Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20220209


Dossier : A-290-19

Référence : 2022 CAF 23

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE LASKIN

LA JUGE RIVOALEN

 

ENTRE :

MIRNA MONTEJO GORDILLO, JOSÉ LUIS ABARCA MONTEJO, JOSÉ MARIANO ABARCA MONTEJO, DORA MABELY ABARCA MONTEJO, BERTHA JOHANA ABARCA MONTEJO, FUNDACIÓN AMBIENTAL MARIANO ABARCA (FONDATION ENVIRONNEMENTALE MARIANO ABARCA OU FAMA), OTROS MUNDOS, A.C., CHIAPAS, EL CENTRO DE DERECHO HUMANOS DE LA FACULTAD DE DERECHO DE LA UNIVERSIDAD AUTÓNOMA DE CHIAPAS (CENTRE DES DROITS DE LA PERSONNE DE LA FACULTÉ DE DROIT DE L’UNIVERSITÉ AUTONOME DU CHIAPAS), LA RED MEXICANA DE AFECTADOS POR LA MINERÍA (RÉSEAU MEXICAIN DES PERSONNES TOUCHÉES PAR L’EXPLOITATION MINIÈRE OU REMA) ET MINES ALERTE CANADA

appelants

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

et

AMNISTIE INTERNATIONALE CANADA ET JURISTES CANADIENS POUR LES DROITS DE LA PERSONNE DANS LE MONDE, INTERNATIONAL JUSTICE AND HUMAN RIGHTS CLINIC ET CENTRE FOR FREE EXPRESSION DE L’UNIVERSITÉ RYERSON

intervenants

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 8 novembre 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 9 février 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LASKIN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LA JUGE RIVOALEN

 


Date : 20220209


Dossier : A-290-19

Référence : 2022 CAF 23

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE LASKIN

LA JUGE RIVOALEN

 

ENTRE :

MIRNA MONTEJO GORDILLO, JOSÉ LUIS ABARCA MONTEJO, JOSÉ MARIANO ABARCA MONTEJO, DORA MABELY ABARCA MONTEJO, BERTHA JOHANA ABARCA MONTEJO, FUNDACIÓN AMBIENTAL MARIANO ABARCA (FONDATION ENVIRONNEMENTALE MARIANO ABARCA OU FAMA), OTROS MUNDOS, A.C., CHIAPAS, EL CENTRO DE DERECHO HUMANOS DE LA FACULTAD DE DERECHO DE LA UNIVERSIDAD AUTÓNOMA DE CHIAPAS (CENTRE DES DROITS DE LA PERSONNE DE LA FACULTÉ DE DROIT DE L’UNIVERSITÉ AUTONOME DU CHIAPAS), LA RED MEXICANA DE AFECTADOS POR LA MINERÍA (RÉSEAU MEXICAIN DES PERSONNES TOUCHÉES PAR L’EXPLOITATION MINIÈRE OU REMA) ET MINES ALERTE CANADA

appelants

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

et

AMNISTIE INTERNATIONALE CANADA, JURISTES CANADIENS POUR LES DROITS DE LA PERSONNE DANS LE MONDE, INTERNATIONAL JUSTICE AND HUMAN RIGHTS CLINIC ET CENTRE FOR FREE EXPRESSION DE L’UNIVERSITÉ RYERSON

intervenants

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LASKIN

I. Introduction

[1] Les appelants, des membres de la famille et des sympathisants de Mariano Abarca, un chef communautaire qui a été assassiné au Mexique en novembre 2009, interjettent appel d’un jugement rendu par le juge Boswell de la Cour fédérale (2019 CF 950). Dans son jugement, la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire que les appelants avaient présentée à l’encontre d’une décision rendue par le commissaire à l’intégrité du secteur public du Canada (PSIC-2017-D-0413) en application de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, L.C. 2005, ch. 46 (LPFDAR).

[2] Les appelants avaient déposé une plainte auprès du commissaire en alléguant que des actes répréhensibles avaient été commis à l’ambassade du Canada à Mexico et en demandant au commissaire de faire enquête. Ils invoquaient deux catégories d’actes répréhensibles telles que définies dans la LPFDAR : « le fait de causer – par action ou omission – un risque grave et précis pour la vie, la santé ou la sécurité humaines » et « la contravention grave d’un code de conduite ».

[3] Le commissaire a jugé que les renseignements que les appelants lui avaient fournis ne lui fournissaient pas de motifs de croire que des actes répréhensibles de l’une ou l’autre de ces catégories avaient été commis. Il a donc conclu qu’il n’était pas dans l’intérêt public de commencer une enquête sur les actes répréhensibles allégués, et il a refusé de le faire.

[4] Les appelants affirment que le juge de première instance a commis une erreur en ne qualifiant pas d’inéquitable le processus suivi par le commissaire pour parvenir à sa décision et en concluant que la décision était raisonnable. Quatre organisations non gouvernementales sont intervenues pour appuyer la thèse des appelants quant au caractère déraisonnable de la décision, et trois d’entre elles ont fait valoir que la LPFDAR doit être interprétée et appliquée de manière à donner effet aux obligations du Canada en matière de droit international et aux valeurs de la Charte.

[5] Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l’appel. En résumé, je n’observe aucun manquement à l’équité procédurale et je conclus qu’aucun des motifs invoqués par les appelants ne permet d’établir que le commissaire a rendu une décision déraisonnable, eu égard à son rôle et au cadre législatif auquel il est assujetti. J’estime également qu’il serait inapproprié pour notre Cour d’examiner pour la première fois dans le présent appel des arguments fondés sur le droit international et sur la Charte invoqués par les intervenants, alors que ces arguments n’ont été exposés ni au commissaire ni à la Cour fédérale.

II. Exposé des faits

[6] Blackfire Exploration Ltd. est une petite société minière canadienne qui a construit et exploité une mine de baryte dans l’État mexicain du Chiapas entre décembre 2007 et décembre 2009, date à laquelle la mine a été fermée par les autorités mexicaines pour violations environnementales.

[7] Pendant toute la durée du projet, des représentants de l’ambassade du Canada au Mexique ont aidé Blackfire dans ses négociations avec le gouvernement mexicain et ont fait du lobbyisme auprès des organismes de réglementation au nom de la société.

[8] Les opérations minières de Blackfire au Chiapas ont suscité une vive opposition de la part de la collectivité locale. Elles ont été la cible de vastes protestations et de blocus qui ont duré des mois. M. Abarca, qui résidait dans la ville voisine de Chicomuselo au Chiapas, un État situé dans le sud du Mexique, était un ardent opposant à la mine. En juillet 2009, il a dirigé une délégation de résidents venus manifester devant l’ambassade du Canada à Mexico pour dénoncer le comportement de Blackfire.

[9] Plusieurs semaines après cette manifestation, M. Abarca a été arrêté par la police mexicaine, après que Blackfire a déposé des accusations liées à ses activités d’opposition à la mine. L’ambassade a reçu plus de 1 400 courriels dans le cadre d’une campagne épistolaire sur la détention de M. Abarca, et elle a communiqué avec des représentants de l’État et du gouvernement fédéral (notamment avec la commission des droits de la personne de l’État), ainsi qu’avec Blackfire, en vue d’obtenir plus de renseignements. M. Abarca a été remis en liberté après avoir passé huit jours en détention, et aucune accusation n’a été portée contre lui.

[10] Quelques mois plus tard, des représentants de l’ambassade se sont rendus au Chiapas pour discuter du projet avec des représentants du gouvernement et défendre les intérêts de Blackfire.

[11] M. Abarca a été assassiné à l’extérieur de son domicile à Chicomuselo à la fin de novembre 2009.

[12] Des représentants de l’ambassade ont publié une déclaration dans laquelle ils disaient accueillir favorablement l’enquête menée par les autorités mexicaines sur la mort de M. Abarca, et ils ont suivi les réactions, car les allégations visant Blackfire augmentaient. Ils ont aussi soutenu Blackfire durant l’examen des options de règlement des différends entre l’investisseur et l’État, après la fermeture de la mine.

[13] Bien que des employés de Blackfire aient été accusés du meurtre de M. Abarca, personne n’a finalement été reconnu coupable. Des groupes de défense basés au Canada ont exercé des pressions afin que Blackfire fasse l’objet d’une enquête criminelle au Canada pour violation de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers, L.C. 1998, ch. 34. La Gendarmerie royale du Canada (GRC) a fait enquête et, en février 2015, elle a conclu que les éléments de preuve ne justifiaient pas le dépôt d’accusations criminelles.

[14] Les appelants se composent de l’épouse de M. Abarca, de ses deux fils et ses deux filles, ainsi que de cinq organisations non gouvernementales du Mexique et du Canada.

[15] À la fin de 2010, les appelants ont présenté une demande aux termes de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985, ch. A-1, afin d’obtenir des dossiers en lien avec l’ambassade du Canada au Mexique. Quelque 1 000 pages de documents, comportant de nombreux passages caviardés, ont été rendues publiques en 2012 en réponse à cette demande.

[16] Les appelants ont présenté leur demande d’enquête auprès du commissaire en février 2018. Le commissaire a rendu sa décision en avril 2018 et a décidé de ne pas commencer d’enquête.

III. Décisions à examiner aux termes de la LPFDAR

[17] Le commissaire est nommé par le gouverneur en conseil après consultation du chef de chacun des partis reconnus au Sénat et à la Chambre des communes et après approbation par résolution du Sénat et de la Chambre des communes. La LPFDAR autorise le commissaire à faire enquête sur des actes répréhensibles allégués au sein du secteur public fédéral et lui accorde le pouvoir discrétionnaire de déterminer dans quelles circonstances une enquête devrait être menée.

[18] L’article 8 de la LPFDAR définit les catégories d’actes répréhensibles, qui sont commis au sein du secteur public ou qui le concernent et auxquelles la Loi s’applique. Les actes répréhensibles allégués par les appelants sont ceux énoncés aux alinéas 8d) et 8e), qui sont rédigés comme suit :

Actes répréhensibles

Wrongdoings

8 La présente loi s’applique aux actes répréhensibles ci-après commis au sein du secteur public ou le concernant

8 This Act applies in respect of the following wrongdoings in or relating to the public sector:

[...]

...

d) le fait de causer — par action ou omission — un risque grave et précis pour la vie, la santé ou la sécurité humaines ou pour l’environnement, à l’exception du risque inhérent à l’exercice des attributions d’un fonctionnaire

(d) an act or omission that creates a substantial and specific danger to the life, health or safety of persons, or to the environment, other than a danger that is inherent in the performance of the duties or functions of a public servant;

e) la contravention grave d’un code de conduite établi en vertu des articles 5 ou 6 [....]

(e) a serious breach of a code of conduct established under section 5 or 6 ....

[19] Le paragraphe 5(1) dispose que le Conseil du Trésor « établit un code de conduite applicable au secteur public ». Le paragraphe 6(1) prévoit que « [l]’administrateur général établit un code de conduite applicable à l’élément du secteur public dont il est responsable ». Au paragraphe 2(1), l’« administrateur général » est défini comme « le premier dirigeant d’un élément du secteur public et le titulaire d’un poste équivalent ».

[20] Le commissaire peut faire enquête sur des actes répréhensibles allégués en réponse à la divulgation d’actes répréhensibles de la part d’un fonctionnaire, ou à des renseignements qui lui sont communiqués par une personne autre qu’un fonctionnaire. (Le commissaire qualifie également de divulgation la communication de renseignements par une personne autre qu’un fonctionnaire; j’utiliserai donc cette terminologie en l’espèce.)

