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Date : 20220216


Dossier : A-18-21

Référence : 2022 CAF 30

[TRADUCTION FRANÇAISE]

En présence de GARNET MORGAN, officier taxateur

 

ENTRE :

 

 

KRISTEN ERNEST HUTTON

 

 

appelant

 

 

et

 

 

RIA SAYAT, LYNN DUHAMIE aussi connue sous le nom de STEPHANIE DUHAIME, ancienne chargée d’affaires du Canada en République d’Irak, le PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA (au nom du MINISTÈRE DE LA DÉFENSE NATIONALE, DU SERVICE CANADIEN DU RENSEIGNEMENT DE SÉCURITÉ et du CENTRE DE LA SÉCURITÉ DES TÉLÉCOMMUNICATIONS CANADA), SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

intimés

 

Taxation des dépens sans comparution des parties.

Certificat de taxation délivré à Toronto (Ontario), le 16 février 2022.

MOTIFS DE TAXATION :

GARNET MORGAN, officier taxateur

 


Date : 20220216


Dossier : A-18-21

Référence : 2022 CAF 30

En présence de GARNET MORGAN, officier taxateur

 

ENTRE :

 

 

KRISTEN ERNEST HUTTON

 

 

appelant

 

 

et

 

 

RIA SAYAT, LYNN DUHAMIE aussi connue sous le nom de STEPHANIE DUHAIME, ancienne chargée d’affaires du Canada en République d’Irak, le PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA (au nom du MINISTÈRE DE LA DÉFENSE NATIONALE, DU SERVICE CANADIEN DU RENSEIGNEMENT DE SÉCURITÉ et du CENTRE DE LA SÉCURITÉ DES TÉLÉCOMMUNICATIONS CANADA), SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

intimés

 

MOTIFS DE TAXATION

GARNET MORGAN, officier taxateur

I. Exposé des faits

[1] La présente taxation des dépens fait suite à une ordonnance de la Cour d’appel fédérale (CAF) datée du 27 avril 2021, par laquelle la Cour a ordonné ce qui suit : « [L]e rejet de l’appel [avec] dépens avocat-client afférents à l’appel, payables sans délai. La requête présentée en application du paragraphe 343(3) et de l’article 351 des Règles est rejetée. »

[2] Le 19 mai 2021, l’intimée, Ria Sayat (ci-après l’intimée), a déposé un mémoire de frais, à l’origine de la demande de taxation des dépens déposée par l’intimée.

[3] Le 31 mai 2021, une directive portant sur le déroulement de la taxation des dépens et le dépôt de documents supplémentaires relatifs à ce type d’instance a été transmise aux parties. Le dossier judiciaire indique que la directive a été transmise aux parties par courriel le 31 mai 2021, les deux parties ayant accusé réception de la directive par courriel. En réponse à cette directive, l’intimée a déposé, le 2 juillet 2021, un dossier contenant un mémoire de frais modifié, un affidavit de Samantha Boghossian, souscrit le 2 juillet 2021, des observations sur les dépens et un recueil de jurisprudence et de doctrine. Le 13 août 2021, l’appelant a déposé un dossier contenant des observations sur les dépens, un affidavit de Kristen Hutton, souscrit le 13 août 2021, et un recueil de jurisprudence et de doctrine. Le 25 août 2021, l’intimée a déposé des observations sur les dépens en réponse et un recueil de jurisprudence et de doctrine.

II. Question préliminaire

A. Les dépens avocat-client

[4] L’article 407 des Règles des Cours fédérales, D.O.R.S./98-106 (les Règles), prévoit ce qui suit relativement au niveau de dépens à appliquer pour une taxation des dépens :

407. Sauf ordonnance contraire de la Cour, les dépens partie-partie sont taxés en conformité avec la colonne III du tableau du tarif B.

[5] Toutefois, pour ce cas en particulier, conformément à l’ordonnance de la Cour du 27 avril 2021, les dépens de l’intimée devraient être taxés sur une base avocat-client. Dans la décision Ontario Federation of Anglers and Hunters c. Ontario (Ministère des Richesses naturelles et des Forêts), [2017] C.S.C.R. no 369, aux paragraphes 7 et 8, le registraire de la Cour suprême du Canada avait fourni quelques éclaircissements concernant la signification des dépens avocat-client :

7. Je constate que les Premières Nations signataires des traités de Williams basent leur réclamation sur le principe de l’indemnisation intégrale. Elles affirment qu’[traduction] « en taxant les dépens qui leur ont été adjugés sur la base avocat-client dans chaque dossier, elles devraient par conséquent être indemnisées intégralement de leurs honoraires et débours légitimes ». Avec égards, cette assertion est inexacte. Les dépens avocat-client ne donnent pas droit à une indemnisation intégrale. Comme l’a fait observer la registraire adjointe dans l’affaire Richard :

Les dépens octroyés sur la base avocat-client sont inférieurs aux [traduction] « frais de l’avocat et de son client » ou à une indemnisation globale (voir Orkin, p. 1-7 et 1-8). Il ressort clairement de son mémoire de frais, étayé par les feuilles de temps qui y sont jointes en tant qu’annexe 2, que l’appelant demande une indemnisation globale, ce qu’il n’a pas le droit de faire. [Je souligne.]

8. Il est de jurisprudence constante que les dépens adjugés sur la base avocat-client sont taxés sur la base du quantum meruit (voir Mark Orkin, The Law of Costs, édition à feuilles mobiles, vol. 1, p.1-13 à 1-14). Voir également Richard, Best, Metzner c. Metzner, (motifs de la taxation des dépens énoncés par la registraire en date du 15 juin 2001; Bulletin de la C.S.C. 2001, p. 1159) et Alberta (Human Rights and Citizenship Commission) c. Brewer (motifs de la taxation des dépens énoncés par le registraire en date du 25 août 2009; Bulletin de la C.S.C., 2010, p. 224). La liste non exhaustive de critères énoncés dans l’arrêt Cohen v. Kealy & Blaney (1985), 26 C.P.C. (2d) 211 (C.A. Ont.), que cette Cour a cités et approuvés dans l’arrêt Bhatnager c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 3 R.C.S. 317, constitue le cadre dans lequel le quantum meruit devrait être évalué (voir également Orkin, vol. 1, p. 3-54.1 à 3-54.2, et les affaires Brewer, Richard et Best.

[Souligné dans l’original.]

[6] En utilisant la décision Ontario Federation of Anglers and Hunters comme ligne directrice, selon les faits du présent dossier, les dépens adjugés à l’intimée selon une base avocat-client pourraient être équivalents à une indemnisation complète, ou s’en approcher, mais ils pourraient également être inférieurs à cette somme, tout en restant supérieurs aux dépens partie-partie.

