 $. La question était de savoir si cette somme devait être réduite aux termes du paragraphe 38.1(3) de la Loi. Le point central de l’affaire devant la Cour fédérale (et des motifs de la juge de la Cour fédérale) était de savoir si le minimum fixé conformément à la loi était manifestement disproportionné par rapport à la violation.

[14] La juge de la Cour fédérale a conclu qu’une indemnité de cette ampleur (500 $ par œuvre pour un total de 715 000 $) serait manifestement disproportionnée par rapport à la violation. En réduisant les dommages-intérêts préétablis de 50 %, la juge de la Cour fédérale a noté, au paragraphe 24 de ses motifs, qu’elle tenait compte des coûts de la main-d’œuvre de RallySport, ainsi que de la dissuasion et des autres facteurs énumérés au paragraphe 38.1(5) de la Loi.

[15] La juge de la Cour fédérale a noté, au paragraphe 26 de ses motifs, que, dans la décision Trader Corp. v. CarGurus, 2017 ONSC 1841 [Trader], la Cour supérieure de justice de l’Ontario « a basé son évaluation du montant préétabli en partie sur une estimation (par œuvre) approximative des coûts de main‑d’œuvre liés à la production de ces photographies ». La juge de la Cour fédérale a ensuite examiné les coûts de RallySport pour la production des photographies (qu’elle a estimés à 109,44 $US par photo) et le coût d’acquisition des produits figurant sur les photographies (qui se situait entre 224 055 $US et 240 059 $US). Il en résulte une fourchette de 388 494 $US à 404 479 $US pour le total des coûts de production et d’acquisition des produits.

[16] Le coût total d’acquisition des produits n’a toutefois pas été pris en compte de manière précise dans le calcul, car certains des produits achetés ont été revendus ou échangés. Aucun rapport n’a été déposé indiquant combien de produits sont devenus du « stock mort ».

[17] La juge de la Cour fédérale a également tenu compte des facteurs énoncés aux alinéas 38.1(5)a), b) et c) de la Loi.

[18] La conclusion est exposée au paragraphe 43 de ses motifs. Des dommages-intérêts préétablis de 250 $ par œuvre (357 500 $ au total) ont été accordés. La juge de la Cour fédérale a estimé qu’« il s’agit d’une somme juste ou équitable et proportionnée qui tient compte des éléments suivants : les coûts de main‑d’œuvre de [RallySport] de 109,44 $US ou de 146,93 $CAN par œuvre, la mauvaise foi des défendeurs et la nécessité de dissuader les défendeurs ainsi que d’autres parties de violer le droit d’auteur afférent aux œuvres de [RallySport] ». Des intérêts antérieurs au jugement ont également été accordés, calculés à partir de la date à laquelle RallySport a informé les appelants de leur violation.

[19] La juge de la Cour fédérale a convenu avec les appelants que les dommages majorés n’étaient pas justifiés. Toutefois, elle a conclu que des dommages-intérêts punitifs étaient justifiés en raison des actions des appelants et, en particulier, de leurs tentatives de se soustraire à leur responsabilité en créant une nouvelle société (259 Ontario) et en lui transférant les photographies, après que RallySport eut intenté son action pour violation contre 242 Ontario. Des dommages-intérêts punitifs de 50 000 $ ont été accordés.

[20] Le résultat de l’ordonnance qui fait l’objet de l’appel est que RallySport a droit à 357 500 $ en dommages-intérêts préétablis (calculés à raison de 250 $ par œuvre multipliés par 1 430 œuvres), à des intérêts antérieurs au jugement sur les dommages-intérêts préétablis et à 50 000 $ supplémentaires en dommages-intérêts punitifs.

II. Article 38.1 de la Loi

[21] Les dispositions pertinentes de la Loi sont les paragraphes 38.1(1), (3), (5) et (7) :

38.1 (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, le titulaire du droit d’auteur, en sa qualité de demandeur, peut, avant le jugement ou l’ordonnance qui met fin au litige, choisir de recouvrer, au lieu des dommages-intérêts et des profits visés au paragraphe 35(1), les dommages-intérêts préétablis ci-après pour les violations reprochées en l’instance à un même défendeur ou à plusieurs défendeurs solidairement responsables :