[21] Le paragraphe 33(1) définit les conditions préalables auxquelles le commissaire doit satisfaire avant de décider de mener une enquête à la suite d’une divulgation par une personne autre qu’un fonctionnaire. Le commissaire doit d’abord, après avoir pris connaissance des renseignements qui lui ont été communiqués par la personne sollicitant la tenue d’une enquête, avoir des motifs de croire qu’un acte répréhensible a été commis. Le commissaire doit ensuite être d’avis, sur le fondement de motifs raisonnables, que l’intérêt public commande la tenue d’une enquête. Enfin, l’enquête ne doit pas être limitée par l’article 23, ni faire l’objet d’un refus pour l’un des motifs énoncés à l’article 24.

[22] Les parties pertinentes du paragraphe 33(1) prévoient ce qui suit :

Enquête sur un autre acte répréhensible

Power to investigate other wrongdoings

33 (1) Si, [...] après avoir pris connaissance de renseignements lui ayant été communiqués par une personne autre qu’un fonctionnaire, le commissaire a des motifs de croire qu’un acte répréhensible [...] a été commis, il peut, s’il est d’avis sur le fondement de motifs raisonnables, que l’intérêt public le commande, faire enquête sur celui-ci, sous réserve des articles 23 et 24; les dispositions de la présente loi applicables aux enquêtes qui font suite à une divulgation s’appliquent aux enquêtes menées en vertu du présent article.

33 (1) If, ... as a result of any information provided to the Commissioner by a person who is not a public servant, the Commissioner has reason to believe that ... a wrongdoing ... has been committed, he or she may, subject to sections 23 and 24, commence an investigation into the wrongdoing if he or she believes on reasonable grounds that the public interest requires an investigation. The provisions of this Act applicable to investigations commenced as the result of a disclosure apply to investigations commenced under this section.

[23] Le paragraphe 23(1) interdit au commissaire d’enquêter si une personne ou un organisme – exception faite d’un organisme chargé de l’application de la loi – est saisi de l’objet de celle-ci au titre d’une autre loi fédérale. Le paragraphe 24(1) confère au commissaire un vaste pouvoir discrétionnaire de refuser de commencer une enquête s’il estime que certaines conditions sont réunies. Ces conditions prévoient notamment, à l’alinéa 24(1)f), « que cela est opportun pour tout autre motif justifié ».

[24] La LPFDAR précise également l’objet des enquêtes qui sont menées sur une divulgation ou qui sont commencées au titre de l’article 33, si cela devait être nécessaire. Selon le paragraphe 26(1), une enquête a « pour objet de porter l’existence d’actes répréhensibles à l’attention des administrateurs généraux et de leur recommander des mesures correctives ».

IV. La divulgation des appelants

[25] Les appelants ont soumis leur divulgation en utilisant le formulaire de divulgation pour les membres du public qui est publié par le Commissariat. Ce formulaire présente une définition d’actes répréhensibles qui s’apparente au libellé de l’article 8 de la LPFDAR. On y énonce également les directives suivantes (en caractères gras dans l’original) :

Décrivez la situation en vos propres mots, tout en gardant à l’esprit la définition d’actes répréhensibles exposée ci-dessus. Mentionnez : qui a commis d’après vous un acte répréhensible; quelles sont vos allégations précises; quand et (quel ministère/organisme fédéral) l’acte répréhensible allégué s’est-il produit? Mentionnez toute loi, politique, directive ou tout règlement, applicable se rapportant à l’acte répréhensible. Par exemple, si l’acte répréhensible que vous divulguez constitue une contravention à une loi, mentionnez de quelle loi il s’agit.

[26] Le formulaire de divulgation énonce également des directives au sujet de la documentation à fournir (en caractères gras dans l’original) :

Vous pouvez joindre tout document ou renseignement supplémentaires à l’appui, au besoin. [...] Pour assurer l’examen en temps opportun de votre dossier, veuillez fournir uniquement les documents qui appuient vos allégations, en précisant quelles parties vous jugez pertinentes relativement à l’acte répréhensible allégué.

[27] Le formulaire que doit signer la personne qui fait la divulgation comprend notamment la mention suivante : « Je comprends qu’il m’incombe de fournir au commissaire tous les renseignements demandés dans le présent formulaire et d’y joindre tout document pertinent ». Un représentant des appelants a signé cette déclaration en leur nom.

[28] La divulgation présentée par les appelants, y compris le formulaire signé, est constituée de quelque 23 pages de texte à simple interligne, dont 100 notes de bas de page, ainsi que d’une annexe énonçant les dates des principaux événements. Quarante-cinq de ces notes de bas de page renvoient à des documents obtenus grâce au processus d’accès à l’information, mais aucune copie de ces documents n’a été fournie. Trente-quatre notes de bas de page contiennent des hyperliens menant à divers types de documents, notamment des documents gouvernementaux, des articles de journaux et des rapports. Aucun des documents mentionnés par les appelants n’a été présenté, la seule information qui a été fournie étant les hyperliens. Les appelants précisent que les notes de bas de page renvoient au total à 79 documents.

[29] En introduction de leur divulgation, les appelants ont indiqué que celle-ci soulevait deux questions. La première, ont-ils allégué, portait sur le défaut de l’ambassade d’appliquer trois politiques régissant les conflits entre des collectivités locales et des sociétés minières canadiennes, un manquement qui a amené l’ambassade à ne pas tenir compte des mises en garde que la vie et la sécurité de M. Abarca étaient menacées. La deuxième était de savoir si l’ambassade avait été informée des paiements douteux que Blackfire avait versés à un politicien local, mais avait omis de les signaler.

[30] Après avoir présenté un résumé des faits et identifié les fonctionnaires qu’ils considéraient comme responsables, les appelants ont exposé, sous la rubrique [traduction] « Violation des politiques régissant les conflits dans l’industrie extractive », le cadre législatif à appliquer pour conclure à des actes répréhensibles aux termes des alinéas 8d) et 8e) de la LPFDAR. Ils ont décrit cette portion de leur divulgation comme démontrant que [traduction] « l’ambassade du Canada avait omis de respecter les politiques du ministère et que ses actions et omissions pourraient avoir créé des conditions causant un “risque grave et précis pour la vie, la santé ou la sécurité” » de M. Abarca et d’autres personnes. Ils ont fait valoir que l’ambassade avait omis de respecter « trois politiques clés » qui régissent les conflits dans les sociétés extractives présentes à l’étranger, et que ce manquement pourrait avoir donné lieu à des actes répréhensibles au sens des alinéas 8d) et 8e). Invoquant le Code de valeurs et d’éthique de 2014 du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (tel était alors le nom du ministère), ils ont déclaré que [traduction] « [l]’une des principales attributions des fonctionnaires est d’exercer leurs fonctions conformément aux lois et aux politiques canadiennes ».

[31] Les trois « politiques » invoquées par les appelants sont énoncées ci-après.

  • 1) Un document publié par Affaires mondiales Canada en 2016, intitulé Renforcer l’avantage canadien : Stratégie de responsabilité sociale des entreprises (RSE) pour les sociétés extractives canadiennes présentes à l’étranger. Les appelants ont cité un extrait de ce document où il est indiqué que « le gouvernement encourage les entreprises canadiennes à répondre à des normes élevées de responsabilité sociale et s’attend à ce qu’elles le fassent » et que l’évaluation des risques associés à la violence constitue un domaine particulièrement préoccupant.

  • 2) Une déclaration du ministère extraite d’un document de 2016, ainsi qu’une déclaration semblable faite avant 2013, selon laquelle [traduction] « le réseau des missions du Canada à l’étranger poursuit des objectifs liés à la promotion et à la protection des défenseurs des droits de la personne qui correspondent à notre programme en matière de droits de la personne ». Les appelants ont indiqué que cette politique était conforme à la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme adoptée par les Nations Unies en 1999 (Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus, Rés. A.G. 53/144, UNGAOR, 53session, Doc. ONU A/RES/53/144 [1999]). Cependant, ils ont aussi mentionné que la politique en vigueur entre 2007 et 2009 était « très générale », mais n’ont fourni aucune référence précise à la politique en vigueur durant cette période.

  • 3) Les « lignes directrices précises » indiquant ce que les ambassades canadiennes devraient faire en cas de conflit entre un État hôte, une société minière canadienne et une collectivité locale. Ces lignes directrices avaient été mentionnées dans une déclaration faite au Toronto Star, en décembre 2019. Elles prévoyaient que le rôle des ambassades, lorsqu’elles étaient informées d’allégations de violations des droits de la personne de la part de sociétés canadiennes à l’étranger, était de [traduction] « tenter de jouer un rôle constructif et utile » ainsi que de « faciliter un dialogue ouvert et éclairé entre toutes les parties ».

[32] Les appelants faisaient valoir qu’il existait [traduction] « des motifs sérieux de faire enquête afin de déterminer si le non-respect des trois politiques [...] avait causé un risque grave et précis pour la vie, la santé ou la sécurité de membres de la collectivité, notamment de Mariano Abarca, et avait eu des effets néfastes sur l’environnement ».

[33] Ils alléguaient que l’ambassade avait enfreint la première de ces politiques lorsque, ayant été informée des tensions entre Blackfire et la collectivité locale, ainsi que des protestations contre la mine et contre la détention de M. Abarca, elle a omis d’enquêter sur l’origine de ces tensions, de faire une évaluation des risques liés à la violence ou d’enquêter pour déterminer si Blackfire avait commis les actes reprochés.

[34] Les appelants alléguaient en outre que l’ambassade avait enfreint la politique du ministère sur les défenseurs des droits de l’homme, notamment en omettant d’évaluer le bien-fondé des allégations d’activités illégales formulées par Blackfire à l’encontre de M. Abarca, en omettant d’examiner les questions liées aux défenseurs des droits de la personne et en défendant les intérêts de Blackfire auprès du gouvernement du Chiapas. Les appelants ont reconnu [traduction] « qu’aucune règle précise ne semblait dicter ce que le personnel de l’ambassade du Canada devait faire pour protéger les défenseurs des droits de la personne » entre 2007 et 2009, mais ont mentionné un énoncé de politique publié en 2016 pour illustrer ce que l’ambassade aurait pu faire.

[35] Ils alléguaient également que, plutôt que de faciliter un dialogue ouvert et éclairé entre toutes les parties concernées, conformément à la troisième politique qu’ils avaient mentionnée, l’ambassade a toujours défendu Blackfire et ses intérêts économiques.

[36] Ils alléguaient donc que l’ambassade avait enfreint chacune des politiques qu’ils avaient mentionnées et que tous ces manquements, notamment lorsqu’on y ajoutait le décès de M. Abarca, constituaient une contravention grave d’un code de conduite. Ils ont ajouté que, si les représentants de l’ambassade avaient agi de la sorte à cause d’instructions formelles qu’ils avaient reçues, le commissaire devrait alors faire enquête sur les responsables qui avaient donné ces instructions.