B. La TVH est-elle remboursable?

[7] Aux paragraphes 12 à 15 des observations sur les dépens présentées par l’appelant, ce dernier conteste la capacité de l’intimée à réclamer le remboursement de la TVH, puisque [traduction] « les dépens sont payables au client et non au cabinet d’avocats ». L’appelant affirme que les observations de l’intimée n’abordent pas la question de savoir si l’avocate inscrite au dossier pour l’intimée a facturé ses honoraires à sa cliente, Ria Sayat, et si la TVH est remboursable à titre de « crédit de taxe sur les intrants ». À l’appui des observations de l’appelant, ce dernier a renvoyé à la décision Iamgold Corporation c. Hapag-Lloyd AG, 2020 CF 610, dans laquelle les dépens adjugés par la Cour ne comprenaient pas la TVH, puisque la Cour a conclu que « l’inclusion de ces sommes dans l’adjudication des dépens représenterait un gain fortuit pour cette partie ». En réponse, aux paragraphes 11 à 16 des observations sur les dépens en réponse de l’intimée, celle-ci avance que l’intimée Ria Sayat est [traduction] « une employée salariée, et non une personne exploitant une entreprise ou un commerce, ou offrant une fourniture ou un bien immobilier ». Elle avance que Ria Sayat n’est [traduction] « pas autorisée à demander un “crédit de taxe sur les intrants” pour la TVH qui est due sur ses honoraires d’avocat ». L’intimée affirme que Ria Sayat ne satisfait pas au critère énoncé dans la Loi sur la taxe d’accise pour demander le remboursement de la TVH, et qu’une facture pour des honoraires d’avocat comprendrait la TVH à verser pour les services juridiques rendus.

[8] J’ai lu la décision Iamgold Corp. et la phrase en entier contenue au paragraphe 48 de la décision de la Cour, mentionnée au paragraphe 14 des observations sur les dépens de l’appelant, se lit ainsi :

48. […] La Cour a rejeté la réclamation de TVH et de la taxe connexe sur les produits et services [TPS] applicables aux honoraires d’avocat et aux débours d’une partie, au motif que l’inclusion de ces sommes dans l’adjudication des dépens représenterait un gain fortuit pour cette partie si elle pouvait récupérer les sommes au moyen de crédits de taxe sur les intrants (aux para 89-99). […]

[9] Après avoir examiné les observations des parties, et en utilisant la décision Iamgold Corp. comme ligne directrice, j’ai conclu que l’intimée avait suffisamment expliqué que l’intimée, Ria Sayat, n’est pas autorisée à réclamer un « crédit de taxe sur les intrants » et devrait payer la TVH sur tous les honoraires d’avocat facturés par l’avocate inscrite au dossier pour l’intimée. Par conséquent, la TVH sera incluse dans ma taxation des dépens de l’intimée, puisqu’elle était incluse dans le mémoire de frais de l’intimée. Comme cette question a été suffisamment clarifiée à titre de question préliminaire, il n’y a pas lieu de s’y arrêter davantage dans la présente taxation des dépens.

C. Affidavit de Samantha Boghossian, souscrit le 2 juillet 2021

[10] Aux paragraphes 23 à 27 des observations sur les dépens présentées par l’appelant, ce dernier soulève des questions concernant la validité de l’affidavit de Samantha Boghossian, souscrit le 2 juillet 2021, concernant sa connaissance personnelle du dossier et l’exactitude de son examen [traduction] « pour confirmer les heures consacrées et la véritable valeur du produit du travail » effectué par l’avocate. L’appelant affirme que la déposante, Samantha Boghossian, n’a fourni aucun renseignement concernant sa propre [traduction] « expérience juridique », ses années d’expérience, ou toute conversation qu’elle aurait eue avec l’avocate inscrite au dossier pour l’intimée, Natai Shelsen. Il soutient que l’affidavit de Samantha Boghossian [traduction] « contrevient clairement à l’article 81 » des Règles, et devrait être exclu ou se voir attribuer le moins de poids possible, puisque la déposante n’avait pas une connaissance personnelle du dossier, et n’a pas précisé comment elle avait obtenu l’information inscrite dans son affidavit concernant les heures travaillées par l’avocate de l’intimée.

[11] En réponse, aux paragraphes 18 et 19 des observations en réponse de l’intimée sur les dépens, celle-ci affirme que Samantha Boghossian est l’assistante juridique de Natai Shelsen, qui est l’avocate inscrite au dossier pour l’intimée, et que l’affidavit de Samantha Boghossian contient des renseignements relevant de la connaissance de la déposante qui ne [traduction] « constituent pas du ouï-dire ». L’intimée soutient que l’affidavit de Samantha Boghossian a été déposé parce que l’avocate [traduction] « ne pouvait fournir un tel affidavit, en application de l’article 82 des Règles des Cours fédérales, qui interdit à un avocat d’être l’auteur d’un affidavit et de présenter à la Cour des arguments fondés sur cet affidavit ». L’intimée indique que l’affidavit de Samantha Boghossian est [traduction] « entièrement autorisé, y compris au titre de l’article 81 des Règles des Cours fédérales », puisque la déposante avait [traduction] « une connaissance personnelle des faits dont elle témoigne » et que la déposante a examiné le dossier afin de déterminer le nombre d’heures consacrées par l’avocate à chaque service à taxer, et a multiplié ces sommes par le tarif horaire de l’avocate.

[12] Dans la décision Gray c. Canada (Procureur général), 2019 CF 301, au paragraphe 133, la Cour a affirmé ce qui suit concernant la question du ouï-dire dans des affidavits et des requêtes interlocutoires :

133. L’interdiction du ouï-dire ne s’applique pas à “une requête – autre qu’une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire”. Par conséquent, aux termes du paragraphe 81(1) des Règles, les affidavits contenant du ouï-dire sont présumés admissibles aux fins des requêtes interlocutoires (John Doe c R, 2015 CF 236, aux paragraphes 21 et 22, 256 ACWS (3d) 782), dont les requêtes en production de documents. Cette preuve n’a pas besoin de satisfaire aux exigences de nécessité et de fiabilité pour être admissible. L’application de ces exigences au ouï-dire dans les affidavits présentés dans le cadre de requêtes ne serait pas conforme au libellé du paragraphe 81(1) des Règles. Toutefois, l’article 81(1) des Règles prévoit comme condition que le déposant énonce les motifs à l’appui de ce qu’il croit être les faits. Le paragraphe 81(2) des Règles permet également de tirer une conclusion défavorable lorsqu’une partie omet d’offrir le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits substantiels.

