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Date : 20220301


Dossier : A-211-20

Référence : 2022 CAF 38

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

 

 

PRAIRIE TUBULARS (2015) INC et

 

 

2045662 ALBERTA INC

 

 

demanderesses

 

 

et

 

 

PRÉSIDENT DE L’ASFC

 

 

défendeur

 

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 28 février 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 1 mars 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE BOIVIN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LEBLANC


Date : 20220301


Dossier : A-211-20

Référence : 2022 CAF 38

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

 

 

PRAIRIE TUBULARS (2015) INC et

 

 

2045662 ALBERTA INC

 

 

demanderesses

 

 

et

 

 

PRÉSIDENT DE L’ASFC

 

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

LE JUGE BOIVIN

[1] Les demanderesses ont présenté quatre demandes fondées sur le paragraphe 23.1(1) des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur, DORS/91-499 (les Règles) devant le Tribunal canadien du commerce extérieur (TCCE). Le TCCE a rejeté les quatre demandes.

[2] Devant notre Cour, les demanderesses contestent les décisions du TCCE à l’égard de deux des quatre demandes : (i) la demande visant à obtenir un sursis de l’instance; (ii) la demande visant à obtenir une exemption de fournir des éléments de preuve.

[3] La norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] A.C.S. no 65 (Vavilov). Malgré les arguments contraires des demanderesses, nous sommes tous d’avis que le TCCE n’a commis aucune erreur susceptible de révision. Il a fondé sa décision sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, par. 85, 101 et 102; Langevin c. Air Canada, 2020 CAF 48). Par conséquent, la décision est raisonnable et rien ne justifie l’intervention de notre Cour.

[4] Plus précisément, le TCCE a souligné que des circonstances extraordinaires sont nécessaires pour qu’une instance civile soit suspendue en raison d’une instance criminelle concomitante. Comme la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan l’a fait remarquer dans la décision Bank of Nova Scotia v. Diamond-T Cattle Co., [1993] 2 WWR 722, 106 Sask R 142 :

[traduction]

[8] Cependant, en cas d’enquête seulement, il sera invariablement plus difficile pour une partie d’établir un motif valable justifiant l’octroi d’un sursis. Le problème le plus évident est qu’il n’est pas certain que des accusations criminelles seront portées et, en leur absence, il sera habituellement impossible de conclure qu’il existe un risque d’injustice. En même temps, il serait injuste de reporter indéfiniment une décision sur un différend au civil. Aussi, en l’absence d’accusations criminelles, il sera difficile d’établir une corrélation entre l’instance civile en cours et l’instance criminelle éventuelle.

[5] En l’espèce, l’instance criminelle est à l’étape de l’enquête et, comme l’a souligné le TCCE, aucune accusation n’a été portée contre les demanderesses. Et même si des accusations devaient être portées, nous ne connaissons pas la mesure dans laquelle ces accusations seraient liées à l’instance devant le TCCE.

[6] Les demanderesses soutiennent que le TCCE a commis une erreur en n’examinant pas explicitement le critère applicable à l’octroi d’un sursis, se dégageant des motifs de l’arrêt RJR - Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, [1994] A.C.S. no 17. Nous rejetons cette thèse.

[7] L’arrêt Vavilov nous enseigne qu’il suffit que les motifs des décisions rendues dans le contexte administratif permettent à la cour de révision de comprendre pourquoi le décideur a rendu sa décision pour qu’elle puisse déterminer si la conclusion appartient aux issues possibles acceptables (Vavilov, par. 91; Beddows c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 166).

[8] Compte tenu de la nature conjecturale des arguments avancés par les demanderesses, il était loisible au TCCE de conclure qu’il n’y avait aucune corrélation entre l’instance civile et l’instance criminelle à cette étape. De plus, il n’y a aucune preuve convaincante selon laquelle l’instance devant le TCCE empêchera les demanderesses d’obtenir un procès équitable si jamais elles faisaient face à des accusations criminelles. En outre, dans le cadre d’une instance criminelle, les demanderesses sont protégées contre l’utilisation des éléments de preuve dont le TCCE était saisi (Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11; Loi sur la preuve au Canada, LRC (1985), ch. C-5). De plus, les demanderesses ont eu accès aux éléments de preuve saisis (dossier des demanderesses, p. 81, au par. 28). Dans les circonstances, la décision du TCCE de rejeter la demande des demanderesses visant à obtenir le sursis de l’instance est raisonnable.

[9] La décision du TCCE de refuser aux demanderesses une exemption de fournir des éléments de preuve découle également des arguments hypothétiques des demanderesses quant à la corrélation entre l’instance civile et l’instance criminelle. Les demanderesses invoquent plusieurs décisions rendues dans le contexte fiscal, et soutiennent que le principal objectif des instances devant le TCCE est la poursuite d’une enquête criminelle (mémoire des appelantes, par. 58, renvoyant aux arrêts R. c. Jarvis, 2002 CSC 73, [2002] 3 RCS 757; Kligman c. M.R.N., 2004 CAF 152, [2004] 4 RCF 477; et Stanfield c. Canada, 2005 CAF 107, 333 NR 241). Ces arrêts ne s’appliquent cependant pas en l’espèce.

[10] D’abord, les demanderesses ont une grande latitude quant aux éléments de preuve qu’elles décident de présenter au TCCE pour étayer leur thèse. Ensuite, rien n’empêche les demanderesses de soutenir devant le TCCE qu’elles ne peuvent être contraintes de produire des éléments de preuve pour appuyer leur mémoire, et que l’ASFC a le fardeau d’établir qu’elle n’a commis aucune erreur dans son réexamen, une question qui a été examinée par le TCCE, comme nous l’avons indiqué au début des présents motifs, mais qui a été jugée prématurée. Dans les circonstances précises de l’espèce, le défendeur reconnaît que les demanderesses pouvaient choisir de ne produire aucun élément de preuve et de se fonder uniquement sur leurs observations, avec tous les risques associés à une telle ligne de conduite. Si ces questions devaient être soulevées, il appartiendrait au TCCE, et non à la Cour, à cette étape, de trancher l’affaire (Herbert c. Canada (Procureur général), 2022 CAF 11; Canada (Agence des services frontaliers) c. C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61, 185 ACWS (3d) 914).

[11] En conséquence, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée avec dépens.

« Richard Boivin »

j.c.a.

« Je souscris à ces motifs.

Yves de Montigny, j.c.a. »

« Je souscris à ces motifs.

René LeBlanc, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme.

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-211-20

 

INTITULÉ :

PRAIRIE TUBULARS (2015) INC ET 2045662 ALBERTA INC c. PRÉSIDENT DE L’ASFC

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 février 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE BOIVIN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1 MARS 2022

COMPARUTIONS :

Brendan M. Miller

Vincent Routhier

 

Pour les demanderesses

 

Craig Collins-Williams

Kevin Palframan

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Foster LLP

Calgary (Alberta)

 

Pour les demanderesses

 

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

 

 

 

 

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