[37] Les appelants sont ensuite revenus sur leur allégation d’actes répréhensibles au titre de l’alinéa 8d) de la LPFDAR (« le fait de causer – par action ou omission – un risque grave et précis pour la vie, la santé ou la sécurité humaines »). Ils ont allégué que l’ambassade aurait pu influencer le cours des événements si elle avait suivi les trois politiques mentionnées, car elle entretenait des liens étroits avec Blackfire et les gouvernements du Mexique et du Chiapas. Ils ont déclaré que le défaut de l’ambassade de faire valoir, auprès de l’État du Chiapas, le droit de M. Abarca de protester pacifiquement, sans être la cible de menaces et d’intimidation, [traduction] « pourrait bien avoir intensifié les risques » (italiques dans l’original), en encourageant l’État à intervenir plus activement pour protéger les intérêts de Blackfire. Ils ont indiqué que l’ambassade avait eu une conduite « imprudente » en défendant les intérêts de Blackfire sans tenir compte des risques pour M. Abarca et en ne cherchant pas à promouvoir un meilleur dialogue. Ils ont soutenu que l’intervention de l’ambassade pour défendre les intérêts de Blackfire auprès du gouvernement du Chiapas était une action qui avait créé un risque précis pour la vie et la sécurité de M. Abarca, et que le défaut de l’ambassade de soulever les réserves relatives aux droits de la personne auprès de Blackfire et du gouvernement du Chiapas était une omission qui avait eu le même effet.

[38] Après avoir présenté leurs observations sous la rubrique [traduction] « Violation des politiques régissant les conflits dans l’industrie extractive » et exposé leurs vues que ces violations avaient donné lieu à des actes répréhensibles au sens des alinéas 8d) et 8e) de la LPFDAR qui devraient faire l’objet d’une enquête, les appelants ont exposé, sous la rubrique [traduction] « Obligation de signaler des actes soupçonnés de corruption », le défaut de l’ambassade de s’acquitter de cette obligation.

[39] Pour étayer cette prétention, les appelants ont rappelé que les fonctionnaires ont l’obligation d’exercer leurs fonctions conformément aux lois et aux politiques canadiennes. Ils ont invoqué à l’appui la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers, L.C. 1998, ch. 34, selon laquelle il est illégal d’offrir des pots-de-vin à des agents étrangers en vue d’obtenir un avantage commercial. Ils ont aussi mentionné la Politique de 2010 concernant le signalement des allégations de corruption à l’étranger par des Canadiens ou des entreprises canadiennes du ministère, selon laquelle les fonctionnaires doivent signaler les actes de corruption soupçonnés à leur administration centrale à Ottawa s’ils [traduction] « ont connaissance d’allégations de corruption ou de pots-de-vin mettant en cause des Canadiens ou des entreprises canadiennes ».

[40] Les appelants ont dit être préoccupés du fait que ce n’est qu’après la publication d’articles en ce sens dans des journaux canadiens, en décembre 2009, que l’ambassade a signalé à la GRC les allégations selon lesquelles Blackfire avait versé des pots-de-vin au maire de Chicomuselo pour empêcher les membres de la collectivité locale de protester contre la mine et de la saccager. Les appelants ont soutenu que le commissaire aurait dû faire enquête pour déterminer si l’ambassade avait été informée des paiements avant cela. Ils ont présenté plusieurs scénarios possibles, certains qualifiés de « curieux », d’autres de « très étranges », pour tenter d’expliquer ce qui s’était produit.

[41] Ils se sont ensuite penchés, dans une autre rubrique de leur divulgation, sur le pouvoir du commissaire de faire enquête. Les appelants ont fait valoir que « de très bonnes raisons d’intérêt public » justifiaient la tenue d’une enquête, notamment le meurtre de M. Abarca et les obligations internationales du Canada relativement à la protection des défenseurs des droits de la personne. S’attendant à de possibles réponses du commissaire, ils ont aussi fait valoir que deux des motifs pour lesquels le commissaire pourrait décider de ne pas faire enquête aux termes de l’article 24 de la LPFDAR – à savoir l’importance insuffisante (alinéa 24(1)b)) et la période écoulée (alinéa 24(1)d)) – ne devraient pas s’appliquer.

[42] En terminant, les appelants ont fait valoir qu’il incombait au commissaire [traduction] « d’examiner les valeurs soutenues par le gouvernement canadien pour déterminer si les politiques précises établies en vue de mettre en pratique ces valeurs avaient été respectées ».

V. La décision du commissaire

[43] Dans sa lettre de décision, le commissaire a déclaré que, bien que le Commissariat ait pris les allégations des appelants très au sérieux et [traduction] « ait mené un examen approfondi de tous les renseignements fournis », ces renseignements ne lui donnaient aucun motif de croire que l’ambassade avait commis des actes répréhensibles au sens des alinéas 8d) ou 8e) de la LPFDAR. À dix reprises dans cette lettre de trois pages et demie, le commissaire a expressément déclaré que sa décision était fondée sur les « renseignements fournis » par les appelants. Il a aussi déclaré, à une occasion, qu’il avait décidé de ne pas enquêter sur [traduction] « les allégations telles que les appelants les avaient exposées ».

[44] Le commissaire a d’abord examiné l’allégation des appelants selon laquelle l’ambassade n’avait pas respecté les « politiques » mentionnées par les appelants, et que ce manquement à la fois constituait une contravention grave d’un code de conduite et causait un risque grave et précis pour la vie de M. Abarca. Il a conclu que les documents invoqués par les appelants n’étaient pas, « selon son interprétation », des [traduction] « politiques officielles du gouvernement du Canada et qu’elles [...] ne semblaient pas prescrire les actions précises que l’ambassade aurait dû, ou n’aurait pas dû, prendre durant la période en cause ». Il a en outre conclu que, quoi qu’il en soit, puisque la mission de l’ambassade était notamment d’aider les sociétés canadiennes à l’étranger, le nombre et le contenu de communications entre l’ambassade et Blackfire ne semblaient pas contrevenir à ces « politiques » ni autrement constituer des actes répréhensibles.

[45] Le commissaire a ajouté que, selon les renseignements fournis par les appelants, il ne semblait pas que l’ambassade était tenue de servir de médiateur dans le conflit opposant Blackfire et ses opposants. Il a reconnu que certains pourraient croire que les interactions entre l’ambassade et les opposants de la mine ont été trop limitées. Il a toutefois déclaré que, selon les renseignements qui lui avaient été communiqués, on ne pouvait pas dire que les actions ou inactions de l’ambassade au regard des difficultés entre Blackfire et la collectivité locale constituaient des actes répréhensibles au sens établi.

[46] Le commissaire en est arrivé à une conclusion comparable au sujet de la manière dont l’ambassade avait traité les réserves liées aux droits de la personne. Il a déclaré que l’ambassade ne semblait pas avoir fait abstraction de ces réserves. Il a notamment mentionné que l’ambassade avait consulté plusieurs sources pour obtenir de l’information sur la détention de M. Abarca et qu’elle avait accueilli favorablement l’enquête judiciaire menée par les autorités mexicaines sur la mort de M. Abarca. Le commissaire a reconnu que, de l’avis des appelants, l’ambassade aurait dû faire des efforts supplémentaires, mais a noté que l’ambassade n’aurait pas eu compétence pour intervenir dans cette enquête ou dans la procédure judiciaire menée au Mexique. Les renseignements fournis n’indiquaient pas, a-t-il conclu, que la conduite de l’ambassade à cet égard avait enfreint les « politiques » ou constituait un acte répréhensible.

[47] Par conséquent, ayant conclu que les renseignements fournis par les appelants relativement au non-respect allégué de « politiques » par l’ambassade ne laissaient pas présumer que des actes répréhensibles au sens des alinéas 8d) ou 8e) avaient été commis, le commissaire s’est ensuite penché sur les allégations des appelants concernant l’obligation de l’ambassade de signaler les pots-de-vin et la corruption.

[48] Le commissaire a indiqué que les allégations à ce sujet étaient fondées sur une politique de 2010 et qu’il semblait que les allégations de pots-de-vin avaient été rendues publiques dans la presse mexicaine en juin 2009 et qu’elles avaient été signalées par l’ambassade en décembre 2009, à la suite d’articles parus dans la presse canadienne. Il a déclaré que, bien que les appelants [traduction] « aient exprimé leurs points de vue sur ce que l’ambassade savait ou aurait dû savoir et sur ce qu’elle a fait ou aurait dû faire et à quel moment elle aurait dû agir, les renseignements présentés à l’appui [semblaient] relever de la conjecture ». Il ne pouvait donc pas être établi avec certitude qu’une politique comparable à celle de 2010 était en vigueur durant la période en cause. Il a conclu que, puisque l’ambassade avait signalé les pots-de-vin et les actes de corruption allégués, les renseignements fournis ne suffisaient pas à établir que des fonctionnaires de l’ambassade avaient commis des actes répréhensibles au sens de la LPFDAR.

[49] Le commissaire a ajouté que la GRC avait fait enquête sur les allégations de pots-de-vin et de corruption et qu’elle en était arrivée à la conclusion que la preuve ne justifiait pas des accusations criminelles. Il a donc conclu que les renseignements fournis relativement au défaut allégué de signaler les pots-de-vin et les actes de corruption n’indiquaient pas que des actes répréhensibles avaient été commis au sens des alinéas 8d) ou 8e).

[50] Le commissaire a ensuite énoncé sa conclusion globale, à savoir que la divulgation des appelants ne lui donnait pas de motifs de croire que l’ambassade avait commis des actes répréhensibles au sens des alinéas 8d) ou 8e). Il a donc déclaré ce qui suit : [traduction] « les exigences du paragraphe 33(1) de la Loi n’ont pas été respectées et il n’est pas dans l’intérêt public de commencer une enquête ». Cette conclusion, a-t-il précisé, était [traduction] « conforme au mandat et au rôle précis que lui confère la Loi ». Ayant conclu que la première exigence énoncée au paragraphe 33(1) – des motifs de croire – n’avait pas été satisfaite, le commissaire n’a pas examiné les autres facteurs mentionnés au paragraphe 24(1) qui lui auraient donné le pouvoir discrétionnaire de refuser de commencer une enquête, même s’il avait eu des motifs de croire que le paragraphe 33(1) l’exigeait.

VI. La décision de la Cour fédérale

[51] Les appelants ont demandé le contrôle judiciaire de la décision du commissaire auprès de la Cour fédérale, en faisant valoir que la décision était à la fois déraisonnable et contraire à l’équité procédurale. Pour appuyer leur demande, ils ont déposé l’affidavit d’un avocat qui avait participé à la préparation de leur divulgation. Cet affidavit mentionnait essentiellement que les appelants avaient d’autres renseignements qu’ils auraient pu fournir, et qu’ils auraient fournis, si le commissaire avait demandé des renseignements ou documents supplémentaires. Quelque 450 pages de documents sources liés aux notes de bas de page de la lettre de divulgation des appelants ont aussi été jointes à l’affidavit – des documents que les appelants n’avaient pas présentés au commissaire. L’affidavit répondait également à plusieurs déclarations formulées dans la décision du commissaire et dans l’analyse de l’admissibilité du dossier que le Commissariat avait préparée à l’intention du commissaire.

[52] Le juge de première instance a d’abord indiqué qu’il écarterait les parties de l’affidavit des appelants qui contenaient des arguments juridiques ou des renseignements qui n’avaient pas été directement présentés au commissaire. Selon lui, l’affidavit ne faisait pas partie des exceptions au principal général, énoncées dans l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, par. 19 et 20, et selon lesquelles le dossier de la preuve lors d’un contrôle judiciaire doit se limiter au dossier qui a été présenté au décideur. Le juge de première instance a également noté que les demandeurs avaient confondu, de la manière décrite dans l’arrêt Duyvenbode c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 120, par. 3, l’objet d’un affidavit avec celui des observations de l’avocat.