[13] Dans la décision Hay c. Canada, 2008 CAF 327, au paragraphe 7, l’officier taxateur a affirmé ce qui suit concernant le fait que la taxation des dépens est un processus interlocutoire :

7. La position de l’appelant concernant l’aptitude de Mme Armstrong à signer un affidavit ne portait [pas] sur l’admissibilité de la déposition fondée sur les renseignements et les croyances, ce qu’a fait Mme Armstrong en l’espèce. Les affidavits fondés sur les renseignements et les croyances sont acceptables dans le cadre du processus interlocutoire; c’est-à-dire, les requêtes qui sont accessoires à l’examen et au jugement sur les questions de fond de la poursuite. La taxation des dépens est également un processus interlocutoire puisque sa fonction n’est pas de trancher sur les questions de fond de la poursuite, qui sont choses jugées après jugement, mais bien de résoudre la partie des dépens du jugement en un montant précis.

[14] De plus, dans la décision R. c. Wadacerf International Inc., 2002 CAF 397, au paragraphe 4, l’officier taxateur a affirmé ce qui suit concernant la question de la connaissance d’un déposant et le dépôt d’affidavits dans le cadre d’une taxation des dépens :

4. Quant à la deuxième objection, il m’apparaît tout à fait acceptable qu’un stagiaire prenne connaissance d’un dossier au moment de la préparation du mémoire de frais. À mon avis il suffit d’avoir une bonne connaissance de tous les éléments du tarif B tels qu’ils s’appliquent aux différentes étapes du dossier dans un cas particulier. Qu’un stagiaire n’ait pas antérieurement participé au déroulement de l’affaire ne diminue en rien la validité de son affidavit au soutien du mémoire de frais.

[15] En utilisant les décisions Gray, Hay et Wadacerf International Inc. comme lignes directrices, j’ai conclu que les déclarations contenues dans l’affidavit de Samantha Boghossian, souscrit le 2 juillet 2021, peuvent être prises en compte pour la présente taxation des dépens. En ce qui concerne le contenu de l’affidavit de Samantha Boghossian, celle-ci s’identifie au paragraphe 1 de son affidavit comme une assistante juridique du cabinet Goldblatt Partners s.r.l., qui a assisté Natai Shelsen, avocate inscrite au dossier pour l’intimée. De plus, au paragraphe 18 des observations en réponse de l’intimée sur les dépens, Samantha Boghossian est précisément nommée comme étant l’assistante juridique de Natai Shelsen. J’estime plausible que l’assistante juridique de l’avocate puisse avoir une certaine connaissance personnelle de la présente instance, surtout en ce qui a trait à la documentation préparée et au nombre d’heures facturables consacrées par l’avocate, et qu’elle puisse savoir où trouver cette information ou qui consulter chez Goldblatt Partners s.r.l. pour l’obtenir. De plus, j’estime raisonnable qu’en application de l’article 82 des Règles, l’assistante juridique de l’avocate ait fourni un affidavit dans le cadre de la présente taxation des dépens. Après avoir examiné les faits mentionnés ci-dessus pour ce dossier en particulier, y compris le fait qu’une taxation des dépens est considérée comme une instance interlocutoire, j’estime que l’affidavit de Samantha Boghossian, souscrit le 2 juillet 2021, est conforme à l’article 81 des Règles, et à la jurisprudence mentionnée ci-dessus, et qu’il peut être examiné dans le cadre de la documentation fournie par l’intimée pour la présente taxation des dépens. Comme cette question a été suffisamment tirée au clair à titre de question préliminaire, il n’y a pas lieu de s’y arrêter davantage dans la présente taxation des dépens.

D. La demande de l’appelant en vue d’obtenir le remboursement de ses dépens

[16] L’appelant, qui agit pour lui-même, a présenté un mémoire de frais avec les documents sur les dépens en réponse déposés le 13 août 2021. D’après mon examen du dossier judiciaire, la Cour n’a adjugé aucuns dépens à l’appelant à l’égard du présent dossier. Dans la décision Canada v. Uzoni, 2006 FCA 344, au paragraphe 4, l’officier taxateur a affirmé ce qui suit concernant l’absence de commentaires de la Cour dans ses arrêts en ce qui concerne les dépens :

[traduction]

4. […] Il est bien établi que les dépens relèvent de la discrétion de la Cour saisie de l’affaire et que, lorsqu’une ordonnance est muette au sujet des dépens, cela emporte qu’il n’y a pas d’exercice visible du pouvoir discrétionnaire de la Cour en vertu du paragraphe 400(1). Il peut être utile de faire référence au passage suivant de l’ouvrage de Mark M. Orkin, c.r., The Law of Costs (le droit des dépens) (2e éd.), 2004, au paragraphe 105.7 :

[traduction]

[...] De même, si un jugement est accordé à une partie sans ordonnance adjugeant les dépens, aucune partie ne peut faire taxer les dépens; ainsi, lorsqu’une affaire est réglée sur présentation d’une requête ou au procès sans mention des dépens, c’est tout comme si le juge avait dit qu’il « estimait qu’il ne convenait pas d’adjuger les dépens ». [...]

De façon similaire, je m’appuie sur la décision Kibale c. Canada (Secrétaire d’État), [1991] ACF no 15, [1991] 2 CF F-12, qui fait état du même sentiment :

Si l’ordonnance ne dit rien au sujet des dépens, ceux-ci ne sont pas adjugés.

[17] En ce qui concerne le fait que l’appelant est une partie qui agit pour son propre compte, dans l’arrêt Yu c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 42, aux paragraphes 37 et 38, la Cour a exprimé ce qui suit au sujet des parties agissant pour leur propre compte et des dépens :

37. L’appelant réclame les dépens. La règle voulant qu’aucuns dépens ne soient accordés aux parties qui se représentent elles-mêmes a été quelque peu assouplie ces dernières années : Sherman c. Canada (Ministre du Revenu national), 2003 CAF 202, [2003] 4 C.F. 865, aux paragraphes 46 à 52; Thibodeau c. Air Canada, 2007 CAF 115, 375 N.R. 195, au paragraphe 24. Cette nouvelle approche aux dépens vise à accorder à la partie qui se représente elle-même un montant raisonnable pour le temps et les efforts qu’elle a consacrés à la préparation et à la présentation de sa cause dans la mesure où elle a engagé un coût de renonciation en cessant d’exercer une activité rémunératrice.

38. Compte tenu de la situation de l’appelant, qui a été incarcéré dans un pénitencier tout au long de la présente instance, je ne puis conclure qu’il a engagé un coût de renonciation en cessant d’exercer une activité rémunératrice pour préparer et présenter sa cause. Par conséquent, je n’exercerais pas le pouvoir discrétionnaire dont est investie notre Cour pour adjuger des dépens pour honoraires. Toutefois, l’appelant devrait se faire rembourser les débours qu’il a engagés devant notre Cour et devant la Cour fédérale.