38.1 (1) Subject to this section, a copyright owner may elect, at any time before final judgment is rendered, to recover, instead of damages and profits referred to in subsection 35(1), an award of statutory damages for which any one infringer is liable individually, or for which any two or more infringers are liable jointly and severally,

a) dans le cas des violations commises à des fins commerciales, pour toutes les violations — relatives à une oeuvre donnée ou à un autre objet donné du droit d’auteur —, des dommages-intérêts dont le montant, d’au moins 500 $ et d’au plus 20 000 $, est déterminé selon ce que le tribunal estime équitable en l’occurrence;

(a) in a sum of not less than $500 and not more than $20,000 that the court considers just, with respect to all infringements involved in the proceedings for each work or other subject-matter, if the infringements are for commercial purposes; and

b) dans le cas des violations commises à des fins non commerciales, pour toutes les violations — relatives à toutes les oeuvres données ou tous les autres objets donnés du droit d’auteur —, des dommages-intérêts, d’au moins 100 $ et d’au plus 5 000 $, dont le montant est déterminé selon ce que le tribunal estime équitable en l’occurrence.

(b) in a sum of not less than $100 and not more than $5,000 that the court considers just, with respect to all infringements involved in the proceedings for all works or other subject-matter, if the infringements are for non-commercial purposes.

[…]

(3) Dans les cas où plus d’une oeuvre ou d’un autre objet du droit d’auteur sont incorporés dans un même support matériel ou dans le cas où seule la violation visée au paragraphe 27(2.3) donne ouverture aux dommages-intérêts préétablis, le tribunal peut, selon ce qu’il estime équitable en l’occurrence, réduire, à l’égard de chaque oeuvre ou autre objet du droit d’auteur, le montant minimal visé à l’alinéa (1)a) ou au paragraphe (2), selon le cas, s’il est d’avis que même s’il accordait le montant minimal de dommages-intérêts préétablis le montant total de ces dommages-intérêts serait extrêmement disproportionné à la violation.

(3) In awarding statutory damages under paragraph (1)(a) or subsection (2), the court may award, with respect to each work or other subject-matter, a lower amount than $500 or $200, as the case may be, that the court considers just, if

(a) either

(i) there is more than one work or other subject-matter in a single medium, or

(ii) the award relates only to one or more infringements under subsection 27(2.3); and

(b) the awarding of even the minimum amount referred to in that paragraph or that subsection would result in a total award that, in the court’s opinion, is grossly out of proportion to the infringement.

[…]

(5) Lorsqu’il rend une décision relativement aux paragraphes (1) à (4), le tribunal tient compte notamment des facteurs suivants :

(5) In exercising its discretion under subsections (1) to (4), the court shall consider all relevant factors, including

a) la bonne ou mauvaise foi du défendeur;

(a) the good faith or bad faith of the defendant;

b) le comportement des parties avant l’instance et au cours de celle-ci;

(b) the conduct of the parties before and during the proceedings;

c) la nécessité de créer un effet dissuasif à l’égard de violations éventuelles du droit d’auteur en question;

(c) the need to deter other infringements of the copyright in question; and

d) dans le cas d’une violation qui est commise à des fins non commerciales, la nécessité d’octroyer des dommages-intérêts dont le montant soit proportionnel à la violation et tienne compte des difficultés qui en résulteront pour le défendeur, du fait que la violation a été commise à des fins privées ou non et de son effet sur le demandeur.

(d) in the case of infringements for non-commercial purposes, the need for an award to be proportionate to the infringements, in consideration of the hardship the award may cause to the defendant, whether the infringement was for private purposes or not, and the impact of the infringements on the plaintiff.

[…]

(7) Le choix fait par le demandeur en vertu du paragraphe (1) n’a pas pour effet de supprimer le droit de celui-ci, le cas échéant, à des dommages-intérêts exemplaires ou punitifs.

(7) An election under subsection (1) does not affect any right that the copyright owner may have to exemplary or punitive damages.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[22] Bien que les appelants aient formulé des questions différentes, les questions soulevées par les appelants consistent essentiellement à déterminer si la juge de la Cour fédérale a commis une erreur :

  • a) en accordant des dommages-intérêts préétablis qui ne sont pas directement liés au préjudice subi par RallySport ou aux profits tirés par les appelants des actes constituant une violation, mais qui sont plutôt fondés sur d’autres facteurs tels que le coût de production des photos par RallySport; et

  • b) en accordant des dommages-intérêts punitifs alors que la dissuasion était déjà prise en compte dans la somme accordée pour les dommages-intérêts préétablis.