[53] Le juge de première instance a ensuite examiné la norme de contrôle qu’il devrait appliquer à la décision du commissaire. Il a déterminé que la norme de contrôle qui devait s’appliquer à la décision du commissaire de ne pas enquêter était celle de la décision raisonnable, et qu’une évaluation des procédures et des garanties requises dans les circonstances précises devait être faite pour déterminer si l’équité procédurale avait été respectée. Il a conclu l’examen de la question de l’équité procédurale en citant un extrait de la décision rendue par notre Cour dans l’arrêt Gupta c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 211, par. 31. Dans l’arrêt Gupta, notre Cour a indiqué que, pour déterminer si une enquête devait être menée, le régime mis en place par la LPFDAR exigeait seulement que le dénonciateur présente des renseignements et des documents justificatifs dont il croit qu’ils établissent qu’il y a eu acte répréhensible justifiant une enquête par le commissaire et que le commissaire évalue ces renseignements et documents et qu’il décide de mener ou non une enquête.

[54] Le juge de première instance a ensuite appliqué la norme de la décision raisonnable pour déterminer si la décision du commissaire de ne pas enquêter était raisonnable. Il a d’abord rejeté l’argument des appelants fondé sur le contenu du dossier certifié du Commissariat produit en réponse à la demande présentée par les appelants aux termes de l’article 317 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. Ce dossier énonçant les documents qui étaient en la possession du commissaire ne faisait mention que de trois des nombreux documents sources qui avaient été cités dans les notes de bas de page de la lettre de divulgation, mais qui n’avaient pas été fournis. Cela démontrait, ont soutenu les appelants, que le commissaire n’avait pas examiné tous les documents sources avant de rendre sa décision. Les appelants ont en outre fait valoir que le commissaire avait dû se procurer lui-même les trois documents puisqu’ils n’avaient pas été joints à la lettre de divulgation, et qu’il n’avait sans doute pas obtenu ni lu les autres documents, puisqu’il n’avait produit que les trois documents en question.

[55] Le juge de première instance n’a rien relevé dans le dossier certifié qui indiquerait que le commissaire, ou l’auteur de l’analyse de l’admissibilité du dossier que le Commissariat lui avait présenté, n’avaient pas examiné les documents pour lesquels des références en ligne avaient été fournies dans les notes de bas de page. Il n’est ni logique, ni raisonnable, a-t-il déclaré, de conclure que le commissaire n’a pas tenu compte de ces documents. Il est possible, a ajouté le juge de première instance, que ces documents aient été examinés en ligne et qu’aucune copie papier n’en ait été faite.

[56] Le juge de première instance a ensuite conclu qu’il était raisonnable de la part du commissaire de conclure que l’ambassade n’avait enfreint aucun code de conduite. Les appelants ont mentionné « des politiques et des documents ambitieux qui ont été mis en place par la suite, mais ils n’ont rien relevé qui aurait créé une obligation légale pour l’ambassade d’agir ou de ne pas agir d’une certaine manière ». Le juge a ajouté qu’« [i]l ne fai[sai]t aucun doute que les [appelants] auraient aimé que l’ambassade agisse d’une certaine manière » et a reconnu que, s’il en avait été ainsi, « peut-être M. Abarca n’aurait-il pas été assassiné ». Toutefois, la décision du commissaire de ne pas ouvrir d’enquête était, à [son] avis, raisonnable et « constitu[ait] un résultat acceptable pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Il a donc rejeté la demande.

[57] Le juge de première instance n’a pas formulé expressément de conclusion sur les allégations d’iniquité procédurale des appelants, bien qu’il les ait implicitement écartées en rejetant la demande. Cela n’a toutefois aucune importance pratique dans le présent appel, puisque la responsabilité de notre Cour, comme nous le verrons immédiatement ci-après, est de faire un examen de novo de la décision du commissaire.

VII. Norme de contrôle applicable à la décision de la Cour fédérale

[58] Comme l’a récemment confirmé la Cour suprême dans l’arrêt Office régional de la santé du Nord c. Horrocks, 2021 CSC 42, aux paragraphes 10 à 12, « [l]a sélection et l’application d’une norme de contrôle par le juge de révision sont assujetties à la norme de la décision correcte ». Par conséquent, la question que doit trancher notre Cour en appel d’une décision rendue par la Cour fédérale au sujet d’une demande de contrôle judiciaire est de déterminer si la Cour fédérale a « choisi la norme de contrôle appropriée et l’a [...] appliquée correctement ». Nous ne devons accorder aucune déférence à la Cour fédérale; nous devons plutôt procéder à « un examen de novo de la décision administrative », c’est-à-dire nous « mettre à la place » du juge de révision et nous concentrer sur la décision administrative : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, par. 45 à 47 (certaines ponctuations omises); arrêt Horrocks, par. 10.

[59] Une exception s’applique lorsque le juge de révision agit comme décideur en première instance. Le cas échéant, les normes de contrôle en appel énoncées dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, s’appliquent : les décisions portant sur une question de droit sont assujetties à la norme de la décision correcte, tandis que les conclusions de fait et les conclusions de droit et de fait (lorsqu’il n’existe aucune question de droit isolable) sont susceptibles de contrôle seulement selon la norme empreinte de déférence de l’erreur manifeste et dominante : arrêt Horrocks, par. 11; Apotex Inc. c. Canada (Santé), 2018 CAF 147, par. 57 et 58, autorisation d’interjeter appel refusée, [2019] 1 R.C.S. v; Budlakoti c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 139, par. 37, autorisation d’interjeter appel refusée, [2016] 1 R.C.S. vii.

VIII. Norme de contrôle applicable à la décision du commissaire

[60] Comme je l’ai mentionné précédemment, le juge de première instance a déterminé que la norme de la décision raisonnable était la norme de contrôle devant s’appliquer pour juger du bien-fondé de la décision du commissaire de ne pas enquêter sur les actes répréhensibles allégués. Les parties reconnaissent qu’il a eu raison. Bien que cette décision ait été rendue avant que la Cour suprême reformule le droit du contrôle judiciaire dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, elle est conforme à la présomption énoncée dans l’arrêt Vavilov que, sous réserve seulement de quelques exceptions, la norme de la décision raisonnable est la norme qui s’applique lorsqu’une cour examine le bien-fondé d’une décision administrative. Aucune des exceptions ne s’applique en l’espèce.

[61] La cour qui applique la norme de la décision raisonnable ne doit pas se demander comment elle aurait statué sur l’affaire; elle doit seulement déterminer si la décision du décideur était raisonnable : arrêt Vavilov, par. 83. L’arrêt Vavilov nous enseigne aujourd’hui que, lorsque le décideur a fourni des motifs, « une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : arrêt Vavilov, par. 78 et 85. Les motifs du décideur « ne doivent pas être jugés au regard d’une norme de perfection » : arrêt Vavilov, par. 91. Pour rendre sa décision, le décideur administratif peut mettre à profit ses connaissances, son expérience et son expertise : arrêt Vavilov, par. 92 et 93; Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, par. 35 et 38.

[62] Il incombe à la partie qui conteste la décision de démontrer « que la lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable » : arrêt Vavilov, par. 100. De plus, à moins de circonstances exceptionnelles, « les cours de révision ne modifient pas [l]es conclusions de fait [du décideur]. Les cours de révision doivent également s’abstenir “d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur” » : arrêt Vavilov, par. 125 (citations internes omises). Cela dit, « [l]e caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte » : arrêt Vavilov, par. 126.

[63] Le juge de première instance a également conclu, à juste titre, que les questions d’équité procédurale n’exigent pas que l’on détermine la norme de contrôle applicable, mais plutôt que l’on établisse « quelles sont les procédures et les garanties requises dans un cas particulier ». Cette décision tient compte de l’approche actuelle de notre Cour quant à la norme de contrôle devant s’appliquer aux questions d’équité procédurale : voir Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Office des transports), 2021 CAF 69, par. 46 et 47. Par souci de précision, cette approche est aussi parfois désignée « norme de la décision correcte ».

IX. Questions en litige

[64] Les appelants ont formulé les questions en litige dans le présent appel d’une manière qui a donné lieu à une certaine répétition. En me basant sur les observations écrites et verbales des parties et des intervenants et en tenant compte des normes de contrôle applicables, je reformulerais quelque peu les questions en litige et je les énoncerais comme suit.

  • a) La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en décidant de ne pas tenir compte de certaines parties de l’affidavit des appelants?

  • b) Le commissaire a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale envers les appelants?

  • c) Notre Cour devrait-elle tenir compte des arguments fondés sur le droit international et la Charte invoqués par les intervenants pour déterminer si la décision du commissaire était raisonnable?

  • d) La décision du commissaire était-elle raisonnable?

X. Discussion

A. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en décidant de ne pas tenir compte de certaines parties de l’affidavit des appelants?

[65] La décision du juge de première instance de ne pas tenir compte de certaines parties de l’affidavit des appelants s’inscrit dans le type de décisions rendues par un juge de révision en première instance. Par conséquent, les normes de contrôle définies dans l’arrêt Housen, et énoncées précédemment au paragraphe 59, s’appliquent.

[66] L’admissibilité d’un affidavit est une question de droit, susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte : Canada (Procureur général) c. Iris Technologies Inc., 2021 CAF 223, par. 20; Collins c. Canada, 2015 CAF 281, par. 49 et 57. Cependant, les conclusions de fait liées à une décision relative à l’admissibilité commandent la déférence : arrêt Iris Technologies, par. 20; arrêt Collins, par. 51.

[67] Le juge de première instance n’a commis aucune erreur de droit en énonçant la règle générale voulant que le dossier de la preuve présenté à une cour de révision se limite au dossier qui a été présenté au décideur, ou en exposant les exceptions limitées à cette règle.

[68] Les appelants affirment que le juge de première instance a commis une erreur en omettant d’appliquer l’exception prévue dans l’arrêt Association des universités pour les éléments de preuve « nécessaires pour porter à l’attention de la juridiction de révision des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du tribunal administratif, permettant ainsi à la juridiction de révision de remplir son rôle d’organe chargé de censurer les manquements à l’équité procédurale ».

[69] Le juge de première instance a toutefois fait une interprétation différente. Il a conclu que l’affidavit « regorge d’arguments juridiques », une conclusion qu’il a étayée par un tableau comparant des déclarations dans l’affidavit à d’autres, contenues dans le mémoire des appelants. Il a également conclu que l’affidavit contenait des éléments de preuve que les appelants auraient pu, mais ont choisi de ne pas, présenter dans leur déclaration, et qu’il équivalait donc à une tentative inadmissible d’exposer, en contrôle judiciaire, une thèse améliorée par rapport à celle que les appelants avaient présentée au décideur. De fait, les comptes rendus détaillés, dans l’affidavit, des autres éléments de preuve que les appelants disaient avoir pu fournir, de même que les centaines de pages de documents jointes en preuve à l’affidavit, vont bien au-delà de ce qui était nécessaire pour simplement porter à l’attention de la cour de révision les vices de procédure invoqués par les appelants.