[18] Dans l’arrêt Yu, la Cour affirme qu’il est possible d’accorder une rémunération pour les services à taxer à une partie agissant pour son propre compte si elle est en mesure de démontrer que, ce faisant, elle a engagé un coût de renonciation. Ce coût de renonciation doit toutefois être adjugé par la Cour, et non par l’officier taxateur. Cette question a été tranchée dans la décision Stubicar c. Canada, [2015] A.C.F. no 600, 2015 CAF 113, aux paragraphes 10 et 11, dans laquelle l’officier taxateur a déclaré ce qui suit :

10. Autrement dit, étant donné que les officiers taxateurs ne sont pas des membres de la Cour, je jouis d’une compétence limitée, car il ne m’est pas permis de modifier l’adjudication de dépens faite par la Cour. Il s’ensuit que lorsque la Cour exerce sa compétence et adjuge à la partie agissant pour son propre compte des dépens pour les services taxables, l’officier taxateur peut faire droit aux réclamations au titre des services (Voir : Carr c. Canada, 2009 CF 1196). En revanche, si la Cour n’exerce pas cette compétence, l’officier taxateur n’a pas compétence pour accorder les dépens afférents aux services. Cette situation s’est présentée dans le jugement Dewar c. Canada, [1985] A.C.F. no 538, et à cet égard, l’officier taxateur a déclaré ce qui suit :

Un plaideur non-juriste ne doit taxer que les débours et ne peut taxer les honoraires calculés, pour ce qui est du temps consacré et des débours, comme équivalant aux honoraires du procureur ou autrement.

11. J’ai examiné l’adjudication des dépens qui a été faite en l’espèce et bien que des dépens aient été accordés tant en Cour d’appel fédérale qu’en Cour fédérale, rien n’indique que la Cour a exercé son pouvoir d’adjuger à l’appelante des services à taxer.

[19] En me fondant sur l’arrêt Yu et les décisions Uzoni et Stubicar à titre de lignes directrices, je conclus que, faute de décision de la Cour adjugeant des coûts de renonciation à l’appelant, qui agit pour son propre compte, ou de décision adjugeant expressément des dépens à l’appelant pour l’instance en appel ou pour toute requête connexe, je n’ai pas le pouvoir de taxer le mémoire de frais de l’appelant. Par conséquent, je conclus que les demandes de l’appelant au titre des articles 21(a) et 26 doivent être rejetées, en ce qui concerne les faits du présent dossier.

III. Services à taxer

[20] L’intimée a déclaré 86,6 heures pour les services taxables, ce qui représente une somme totale de 32 782,43 $, TVH comprise.

A. Article 21a) – Honoraires d’avocat pour une requête, y compris la préparation, la signification et les prétentions écrites ou le mémoire des faits et du droit

1) Demande de directives adressée au greffier.

[21] L’intimée a déclaré 3,2 heures (1 072 $) au titre de l’article 21a), pour la préparation d’une lettre datée du 3 février 2021, adressée au greffier de la CAF, pour demander une directive de la Cour concernant le dépôt tardif de l’avis d’appel de l’appelant. Subsidiairement, l’intimée a indiqué que cette demande pourrait être taxée au titre de l’article 27, si l’article 21a) n’est pas le bon article pour ce type de demande en particulier. Dans l’affidavit de Samantha Boghossian, souscrit le 2 juillet 2021, elle affirme, au paragraphe 10, que le temps consacré à ce service en particulier a été examiné, et qu’il a été [traduction] « déterminé que Mme Shelsen a consacré au moins 3,2 heures (pour un total de 1 072 $ en honoraires d’avocat) à du travail lié à la demande de directives ». Aux paragraphes 21 et 22 des observations sur les dépens présentées par l’intimée, il est indiqué que les services fournis comprenaient [traduction] « la recherche préliminaire concernant la procédure appropriée dans les circonstances, la préparation de la demande de Mme Sayat pour obtenir des directives, et la communication avec la Cour concernant cette demande ». L’intimée soutient qu’à la suite d’une conversation avec le greffe de la Cour, il a été [traduction] « déterminé qu’une requête en vue d’obtenir la radiation de l’avis d’appel serait la procédure appropriée », plutôt que de présenter une lettre pour obtenir une directive de la Cour.

[22] En réponse, aux paragraphes 17 à 22 des observations sur les dépens présentées par l’appelant, celui-ci indique que les détails relatifs à l’article 21a) inclus dans le mémoire de frais de l’intimée contredisent l’objet visé à l’article 21a); l’appelant demande de manière rhétorique pourquoi une réclamation au titre de l’article 21a), qui a trait aux requêtes, est faite pour une demande de directives adressée à la Cour. L’appelant soutient que l’affidavit de Samantha Boghossian [traduction] « ne représente pas avec précision la caractérisation du travail décrit dans le mémoire de frais » et que les dépens ne semblent pas avoir été raisonnablement engagés et sont excessifs comparativement au service rendu.

[23] En réponse, au paragraphe 17 des observations sur les dépens en réponse présentées par l’intimée, cette dernière indique que la description fournie par l’intimée au titre de l’article 21a) a été [traduction] « tirée du tarif B et que la réclamation est correctement décrite dans les observations écrites de l’intimée et dans l’affidavit de Samantha Boghossian ». En outre, l’intimée soutient que [traduction] « le mémoire de frais modifié fait aussi référence au tarif B, article 27, qui permet à un officier taxateur d’accepter d’autres services aux fins de la taxation ».

[24] Dans la décision Carlile c. Canada, [1997] A.C.F. no 885, par. 26, l’officier taxateur a déclaré ce qui suit au sujet de la taxation équitable des dépens :

26. Les officiers taxateurs sont souvent saisis d'une preuve loin d'être complète et doivent, tout en évitant d'imposer aux parties perdantes des frais déraisonnables ou non nécessaires, s'abstenir de pénaliser les parties qui ont gain de cause en refusant de leur accorder une indemnité lorsqu'il est évident que des frais ont effectivement été engagés. Cela signifie que l'officier taxateur doit jouer un rôle subjectif au cours de la taxation. Dans les motifs que j'ai formulés le 2 novembre 1994 dans Youssef Hanna Dableh c. Ontario Hydro, no de greffe T-422-90, j'ai cité, à la page 4, une série de motifs de taxation indiquant le raisonnement à suivre en matière de taxation des frais. La décision que j'ai rendue dans l'affaire Dableh a été portée en appel, mais le juge en chef adjoint a rejeté cet appel dans un jugement motivé en date du 7 avril 1995. J'ai examiné les débours réclamés dans les présents mémoires de frais d'une façon compatible avec ces différentes décisions. De plus, à la page 78 de l'ouvrage intitulé Phipson On Evidence, quatorzième édition (Londres : Sweet & Maxwell, 1990), il est mentionné, au paragraphe 4-38, que [traduction] "la norme de preuve exigée en matière civile est généralement décrite comme le fardeau de la preuve selon la prépondérance des probabilités". Par conséquent, le déclenchement de la procédure de taxation ne devrait pas se traduire par une hausse de ce fardeau vers un seuil absolu. Si la preuve n'est pas absolue pour le plein montant réclamé et que l'officier taxateur est saisi d'une preuve non contredite, bien qu'infime, indiquant qu'un montant a effectivement été engagé pour le déroulement du litige, il n'aura pas exercé une fonction quasi judiciaire en bonne et due forme en décidant de taxer l'élément à zéro comme seule solution de rechange à l'octroi du plein montant. Les litiges semblables à celui de la présente action ne se déroulent pas uniquement grâce à des dons de charité versés par des tierces parties désintéressées. Selon la prépondérance des probabilités, il serait absurde de n'accorder aucun montant à la taxation.

