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Date : 20220323


Dossier : A-299-21

Référence : 2022 CAF 49

[TRADUCTION FRANÇAISE]

En présence de monsieur le juge Pelletier

ENTRE :

TEKSAVVY SOLUTIONS INC.

appelante

et

BELL CANADA, BRAGG COMMUNICATIONS INCORPORATED, faisant affaire sous la dénomination sociale EASTLINK, COGECO COMMUNICATIONS INC., ROGERS COMMUNICATIONS CANADA INC., SHAW CABLESYSTEMS G.P., VIDÉOTRON LIMITED et TELUS COMMUNICATIONS INC.

intimées

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 23 mars 2022.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE PELLETIER

 


Date : 20220323


Dossier : A-299-21

Référence : 2022 CAF 49

En présence de monsieur le juge Pelletier

ENTRE :

TEKSAVVY SOLUTIONS INC.

appelante

et

BELL CANADA, BRAGG COMMUNICATIONS INCORPORATED, faisant affaire sous la dénomination sociale EASTLINK, COGECO COMMUNICATIONS INC., ROGERS COMMUNICATIONS CANADA INC., SHAW CABLESYSTEMS G.P., VIDÉOTRON LIMITED et TELUS COMMUNICATIONS INC.

intimées

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE PELLETIER

[1] Les parties au litige vaste et complexe en l’espèce n’arrivent pas à s’entendre sur le contenu du dossier d’appel, principalement parce qu’elles sont en désaccord sur l’application des exceptions à la règle générale sur les documents admissibles énoncées dans l’arrêt Première nation de Namgis c. Canada (Pêches et Océans), 2019 CAF 149, [2019] A.C.F. no 577 (QL) [Namgis]. Elles demandent à notre Cour de régler leur différend en déterminant le contenu du dossier d’appel.

[2] Avant de me prononcer sur le dossier d’appel, il convient de rappeler le contexte.

[3] Le présent appel a été déposé en vertu de l’article 64 de la Loi sur les télécommunications, L.C. 1993, ch. 38, qui dispose qu’il peut être interjeté appel devant notre Cour, sur des questions de droit ou de compétence, des décisions du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC). Sur la forme, les appels prévus par la loi, comme celui en l’espèce, sont régis par la partie 6 des Règles des Cours fédérales, D.O.R.S./98-106 [les Règles], qui s’applique aux appels. Cependant, parce que la décision en cause est rendue par un tribunal administratif, les appels prévus par la loi sont instruits essentiellement comme s’il s’agissait de contrôles judiciaires : voir, par exemple, les arrêts Nation Gitxaala c. Canada, 2015 CAF 27, [2015] A.C.F. no 287 (QL) au par. 11; Bell Canada c. 7262591 Canada Ltd. (Gusto TV), 2016 CAF 123, [2016] A.C.F. no 447 (QL) au par. 6, et Contrevenant no. 10 c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 42, [2016] A.C.F. no 176 au par. 10 [Contrevenant no. 10].

[4] Ces précédents n’ont pas été touchés par l’arrêt de la Cour suprême Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] A.C.S. no 65 (QL) [Vavilov], qui a simplement établi que, pour que soit respectée l’intention du Parlement, la norme de contrôle applicable dans un appel prévu par la loi à l’égard d’une décision d’un tribunal administratif devrait être celle du contrôle applicable en appel, et non la norme applicable dans les contrôles judiciaires. À tous les autres égards, les appels prévus par la loi continuent d’être instruits essentiellement comme s’il s’agissait de contrôles judiciaires.

[5] Cela signifie que les règles relatives aux documents admissibles sont celles qui s’appliquent aux contrôles judiciaires, et non celles qui s’appliquent aux appels interjetés à l’encontre de décisions de cours de première instance (Contrevenant no. 10 au par. 10). Dans le cas d’un appel visant la décision d’une cour de première instance, la partie qui cherche à produire des éléments de preuve dont la cour de première instance n’a pas été saisie doit présenter une requête en application de l’article 351 des Règles et elle doit également satisfaire aux critères énoncés dans l’arrêt Shire Canada Inc. c. Apotex Inc., 2011 CAF 10, [2011] A.C.F. no 49 (QL) au par. 17. La question de l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve dans un contrôle judiciaire est examinée de façon plus informelle dans le processus d’établissement du dossier d’appel.