[70] Les conclusions de fait du juge de première instance portent sur sa conclusion qu’aucune exception à la règle générale ne commande la déférence. Elles ne révèlent aucune erreur manifeste et dominante. La Cour fédérale n’a donc commis aucune erreur susceptible de révision en écartant certaines parties de l’affidavit des appelants.

[71] Vu la manière dont les appelants ont présenté leur cause à notre Cour, cette conclusion pose certaines difficultés à notre Cour dans le cadre du présent appel. Dans leurs observations écrites et verbales présentées en appel, les appelants invoquent des documents qui ont été joints en preuve à leur affidavit, mais qui n’ont pas été présentés au commissaire – des documents parmi lesquels figurent ceux dont le juge de première instance a décidé de ne pas tenir compte. Ayant confirmé cette décision, notre Cour doit maintenant faire de son mieux pour ne pas tenir compte de ces parties des observations des appelants ou des documents qui les sous-tendent.

B. Le commissaire a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale envers les appelants?

[72] Selon les appelants, le commissaire a manqué à son obligation d’équité procédurale de deux manières : (1) le commissaire n’a pas informé les appelants de ce qu’ils décrivent dans leur mémoire comme de [traduction] « nouveaux critères qui ne leur ont pas été communiqués », ou il ne leur a pas donné l’occasion de présenter des observations sur ces critères, et (2) la divulgation des appelants n’a pas été évaluée d’une manière équitable et ouverte, car le commissaire n’a examiné que quelques documents choisis de manière sélective parmi ceux mentionnés par renvoi dans la lettre de divulgation des appelants, mais non joints à cette lettre.

[73] Avant d’examiner ces deux manquements allégués à tour de rôle, j’aimerais mentionner que notre Cour s’est penchée, à deux reprises, sur le contenu de l’équité procédurale à laquelle ont droit les personnes qui font une divulgation aux termes de la LPFDAR et qui demandent au commissaire de commencer une enquête. Elle l’a fait en tenant compte des facteurs bien connus, énoncés dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, par. 21 à 31, et jugés « pertinents en ce qui a trait aux exigences de l’obligation d’équité procédurale en common law dans des circonstances données ».

[74] Dans l’arrêt Agnaou c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 30, par. 45, notre Cour a souscrit à l’analyse des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker que la Cour fédérale avait faite dans la décision Detorakis c. Canada (Procureur général), 2010 CF 39, par. 106, ainsi qu’à sa conclusion selon laquelle la LPFDAR « ne confère pas à la personne qui fait une divulgation [...] le droit d’être entendue ou de formuler d’autres observations une fois la plainte déposée ».

[75] Dans l’arrêt Gupta (au paragraphe 31), dans un passage cité par le juge de première instance en l’espèce, notre Cour en est arrivée à une conclusion comparable au sujet de la portée des droits procéduraux du dénonciateur :

En l’espèce, les parties s’entendent pour dire que l’équité procédurale à laquelle les dénonciateurs ont droit à l’étape de la décision du commissaire de mener ou non une enquête se situe à l’extrémité inférieure du continuum. À mon avis, cette entente tient fidèlement compte des facteurs énoncés dans Baker, y compris, plus particulièrement, la mesure dans laquelle le processus prévu est assimilable au processus judiciaire et la nature et les modalités du régime législatif. En conférant au commissaire le pouvoir discrétionnaire de décider de commencer ou de refuser de commencer une enquête sur une divulgation, le législateur a choisi de ne pas prévoir un processus d’adjudication accusatoire ou un régime qui ressemble au processus judiciaire à tous les autres égards. Au contraire, le régime qu’il a mis en place est limité et est de nature inquisitoire : tout ce qu’il semble envisager est que le dénonciateur présentera des renseignements et des documents justificatifs dont il croit qu’ils établissent qu’il y a eu acte répréhensible justifiant une enquête par le commissaire et que le commissaire évaluera ces renseignements et documents et qu’il décidera de mener ou non une enquête.

[76] Les arrêts Agnaou et Gupta portent sur des divulgations au commissaire faites par des fonctionnaires, contrairement à la présente affaire où l’information a été communiquée au commissaire par des personnes autres que des fonctionnaires. Or, il n’y a rien dans la LPFDAR qui indique que les droits procéduraux de ces derniers seraient supérieurs à ceux des premiers. L’alinéa 22b) de la LPFDAR précise que les attributions du commissaire lors de la divulgation d’actes répréhensibles de la part de fonctionnaires consistent notamment à « recevoir, consigner et examiner les divulgations afin d’établir s’il existe des motifs suffisants pour y donner suite » : voir l’arrêt Burlacu c. Canada (Procureur général), 2022 CAF 10, par. 46. Le paragraphe 33(1) de la LPFDAR décrit un processus très semblable, qui s’applique aux renseignements communiqués par une personne autre qu’un fonctionnaire : avant de décider de mener une enquête demandée par une personne autre qu’un fonctionnaire, le commissaire doit d’abord avoir des motifs de croire, par suite de renseignements qui lui ont été communiqués par cette personne, qu’un acte répréhensible a été commis.

[77] Quoi qu’il en soit, les appelants acceptent (au paragraphe 97 de leur mémoire) l’énoncé dans l’arrêt Gupta concernant les procédures prévues dans le régime législatif que doit suivre le commissaire pour décider s’il doit commencer une enquête. Ils affirment néanmoins que le commissaire, en l’espèce, ne les a pas traités équitablement.

1) Défaut de les informer des « nouveaux critères » et de leur donner l’occasion d’exposer leurs vues sur ces critères

[78] Au paragraphe 94 de leur mémoire, les appelants font valoir que le commissaire, en examinant leurs allégations d’actes répréhensibles aux termes de l’alinéa 8e) de la LPFDAR, [traduction] « a introduit de nouvelles exigences selon lesquelles la contravention d’un code de conduite doit s’entendre de la contravention de “politiques officielles du gouvernement du Canada” et que ces politiques doivent “prescrire des mesures précises” ». Les appelants affirment qu’ils n’avaient aucun moyen de connaître ces exigences et qu’ils n’en ont été informés que lorsqu’ils ont reçu la décision du commissaire; ils affirment en outre que le commissaire avait l’obligation de les informer de ces « nouveaux critères », mais qu’il a manqué à cette obligation et qu’il ne leur a pas donné l’occasion de présenter leurs observations à ce sujet.

[79] Les appelants reconnaissent que, conformément aux décisions rendues dans les arrêts Gupta et Agnaou et la décision Detorakis, le dénonciateur n’a habituellement pas le droit de formuler d’autres observations au commissaire, une fois que la divulgation a été faite. Ils invoquent la décision rendue par notre Cour intitulée Therrien c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 14 pour affirmer qu’ils avaient le droit de le faire en l’espèce. Dans l’arrêt Therrien, notre Cour a conclu qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale, lorsque le personnel du Commissariat a fourni à l’avocat de la dénonciatrice des renseignements erronés quant aux dispositions de la LPFDAR que le commissaire appliquerait. Comme la dénonciatrice avait été induite en erreur sur les questions en litige qui seraient examinées par le commissaire, elle ne connaissait pas les arguments à réfuter.

[80] Je suis d’avis qu’on ne peut établir d’analogie entre la présente affaire et l’affaire Therrien. En l’espèce, les appelants savaient dès le départ qu’il leur incombait de fournir au commissaire des renseignements suffisants pour lui donner des motifs de croire que des actes répréhensibles avaient été commis; ils ont cité le paragraphe 33(1) de la LPFDAR à la page 23 de leur divulgation (cahier d’appel, p. 637). En cherchant à s’acquitter de ce fardeau pour étayer les actes répréhensibles reprochés aux termes de l’alinéa 8e), ils ont fait valoir, à maintes reprises, que les renseignements qu’ils avaient fournis montraient que l’ambassade pourrait avoir agi d’une manière « contraire » à des « politiques gouvernementales précises », pourrait « avoir enfreint » ces politiques ou avoir omis de « les respecter » ou de les « mettre en œuvre ». Par exemple, dans leurs conclusions formulées à la page 25 de leur lettre de divulgation (cahier d’appel, p. 639), les appelants ont fait valoir qu’il incombait au commissaire [traduction] « d’examiner les valeurs soutenues par le gouvernement canadien pour déterminer si les politiques précises établies en vue de mettre en pratique ces valeurs étaient respectées ».

[81] Ces observations indiquent essentiellement que les exigences mêmes que les appelants qualifient maintenant de nouvelles – à savoir que la contravention d’un code de conduite s’entend de la violation de politiques officielles du gouvernement du Canada et que ces politiques doivent prescrire des mesures précises pouvant être enfreintes – ont été satisfaites. Il n’y avait rien de nouveau dans la décision du commissaire, selon laquelle les renseignements que les appelants lui avaient communiqués ne lui donnaient aucun motif de croire que des actes répréhensibles au sens de l’alinéa 8e) avaient été commis de la manière alléguée par les appelants. Le commissaire n’a pas conclu que la démonstration d’actes répréhensibles aux termes de l’alinéa 8e) exigeait dans chaque cas la présence des éléments que les appelants qualifiaient de nouveaux. Il a conclu, au contraire, que, malgré les observations des appelants visant à démontrer que ces éléments étaient présents en l’espèce, ces renseignements ne suffisaient pas à le démontrer.

[82] Je ne constate aucun manquement à l’équité procédurale en regard du premier motif allégué par les appelants.

2) Examen sélectif de seulement quelques éléments de preuve

[83] Les appelants affirment que le commissaire a également manqué à son obligation d’équité procédurale en sélectionnant de façon arbitraire et en n’examinant que quelques-uns des documents qu’ils avaient mentionnés par renvoi dans les notes de bas de page de leur lettre de divulgation, sans toutefois les joindre à la lettre, et en n’examinant pas d’autres documents pertinents de cette catégorie. Ils mentionnent la liste des documents que le Commissariat avait en sa possession selon le dossier certifié produit par le Commissariat – une liste sur laquelle figuraient trois des 79 documents au total qui avaient été mentionnés dans les notes de bas de page, mais qui n’avaient pas été fournis.

[84] Les appelants affirment que le commissaire a dû se procurer lui-même ces trois documents, puisqu’ils n’ont pas été fournis avec la lettre de divulgation. Ils mentionnent également que le Commissariat a dit à leur avocat que l’analyste assigné au dossier le contacterait s’il avait besoin de plus amples renseignements, notamment des documents obtenus dans le cadre de la demande d’accès à l’information; cependant, aucune demande visant à obtenir d’autres renseignements ou documents n’a été présentée.

[85] Il est clair que les appelants ne prétendent pas qu’il était interdit au commissaire d’examiner des documents autres que ceux de la lettre de divulgation. Ils n’affirment pas non plus que le commissaire devait lire tous les documents auxquels les notes de bas de page faisaient référence. Ils affirment toutefois que, si le commissaire comptait examiner des documents qui n’avaient pas été fournis avec la lettre de divulgation, il était alors tenu de le faire [traduction] « d’une manière équitable, transparente et impartiale » (mémoire des appelants, paragraphe 102). Comme nous le verrons ci-après, les appelants formulent essentiellement la même observation comme étant un motif justifiant l’annulation de la décision du commissaire en raison de son caractère déraisonnable.