[25] À la suite de mon examen des mémoires de frais des parties, en plus du dossier judiciaire et du tarif B des Règles, et en utilisant la décision Carlile comme ligne directrice, j’ai conclu que les services fournis en lien avec la lettre envoyée par l’intimée pour demander une directive pouvaient être taxés au titre de l’article 21a). La recherche effectuée par l’intimée relativement à la lettre demandant une directive était directement liée à la requête en vue d’obtenir la radiation de l’avis d’appel de l’appelant, déposée plus tard par l’intimée. Cela dit, le dossier judiciaire indique qu’aucune directive n’a en réalité été demandée par l’intimée, puisqu’il a été décidé qu’il serait plus utile de déposer une requête au lieu de demander une directive de la Cour. Par conséquent, je ne suis pas convaincu que l’appelant devrait rembourser à l’intimée toute la somme réclamée au titre de l’article 21a), puisque la lettre à propos de la directive demandée n’a jamais été envoyée par l’intimée. Après avoir examiné la lettre de l’intimée datée du 3 février 2021, j’ai conclu qu’il est raisonnable d’allouer deux heures pour les services fournis en lien avec la recherche effectuée pour préparer la requête qui allait être déposée par l’intimée en vue d’obtenir la radiation de l’avis d’appel de l’appelant, et pour la conversation connexe avec le greffe de la Cour au sujet de la lettre pour obtenir une directive et de la requête.

B. Article 21a) – Honoraires d’avocat pour une requête, y compris la préparation, la signification et les prétentions écrites ou le mémoire des faits et du droit

1) Requête en radiation au motif que la date limite pour déposer un avis d’appel est passée et qu’il n’y a aucune cause d’action valable – requête présentée par écrit.

[26] L’intimée a déclaré avoir consacré 39,8 heures (13 333 $) aux fins de la taxation au titre de l’article 21a), pour la préparation de la requête présentée par écrit par l’intimée, le 22 février 2021, en vue d’obtenir la radiation de l’avis d’appel de l’appelant. Dans l’affidavit de Samantha Boghossian, souscrit le 2 juillet 2021, cette dernière affirme au paragraphe 12 que les heures consacrées au titre de cet article ont été passées en revue et qu’il a été [traduction] « déterminé que Mme Shelsen a consacré au moins 39,8 heures (pour un total de 13 333 $ en honoraires d’avocat) à du travail lié à la requête en radiation ». Au paragraphe 23 des observations sur les dépens présentées par l’intimée, celle-ci indique que les services fournis [traduction] « comprenaient la recherche, la rédaction et la préparation des documents de requête et des observations en réponse, y compris l’examen du recueil de jurisprudence et de doctrine initial et supplémentaire, et la correspondance avec les parties au sujet de la requête en radiation ». Aux paragraphes 24 et 25, l’intimée indique qu’une quantité importante de travail a été nécessaire pour la recherche et la préparation des observations écrites pour la requête, puisque l’action sous-jacente était complexe et que des observations ont été préparées concernant l’adjudication de dépens sur une base avocat-client pour cette requête. L’intimée indique avoir eu entièrement gain de cause avec la requête, puisque l’avis d’appel de l’appelant a été radié et que des dépens avocat-client ont été accordés à l’intimée.

[27] En réponse, aux paragraphes 32 à 38 des observations sur les dépens présentées par l’appelant, ce dernier affirme que l’intimée demande des dépens exagérés pour la requête en radiation, laquelle comportait [traduction] « essentiellement 20 pages d’arguments écrits avec une quantité importante de notes en bas de page ». L’appelant indique que les détails du travail consacré à la requête sont peu nombreux et que la taxation pour cette réclamation devrait être réduite à 15,6 heures ou 4 680 $, chiffre qui serait similaire au nombre d’heures réclamées par l’appelant dans son mémoire de frais inclus avec les observations sur les dépens présentées par l’appelant. L’appelant a renvoyé à la décision Dalfen c. Banque de Montréal, 2016 CF 1133, en guise de comparateur pour les dépens suggérés. L’appelant a affirmé que, dans le cadre de cette décision, la Cour a examiné des requêtes en radiation et que [traduction] « [d]ans chaque cas, des dépens avocat-client de 5 000 $ ont été adjugés à la partie ayant eu gain de cause pour une requête exactement comparable à la requête en radiation de l’avis d’appel présentée par l’intimée ».

[28] En réponse, aux paragraphes 3 et 5 des observations sur les dépens en réponse présentées par l’intimée, celle-ci avance que l’appelant n’a pas étayé son affirmation selon laquelle les dépens de l’intimée devraient être réduits à 4 680 $; l’intimée s’appuie sur les observations relatives à sa requête qui ont été présentées, lesquelles [traduction] « démontrent clairement le caractère raisonnable et nécessaire des heures travaillées et des frais engagés en lien avec l’appel de M. Hutton ». De plus, au paragraphe 23, l’intimée indique que le temps consacré par l’appelant à [traduction] « préparer ses documents constitue un comparateur inapproprié qu’il faudrait rejeter ».

[29] J’ai examiné les mémoires de frais des parties, en plus du dossier judiciaire et du tarif B des Règles, et j’ai déterminé qu’il est raisonnable d’accorder à l’intimée la majeure partie des dépens réclamés pour les services fournis en lien avec la requête en radiation présentée par l’intimée. Dans mon évaluation de cette réclamation, j’ai examiné les facteurs visés au paragraphe 400(3) des Règles dont je peux tenir compte dans une taxation des dépens, en application de l’article 409 des Règles. Lorsque je tiens compte de facteurs comme a) le résultat de l’instance, c) l’importance et la complexité des questions en litige, et g) la charge de travail assumée par les intimés, le dossier judiciaire montre que l’intimée a eu gain de cause dans sa requête en radiation présentée à la Cour et que la Cour lui a accordé des dépens sur une base avocat-client, que les questions en litige étaient d’une importance et d’une complexité significatives, et que l’intimée a effectué un travail considérable à titre de partie qui présentait la requête, et aussi en réponse au dossier de requête en réponse de l’appelant, qui comptait 263 pages. En ce qui a trait à la décision Dalfen invoquée par l’appelant, mon examen de cette décision ne m’a pas permis de relever que les dépens adjugés pour ce dossier l’ont été sur une base avocat-client, pas plus que la jurisprudence mentionnée par la Cour dans la décision Dalfen. Dans certaines de ces décisions, la Cour a adjugé des dépens plus élevés, ou des dépens forfaitaires, mais il n’est nulle part fait mention que les dépens ont été adjugés sur une base avocat-client, contrairement à la présente instance, pour laquelle la Cour, dans son ordonnance datée du 27 avril 2021, a explicitement adjugé des dépens sur une base avocat-client à l’intimée.