[23] La norme de contrôle applicable à l’égard des questions de fait et de questions mixtes de fait et de droit est celle de l’erreur manifeste et dominante et, à l’égard des questions de droit, celle de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33).

IV. Analyse

A. Dommages-intérêts préétablis

[24] Le montant minimum des dommages-intérêts préétablis est de 500 $ par œuvre lorsque la violation est commise à des fins commerciales (alinéa 38.1(1)a) de la Loi). Dans cet appel, la somme accordée pour les dommages-intérêts préétablis correspond à 50 % de la somme minimale. L’argument principal des appelants est que la somme de 250 $ par œuvre est encore trop élevée parce qu’elle n’est pas liée aux dommages réels subis par RallySport ou aux profits réalisés par les appelants.

[25] La juge de la Cour fédérale s’est appuyée sur la décision de la Cour supérieure de l’Ontario dans la décision Trader pour conclure que les coûts de production du titulaire du droit d’auteur qui ont été engagés pour prendre les photographies (y compris les coûts engagés pour disposer correctement les objets dans la scène à photographier) peuvent être utilisés pour déterminer la somme appropriée à accorder pour les dommages-intérêts préétablis.

[26] Les appelants s’appuient également sur la décision Trader pour soutenir qu’il doit y avoir un lien entre les dommages-intérêts préétablis et les dommages subis par le titulaire du droit d’auteur en raison de la violation de ce dernier. Les appelants font référence au paragraphe 56 de la décision Trader à l’appui de trois propositions dans leur mémoire, bien que ce paragraphe de la décision Trader ne soit pas cité dans le mémoire des appelants. Le paragraphe 56 de la décision Trader est rédigé ainsi :

[traduction]

[56] L’objectif des dommages-intérêts préétablis est d’alléger le fardeau de la preuve pour le titulaire d’un droit d’auteur, pour lequel il peut être difficile, voire impossible, de prouver l’étendue de la perte : voir la [traduction] « Fiche d’information sur les recours en matière de droit d’auteur » du gouvernement du Canada. Toutefois, les dommages-intérêts préétablis visent à indemniser le titulaire du droit d’auteur pour ses pertes (et, également, à dissuader les violations futures). Selon la jurisprudence, il doit y avoir une certaine corrélation ou proportionnalité entre les dommages réels et les dommages-intérêts préétablis. En l’espèce, M. Dunbar a reconnu lors du contre-interrogatoire que Trader n’a subi aucun préjudice pécuniaire et n’a perdu aucune activité du fait de la violation.

[Notes de bas de page omises.]

[27] Ce paragraphe de la décision Trader fait l’objet d’un renvoi pour les propositions suivantes dans le mémoire des appelants :

Paragraphe 9 du mémoire des appelants :

[traduction]

i. En d’autres termes, il est de droit commun, dans de nombreux domaines du droit canadien, que les dommages-intérêts sont présumés compensatoires et qu’un plaignant n’a pas droit à un « bénéfice inattendu » ou à des dommages-intérêts qui dépassent le préjudice/la perte qu’il a subi en raison d’un délit. En d’autres termes, un plaignant n’a droit à des dommages-intérêts que dans la mesure du préjudice/de la perte.

Paragraphe 24 du mémoire des appelants :

[traduction]

b. L’« indicateur » habituel qui permet de le déterminer est le manque à gagner sur les ventes des œuvres protégées par le droit d’auteur, ou les droits de licence. Les bénéfices du contrevenant sont également évalués. En bref, l’« indicateur » doit correspondre à la perte.

[Souligné par les appelants. Les notes de bas de page ont été omises. Le paragraphe 56 de la décision Trader fait l’objet d’un renvoi pour la proposition de la dernière phrase : En bref, l’[traduction] « indicateur” doit correspondre à la perte ».]

Paragraphe 34 du mémoire des appelants :

[traduction]

34. Les dommages-intérêts en matière de propriété intellectuelle sont présumés être de nature compensatoire.

[Souligné par les appelants.]