[86] Ainsi qu’il est indiqué au paragraphe 55 qui précède, le juge de première instance n’a pas conclu que le commissaire ou l’analyste du dossier du Commissariat ont seulement examiné les trois documents mentionnés dans le dossier et n’ont pas tenu compte des autres documents mentionnés dans les notes de bas de page. Il a invoqué plus précisément les documents auxquels renvoyaient les notes de bas de page et a déclaré qu’il n’était « ni logique ni raisonnable de conclure que le commissaire n’a pas tenu compte de ces documents ». Il a ensuite formulé l’hypothèse que ces documents ont pu être examinés en ligne et qu’aucune copie papier n’en a été faite.

[87] Lorsque j’examine cette question de novo, comme l’exige l’arrêt Horrocks, je ne peux souscrire à la conclusion du juge de première instance selon laquelle le commissaire ou le Commissariat a examiné d’autres documents mentionnés dans les notes de bas de page, outre les trois en question. Je note premièrement que les documents auxquels le juge de première instance renvoie pour formuler sa conclusion sur cette question – ceux pour lesquels des hyperliens ont été fournis dans les notes de bas de page – ne représentent qu’une partie, et moins de la moitié semble-t-il, des documents mentionnés dans les notes de bas de page. Par conséquent, une conclusion selon laquelle le commissaire a examiné ce sous-ensemble de documents ne permettrait pas d’apaiser les réserves des appelants.

[88] Plus important encore, il est frappant de constater que ni l’analyse du dossier ni la lettre de décision du commissaire ne renvoie expressément à aucun des documents mentionnés dans les notes de bas de page, mis à part ceux décrits dans le corps de la lettre de divulgation. L’analyse du dossier et la lettre de décision renvoient plutôt systématiquement aux « renseignements fournis » pour étayer les conclusions qui y sont formulées. Qui plus est, il aurait été beaucoup plus conforme au régime de divulgation prévu par la LPFDAR que le commissaire se fonde sur le contenu de la lettre de divulgation, plutôt que de tenter d’obtenir et de consulter les documents que les appelants mentionnaient dans les notes de bas de page, mais n’avaient pas fournis. Comme le souligne le procureur général, au paragraphe 62 de son mémoire, en s’appuyant sur ce que notre Cour a déclaré dans l’arrêt Gupta, [traduction] « [c]onformément au régime de divulgation prévu par la Loi, le dénonciateur décide du contenu et de la structure de sa propre divulgation – et détermine notamment s’il doit joindre certains documents ou s’il doit simplement en décrire le contenu et y faire référence dans les notes de bas de page ».

[89] Il n’est pas expliqué dans le dossier pourquoi les appelants ont décidé de ne pas transmettre au commissaire, avec leur lettre de divulgation, les documents auxquels ils font référence dans les notes de bas de page. Les appelants connaissaient, ou auraient dû connaître, la nature du régime de divulgation, si ce n’est du fait que le formulaire de divulgation qu’ils ont signé comportait la mention suivante : « il m’incombe de fournir au commissaire tous les renseignements demandés dans le présent formulaire et d’y joindre tout document pertinent » (voir le paragraphe 27 précité). Leur lettre de divulgation établit clairement qu’ils savaient que le paragraphe 33(1) et les dispositions connexes conféraient au commissaire un vaste pouvoir discrétionnaire et qu’ils comprenaient que le commissaire décidait ou non de faire enquête « après avoir pris connaissance de renseignements lui ayant été communiqués ».

[90] Je suis d’avis qu’aucun manquement à l’équité procédurale ne résulte du fait que les trois documents étaient en la possession du Commissariat, mais que les autres documents mentionnés dans la lettre de divulgation, et qui auraient été pertinents, ne l’étaient pas. Ni l’analyse du dossier ni la lettre de décision du commissaire n’invoque quelque document mentionné dans les notes de bas de page ou n’y renvoie – pas plus les trois qui étaient en la possession du Commissariat que les nombreux autres qui ne l’étaient pas. Dans sa lettre de décision, le commissaire répète plutôt que sa décision a été fondée sur les « renseignements fournis » par les appelants – des renseignements qui ne comprenaient pas les documents mentionnés dans les notes de bas de page. Le commissaire a déclaré avoir fait [traduction] « un examen approfondi des renseignements fournis » avant de rendre sa décision. Il nous est loisible de tenir pour acquises les déclarations du commissaire et d’en conclure que le fait que le Commissariat était en possession de trois documents mentionnés dans les notes de bas de page, mais d’aucun autre, n’a pas causé d’effets préjudiciables aux appelants.

[91] Pour conclure sur ce point, j’ajouterais qu’il n’aurait pas semblé pratique pour le commissaire d’agir conformément aux observations des appelants. Ainsi qu’il a été mentionné précédemment, les appelants reconnaissent que le commissaire avait le droit d’examiner des documents qui n’avaient pas été fournis avec leur lettre de divulgation. Ils reconnaissent également que le commissaire n’était pas tenu de lire chaque document mentionné dans les notes de bas de page. Ils soutiennent toutefois que, si le commissaire comptait examiner des documents qui n’avaient pas été fournis avec la lettre de divulgation, il était tenu de le faire [traduction] « d’une manière équitable, transparente et impartiale ». Les appelants n’ont pas précisé en quoi consisterait un tel examen. À tout le moins, on voit difficilement comment le commissaire aurait pu mener un tel examen sans d’abord examiner tous les documents. Ultimement, les observations des appelants imposeraient donc au commissaire l’obligation d’examiner tous les documents auxquels la lettre de divulgation faisait référence. L’imposition d’une telle obligation serait incompatible, non seulement avec l’économie générale de la LPFDAR, mais aussi avec les propres observations des appelants.

C. Notre Cour devrait-elle tenir compte des arguments fondés sur le droit international et la Charte invoqués par les intervenants pour déterminer si la décision du commissaire était raisonnable?

[92] Conformément à l’ordonnance leur accordant l’autorisation d’intervenir (2020 CAF 198), les intervenants conjoints, soit les Juristes canadiens pour les droits de la personne dans le monde et la International Justice and Human Rights Clinic, ainsi que l’intervenante Amnistie internationale Canada, font valoir que la LPFDAR doit être interprétée et appliquée en tenant compte des obligations du Canada aux termes du droit international, notamment ses obligations aux termes du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, R.T. Can. 1976 no. 47, et de certaines Observations générales sur le Pacte formulées par le Comité des droits de l’homme des Nations Unies. Ils font valoir en outre que le droit international impose notamment au Canada l’obligation de respecter et de protéger les droits de la personne, et d’offrir des recours efficaces en cas de violation de ces droits. Ils font valoir que ces obligations doivent éclairer l’interprétation d’« acte répréhensible » au sens de la LPFDAR et que le commissaire doit tenir compte du droit à un recours efficace prévu par le droit international pour décider si une enquête doit être menée aux termes du paragraphe 33(1) de la LPFDAR.

[93] Les intervenants conjoints formulent des observations comparables à l’égard du droit constitutionnel. Ils soutiennent que la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11, doit éclairer l’interprétation de la LPFDAR et les décisions administratives prises en application de cette loi, et que les conduites qui vont à l’encontre des valeurs de la Charte constituent des « actes répréhensibles » au sens de la LPFDAR.

[94] Comme le reconnaît l’avocat de ces intervenants, ces observations se rapportent toutes au caractère raisonnable de la décision du commissaire. Ces intervenants demandent à la Cour de conclure que la décision était déraisonnable et que le juge de première instance a commis une erreur en ne parvenant pas à cette conclusion, parce que le commissaire n’a tenu compte ni des obligations du Canada aux termes du droit international, ni de la Charte et des valeurs qui y sont énoncées (dans le cas des intervenants conjoints).

[95] Il est vrai que « le droit international représentera une contrainte importante pour un décideur administratif dans certains domaines du processus décisionnel administratif » : arrêt Vavilov, par. 114. Les valeurs consacrées par la Charte peuvent aussi éclairer la prise de décisions administratives : Doré c. Barreau du Québec, 2012 CSC 12, par. 35.

[96] Même si l’on fait abstraction du bien-fondé des observations de ces intervenants, leur prise en compte dans le présent appel pose problème. Ces observations n’ont pas été présentées au commissaire. Elles n’ont pas non plus été exposées à la Cour fédérale lors du contrôle judiciaire.

[97] La divulgation des appelants ne comportait que quatre brèves mentions liées aux obligations internationales. Deux étaient liées à la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme des Nations Unies, mentionnée précédemment au paragraphe 31. Les appelants ont allégué que la deuxième politique qu’ils avaient invoquée était conforme à cette déclaration (cahier d’appel, p. 623, 637 et 638). Les deux autres mentions concernaient les obligations du Canada envers l’Organisation de coopération et de développement économiques en matière de lutte contre la corruption (cahier d’appel, p. 632 et 638). La divulgation n’a fait nullement mention de la Charte ou des valeurs qui y sont énoncées. Il est donc compréhensible que le commissaire n’ait pas traité de ces questions dans sa décision.

[98] L’avis de demande de contrôle judiciaire des appelants ne mentionne qu’une seule fois les obligations internationales du Canada, en indiquant que la politique envers les défenseurs des droits de la personne [traduction] « met en jeu les obligations internationales du Canada » (cahier d’appel, p. 41). L’avis ne faisait pas mention de la Charte ou des valeurs qui y sont énoncées. Il n’est donc pas étonnant que le juge de première instance n’ait pas non plus traité de ces questions.

[99] On ne peut généralement pas contester le caractère raisonnable d’une décision administrative en se fondant sur une question qui n’a pas été soumise au décideur : Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, par. 22 à 29; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. R. K., 2016 CAF 272, par. 6, autorisation d’interjeter appel refusée, [2017] 1 R.C.S. xvi; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Mason, 2021 CAF 156, par. 73 et 74, autorisation d’interjeter appel auprès de la Cour suprême du Canada demandée, 39855 (25 octobre 2021). Afin de respecter le choix du législateur quant aux instances investies des principaux pouvoirs décisionnels, les questions comme celles qui ont été soulevées par les intervenants auprès de notre Cour devraient plutôt être tranchées en première instance par ceux à qui le législateur a confié la responsabilité de trancher ces questions sur le fond – en l’espèce, le commissaire – et non par une cour de révision ou une cour siégeant en appel d’une décision d’une cour de révision, dont les rôles sont plus limités. Si la décision fait ensuite l’objet d’un contrôle judiciaire, la cour de révision pourra alors bénéficier des motifs, de l’expérience et de l’expertise du décideur pour déterminer si la décision était raisonnable. Et si la décision est ensuite portée en appel, la cour d’appel pourra aussi bénéficier (même si elle doit de nouveau statuer sur le caractère raisonnable) des motifs de la cour de révision : Oleynik c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 5, par. 71 à 73, autorisation d’interjeter appel auprès de la Cour suprême du Canada refusée, 39118 (15 octobre 2020); Banque de Montréal c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 189, par. 4, autorisation d’interjeter appel auprès de la Cour suprême du Canada demandée, 39899 (8 décembre 2021).

[100] Pour ces motifs, notre Cour ne devrait pas examiner le bien-fondé des arguments liés au droit international et à la Charte qui sont invoqués par les intervenants. Je suis conscient que ces intervenants ont obtenu qualité d’intervenir pour traiter de ces questions précises et que notre refus de statuer sur ces questions sera source de déception. Cependant, c’est au tribunal instruisant l’appel qu’il appartient de décider, en se fondant sur sa connaissance de l’ensemble du dossier, quelles observations doivent être prises en compte : Canada (Procureur général) c. Première Nation Pictou Landing, 2014 CAF 21, par. 27.