[30] Il faut souligner que les 39,8 heures déclarées sont fondées sur un examen du temps consacré par l’avocate de l’intimée à ce service taxable, examen mené par l’assistante juridique de l’avocate. Comme je l’ai mentionné précédemment dans les présents motifs, il est indiqué dans le mémoire de frais de l’appelant que le travail effectué par l’appelant s’élevait au total à 15,6 heures (ou environ deux jours de travail) en lien avec la requête en radiation; par conséquent, j’estime plausible que le travail effectué par l’intimée, à titre de partie qui présentait la requête, ait totalisé 39,8 heures (ou environ cinq jours de travail), d’après les faits relatifs à cette requête et mon examen du dossier judiciaire. Après avoir pris en considération les faits mentionnés ci-dessus pour cette réclamation en particulier, j’ai déterminé qu’il est raisonnable d’accorder 37 heures pour cette réclamation. Mon adjudication des dépens pour cette réclamation tient compte du fait que j’ai déjà accordé deux heures pour la préparation de la requête en radiation en lien avec la lettre demandant une directive préparée par l’intimée. Par conséquent, 39 heures au total ont été accordées au titre de l’article 21a) pour les services fournis par l’intimée en lien avec la requête en radiation de l’avis d’appel de l’appelant.

C. Article 21a) – Honoraires d’avocat pour une requête, y compris la préparation, la signification et les prétentions écrites ou le mémoire des faits et du droit

1) Requête visant à fixer le contenu du dossier d’appel – présentée par écrit.

[31] L’intimée déclare 24,1 heures (8 073,50 $) aux fins de la taxation au titre de l’article 21a), pour la préparation des documents de requête en réponse de l’intimée, en lien avec la requête présentée par écrit par l’appelant visant à fixer le contenu du dossier d’appel et à faire admettre de nouveaux éléments de preuve, qui a été présentée le 4 mars 2021. Dans l’affidavit de Samantha Boghossian, souscrit le 2 juillet 2021, elle affirme, au paragraphe 14, que le temps consacré à ce service en particulier a été examiné, et qu’il a été [traduction] « déterminé que Mme Shelsen a consacré au moins 24,1 heures (pour un total de 8 073,50 $ en honoraires d’avocat) à du travail lié à la requête visant à fixer le contenu du dossier d’appel ». Au paragraphe 26 des observations sur les dépens présentées par l’intimée, il est indiqué que les services qu’elle a fournis comprenaient [traduction] « la préparation, la recherche et la rédaction du dossier en réponse de Mme Sayat, et la correspondance avec l’avocate en lien avec le contenu du dossier d’appel ». En réponse, aux paragraphes 3 à 8 des observations sur les dépens présentées par l’appelant, celui-ci indique que la Cour n’a pas [traduction] « adjugé à l’intimée ses dépens pour la requête présentée par l’appelant en application du paragraphe 343(3) et de l’article 351 des Règles des Cours fédérales ». L’appelant soutient que la Cour ne s’est pas prononcée sur la question des dépens et que l’intimée aurait dû présenter une requête en application de l’alinéa 397(1)b) des Règles pour demander le réexamen de la décision de la Cour et demander que des dépens soient adjugés. L’appelant a invoqué l’arrêt Franke Kindred Canada Limited c. Gacor Kitchenware (Ningbo) Co. Ltd., 2012 CAF 316, à l’appui de ses observations. En réponse, aux paragraphes 6 à 9 des observations sur les dépens en réponse présentées par l’intimée, celle-ci a indiqué que [traduction] « [l]e terme “appel” est large et vise clairement à saisir tous les aspects de l’appel du demandeur », qui est constitué de diverses requêtes interlocutoires. L’intimée a indiqué que, si la Cour entendait limiter les dépens, que le terme [traduction] « requête » et non le terme [traduction] « appel » aurait été utilisé dans l’ordonnance de la Cour pour ce dossier. L’intimée a aussi invoqué l’arrêt Franke Kindred Canada Limited c. Gacor Kitchenware (Ningbo) Co. Ltd., 2012 CAF 316, à l’appui de ses observations.

[32] Dans la décision Industrial Milk Producers Assn. c. British Columbia (Milk Board), [1988] A.C.F. no 537, l’officier taxateur a fait la déclaration suivante concernant les requêtes en radiation et les dépens connexes :

Une ordonnance qui prévoit qu'une action est radiée avec dépens présente un autre problème. S'agit-il seulement des frais découlant de la procédure en radiation, c'est-à-dire des frais de la requête, ou de tous les frais de l'action jusqu'à la date en cause? Par exemple, les dépens prévus au tarif B1(1)a) et j) pour les services rendus avant et pendant les plaidoiries, et les services après jugement respectivement, sont-ils taxables lorsque, comme en l'espèce, dans l'ordonnance radiant l'action on ne mentionne pas que les frais accordés sont les "frais de l'action"? Il est évident qu'un jugement rendu après le procès et accordant les frais sans mentionner qu'il s'agit des "frais de l'action" ne vise pas seulement les frais du procès, mais inclut également les "frais de l'action" en cause. En l'espèce, une interprétation stricte et limitée de l'expression "a droit à ses frais" dans l'ordonnance du juge Reed aurait pour effet d'exclure tous les frais, sauf ceux prévus au tarif B1(1)e) visant la procédure interlocutoire même. Le terme "instance" dans la Règle 344(1) peut s'entendre d'une action dans son ensemble ou d'une affaire interlocutoire dans le cadre de cette action. Les demandeurs n'auraient pas eu droit aux frais des alinéas B1a) et j) en plus des frais de B1(1)e) s'ils avaient réussi et que les frais de la requête en radiation leur avaient été accordés. Une différence importante réside dans le fait que, lorsqu'une requête en radiation est accueillie, cette décision dispose de deux instances : l'instance interlocutoire et l'action elle-même; mais lorsque la requête est rejetée, la décision ne dispose que de cette instance interlocutoire. Je remarque que la Règle 406(1) prévoit les frais engagés dans l'action en cas de j'en conclus donc qu'un défendeur dont la requête en radiation est accueillie a droit à la taxation de ses frais d'action jusqu'à cette date, même s'il n'est pas spécifié dans l'ordonnance que les frais accordés sont ceux de l'action.