[28] Il faut d’abord noter que la Cour supérieure de l’Ontario, au paragraphe 56 de la décision Trader, n’a pas utilisé un langage impératif comme le suggèrent les appelants. La Cour n’a pas dit qu’« un plaignant n’a droit à des dommages-intérêts que dans la mesure du préjudice/de la perte » ou que « l’“indicateur” doit correspondre à la perte ». La Cour a déclaré que les dommages-intérêts préétablis visent à compenser une partie pour ses pertes et à dissuader toute violation future et qu’il devrait y avoir une certaine corrélation ou proportionnalité entre les dommages réels et les dommages-intérêts préétablis.

[29] Toutefois, dans la décision Trader, bien que Trader Corp. n’ait pas subi de dommages pécuniaires et n’ait pas essuyé de pertes en raison de la violation, Trader Corp. s’est quand même vu accorder 305 064 $ en dommages-intérêts préétablis (paragraphe 67 de la décision Trader). Non seulement la décision Trader n’appuie pas la proposition des appelants selon laquelle les dommages-intérêts préétablis doivent être liés aux dommages réels subis par le titulaire du droit d’auteur en raison de la violation du droit d’auteur, mais elle appuie en fait la proposition selon laquelle des dommages-intérêts préétablis peuvent être accordés même si aucun dommage monétaire n’est subi et qu’aucune perte n’a été subie.

[30] Les appelants s’appuient également sur la décision de la Cour suprême du Canada intitulée Whiten c. Pilot Insurance Co., 2002 CSC 18 [Whiten] dans la section de leur mémoire qui traite de la question du montant des dommages-intérêts préétablis.

[31] Au paragraphe 6 de leur mémoire, les appelants affirment ce qui suit :

[traduction]

6. Il s’agit d’une affaire où « un marteau de forgeron a été utilisé pour écraser une mouche ». La Cour suprême a déclaré, dans l’arrêt Whiten c. Pilot Insurance [Whiten], l’arrêt de principe sur les dommages-intérêts, que :

Malgré la satisfaction morale susceptible de découler du rappel à l’ordre bien senti qui est donné à une société d’assurance [...], la décision [...] ne favorise pas vraiment l’application de pratiques de gestion saines et équitables dans le secteur de l’assurance. Cette décision ne satisfait pas au critère de la rationalité [...]

[Souligné par les appelants.]

[32] Les appelants citent un plus long extrait du même paragraphe de l’arrêt Whiten au paragraphe 145 de leur mémoire :

[traduction]

145. Respectueusement, la Cour suprême dans l’arrêt Whiten s’est prononcée contre une telle décision, même lorsqu’il est nécessaire de dissuader :

La fonction punitive du droit ne devrait pas jouer un rôle important dans les litiges portant sur des dommages causés à des biens ou à des intérêts économiques. L’attribution d’une somme égale au triple environ du montant de l’indemnité accordée pour la perte d’un bien visé par un contrat d’assurance ne remplit aucune fonction rationnelle. Malgré la satisfaction morale susceptible de découler du rappel à l’ordre bien senti qui est donné à une société d’assurance et à quelques cadres intermédiaires malavisés, la décision du jury ne favorise pas vraiment l’application de pratiques de gestion saines et équitables dans le secteur de l’assurance.

[Souligné par les appelants.]

[33] Tout d’abord, il convient de noter que l’arrêt Whiten concernait l’attribution de dommages-intérêts punitifs de 1 000 000 $ à une compagnie d’assurance. Il ne s’agissait pas d’une affaire portant sur des dommages-intérêts préétablis en application de la Loi. La Cour suprême a rétabli l’attribution par le jury d’un million de dollars en dommages-intérêts punitifs (paragraphe 141 à la fin des motifs de la majorité dans l’arrêt Whiten).

[34] Ce qui est plus préoccupant, c’est que les appelants ne reconnaissent pas que les passages cités sont tirés de motifs dissidents. Comme l’ont noté les appelants, cette citation est tirée du paragraphe 162 des motifs de la Cour suprême dans l’arrêt Whiten. Toutefois, le paragraphe 162 figure dans les motifs dissidents du juge LeBel, qui sont inclus après les motifs de la majorité. Les appelants renvoient à tort à cette citation comme si elle figurait dans les motifs de la majorité de la Cour suprême.

[35] Les appelants font également référence à des passages des motifs majoritaires de la Cour suprême dans l’arrêt Whiten, apparemment sans se rendre compte qu’ils citent à la fois les motifs majoritaires et dissidents et que la majorité a rétabli la décision du jury d’octroyer un million de dollars en dommages-intérêts punitifs. La décision de la Cour suprême dans l’arrêt Whiten ne portait pas sur la question des dommages-intérêts préétablis en application de la Loi et ne peut être utilisée par les appelants à l’appui de leur argument selon lequel les dommages-intérêts préétablis en application de la Loi doivent être liés aux dommages réels subis.