D. La décision du commissaire était-elle raisonnable?

[101] Selon ce que je comprends des observations des appelants, ceux-ci affirment que la décision du commissaire était déraisonnable au regard des points suivants : (1) il a omis de tenir compte des observations des appelants selon lesquelles des actes répréhensibles ont été commis aux termes de l’alinéa 8d) de la LPFDAR; (2) il a établi un critère déraisonnablement élevé pour déterminer si une enquête était justifiée aux termes du paragraphe 33(1); (3) il a fait une interprétation déraisonnable de l’alinéa 8e) de la LPFDAR; (4) il a omis de tenir compte des éléments de preuve qui lui ont été présentés et (5) il a omis de tenir compte des conséquences potentiellement graves de sa décision. J’examinerai à tour de rôle chacun des motifs allégués pour établir le caractère déraisonnable.

1) Défaut de tenir compte des observations des appelants concernant la perpétration d’actes répréhensibles au sens de l’alinéa 8d) de la LPFDAR

[102] Les appelants soulèvent cette question (au paragraphe 38 de leur mémoire) comme étant une erreur de la part du juge de première instance – son [traduction] « erreur la plus évidente » – dans l’application de la norme de la décision raisonnable à la décision du commissaire. Ils décrivent cette erreur comme le défaut de tenir compte de leur prétention qu’il y avait des motifs de croire que l’ambassade a commis des actes répréhensibles au sens de l’alinéa 8d) (« le fait de causer – par action ou omission – un risque grave et précis pour la vie, la santé ou la sécurité humaines »). Comme la norme de contrôle en appel prévoit que notre Cour doit se concentrer sur la décision administrative, et non sur la décision de la Cour fédérale, et que je conviens que le juge de première instance n’a pas fait un examen distinct de l’alinéa 8d), j’examinerai cette question comme un motif sur lequel les appelants se fondent pour affirmer que la décision du commissaire était déraisonnable.

[103] Il est vrai que le commissaire n’a pas fait un examen distinct des questions liées à l’alinéa 8d). Je suis toutefois d’avis qu’il était tout à fait raisonnable pour lui d’agir ainsi, car les appelants ont présenté leur demande d’enquête au commissaire en faisant valoir que le risque pour la vie de M. Abarca découlait du fait que l’ambassade n’avait pas respecté les trois « politiques » qu’elle était tenue, selon eux, d’appliquer. En d’autres termes, les appelants n’ont pas invoqué des actes répréhensibles aux termes de l’alinéa 8d) séparément de leurs allégations d’actes répréhensibles aux termes de l’alinéa 8e). Par conséquent, comme le commissaire avait conclu que les renseignements qui lui avaient été fournis ne lui donnaient aucun motif de croire que des actes répréhensibles avaient été commis aux termes de l’alinéa 8e), il était inutile pour lui d’examiner plus à fond les allégations aux termes de l’alinéa 8d).

[104] Un examen de la divulgation permet d’établir clairement comment les appelants ont présenté leur cause relativement à l’alinéa 8d). Bien que j’aie déjà examiné la divulgation des appelants dans une certaine mesure, aux paragraphes 25 à 42 qui précèdent, je le ferai de nouveau, cette fois-ci en me concentrant sur la manière dont les appelants ont formulé les questions en litige.

[105] À la page 3 de leur divulgation (cahier d’appel, p. 617), les appelants mentionnent ce qu’ils qualifient comme étant [traduction] « deux types d’actes répréhensibles qui devraient faire l’objet d’une enquête ». En énonçant la première question, ils mentionnent à la fois le défaut de l’ambassade de respecter les trois politiques et de prendre conscience du fait que la vie et la sécurité de M. Abarca étaient en danger. La deuxième question porte sur le défaut de signaler des actes possibles de corruption. De même, à la page 6 de la divulgation (cahier d’appel, p. 620), ils énoncent en ces termes la première question à examiner [traduction] : « l’ambassade du Canada a-t-elle omis d’appliquer des politiques sur les défenseurs des droits de la personne, et ses actions et omissions ont-elles causé un risque pour la vie et la sécurité de Mariano Abarca? ».

[106] Sous la rubrique [traduction] « Violation des politiques régissant les conflits dans l’industrie extractive », à la page 8 de la divulgation (cahier d’appel, p. 622), ainsi qu’au premier paragraphe de cette page, les appelants invoquent à la fois les alinéas 8d) et 8e) et soutiennent que les actions et les omissions liées à ces politiques ont pu créer les conditions qui ont mis en danger la vie, la santé ou la sécurité de M. Abarca. Au milieu de la page 10 (cahier d’appel, p. 624), ils soutiennent de même qu’une enquête devrait être menée pour déterminer si le défaut de respecter les politiques a causé un risque grave et précis pour la vie, la santé ou la sécurité de membres de la collectivité, dont M. Abarca. Dans la même optique, la rubrique présentée à la page 16 (cahier d’appel, p. 630) sur les risques pour la vie a été suivie d’un paragraphe dans lequel les appelants ont allégué de nouveau le défaut de respecter les trois politiques, allégations répétées également à la dernière ligne de cette page. Une section a ensuite été consacrée au défaut de signaler des actes de corruption, dans laquelle il n’a pas été fait référence au risque pour la vie ou la santé.

[107] La lettre de décision du commissaire montre que ce dernier a interprété les allégations des appelants de la même manière. Par exemple, à la page 2 de la lettre (cahier d’appel, p. 45), le commissaire décrit en partie les observations des appelants en ces termes (non souligné dans l’original) :

[traduction]

En ce qui concerne la première allégation, vous prétendez que le défaut allégué de l’ambassade d’appliquer les « politiques » suivantes visant à protéger M. Abarca à titre de défenseur des droits de la personne constitue une contravention grave d’un code de conduite et a causé un risque grave et précis pour la vie de M. Abarca [...].

[108] En formulant sa conclusion à la page 3 de la lettre de décision (cahier d’appel, p. 46), le commissaire a, là encore, examiné les allégations au titre des alinéas 8d) et 8e) ensemble : [traduction] « compte tenu de ce qui précède, les renseignements fournis concernant le défaut allégué de l’ambassade de respecter les “politiques” n’indiquent pas que des actes répréhensibles aux termes des alinéas 8d) et e) de la Loi ont été commis ».

[109] Je ne vois rien de déraisonnable dans la manière dont le commissaire a interprété l’affaire qui lui a été présentée ou du fait qu’il a traité les deux types d’actes répréhensibles allégués ensemble.

2) Adoption d’un critère déraisonnablement élevé au titre du paragraphe 33(1)

[110] Les appelants affirment que le commissaire a adopté un critère déraisonnablement élevé pour décider s’il devait ou non mener une enquête aux termes du paragraphe 33(1). Ils affirment (au paragraphe 75 de leur mémoire) que [traduction] « [l]e commissaire n’a pas tenu compte de la raison d’être et de la portée du régime législatif en cherchant à trancher la demande sur le fond, plutôt qu’en déterminant si les éléments de preuve étaient suffisants pour justifier une enquête ». Ils ajoutent ensuite (au paragraphe 78 de leur mémoire) [traduction] qu’« [u]ne interprétation du paragraphe 33(1) conforme à l’objet du texte législatif n’exigerait pas que la plainte en soi démontre que des actes répréhensibles ont réellement été commis ». Les appelants affirment en outre (au paragraphe 79) que le commissaire [traduction] « a rendu sa décision qu’aucun acte répréhensible n’avait été commis sans connaître plusieurs éléments d’information essentiels », notamment « des renseignements qui auraient pu être obtenus en interrogeant le personnel de l’ambassade ».

[111] Par souci de commodité, je répéterai ici la portion du paragraphe 33(1) qui s’applique (non souligné dans l’original) :

Enquête sur un autre acte répréhensible

Power to investigate other wrongdoings

33 (1) Si, [...] après avoir pris connaissance de renseignements lui ayant été communiqués par une personne autre qu’un fonctionnaire, le commissaire a des motifs de croire qu’un acte répréhensible [...] a été commis, il peut, s’il est d’avis sur le fondement de motifs raisonnables, que l’intérêt public le commande, faire enquête sur celui-ci, sous réserve des articles 23 et 24; les dispositions de la présente loi applicables aux enquêtes qui font suite à une divulgation s’appliquent aux enquêtes menées en vertu du présent article.

33 (1) If , ... as a result of any information provided to the Commissioner by a person who is not a public servant, the Commissioner has reason to believe that ... a wrongdoing ... has been committed, he or she may, subject to sections 23 and 24, commence an investigation into the wrongdoing if he or she believes on reasonable grounds that the public interest requires an investigation. The provisions of this Act applicable to investigations commenced as the result of a disclosure apply to investigations commenced under this section.

[112] La norme relative à l’existence de « motifs de croire », énoncée dans cette disposition, se compare à la norme que l’on trouve dans d’autres lois. À titre d’exemple, comme l’a mentionné la Cour fédérale dans la décision Agnaou c. Canada (Procureur général), 2017 CF 338, au paragraphe 8, elle s’apparente à la norme des « motifs raisonnables de penser » énoncée à l’alinéa 19(1)j) de l’ancienne Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2. Dans l’arrêt Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, par. 114, la Cour suprême du Canada a conclu que cette norme « exigeait davantage qu’un simple soupçon, mais restait moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile » et que « [l]a croyance doit essentiellement posséder un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi » (citations internes omises).

[113] Un bon point de départ pour évaluer les observations des appelants sur ce point consiste à passer en revue la décision du commissaire. Le commissaire a-t-il agi comme l’affirment les appelants et exigé que les appelants prouvent leurs allégations d’actes répréhensibles sur le fond?

[114] Je suis d’avis que non.

[115] À la page 1 de sa lettre de décision (cahier d’appel, p. 44), le commissaire définit ses attributions aux termes du paragraphe 33(1) comme suit (non souligné dans l’original) :

[traduction]

Avant que je puisse commencer une enquête sur la base de renseignements reçus d’un membre du public, je dois, conformément au paragraphe 33(1), avoir des motifs de croire qu’un acte répréhensible au sens de l’article 8 de la Loi a été commis. Je dois également déterminer si l’intérêt public commande la tenue d’une enquête, en tenant compte des articles 23 et 24 de la Loi qui énoncent respectivement les interdictions et les facteurs discrétionnaires dont je dois tenir compte pour décider si une enquête est justifiée.

[116] Comment le commissaire a-t-il formulé sa conclusion? À la page 4 de sa lettre de décision (cahier d’appel, p. 47), il a déclaré ce qui suit (non souligné dans l’original) :

[traduction]

Compte tenu de ce qui précède, les renseignements fournis dans votre divulgation ne me donnent pas de motifs de croire que des actes répréhensibles ont été commis par l’ambassade, au sens des alinéas 8d) et e) de la Loi. Par conséquent, les exigences du paragraphe 33(1) de la Loi ont été satisfaites et il n’est pas dans l’intérêt public de commencer une enquête.

[117] Dans le corps de sa lettre, le commissaire utilise diverses expressions pour évaluer les éléments de la divulgation des appelants, notamment les suivantes : [traduction] « il ne semble pas que [...] », « on ne peut pas dire que [...] », « il semble également que [...] », « ça ne donne pas à penser que [...] » et « semble relever de la conjecture ».