[33] À la suite de mon examen des documents sur les dépens des parties, ma lecture de l’ordonnance de la Cour datée du 27 avril 2021 ne me permet pas de conclure que des dépens ont été adjugés à l’intimée relativement à la requête présentée le 4 mars 2021 par l’appelant et visant à fixer le contenu du dossier d’appel et à faire admettre de nouveaux éléments de preuve. Dans la décision Uzoni mentionnée un peu plus tôt dans les présents motifs, l’officier taxateur a indiqué que, si une ordonnance de la Cour est muette au sujet des dépens, cela emporte qu’aucuns dépens n’ont été adjugés. Cela dit, la décision Industrial Milk Producers Assn. a permis d’établir la distinction suivante : lorsqu’il est fait droit à une requête en radiation avec dépens, la partie à qui les dépens sont adjugés a le droit non seulement de réclamer ses dépens pour la requête en radiation, mais aussi de réclamer ses dépens pour l’instance sous-jacente (une action ou une demande de contrôle judiciaire), même si la décision ne mentionne pas explicitement que les dépens sont adjugés pour l’instance sous-jacente ou la requête en radiation. Toutefois, cette décision se distingue de l’arrêt Frank Kindred Canada Limited, dans lequel la Cour, au paragraphe 5, a accueilli la demande de l’intimé en annulation de la demande de contrôle judiciaire de la requérante et adjugé à l’intimé, au paragraphe 6, ses dépens pour trois autres requêtes supplémentaires au dossier. Par conséquent, j’estime que la Cour, dans l’arrêt Frank Kindred Canada, a uniquement adjugé les dépens pour la requête en annulation et l’instance sous-jacente, et n’a pas adjugé tous les dépens pour toutes les requêtes au dossier. La Cour a précisément mentionné les autres requêtes au dossier et a précisément adjugé les dépens pour ces requêtes au dossier, au paragraphe 6 de sa décision.

[34] Par conséquent, après avoir examiné la décision Uzoni, la décision Industrial Milk Producers Assn. et l’arrêt Frank Kindred Canada Limited, je conclus que la réclamation présentée par l’intimée au titre de l’article 21a) doit être refusée, puisque l’ordonnance de la Cour n’adjuge pas précisément les dépens à l’intimée relativement à la requête présentée par l’appelant visant à fixer le contenu du dossier d’appel et à faire admettre de nouveaux éléments de preuve.

D. Article 26 – Taxation des frais

[35] L’intimée déclare 12,5 heures (4 187,50 $) aux fins de la taxation au titre de l’article 26, pour la préparation des documents de l’intimée relativement à la présente taxation des dépens. Dans l’affidavit de Samantha Boghossian, souscrit le 2 juillet 2021, elle affirme, au paragraphe 17, que le temps consacré à ce service en particulier a été examiné, et qu’il a été [traduction] « déterminé que Mme Shelsen a consacré au moins 12,5 heures (pour un total de 4 187,50 $ en honoraires d’avocat) à du travail lié à la taxation des dépens ». Au paragraphe 29 des observations sur les dépens présentées par l’intimée, il est indiqué que les services fournis comprenaient [traduction] « la correspondance avec l’appelant, la préparation du mémoire de frais, la recherche et la préparation d’observations écrites ». L’intimée soutient que la Cour a réprimandé l’appelant pour sa conduite en accordant à l’intimée des dépens avocat-client, et qu’il fallait s’assurer, dans le cadre du travail effectué en lien avec la taxation des dépens, du remboursement de l’ensemble des frais. En réponse, aux paragraphes 29 à 31 des observations sur les dépens présentées par l’appelant, ce dernier soutient que [traduction] « le produit du travail de 12,5 heures [pour l’intimée] consiste essentiellement en l’affidavit de la secrétaire juridique Samantha Boghossian, alors que ses frais ne sont réclamés nulle part dans le mémoire de frais, et qu’un tarif horaire ne peut être associé à la secrétaire juridique pour son affidavit souscrit avec les pièces ». L’appelant soutient que les 12,5 heures déclarées par l’intimée [traduction] « sont très exagérées par rapport au “produit du travail” réel consistant en 11 pages d’observations écrites par Mme Shelsen, qui est avocate principale ». En réponse, au paragraphe 22 des observations sur les dépens en réponse présentées par l’intimée, celle-ci soutient que [traduction] « le contenu et la qualité » des mémoires de frais des parties ne peuvent être comparés; l’intimée fournit quelques exemples des différences entre les mémoires de frais des parties, comme les citations, le formatage et la grammaire.

[36] En ce qui a trait aux observations de l’appelant concernant le fait que le tarif horaire associé au travail effectué par l’assistante juridique de l’avocate de l’intimée n’apparaît pas dans le mémoire de frais de l’intimée, dans la décision Air Canada c. Canada, [2000] A.C.F. no 101, au paragraphe 15, l’officier taxateur a fait la déclaration suivante concernant les réclamations pour des services fournis par des non-juristes :

15. En revanche, l’article G28 ne sous-entend pas le paiement d’une rémunération supplémentaire à celle qui est déjà demandée et approuvée pour l’avocat responsable du dossier. Il indique plutôt le paiement d’une rémunération représentant « 50 p. 100 du montant qui serait calculé pour les services d’un avocat » (non souligné à l’original). Il s’agit de la situation de l’avocat qui délègue une tâche à un auxiliaire; lorsque l’auxiliaire rend un service dans le cadre de cette délégation, l’avocat responsable peut ensuite facturer le client en conséquence à un taux horaire inférieur. L’article G28 prévoit donc une rémunération réduite dans le cadre des frais et honoraires entre parties. De plus, je doute que le Tarif, dont l’application exige des directives spéciales de la Cour dans les circonstances propres aux articles E14b) et F22b), visait à accorder le droit absolu à une rémunération dans le cas des auxiliaires. En d’autres termes, si l’avocat responsable délègue, comme il est autorisé à le faire par le barreau de la province dont il relève, l’exécution d’un service particulier à un auxiliaire, la partie ayant le droit d’être indemnisée ne pourra recouvrer un montant au titre de l’avocat responsable et un autre pour l’auxiliaire, compte tenu des restrictions imposées par l’article G28. Ainsi, si l’auxiliaire s’occupe de tous les aspects de la taxation des frais, activité qui ne me semble pas correspondre à la pratique suivie en Ontario, compte tenu du paragraphe 1 de la règle 16 du Code de déontologie, il ne sera pas possible de réclamer un montant à la fois sous l’article G26 et sous l’article G28. Si la responsabilité a été partagée entre l’avocat et l’auxiliaire, un montant pourra être réclamé sous l’article G26, de sorte qu’aucun montant ne pourra être demandé au titre de l’article G28. Dans la présente affaire, la défenderesse a déjà [été] indemnisée en application des articles D13a) et E14a), de sorte qu’elle ne peut réclamer aucun montant sous l’article G28. La demanderesse a consenti à la réclamation formulée à l’article D13a) sous l’article G28. En pareil cas, le consentement ne peut m’accorder une compétence dont je ne suis pas investi. Je supprime les montants de 250 $ et de 3 399,30 $ réclamés respectivement aux articles D13a) et E14a) sous l’article G28.