[6] En l’espèce, il semble que les parties s’entendent sur un groupe de documents qui sont dûment inclus dans le dossier d’appel, alors qu’elles ne s’entendent pas sur un autre groupe de documents. Les documents du premier groupe devraient constituer le dossier d’appel, alors que ceux du deuxième groupe devraient être à la disposition des parties pour usage au cours de la procédure, sous réserve de démontrer qu’ils sont visés par les exceptions à la règle générale, comme il est indiqué plus haut.

[7] Il ressort de la pièce A à l’affidavit de Susan Gutteridge qu’en date du 25 janvier 2022, un projet de table des matières du dossier d’appel circulait, sur lequel les parties étaient d’accord, mais qui, selon les intimées, n’incluait pas assez de documents. Les documents énumérés dans le projet de table des matières constitueront le dossier d’appel, sous réserve des modifications dont ont convenu les parties dans la chaîne de courriels de la pièce A. Il se peut que le document de la pièce B de l’affidavit de Susan Gutteridge comprenne les modifications dont ont convenu les parties, auquel cas les documents énumérés dans la pièce B constitueront le dossier d’appel. Les documents dont l’inclusion dans le dossier d’appel a été contestée par une des intimées avant le 25 janvier 2022 ne seront pas inclus dans le dossier d’appel, mais pourront être inclus dans le dossier d’appel complémentaire, dont il est question ci-après.

[8] La règle générale s’appliquant aux documents pouvant être versés au dossier dans les demandes de contrôle judiciaire est énoncée au paragraphe 7 de l’arrêt Namgis :

Par conséquent, sous réserve de quelques exceptions, la règle générale veut que les seuls éléments de preuve admissibles lors d’un contrôle judiciaire soient ceux qui ont été produits au décideur administratif, soit le juge du fond : voir, par exemple, Association des universités, par. 17; Delios, au par. 42; Bernard c. Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, 479 N.R. 189. La cour de révision de première instance doit rejeter toute tentative de dépôt d’éléments de preuve intéressant au fond la décision administrative qui n’ont pas été présentés au décideur administratif.

[9] Cette règle est assujettie à certaines exceptions, dont l’application fait l’objet du différend entre les parties. Ces exceptions sont énumérées au paragraphe 10 de l’arrêt Namgis :

a) affidavits contenant des informations générales;

b) affidavits portant sur des motifs de révision, lorsque les éléments de preuve ne figurent pas dans le dossier du décideur administratif;

c) affidavits mettant en lumière des lacunes dans le dossier;

d) affidavits portant sur le pouvoir discrétionnaire de la cour de révision l’habilitant à accorder réparation.

(Collectivement, les exceptions.)

[10] Dans son dossier de requête en réponse, Bell Canada (Bell) définit les catégories de documents qu’elle souhaite voir inclus dans le dossier d’appel (les documents en litige) de la façon suivante (les numéros de paragraphe renvoient aux observations écrites de Bell) :

  • a) documents qui sont déjà dans le dossier du CRTC : au par. 25;

  • b) documents généraux : au par. 28;

  • c) documents qui se rapportent aux motifs d’appel et au pouvoir discrétionnaire de réparation de la Cour : au par. 32;

  • i) documents qui situent dans leur contexte les actes de M. Scott : au par. 34;

  • ii) documents qui démontrent un abus de procédure de la part de Teksavvy : au par. 36;

  • iii) documents qui démontrent que Teksavvy n’a pas abordé la question de la partialité à la première occasion : au par. 40;

  • iv) documents qui démontrent l’existence d’une mesure de réparation subsidiaire auprès du Cabinet : au par. 42.

[11] On peut constater que les catégories de Bell sont, dans une large mesure, les mêmes que les exceptions, bien qu’il existe des différences. En temps normal, le juge examinerait les documents et se prononcerait sur l’inclusion ou l’exclusion de chaque document. En plus de prendre énormément de temps, ce processus souffre du fait que le juge connaît mal le contexte sous-jacent, puisque ce dernier sera connu lorsque l’appel sera entendu : voir l’arrêt Bande de Sawridge c. Canada, 2005 CAF 259, [2005] A.C.F. n1224 au par. 6. Pour ce motif, par le passé, notre Cour a autorisé l’inclusion de tous les documents, à la condition que la partie s’y opposant convainque la formation chargée de trancher l’affaire que le document devrait être exclu.