[118] Lorsque j’interprète les motifs du commissaire de façon globale, comme nous devons le faire (arrêt Vavilov, par. 97), je ne puis conclure que les appelants ont démontré les éléments sur lesquels étaient fondées leurs observations sur ce point : le commissaire n’avait pas besoin de preuve sur le fond établissant que des actes répréhensibles avaient été commis avant de commencer une enquête. Il n’y a donc pas lieu d’examiner plus à fond ce motif invoqué à l’appui du caractère déraisonnable. J’ajouterais seulement que toute interprétation du paragraphe 33(1) qui exigerait, dans les faits, que le commissaire mène une enquête pour déterminer s’il doit enquêter irait directement à l’encontre de l’économie générale de la Loi reconnue dans l’arrêt Gupta et d’autres décisions.

3) Interprétation déraisonnable de l’alinéa 8e) de la LPFDAR

[119] En invoquant ce motif pour établir le caractère déraisonnable, les appelants font valoir que le commissaire a introduit, sans justification, de nouveaux critères dans l’alinéa 8e) [« la contravention grave d’un code de conduite »] – si la contravention alléguée consiste en une violation de politiques, alors ces politiques doivent prescrire des mesures « précises » et elles doivent être « officielles ». Il s’agit essentiellement des mêmes observations que celles que les appelants avaient formulées initialement pour invoquer l’iniquité procédurale et qui ont été examinées précédemment aux paragraphes 78 à 81. Pour essentiellement les mêmes motifs que ceux énoncés à ces paragraphes, je ne peux conclure au caractère déraisonnable de la décision pour ce motif.

4) Défaut de tenir compte d’éléments de preuve présentés

[120] Pour étayer ce motif établissant le caractère déraisonnable, les appelants invoquent le paragraphe 126 de l’arrêt Vavilov, où il est indiqué que « [l]e caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte ». Ils soulignent de nouveau la liste dans le dossier certifié du Commissariat qui ne comporte que trois des 79 documents mentionnés dans les notes de bas de page de leur lettre de divulgation et ils soutiennent (au paragraphe 51 de leur mémoire) que [traduction] « non seulement le commissaire n’a pas tenu compte de ces éléments de preuve, mais il ne les a même pas examinés ». Je crois comprendre qu’ils font aussi valoir deux autres manquements précis – premièrement, le défaut de tenir compte d’éléments de preuve qui, selon eux, auraient donné au commissaire des motifs de croire que les actions ou les omissions de l’ambassade ont causé un risque grave et précis pour la vie, la santé ou la sécurité de M. Abarca et, deuxièmement, le défaut d’expliquer pourquoi les politiques qu’ils ont invoquées ne constituaient pas des politiques officielles prescrivant des actions précises.

[121] Je n’accepte pas l’observation des appelants qu’il y a eu défaut de tenir compte d’éléments de preuve, puisque cela concerne des documents que les appelants ont mentionnés dans les notes de bas de page mais qu’ils n’ont pas fournis. Comme je l’ai déjà indiqué à plusieurs reprises, selon l’économie générale de la LPFDAR, il incombait aux appelants de déterminer et de fournir les documents qu’ils voulaient que le commissaire examine. On ne peut reprocher au commissaire de ne pas avoir examiné des documents que les appelants ne lui ont pas fournis.

[122] Quant aux deux manquements plus précis invoqués par les appelants, je mentionnerais d’abord qu’il faut veiller à ce que des arguments alléguant un défaut de prendre en compte des éléments de preuve n’affaiblissent pas l’interdiction générale (voir l’arrêt Vavilov, par. 125, cité précédemment au paragraphe 62) pour une cour de révision « d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur ».

[123] En faisant valoir le premier de ces manquements, les appelants allèguent (aux paragraphes 48 à 53 de leur mémoire) que leur divulgation [traduction] « a démontré que l’ambassade savait que la vie de M. Abarca était en danger et que des employés de la mine menaçaient des personnes qui participaient aux manifestations ». Ils font valoir que le défaut du commissaire de tenir compte directement de ces éléments de preuve dans ses motifs rend sa décision déraisonnable.

[124] Cependant, les éléments de preuve auxquels les appelants font référence pour étayer cette observation consistent en grande partie en des documents qui ont été mentionnés dans les notes de bas de page, mais qui n’ont pas été fournis au commissaire, et qui ne lui ont donc pas été présentés (ainsi qu’il est indiqué aux paragraphes 88 et 89 qui précèdent). Si l’on écarte les éléments de preuve faisant partie de cette catégorie, l’argument des appelants (au paragraphe 50 de leur mémoire) ne repose plus que sur un seul élément de preuve : un rapport d’enquête de 2010 sur les circonstances de la mort de M. Abarca. L’ambassade n’est que brièvement mentionnée dans ce rapport, et seulement dans le contexte de son soutien général des intérêts commerciaux de Blackfire au Mexique (cahier d’appel, p. 767). Il ne s’agit pas d’une preuve du type dont le commissaire était expressément tenu de tenir compte.

[125] Quant au deuxième manquement précis, les appelants font valoir (aux paragraphes 63 à 66 de leur mémoire) que le commissaire n’a pas tenu compte d’éléments de preuve selon lesquels la Stratégie de responsabilité sociale des entreprises et les « lignes directrices » mentionnées dans l’article publié en décembre 2009 dans le Toronto Star répondaient à sa propre définition de politique. Ces documents sont décrits au paragraphe 31 qui précède.

[126] Je suis d’avis qu’il n’existe, là encore, rien qui corresponde à un défaut de tenir compte d’éléments de preuve. À la page 2 de sa lettre de décision (cahier d’appel, p. 45), le commissaire discute des renseignements concernant les documents que les appelants ont fournis. Il conclut, à la lumière de ces renseignements et de son interprétation, que ces documents n’étaient pas du type susceptible de donner ouverture à des actes répréhensibles au sens de l’alinéa 8e).

[127] Je ne donnerais pas effet aux observations des appelants que des défauts de tenir compte des éléments de preuve rendent la décision du commissaire déraisonnable.

5) Défaut de tenir compte des conséquences graves de la décision

[128] En alléguant que la décision du commissaire était déraisonnable à cet égard, les appelants citent un extrait de l’arrêt Vavilov (par. 133) selon lequel « le décideur explique pourquoi sa décision reflète le mieux l’intention du législateur, malgré les conséquences particulièrement graves pour l’individu concerné. Cela vaut notamment pour les décisions dont les conséquences menacent la vie, la liberté, la dignité ou les moyens de subsistance d’un individu ».

[129] Les appelants affirment (aux paragraphes 56 et 68 de leur mémoire) que le commissaire n’a pas tenu compte [traduction] « des graves conséquences de la décision, non seulement sur la famille de M. Abarca, mais aussi sur les défenseurs des droits de la personne au Mexique et partout dans le monde, ainsi que sur l’intégrité du gouvernement canadien et sur son obligation de rendre compte dans un régime démocratique ».

[130] Je suis d’avis que la décision du commissaire ne peut être qualifiée de déraisonnable pour ce motif. Lorsque l’extrait de l’arrêt Vavilov invoqué par les appelants est lu dans son contexte, il ressort clairement que la réserve de la Cour, consciente des pouvoirs parfois « extraordinaires » qu’ont les décideurs administratifs sur nos vies, est de protéger ceux « sur [lesquels] l’autorité est exercée » et notamment les personnes vulnérables, contre l’exercice arbitraire du pouvoir : voir arrêt Vavilov, par. 133 à 135.

[131] Si l’on fait abstraction pour un moment des conséquences sur la famille de M. Abarca, les réserves que les appelants qualifient de « conséquences particulièrement graves » n’ont d’incidence sur la vie, la liberté ou les moyens de subsistance de personne et elles ne créent pas de déséquilibre des pouvoirs entre les décideurs administratifs et ceux qu’ils réglementent. Elles concernent plutôt les répercussions politiques possibles de la décision du commissaire et elles cherchent à attribuer une grande valeur de précédent à une décision de présélection fondée sur l’ensemble précis de renseignements fournis par les appelants.

[132] Quant aux conséquences pour la famille de M. Abarca, les appelants mentionnent dans leur lettre de divulgation (cahier d’appel, p. 618) qu’il serait important que le commissaire fasse enquête afin que la famille, qui continue de réclamer justice pour l’assassinat de M. Abarca, puisse faire son deuil. Dès le début de sa lettre de décision (cahier d’appel, p. 44), le commissaire a clairement établi qu’il était conscient des conséquences que cette perte avait eues sur la famille. Il a ensuite expliqué, dans le reste de sa lettre de décision, pourquoi sa décision de ne pas faire enquête était selon lui conforme à l’esprit et aux exigences de la LPFDAR. Il ne ressort pas clairement des observations des appelants ce que ces derniers attendaient de plus du commissaire, si ce n’est qu’il rende une conclusion différente.

[133] Par conséquent, même en reconnaissant qu’il s’agit d’une affaire dont les conséquences sont particulièrement graves, cela ne permettait pas de conclure que la décision du commissaire était déraisonnable.

XI. Règlement proposé

[134] Pour les motifs que j’ai énoncés, je rejetterais l’appel. Dans les circonstances, je n’adjugerais aucuns dépens.

« J.B. Laskin »

j.c.a.

« Je souscris à ces motifs.

Wyman W. Webb, j.c.a. »

« Je souscris à ces motifs.

Marianne Rivoalen, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme.

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-290-19

(APPEL DE L’ORDONNANCE RENDUE PAR MONSIEUR LE JUGE BOSWELL DE LA COUR FÉDÉRALE LE 18 JUILLET 2019, DOSSIER NO T-911-18)

INTITULÉ :

MIRNA MONTEJO GORDILLO ET AUTRES c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et AMNISTIE INTERNATIONALE CANADA ET AUTRES

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 novembre 2021

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LASKIN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LA JUGE RIVOALEN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 9 février 2022

 

COMPARUTIONS :

Yavar Hameed

Nicholas Pope

Pour les appelants

(en personne)

Lynn Marchildon

Blake van Santen

Pour l’intimé

(PAR VIDÉOCONFÉRENCE)

Daniel Sheppard

Louis Century

Pour l’intervenante, Amnistie internationale Canada

(PAR VIDÉOCONFÉRENCE)

Jennifer Klinck

Joshua Sealy-Harrington

Penelope Simons

Pour les intervenants JURISTES CANADIENS POUR LES DROITS DE LA PERSONNE DANS LE MONDE et INTERNATIONAL JUSTICE AND HUMAN RIGHTS CLINIC

(en personne)

David Yazbeck

Pour l’intervenant THE CENTRE FOR FREE EXPRESSION DE L’UNIVERSITÉ RYERSON

(PAR VIDÉOCONFÉRENCE)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hameed Law

Ottawa (Ontario)

Pour les appelants

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Pour l’intimé

Goldblatt Partners LLP

Toronto (Ontario)

Pour l’intervenante, Amnistie internationale Canada

Power Law

Vancouver (Colombie-Britannique)

Faculté de droit (Section de common law), Université d’Ottawa

Ottawa (Ontario)

Pour les intervenants JURISTES CANADIENS POUR LES DROITS DE LA PERSONNE DANS LE MONDE et INTERNATIONAL JUSTICE AND HUMAN RIGHTS CLINIC

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP/s.r.l.

Ottawa (Ontario)

Pour l’intervenant THE CENTRE FOR FREE EXPRESSION DE L’UNIVERSITÉ RYERSON

 

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