[37] Selon mon examen de la décision Air Canada, les honoraires pour les services de non-juristes sont pris en compte dans les honoraires de l’avocat responsable du dossier. Cette idée est confirmée par la jurisprudence suivante : Guest Tek Interactive Entertainment Ltd. c. Nomadix, Inc., 2021 CF 848, aux paragraphes 54 et 55, et Truehope Nutritional Support Ltd c. Canada (Procureur général), [2013] A.C.F. no 1297, au paragraphe 81. Par conséquent, en utilisant les décisions mentionnées ci-dessus comme lignes directrices, je conclus que la somme réclamée par l’intimée au titre de l’article 26 a été à juste titre incluse dans le mémoire de frais.

[38] En ce qui concerne le nombre d’unités réclamées par l’intimée, les 12,5 heures déclarées au titre de l’article 26 comprennent la préparation du mémoire de frais de l’intimée et des documents relatifs aux dépens de la partie ayant présenté la requête, l’examen des documents relatifs aux dépens présentés en réponse par l’appelant, et la préparation des documents relatifs aux dépens présentés en réponse par l’intimée. En comparaison, au paragraphe 31 des observations sur les dépens présentées par l’appelant, il est indiqué que l’appelant a consacré 7 heures au total à l’examen des documents de l’intimée et à la préparation des documents relatifs aux dépens présentés en réponse par l’appelant. Compte tenu du temps consacré par l’appelant, j’estime raisonnable que le travail fourni par l’appelant ait totalisé 7 heures (ou environ un jour de travail) pour préparer les documents relatifs aux dépens présentés en réponse par l’appelant, et j’estime également raisonnable que les services fournis par l’avocate de l’intimée aient totalisé 12,5 heures (ou environ 1,5 jour de travail) pour préparer les documents sur les dépens de la partie ayant présenté la requête et les documents sur les dépens en réponse de l’intimée. Par conséquent, j’ai conclu que les services fournis par l’avocate de l’intimée étaient nécessaires et qu’il est raisonnable d’allouer 12,5 heures au titre de l’article 26.

E. Article 27 – Autres services acceptés aux fins de la taxation par l’officier taxateur ou ordonnés par la Cour

[39] L’intimée a déclaré 7 heures (2 345 $) aux fins de la taxation au titre de l’article 27, pour les services relatifs à [traduction] « deux offres pour régler l’appel en application de l’article 420 des Règles des Cours fédérales » faites le 19 janvier 2021 et le 28 janvier 2021, comme il est indiqué au paragraphe 17 des observations sur les dépens de l’intimée. Dans l’affidavit de Samantha Boghossian, souscrit le 2 juillet 2021, elle affirme, au paragraphe 8, que le temps consacré à ce service en particulier a été examiné, et qu’il a été [traduction] « déterminé que Mme Shelsen a consacré au moins 7 heures (pour un total de 2 345 $ en honoraires d’avocat) à du travail lié aux offres de règlement ». Au paragraphe 19 des observations sur les dépens de l’intimée, il est indiqué que les services fournis comprenaient [traduction] « la recherche effectuée pour comprendre les exigences des Règles des Cours fédérales concernant les offres de règlement, la préparation des offres de règlement et la correspondance avec les parties ». Il est estimé que l’appelant a échangé environ 21 courriels avec les intimés (Ria Sayat et le procureur général du Canada), certains de ces courriels contenant [traduction] des questions « substantielles et volumineuses » auxquelles devaient répondre les parties. L’intimée a souligné que les tentatives faites pour régler à l’amiable l’appel de l’appelant ont échoué et a joint des copies des lettres de l’intimée faisant référence aux offres de règlement en tant que pièces « A », « B » et « C » à l’affidavit de Samantha Boghossian, souscrit le 2 juillet 2021. En réponse, au paragraphe 11 des observations sur les dépens présentées par l’appelant, ce dernier soutient que les offres de règlement de l’intimée n’élèvent pas les dépens de l’intimée à un niveau supérieur à celui des dépens avocat-client.

[40] Concernant la réponse de l’appelant, mon examen de l’article 420 des Règles indique que le dédoublement des dépens liés à des offres de règlement est possible quand une partie a droit à des dépens partie-partie. Comme l’intimée a droit à des dépens avocat-client pour ce dossier en particulier, le dédoublement des dépens ne peut s’appliquer. À la suite de mon examen des documents sur les dépens présentés par l’intimée, j’estime raisonnable que les services fournis par l’avocate de l’intimée aient totalisé 7 heures (ou environ un jour de travail), pour effectuer des recherches relatives aux offres de règlement et lire et rédiger la correspondance avec les autres parties. Par conséquent, j’ai conclu que les services fournis par l’avocate de l’intimée en lien avec les offres de règlement étaient nécessaires et qu’il est raisonnable d’accorder 7 heures au titre de l’article 27.

F. Somme totale allouée pour les services à taxer

[41] Au total, 58,5 heures sont accordées pour les services à taxer de l’intimée, ce qui représente une somme totale de 22 145,18 $, TVH comprise.

G. Débours

[42] L’intimée n’a présenté aucune réclamation concernant les débours.

IV. Conclusion

[43] Pour les motifs qui précèdent, le mémoire de frais de l’intimée (Ria Sayat) est taxé et la somme totale de 22 145,18 $, payable par l’appelant à Ria Sayat, lui est accordée. Un certificat de taxation sera également délivré.

« Garnet Morgan »

Officier taxateur

Traduction certifiée conforme.

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-18-21

 

INTITULÉ :

KRISTEN ERNEST HUTTON c. RIA SAYAT, LYNN DUHAMIE aussi connue sous le nom de STEPHANIE DUHAIME, ancienne chargée d’affaires du Canada en République d’Irak, le PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA (au nom du MINISTÈRE DE LA DÉFENSE NATIONALE, DU SERVICE CANADIEN DU RENSEIGNEMENT DE SÉCURITÉ et du CENTRE DE LA SÉCURITÉ DES TÉLÉCOMMUNICATIONS CANADA), SA MAJESTÉ LA REINE

AFFAIRE EXAMINÉE À TORONTO (ONTARIO) SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE TAXATION :

GARNET MORGAN, officier taxateur

DATE DES MOTIFS :

Le 16 février 2022

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Kristen Ernest Hutton

Pour l’appelant

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Natai Shelsen

POUR L’INTIMÉE

(RIA SAYAT)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hutton Law

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour l’appelant

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Goldblatt Partners s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR L’INTIMÉE

(RIA SAYAT)

 

 

 

 

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