[12] Je propose que l’on adopte cette approche avec quelques modifications.

[13] Les intimées font valoir que les documents qu’elles veulent produire sont visés par les exceptions. En temps normal, les parties qui souhaitent se prévaloir d’une exception ont le fardeau de démontrer qu’elles y ont droit : Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25, [2021] A.C.S. no 25 (QL) au par. 38, Offshore Logistics Inc. c. Halifax Longshoremen’s Association, Local 269, 2000 CanLII 15852 (C.A.F.), [2000] A.C.F. no 1155 (QL) au par. 58, Rubin c. Président de la Société canadienne d’hypothèque et de logement, [1989] 1 C.F. 265 (C.A.F.), 1988 CanLII 5656 au par. 25, El Maki c. Canada (Commission de l’assurance-emploi), 1998 CanLII 8060 (C.A.F.), [1998] A.C.F. no 1129 (QL) au par. 5, Construction de défense Canada c. Ucanu Manufacturing Corp., 2017 CAF 133, [2018] 2 R.C.F. 269 au par. 75.

[14] Par conséquent, je ne suis pas prêt à ordonner que les documents en litige soient inclus dans le dossier d’appel à moins qu’une partie s’oppose à leur inclusion. Il incombe à la partie qui souhaite se prévaloir de l’exception d’établir qu’elle a le droit de bénéficier de l’exception.

[15] Bien que le nombre de documents que les intimées veulent produire est relativement peu élevé (entre 45 et 53), ces documents sont volumineux. Le dossier de requête en réponse de Bell, qui comprend tous ces documents, compte quelque 1 500 pages. La solution adoptée à l’égard de ces documents doit permettre à la formation chargée de trancher l’affaire de recevoir le plus d’information possible, afin de réduire au minimum la nécessité de présenter des observations orales sur chacun des documents.

[16] Les documents dont l’inclusion dans le dossier d’appel est contestée seront inclus dans un dossier d’appel complémentaire; ils seront regroupés en fonction de l’exception énoncée dans l’arrêt Namgis invoquée pour justifier leur admissibilité. Les catégories utilisées par Bell dans ses observations écrites devront être adaptées à celles de l’arrêt Namgis, puisque, dans l’état actuel des choses, ces dernières sont les seules exceptions reconnues. Par souci de clarté, les pages du dossier d’appel complémentaire seront numérotées consécutivement du début à la fin, plutôt que par groupe de documents.

[17] L’appelante préparera, signifiera et déposera le dossier d’appel. Bell préparera, signifiera et déposera le dossier d’appel complémentaire.

[18] Conformément au principe voulant que le fardeau incombe à la partie qui se prévaut des exceptions, chaque partie préparera un recueil des documents provenant du dossier d’appel supplémentaire auxquels elle renvoie dans son mémoire des faits et du droit. Le recueil comprendra une copie du document ou, si le document est volumineux, les pages précises auxquelles il est renvoyé, ainsi que les observations de la partie démontrant que le document est visé par l’exception au titre de laquelle elle est classée dans le dossier d’appel complémentaire. Ce recueil s’ajoutera à tout autre recueil qu’une partie pourrait préparer à l’intention de la formation chargée de trancher l’affaire.

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-299-21

 

INTITULÉ :

TEKSAVVY SOLUTIONS INC. c. BELL CANADA et al.

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 23 mars 2022

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Colin Baxter

Natalia Rodriguez

Abdalla Barqawi

 

Pour l’appelante

 

Steven G. Mason

Brandon Kain

Richard Lizius

Adam Goldenberg

 

Pour l’intimée

BELL CANADA

 

Kent E. Thomson

Matthew Milne-Smith

Steve G. Frankel

Maura O’Sullivan

Pour les intimées

CABLE CARRIERS, COGECO, EASTLINK, ROGERS, SHAW ET VIDÉOTRON

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Conway Baxter Wilson S.E.N.C.R.L./s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

Pour les appelantes

 

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

Pour l’intimée

BELL CANADA

 

Davies Ward Phillips & Vineberg S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

Pour les intimées

CABLE CARRIERS, COGECO, EASTLINK, ROGERS, SHAW ET VIDÉOTRON

 

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