[36] Les appelants soutiennent également que la juge de la Cour fédérale a commis une erreur en permettant à RallySport de récupérer ses coûts d’acquisition des pièces représentées sur les photographies. Cependant, ce n’est pas ce que la juge de la Cour fédérale a déclaré. La juge de la Cour fédérale a noté que, si le coût d’acquisition complet de toutes les pièces avait été inclus, le montant total des coûts de production et des coûts d’acquisition aurait été de l’ordre de 388 494 $US à 404 479 $US. Ce n’est pas la somme qui a été accordée.

[37] Comme il est indiqué ci-dessus, des dommages-intérêts préétablis de 250 $ par œuvre (357 500 $ au total) ont été accordés. La juge de la Cour fédérale a estimé qu’« il s’agit d’une somme juste ou équitable et proportionnée qui tient compte des éléments suivants : les coûts de main‑d’œuvre de [RallySport] de 109,44 $US ou 146,93 $CAN par œuvre, la mauvaise foi des défendeurs et la nécessité de dissuader les défendeurs ainsi que d’autres parties de violer le droit d’auteur afférent aux œuvres de [RallySport] ». L’argument des appelants selon lequel les dommages-intérêts préétablis comprenaient les coûts d’acquisition par RallySport des produits représentés sur les photographies n’est pas fondé.

[38] Les appelants n’ont pas établi que la juge de la Cour fédérale a commis une erreur en réduisant les dommages-intérêts préétablis de 500 $ par photographie à 250 $ par photographie, et non à une somme inférieure.

B. Dommages-intérêts punitifs

[39] Comme il est indiqué ci-dessus, la juge de la Cour fédérale a accordé des dommages-intérêts punitifs en raison des actions des appelants qui ont tenté de se soustraire à leur responsabilité pour la violation du droit d’auteur de RallySport en créant une nouvelle société (259 Ontario) et en lui transférant les photographies, après que RallySport eut intenté son action pour violation contre 242 Ontario. Le comportement visé par l’attribution de dommages-intérêts punitifs n’était pas un comportement ayant entraîné une violation du droit d’auteur, mais un comportement entrepris dans le but d’éviter de payer des dommages-intérêts pour violation du droit d’auteur. L’argument des appelants selon lequel les dommages-intérêts punitifs ont été accordés pour le même comportement ou sur la base de l’un des mêmes facteurs (la nécessité de dissuader les appelants et d’autres personnes de contrefaire les œuvres de RallySport) pris en compte pour déterminer le montant des dommages-intérêts préétablis n’est pas fondé.

[40] Les appelants reconnaissent que la juge de la Cour fédérale a conclu que le comportement des appelants constituait une tentative de se protéger contre un jugement. Par conséquent, pour obtenir gain de cause dans le présent appel, ils devaient établir que la juge de la Cour fédérale avait commis une erreur manifeste et dominante. À la suite de ce constat, les appelants déclarent que [traduction] « ce n’est pas le lieu pour contester une telle conclusion » (paragraphe 154 du mémoire des appelants). Par conséquent, les appelants ne tentent pas de contester cette conclusion de fait de la juge de la Cour fédérale.

[41] Les appelants n’ont pas établi que la juge de la Cour fédérale a commis une erreur en accordant des dommages-intérêts punitifs.

V. Conclusion

[42] Par conséquent, je suis d’avis de rejeter l’appel, avec dépens.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

J.B. Laskin j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Marianne Rivoalen j.c.a. »

Traduction certifiée conforme.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-229-20

 

INTITULÉ :

2424508 ONTARIO LTD. et autres c. RALLYSPORT DIRECT LLC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 novembre 2021

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LASKIN

LA JUGE RIVOALEN

DATE DES MOTIFS :

Le 9 février 2022

COMPARUTIONS :

Bayo Odutola

Julie Daet

Pour les appelants

D. Doak Horne

Sarah Li

POUR L’INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

OLLIP P.C.

Ottawa (Ontario)

Pour les appelants

GOWLING WLG (CANADA) S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Calgary (Alberta)

POUR L’INTIMÉE

 

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